Eglises d'Asie – Chine
HONGKONG : LE COMBAT D’UN MISSIONNAIRE POUR LES DROITS DE L’HOMME
Publié le 18/03/2010
Votre maison est tout autre qu’une maison de curé’ classique…
En effet, je loue une chambre dans les HLM de Tai Po (dans les Nouveaux Territoires), des édifices de plus de 30 étages composés d’appartements pour famille de deux personnes ou pour personnes seules. Après avoir vécu pendant dix ans avec le P. Franco Cumbo au milieu des personnes qui vivent sur des barques et dix autres années dans des baraquements (que le gouvernement nous avait initialement affectés mais qui ont été démolis par la suite), nous avons pu accéder aux HLM. Je paie ainsi au gouvernement de Hongkong un loyer équivalent à une cinquantaine de dollars américains par mois.
Un logement insolite pour un missionnaire !
Oui, c’est un peu l’héritage des années 1960 et 1970 lorsque les missionnaires choisirent de vivre avec les gens, un peu à l’écart des structures strictement ecclésiales. Après avoir vécu sur des barques et avant d’avoir accès aux baraquements, j’ai aussi dormi pendant un an dans la rue et sous les ponts… Jusqu’en 1991, j’ai fait un travail manuel, en usine. Puis je me suis rendu en Chine continentale, où je suis resté presque dix ans, mis à part quelques brefs séjours à Hongkong durant les vacances. Actuellement, je travaille dans une maison familiale pour personnes handicapées.
Que vous a apporté ce mode de vie ?
Cela a surtout été une sorte d'”immersion” dans la condition des pauvres de Hongkong. Les gens des barques avaient une vie très précaire, les clochards et les ouvriers des usines également. Avec ces personnes qui vivaient sur des barques, nous avons organisé un mouvement dans le but d’obtenir le droit de résidence aux femmes de ces hommes qui étaient allés se marier en Chine et dont le droit de résidence à Hongkong n’avait pas encore été accordé. Outre les clochards et les sans abris, nous avons privilégié d’autres catégories de pauvres, comme les personnes handicapées mentales, les drogués et les vieillards qui ne pouvaient pas se payer un loyer.
Une présence missionnaire de ce genre est-elle encore nécessaire à Hongkong ?
De mon point de vue, oui. Il y a des problèmes économi-ques évidents et nombreuses sont les personnes qui ont des difficultés à aller de l’avant. Il me semble important de faire l’effort de comprendre leurs angoisses pour le manque de travail et les problèmes de logement. C’est certainement une présence missionnaire à 100 %. Si seulement on avait des gens qui sortent du train-train paroissial…
Existe-t-il d’autres communautés qui œuvrent dans le même sens ?
Oui. Les Petites Sœurs de Jésus, dans la spiritualité de Charles de Foucauld, et les Petites Sœurs de Cunéo (ndlr : institut fondé par le P. Andrea Gasparino, toujours dans le sillage de la spiritualité de Charles de Foucauld) sont deux congrégations qui ont ce même objectif. Elles vivaient, elles aussi, avec les gens des barques auparavant ou dans la ville emmurée, qui était une ville dans la ville, où même la police n’entrait pas. Ces petites communautés religieuses vivent maintenant toutes en HLM, après la suppression des espaces où vivaient les gens des barques et la démolition des baraquements. A Hongkong, il existe encore des baraquements (même s’ils sont relativement peu nombreux) alors que les vagabonds se multiplient dans les rues. Une présence parmi eux serait précieuse mais maintenant ce n’est plus seulement de Hongkong qu’il nous faut nous occuper.
Que voulez-vous dire ?
C’est la Chine dans son ensemble qui doit être notre priorité missionnaire. Il nous faut inventer des formes variées de présence et, dans la mesure du possible, le plus près possible des gens.
Comment avez-vous eu l’idée d’aller en Chine continentale ?
Je l’avais avant même de venir à Hongkong. Dans les années 1970, c’était complètement impossible alors que, vers la moitié des années 1980, certaines possibilités de sont présentées. Comme prêtres des PIME, la Chine est pour nous une vieille connaissance. Je me suis posé la question : pourquoi ne pas continuer l’expérience faite à Hongkong avec tout le peuple chinois ? Pourquoi ne pas aller avec les pauvres, les paysans, les ouvriers qui résident en Chine ? Au fond, Jésus-Christ vit déjà avec eux…
Vous avez réussi à faire tout ceci en Chine, en tant qu’enseignant d’anglais ?
Comme enseignant (c’est cette route que j’ai choisie), j’ap-partenais naturellement à un certain niveau social, mais, avec les étudiants, les rapports sont différents. Nous allions par exemple très souvent dans les orphelinats locaux, nous entrions dans des écoles de sourds-muets, dans les hôpitaux, nous étions en contact avec les mendiants dans les rues. Durant mon séjour, nous avons ouvert une petite école pour des enfants qui venaient du nord du pays et vivaient dans la rue.
