Eglises d'Asie

L’APRES MAHATHIR : ABDULLAH BADAWI, UN FUTUR PREMIER MINISTRE IDEAL ? Abdullah Badawi, le probable futur Premier ministre, se présente sous un nouveau jour : assuré, péremptoire et prêt à tous les combats, de la lutte contre l’extrémisme islamique à l’éra

Publié le 18/03/2010




Au mois d’octobre 2003, si tout se passe comme prévu, Abdullah Balawi succédera à Mahathir Mohamad et deviendra le cinquième Premier ministre de la Fédération de Malaisie. Rôle difficile à tenir, certes, mais transition opportune. De nombreux analystes, en effet, pensent qu’en raison de la popularité croissante de l’opposition incarnée par le Parti islamique pan-malaisien ou PAS qui contrôle déjà deux Etats sur la péninsule, la stabilité du pays est menacée par la progression d’un islam conservateur, capable de faire fuir les investisseurs et de bouleverser la délicate harmonie raciale du pays.

A la suite des attaques du 11 septembre à New York et à Washington, la communauté internationale se montre profondément inquiète face à la progression de l’extrémisme islamique. Les autorités de Singapour, tout proche, vont jusqu’à dire que des membres du réseau terroriste Al Qaeda continuent à vivre en pleine liberté tant en Malaisie que dans d’autres pays de l’Asie du Sud-Est. La Malaisie est jugée particulièrement vulnérable parce que le PAS gagne du terrain et pousse à l’application stricte du droit musulman dans les régions qu’il contrôle.

Mais l’Organisation nationale des Malais unis (UMNO), au pouvoir, et que dirigera Abdullah quand il sera chef du gouvernement, n’a pas la réputation de pouvoir contrer le PAS sur le terrain religieux. Et la perception du public, qui assimile bien volontiers l’UMNO à la corruption, a généré une désillusion que le PAS exploite pour élargir sa base au-delà du monde rural. (Malgré une victoire de l’UMNO lors d’une récente consultation électorale dans l’Etat rural de Kedah, une analyse en détail du scrutin indique que le nombre des électeurs favorables au PAS n’a sensiblement pas diminué).

Le défi que les extrémistes et les rigoristes de l’islam lancent à Abdullah est un de ceux que le futur Premier ministre se prépare à affronter – et une des façons d’y répondre est de s’attaquer à la corruption. « Les extrémistes représentent une menace pour notre façon de vivre, une vie à la malaisienne, a déclaré celui-ci à la Review, dans un long entretien, le premier qu’il a accordé depuis l’annonce de la démission de Mahathir, en juin 2002. Nous proposerons au peuple malaisien de choisir comment il veut vivre. Je suis confiant que la majorité continuera d’opter pour une direction politique respectueuse des vertus de tolérance, de pluralisme, de modernisme et de la modération et non pour un parti qui dénature les enseignements de l’islam pour réaliser un programme étriqué, dogmatique et politiquement orienté. »

Parmi les projets qu’Abdullah et sa nouvelle équipe de conseillers proposent, il faut noter une révision en profondeur du système d’éducation religieuse et une plus grande attention donnée au développement rural afin de combattre la pauvreté qui a tant joué en faveur du PAS. Pour répondre au mécontentement général des milieux urbains souvent aussi pauvres que ceux des campagnes, Abdullah ambitionne, grâce à des fonds communs de placement, une diversification des participations au sein des grandes compagnies afin de mieux partager les richesses nationales.

Autant d’innovations ambitieuses et de paroles fortes de la part d’un homme considéré comme réservé et indécis et, plus surprenant encore peut-être, de la part d’un homme dont l’éducation religieuse musulmane est solide et qui se considère lui-même comme un musulman pieux. Mais beaucoup de choses ont changé pour Abdullah ces derniers mois et il semble avoir trouvé un ton de voix plus ferme, à la mesure de l’urgence de la tâche à mener.

Abdullah sera le premier Premier ministre de la Malaisie issu d’un milieu musulman strict : son père et son grand-père étaient des professeurs de religion et lui-même est licencié en études religieuses. Armé du soutien de Mahathir et aidé par un groupe de jeunes et brillants conseillers, cet ancien fonctionnaire de 62 ans a déjà commencé, avec prudence, à jeter les bases de son administration. Ce ne sont pas que de vagues rumeurs quand on entend parler de politique libérale et de certaines thèses inspirées de son prédécesseur, Anwar Ibrahim. Surtout quand ces entretiens ont été tenus dans le somptueux cabinet d’Abdullah installé dans le tout nouveau complexe gouvernemental de Putrajaya et qu’il s’agit de réformes.

