Eglises d'Asie

LES CHANGEMENTS RECENTS DE LA POLITIQUE RELIGIEUSE EN CHINE

Publié le 18/03/2010




A la fin de l’année 2001, il y a eu quelques signes dans la politique religieuse de la Chine dénotant une certaine nouveauté. Bien qu’ils méritent d’être relevés, il ne convient d’être, ni par trop enthousiaste, ni par trop inquiet. Toutes les personnalités importantes du Parti communiste chinois ont pris part à une réunion de travail sur la religion qui s’est tenue du 10 au 12 décembre 2001. En commençant par Jiang Zemin et en descendant la hiérarchie, les personnalités suivantes y ont assistée : Li Peng, Zhu Rongji, Li Ruihuan, Hu Jintao, Wei Jianxing, Li Fengqing, Ding Guangen, Zhang Wannian, Luo Gan, Wen Jiabao, Zeng Qinghong, Zou Jiahua, Thimuer-Dawamaiti, Simayi-Aimati, Wang Zhongyu, Xiao Yang, Han Chubin, Ren Jianxin, Li Guiyu, etc. Alors que la qualité de cette assistance a donné une certaine importance aux débats, rien de nouveau n’en a résulté. Mais cela nous donne une idée du climat actuel.

Le Quotidien du peuple du 13 décembre 2001 a donné un compte rendu détaillé de la réunion. L’article, paru sous le titre « Réunion nationale de travail sur la religion tenue à Pékin », comporte près de 6 000 caractères. De plus, l’éditorial du jour discourt avec enthousiasme sur la réunion. Toute la teneur de la réunion a clairement été ceci : la religion est un élément « instable » dans la société ; il importe de renforcer notre défense contre lui.

Je vais extraire quelques passages du compte rendu du Quotidien du peuple pour que le lecteur en ait une idée claire :

Il (Jiang Zemin) a souligné que le travail sur la religion était une composante importante du travail du Parti et de la nation. Elle occupe une position clef dans la situation d’ensemble du développement du Parti et de la nation.

Jiang Zemin a souligné que, dans les circonstances nationales et internationales actuelles, le Parti et le gouvernement ne pouvaient qu’accentuer leur rôle directeur sur ce travail et leur contrôle sur les affaires religieuses. Il ne pouvait pas leur permettre de se relâcher.

Compte tenu de l’importance de la religion dans la vie politique et sociale du monde d’aujourd’hui, il est impossible de baisser la garde.

Le gouvernement chinois reconnaît sans hésiter la grande influence de la religion. Et c’est précisément parce que cette influence est grande qu’il est aussi mal à l’aise avec elle. Le Quotidien du peuple continue en ces termes :

(Jiang Zemin a fait ressortir que) notre pays conduit une politique de séparation de la politique et de la religion. Si les affaires et les activités religieuses touchent au bien public ou au bien national, il est alors évidemment nécessaire qu’elles passent sous le contrôle de la loi. On ne peut pas se servir de l’excuse de la liberté religieuse ou de la séparation de la politique et de la religion ; on ne peut pas abandonner, ni se couper du contrôle de l’Etat sur les affaires religieuses. Il serait absolument inadmissible de faire revivre les privilèges féodaux déjà abolis de la religion ou les systèmes d’exploitation religieuse. De la même façon, il n’est pas permis à la religion de porter atteinte à l’unité nationale ou à l’unité des minorités ethniques du pays. L’essence du contrôle des affaires religieuses est : protéger la légalité, évacuer l’illégalité, résister à l’infiltration et attaquer le crime.

Les dernières phrases suffisent à montrer le sérieux de la situation. Il est clair que le gouvernement chinois construit partout des sauvegardes contre la religion. Par ailleurs, la conférence a fait ressortir qu’en pratique la religion devait changer sa nature pour s’adapter à la règle du gouvernement.

Jiang Zemin a souligné : guider de façon positive la religion à s’adapter à la société socialiste. Nous ne cherchons pas à faire abandonner leur foi au clergé ou aux croyants. Nous les encourageons plutôt à s’efforcer d’expliciter leur doctrine religieuse de manière à se conformer au progrès social.