Ce sont des activités que l’on concède à un étranger ?
Le mot concéder’ ne me semble pas approprié. La vérité est qu’il faut se créer ses propres espaces. Je me rappelle que nous allions rendre visite à des familles d’immigrés dans les villages du nord, dont certains étaient de villages où les PIME anciennement avaient été actifs. C’est par le biais de ces contacts que j’ai pu faire ma dernière année d’enseignement dans le nord du pays, dans le Shanxi. J’espère y retourner : j’ai vu là-bas très clairement une présence de l’Esprit Saint qui agit parmi les gens simples qui vivent avec dignité.
Et, en tant que prêtre, comment viviez-vous en Chine ?
Je célébrais la messe, en général avec un prêtre local, parfois même seul avec les chrétiens du lieu, surtout lorsque je résidais dans le sud. Célébrer la messe n’est pas interdit partout. Il n’y a pas d’uniformité dans la politique religieuse en Chine. Cela dépend beaucoup de l’attitude du fonctionnaire local du Bureau des Affaires religieuses et de l’Association patriotique du lieu. Tout dépend des périodes et des endroits.
Comment se fait-il que vous ayez été à un certain moment expulsé de Chine ?
Cela n’a pas été une expulsion à proprement parler : on m’a simplement fait comprendre qu’il valait mieux pour moi rester à Hongkong. Probablement pour deux motifs : le premier est lié à mon engagement particulier pour les droits de l’homme à Hongkong, le second à la question des canonisations de 120 martyrs de Chine, qui a eu lieu au Vatican le 1er octobre 2000. Au mois d’août précédent, nous étions allés visiter une grotte qui est maintenant transformée en un petit sanctuaire, où avait vécu au XVIIIe siècle un évêque italien, Mgr Saraceni Conca, un franciscain martyrisé en 1741. Là, en présence de plusieurs centaines de chrétiens, nous avions célébré la première messe jamais dite depuis cette date. La chose n’est pas passée inaperçue. Parmi les canonisations du 1er octobre, un des martyrs que la Chine a le plus attaqué est le P. Alberico Cresciteli, des PIME, qui avait justement travaillé dans cette région du Shanxi. Il est probable que cela ait aussi pesé dans la balance. Il ne m’est toutefois pas interdit de retourner en Chine, j’y vais encore pour faire des visites.
Cependant, vous avez cessé d’enseigner…
En effet, car entre temps, le problème du “droit de résidence” arrivait à son comble à Hongkong. J’ai trouvé du travail dans une communauté de personnes handicapées dans laquelle je suis toujours. C’est une bonne préparation pour moi en vue d’une nouvelle forme de présence en Chine continentale.
Votre engagement pour les droits de l’homme à Hong-kong s’est centré ces derniers temps sur le droit de rési-dence. Quel a été le point de départ de cette mission ?
Nous avons commencé en 1984, en créant le mouvement des “femmes des barques”. Les épouses de “nos” hommes des barques qui étaient allés en Chine continentale pour se marier (ils n’en avaient pas la possibilité à Hongkong du fait de leur appartenance à la classe sociale la plus basse) ne pouvaient rencontrer leur mari qu’en mer sur les barques ou bien sur le territoire chinois. Elles n’avaient pas le droit de mettre le pied sur le territoire de Hongkong. Eh bien, en deux ans de lutte, 1 200 d’entre elles ont obtenu la carte d’identité de Hongkong ! En 1987, tous les jeunes de moins de 16 ans, dont les enfants de ces couples, ont été amnistiés et ont pu recevoir la citoyenneté de Hongkong.
Votre action actuelle a commencé, quant à elle, en 1999.
Notre mouvement de protestation a commencé après que le gouvernement ait demandé une réinterprétation des accords à l’Assemblée nationale populaire à Pékin, renversant de fait une décision de justice précédente prononcée par la Cour et limitant ainsi les possibilités d’entrer sur le territoire de Hongkong. Ce verdict excluait donc presque 90 % des ayants droit. Cette initiative a été attaquée non seulement parce qu’elle privait les personnes du droit fondamental à vivre avec les membres de leur propre famille mais aussi parce qu’elle diminuait l’autorité du système judiciaire de Hongkong. Sans compter le paradoxe du fait que Hongkong est redevenue une ville de la Chine et pourtant certains citoyens chinois, fils de résidents de Hongkong, n’ont encore pas le droit d’y vivre.
Comment est-il possible qu’une ville refuse l’entrée de ses enfants ?
Nombreux sont ceux qui prônent la devise “un pays, deux systèmes” mais tant que l’on n’arrivera pas à un Pays et un unique système, en abolissant la frontière entre Hongkong et le reste de la Chine, ces problèmes perdureront. En tant que chrétiens, il nous faut lutter pour qu’existe une seule patrie chinoise et un système qui accepte ce qui existe de mieux des deux côtés, de Pékin et de Hongkong. Il est absurde qu’un homme qui se marie en Chine ne puisse pas ramener sa femme à Hongkong avant plusieurs années, et ceci jusqu’en 2 047, comme le prévoient les accords entre la Chine et la Grande-Bretagne.