« Il ne veut pas laisser au PAS le monopole d’un discours sur le thème d’un mode de gouvernement sage et démocratique analyse Khairy Jamaluddin, gendre d’Abdullah et par ailleurs un de ses principaux conseillers. Ce diplômé d’Oxford, âgé de 26 ans, croit qu’une certaine démocratisation et une réforme véritable de la façon dont sont menées les affaires industrielles et financières dans le pays couperont l’herbe sous le pied du PAS et ramèneront les jeunes malais musulmans à soutenir le pouvoir en place. Commentant une étude menée par le gouvernement il y a trois ans, Khairy Jamaluddin fait remarquer que la majorité des étudiants estimait que le gouvernement n’était pas suffisamment islamique, parce que considéré surtout comme anti-démocratique.

C’est peut-être la raison pour laquelle Abdullah déclare : « Les dirigeants doivent montrer l’exemple et vivre la vie de tout bon musulman. Je ne parle pas de sortir habillé en robes et turbans mais de témoigner par l’exemple des principes fondamentaux de notre religion, en particulier la justice et l’intégrité. Si nous sommes corrompus et injustes, c’est que nous sommes non islamiques ».

Ce qui est plus facile à dire qu’à pratiquer. Mahathir a réussi à gouverner en se montrant volontaire et autocratique. Abdullah, quant à lui, disent ses conseillers, aime écouter les autres et construire un consensus. Le PAS a pu exploiter les conceptions carrément laïques de Mahathir mais les références religieuses d’Abdullah sont incontestées. Pourtant, les problèmes d’Abdullah pourraient surgir du sein de son propre parti où sa stature n’est pas aussi forte que celle dont jouit Mahathir.

Quoique les critiques soulignent qu’Abdullah manque de la force de caractère, voire de la brutalité, dont Mahathir a pu faire montre pour changer les choses, ses conseillers affirment que, lorsqu’il s’agira de réforme, il saura se montrer inflexible. « Ce sera certainement difficile. Quel parti politique au pouvoir s’est-il jamais réformé de lui-même ?, interroge un responsable de l’UMNO, proche d’Abdullah. Il devra se débarrasser de certaines personnes et les mettre à la porte si nécessaire. »

Abdullah aura aussi à s’attaquer à des problèmes sensibles, sociaux et économiques, s’il veut vraiment écarter la menace islamique contre la prééminence de l’UMNO. Cela implique un plus grand usage de la langue anglaise dans le système scolaire et la réduction des mesures de discrimination positive en place depuis 30 ans, prises pour bénéficier aux Malais, les bumiputras, et que Mahathir a récemment critiquées comme autant de facteurs qui les ont par trop gâtés.

Se faisant l’écho de Mahathir, Abdullah a critiqué les effets préjudiciables de cette politique, qui, a-t-il déclaré, encourage la corruption et engendre la dépendance. « Défendre aveuglement des privilèges particuliers est une insulte que la communauté bumiputra se fait à elle-même, car c’est admettre que nous ne pouvons pas réussir sans ce genre de politique. »

Mais, à cause de son éducation musulmane et du soutien qu’Abdullah a affiché pour le nationalisme malais, certains non-Malais craignent de voir le futur Premier ministre changer de direction, encourager et consolider une politique en faveur d’une prédominance malaise. « Il sait que l’UMNO a perdu le soutien des Malais. Ce qui pourrait le conduire à un programme malais renouvelé explique Jomo Sudaram, de l’université de Malaisie.

A coup sûr, Abdullah est un leader malais très sûr de lui et c’est lui qui envisage de tailler dans les privilèges des Malais. Mais Mahathir lui-même a averti ceux qui s’y aviseraient : « Ils seraient considérés comme traîtres à la race malaise. » Sachant que les talents de gestionnaire économique d’Abdullah n’ont pas encore été prouvés, Jomo Sundaram prédit que le nouveau leader choisira une ligne de moindre résistance : « Les changements seront menés à la marge mais rien de fondamental ne sera entrepris », déclare-t-il.

En s’attaquant aux excès générés par les privilèges accordés aux Malais, les risques politiques encourus pourraient forcer Abdullah à se concentrer sur le problème islamique, un territoire où il est plus à l’aise. Un moyen d’amoindrir le PAS serait de donner à ses membres une définition véritablement moderniste et modérée de l’islam.

A bien des égards, il s’agit d’une recherche, celle consistant à définir un islam à la fois moderne et fidèle, qui a été celle d’Ibrahim Anwar et de ses partisans au milieu des années 1990. Abdullah projette de réunir chaque année une conférence sur les approches modernes et réformistes de l’islam afin de mieux combattre et rectifier l’image de cette religion à l’étranger. « L’image de l’islam a été ternie dans le monde entier et pas seulement en Asie a déclaré Abdullah qui s’adressera sur ce sujet aux Nations Unies en septembre. Ses conseillers se désolent de l’approche américaine envers l’islam, concentrée sur le Moyen-Orient et ne comprenant rien aux musulmans d’Asie.