En d’autres termes, le sens de la doctrine religieuse est changé pour répondre aux besoins de la politique. C’est encore plus effrayant que d’interdire toute activité religieuse. A ce point, un froid glace le cœur des gens.

Si nous relisons le discours du directeur du Bureau des Affaires religieuses, Ye Xiaowen, prononcé en 2000, nous voyons que Jiang Zemin en reprend l’essentiel. Le discours de Ye Xiaowen intitulé « Au tournant du siècle, penser sans cesse au travail sur la religion » peut être lu dans Tripod n° 118 et dans l’éditorial qui l’accompagne.

Le directeur du Bureau des Affaires religieuses, Ye Xiaowen, a publié son essai, à l’origine, dans le Guangming Ribao du 17 mai 2000. Son sous-titre, « Resserrer les relations entre l’étude et (les faits) et résoudre les grands problèmes de la situation d’ensemble permet de se faire une idée de l’orientation que prendra le travail du Bureau des Affaires religieuses à l’avenir.

Le directeur Ye a repris les trois phrases avancées par le président Jiang Zemin en 1993 : « Mettre en place correctement et complètement la politique de liberté religieuse du Parti, renforcer le contrôle des affaires religieuses en accord avec la loi et guider de façon positive la religion pour s’adapter à la société socialiste. »

Le directeur Ye a résumé les « trois phrases » en « Accen-tuer la politique, accentuer le contrôle et promouvoir l’adaptation. » En guise d’explication il écrivait :

Concrétiser un point important, à savoir mettre en place correctement et complètement la politique de liberté religieuse du Parti ; mettre en valeur un point important, à savoir regarder en face les problèmes actuels du travail sur la religion et renforcer le contrôle sur les affaires religieuses, en accord avec la loi ; et viser un objectif, à savoir guider de façon positive la religion à s’adapter à la société socialiste.

Une autre façon de s’exprimer était de dire : « Accentuer la politique » est la direction à suivre, « Renforcer le contrô-le » en sont les moyens, et « Promouvoir l’adaptation » en est l’objet. Tout le travail sur la religion a pour objet de pro-mouvoir l’adaptation de la religion à la société socialiste.

La « promotion de l’adaptation » comporte elle-même trois points. Le premier est « bénéfique à la société L’essentiel de ce point est « guider l’activité religieuse vers l’obéissance et le service du plus haut intérêt national et celui de toutes les races Le sens caché de cette phrase est que la religion existe pour servir l’intérêt national.

Le second point est « Rendre solides les résultats Les prétendus résultats ne sont pas les mêmes pour toutes les religions. Pour l’Eglise catholique, une note d’explication en chinois ajoute : « On doit continuer à encourager et à soutenir l’Eglise catholique dans la voie de l’indépendance et dans le développement d’une conduite démocratique de l’Eglise ». La « conduite indépendante de l’Eglise » montre que le système chinois régissant les affaires religieuses persiste à ne pas vouloir mettre un terme au passé ni aux erreurs qui y ont été faites. Ils entendent encore faire délibérément obstacle à l’union complète de l’Eglise chinoise et de l’Eglise universelle.

Le troisième point sous « la promotion de l’adaptation » est « avancer vers l’avenir Superficiellement, cette supposée « avance » vise à « découvrir et respecter les valeurs qu’il renferme Cependant, la signification exacte vient après :

Suivant les progrès toujours plus grands de la société humaine, les religions absorberont de plus en plus certaines valeurs morales séculières et certains éléments matériels ; elles abandonneront leur fanatisme et leur ferveur et se conformeront graduellement à la société réelle.

Pour ce qui est de céder aux valeurs séculières, « l’essai Ye » a l’impudence d’écrire : « Ceci ne peut qu’avoir une influence sur la réforme de la pensée religieuse et des systèmes religieux 

De ce qui vient d’être dit, on peut voir que le dessein à l’origine de « l’essai Ye » est parfaitement clair. En dernier ressort, il veut faire de la religion un outil politique. Et la méthode pour le faire est « d’introduire un changement radical dans la religion Le lecteur peut certainement en voir la motivation. D’où les propos de Jiang Zemin à la conférence de décembre :

Nous devons inciter de façon positive la religion à s’adapter à la société socialiste. Nous ne cherchons pas à ce que le clergé et les croyants abandonnent leur foi. Nous les encourageons plutôt à s’efforcer d’expliciter leur doctrine religieuse d’une manière qui soit conforme aux nécessités du progrès social.