Sous la domination anglaise, c’est la Chine qui insistait pour avoir une frontière avec Hongkong, aujourd’hui, c’est cette dernière qui l’exige pour défendre son propre bien-être. Il y donc un travail de fond à faire pour éduquer les gens de Hongkong. Qui doit s’en charger ? Le peuple chinois ! Le mouvement en faveur du droit de résidence sert aussi à promouvoir cette éducation des personnes de Hongkong à l’accueil de ceux qui en ont le plus besoin.
Dans vos combats, vous ne manquez pas d’avoir recours à la grève de la faim. Que signifie pour vous cet instrument de pression, si significatif dans les différentes religions, et pas seulement chrétiennes ?
La grève de la faim est le meilleur moyen pour exprimer le désir profond, personnel ou bien d’un groupe, d’une vraie justice sociale. C’est une très grande et digne forme de contestation non violente contre le mal dans le monde. Ce n’était pas seulement le moyen de protestation de Gandhi qui voulait libérer son peuple. C’est aussi l’invitation ou la suggestion que Jésus-Christ nous a faite et qu’il a mis en pratique en personne pendant 40 jours dans le désert.
Dans quelle autre direction s’engage votre combat pour la défense des droits de l’homme ?
Nous nous battons contre la peine de mort en Chine continentale (elle a été abolie à Hongkong en 1993) où sont exécutées aujourd’hui 80 % de toutes les sentences de peines du mort prononcées sur la planète. Pour l’heure, nous nous limitons à certains cas de citoyens de Hongkong condamnés à mort en Chine, pays où une quarantaine de crimes, incluant même des délits économiques, sont encore aujourd’hui punis par la peine capitale.
L’Eglise catholique agit-elle suffisamment en faveur des droits de l’homme à Hongkong ?
Jusqu’en 1997, elle ne s’est pas trop engagée. Mais ensuite, elle s’est mobilisée activement, avec, pour chef de file, l’évêque auxiliaire Mgr Joseph Zen qui n’a pas peur de dire ce qu’il pense. Sur la question des droits de l’homme, nous sommes sur la même longueur d’onde.
Il y a un danger réel, pour l’Eglise catholique de Hongkong, c’est celui de perdre ses écoles catholiques. Qu’en pensez-vous ?
Les évêques sont préoccupés par la situation. Pour ma part, en revanche, je pense que ce ne serait pas une perte irréparable, du point de vue de l’annonce de l’Evangile.
Cette annonce de l’Evangile, quel avenir a-t-il, à votre avis, en Chine ?
L’Eglise doit reconnaître tout ce qu’il y a de positif, en se mettant dans une attitude de service. Il n’est pas nécessaire de parler ni de puissance institutionnelle ni de l’influence sociale du passé. Il existe actuellement en Chine des centaines de personnes qui annoncent l’Evangile par le biais de services. Vivre de manière transparente les Béatitudes, comme cela se fait déjà, tout en soulignant des valeurs comme l’unité de la famille, la défense de la vie, le service aux plus démunis (personnes handicapées.), tout cela est déjà un témoignage précieux.
Le manque de liberté religieuse est une anomalie qui pénalise cette Chine qui aspire à la modernité. Quand assisterons-nous à un changement radical de la politique religieuse envers les chrétiens en Chine ?
Quand les gens verront que ce que nous annonçons n’est pas une doctrine qui vient de l’étranger mais quelque chose qui est vraiment lié à la vie intime ! La révolution communiste en Chine – bien qu’encore pétrie de corruption et de compromis et vidée par manque d’idéaux – a eu un gros impact sur la population de base. Une confrontation frontale ne sert donc à rien. En tant que missionnaires, il nous faut seulement montrer que nous voulons être au service du peuple, non seulement dans ses besoins matériels, mais aussi moraux et spirituels. Tant que les gens auront l’impression d’assister à une lutte de pouvoir, il n’y aura pas d’issue. Actuellement, le gouvernement chinois mise sur le contrôle et non pas sur l’élimination à la racine du phénomène religieux. Il veut éliminer et prévenir toute menace sur le pouvoir politique et sur le contrôle de la société. Il ne suffit donc pas de se mettre en opposition, comme cela s’est fait dans les pays d’Europe de l’Est, où, de par la chute du communisme, on s’est aperçu que les problèmes ne se résolvaient pas automatiquement. Je peux vous sembler idéaliste, mais je crois que nous devons passer de la confrontation au dialogue, en conjuguant nos forces positives, comme nous le faisons avec les religions non chrétiennes. J’ai trouvé en Chine de nombreuses personnes ouvertes sur ce sujet.