Ces propos peuvent être pris comme l’écho de ce que Ye Xiaowen a écrit autrefois.

Zhu Rongji a fait quelques remarques importantes à la réunion, que nous ne pouvons pas passer sous silence. En dehors de répéter ce que Jiang Zemin a dit sur « protéger ce qui est légal, arrêter ce qui est illégal, résister à l’infiltration et attaquer le crime », nous notons que Zhu Rongji ne considère pas la religion comme une force de stabilité. Au contraire, il est très inquiet de « l’instabilité » des zones religieuses de la société. Le compte-rendu du Quotidien du peuple dit : « Zhu Rongji souligne que nous devons réellement maintenir la stabilité dans les zones religieuses La méthode pour y parvenir est la suivante :

Les cadres à tout niveau doivent sans relâche saisir chaque occasion de pénétrer au plus profond des milieux religieux, pour s’enquérir, guider et consciencieusement analyser les nouvelles situations et les nouveaux problèmes. Les contradictions doivent être résolues immédiatement dès leur apparition et être extirpées de ces milieux. De même, il faut résister fermement à toute infiltration religieuse étrangère.

Le Quotidien du peuple du 13 décembre 2001 comportait aussi un éditorial intitulé : « S’unir étroitement avec la masse des croyants, s’efforcer par tous les moyens d’instaurer la grande entreprise d’un socialisme à caractère chinois ». L’éditorial lui-même ne faisait que répéter les paroles mêmes de Jiang Zemin, à une très claire exception près, en disant :

Plus la conjoncture va vers une grande ouverture, plus le principe de l’indépendance doit être maintenu sans déviation aucune. Et plus notre vigilance doit rester forte pour résister efficacement aux étrangers qui se servent de la religion pour infiltrer notre pays.

Cela montre clairement qu’avec une plus grande ouverture au monde extérieur, le gouvernement chinois désire instinc-tivement renforcer son contrôle du monde religieux. Que ce contrôle soit effectif est, bien sûr, une toute autre affaire.

Nous avons un indice de la peur que ressent le gouvernement chinois à l’idée d’une « infiltration » avec l’arrestation de l’homme d’affaires de Hongkong, Lai Kwong-keung, accusé d’introduire illégalement des bibles dans le Fujian. Le chef d’inculpation retenu contre lui était : « Se servir d’un culte pour enfreindre la loi ».

Pour donner au lecteur une image plus claire de cette conférence sur la religion et une compréhension plus grande de la politique du gouvernement chinois en matière de religion et pour le préparer à toute éventualité, j’ai eu recours largement à des extraits du Quotidien du peuple. Un contrôle renforcé de la part du gouvernement n’est, bien sûr, pas nouveau pour les croyants. En pratique, on peut simplement se demander si, dans une société plus ouverte, toutes ces mesures restrictives peuvent être appropriées.

Dans la deuxième quinzaine de décembre 2001, Pan Yue, le vice-directeur du Bureau de la Réforme économique du Conseil des affaires d’Etat de la Chine a publié un article intitulé : « Quelle attitude adopter face à la religion – La vision marxiste de la religion doit perdurer dans le temps Des universitaires et des journalistes ont pensé que cet essai marquait une percée dans l’explication de la nature de la religion. Les observateurs du développement de la religion en Chine sur les quelques dernières années savaient déjà, bien évidemment, que la théorie de « la religion, opium du peuple » était une impasse. Que l’on comprenne la signification de l’opium, dans l’esprit de Marx, comme bonne ou mauvaise n’a pas d’importance ; ce qui en a, c’est sa valeur sur le marché. Or, les vieilles théories de Marx n’en ont plus aucune. Des milliers d’essais sur le sujet n’y changeraient pas grand chose. On peut lire celui de Pan Yue pour l’intérêt de la discussion philosophique, mais il n’apporte rien sur la direction de la politique en matière de religion.

En décembre dernier, le Premier ministre Zhu Rongji a rencontré Pat Robertson, le célèbre télé-évangéliste américain, en visite en Chine. Leur conversation a été sans aucun doute amicale, mais elle a manqué de fond. Sans même mettre en cause les intentions de Zhu, il est hasardeux d’envisager que l’atmosphère générale permette un changement de quelque importance. La réalité politique actuelle en Chine est telle que, même dans le domaine économique, Zhu Rongji ne peut pas mener à bien tout ce qu’il voudrait. On imagine mal qu’il puisse faire quoique ce soit dans des domaines touchant l’idéologie.

Ce que le Premier ministre a dit quant à la possibilité de donner aux croyants clandestins l’occasion de se faire inscrire avait déjà été évoqué pour l’essentiel dans le décret du gouvernement de mai 1994 intitulé « La méthode pour créer des lieux d’inscription des activités religieuses En fait, depuis l’ouverture de la Chine en 1979, la politique du gouvernement concernant les croyants a toujours été très claire. L’accent est actuellement sur la mise à l’écart de la question des « associations patriotiques » ou des « trois autonomies pour en premier lieu amener les croyants à sortir au grand jour pour pratiquer leurs activités religieuses. Après avoir pratiqué leur religion ouvertement pendant un temps, les croyants seront ensuite progressivement incités à rejoindre les « associations patriotiques Cette stratégie n’a pas changé.

Jusqu’à aujourd’hui, différentes administrations locales font toujours pression sur des diocèses « officiels » pour qu’ils créent une « association patriotique C’est juste une question de date, avant ou après, dans les étapes de la procédure. Permettre aux croyants clandestins de s’inscrire librement n’est nullement un traitement de faveur. Une telle inscription ne « paraît bonne » qu’au début. Quand des commentateurs étrangers disent que c’est historiquement le plus important changement dans la politique religieuse chinoise, cela signifie seulement qu’ils n’y avaient pas prêté attention auparavant.

Pour reparler de la vision de Zhu Rongji, on peut se demander, même si l’on ne met pas en doute sa sincérité, quelle part de son attitude ouverte est susceptible de se réaliser. On se souvient qu’il y a trois ans, quand le Premier ministre Zhu rencontra le même Pat Robertson, il fit de nombreuses promesses. Cependant, trois ans plus tard, les choses sont restées à peu près en l’état.

Le 26 août 1998, quand le Premier ministre Zhu rencontra Pat Robertson à Zhongnanhai, il lui parla de l’importance des forces spirituelles. Il mit en avant qu’ils (les dirigeants chinois) avaient reconnu l’utilité de la religion dans le développement historique de la société et expliqua : « Le peuple doit avoir un pouvoir spirituel ; sur ce point, il n’y a pas de différence entre les athées et les croyants ». A l’époque, ces mots m’avaient donné quelque espoir. Mais en regardant ce qui s’est passé depuis trois ans, ces mots ont disparu sans laisser de trace.

C’est maintenant le cinquième voyage du Révérend Robertson en Chine – voyages qui, soit dit en passant, semblent faire partie intégrante de son emploi du temps. Pour le Premier ministre Zhu, rencontrer un hôte et dire des choses acceptables par tout le monde relève de la routine diplomatique. Espérer que les paroles prononcées à ces occasions changeront le climat général est parfaitement irréaliste.

Quoiqu’il en soit, la réunion nationale sur la religion de décembre 2001 nous fait réaliser qu’avec l’entrée de la Chine dans le monde, il ne faut pas s’accrocher à des chimères et qu’après tout, les choses ne vont peut-être pas si mal. Dans une société où une autorité politique totalitaire contrôle tout, « un cadeau gratuit » pour la religion est probablement encore un espoir vain. Les catholiques de Hongkong ne connaissent pas leur bonheur. Je conseille aux catholiques et aux non-catholiques de considérer avec calme les récents changements qui se sont produits en Chine.