Mais la comparaison avec Ibrahim Anwar ne va pas plus loin. Contrairement à son prédécesseur, aucune spéculation n’existe pour savoir quand Abdullah succèdera à Mahathir et il n’est pas question d’un changement radical d’environnement politique et économique. De sa prison, dans une déclaration faite par son avocat, Anwar a dit de son ancien rival politique Abdullah : « Le problème est qu’il pourrait manquer de résolution pour restaurer la démocratie, l’autorité de la loi et combattre efficacement la corruption. »

Malgré les craintes concernant la force et la détermination d’Abdullah, sa capacité à faire face à des problèmes difficiles et son aptitude à combler le vide que le départ effectif de Mahathir ne manquera pas de provoquer, Abdullah se considère comme apte à la tâche. Fonctionnaire depuis le milieu des années 1970, il est entré en politique en 1978, à l’occasion de son élection au Parlement. Plusieurs observateurs rappellent aussi qu’après avoir rejoint une faction rebelle en 1987, il s’était réorienté avec succès pour rejoindre le courant principal au sein de l’UMNO. Comme il le dit lui-même : « J’appartiens au monde de l’administration. Je ne me considère pas comme un étranger qui tâtonne dans l’obscurité pour trouver les boutons électriques et constater quelle lampe s’allume. »

ABDULLAH BADAWI : UN MUSULMAN MODELE ?

Abdullah Badawi doit faire face à toute une série de défis. Pour sa première interview depuis qu’il a été désigné successeur du Premier ministre Mahathir Mohamad, une interview accordée en exclusivité à Michael Vatikiotis, de la FEER, Abdullah fait le point sur le rôle délicat de l’islam en Malaisie, sur les projets contestés de réforme des mesures de discrimination positive et sur les revendications croissantes pour une meilleure gestion des grandes entreprises.

Pensez-vous que le principal défi qui se pose à la Malaisie soit la création d’un islam plus tolérant et modéré ?

Appartenant à un milieu religieux et étant appelé à devenir responsable de la nation en tant que Premier ministre, je dois être capable de montrer, non seulement par mon comportement mais par mes paroles et mes actes, que je suis un bon musulman, tolérant envers les autres religions et ethnies. Je dois commencer moi-même si je veux convaincre les autres.

Le problème n’est-il pas que votre parti, l’UMNO, n’ose pas afficher sa propre conception de l’islam ?

Nous ne sommes pas en compétition avec le PAS (parti islamique). Si le PAS choisit l’extrémisme, nous ne le suivrons pas. L’UMNO s’est engagé à montrer l’islam sous un jour positif. La question est comment y parvenir. Nous réagissons beaucoup contre le PAS en ce moment mais il nous faut devenir plus actifs, en amont. Je ne crois pas rencontrer beaucoup de difficulté pour que l’UMNO se range à mes côtés.

La difficulté s’est-elle trouvée renforcée par la menace extérieure issue de l’extrémisme islamique et par la réaction à la guerre des Etats-Unis contre le terrorisme ?

Nous ne pouvons permettre à l’extrémisme de prendre racine en Malaisie. Nous avons commencé la lutte contre une tendance extrémiste et un éventuel terrorisme par des mises en détention préventive. Cette décision était absolument nécessaire. Nous ne pouvions pas attendre que survienne un événement grave.

Comment pensez-vous promouvoir au mieux la tolérance et la modération en matière religieuse ?

Nous devons nettoyer de fond en comble notre système d’éducation religieuse, partiellement responsable de la montée de l’extrémisme.

Quelle assurance donnez-vous aux gens que le clientélisme n’aura pas cours dans votre administration ?

J’ai l’intention de consolider et d’étendre le climat actuel de droiture et de transparence dans le monde des affaires. Tout en étant moralement répréhensible, ce clientélisme fausse la distribution efficace des ressources et rend les sociétés liées à la politique, dépendantes des contrats gouvernementaux, inaptes à affronter la concurrence. Cela va à l’encontre de notre compétitivité économique. Cela crée également les conditions d’un affaiblissement et c’est ainsi que certaines de ces sociétés ont été gérées de la manière dont elles ont été gérées parce qu’elles escomptaient bien, en cas de difficulté, être renflouées quoiqu’il arrive.

Apporterez-vous des changements au programme d’aide à la communauté bumiputra ?

On aura toujours besoin de mesures dites de discrimination positive et de redistribution en faveur de la communauté bumiputra. Mais nous ne pouvons pas maintenir les bumiputras dans un perpétuel état de dépendance. Le moment viendra où ils devront se remettre en question et développer leur esprit de compétition. C’est pourquoi nous leur disons : « Courrez et jetez vos béquilles ! ».

Pouvez-vous envisager que la société malaisienne puisse s’émanciper de la rigidité des étiquettes ethniques et religieuses ?

Forger une identité malaisienne est l’objectif premier de tous nos programmes politiques. Nous avons toujours cru que l’éducation nous le permettrait. Bien que, généralement, nous ayons préféré passer sous silence les problèmes raciaux du fait du caractère extrêmement délicat des ces questions, je pense que nous avons de plus en plus besoin d’ouvrir le débat sur ces questions. Les jeunes générations sont prêtes pour cela, pour débattre de la place de chacun dans le contexte d’un pays multiracial. Si nous méconnaissions leurs aspirations, nous pourrions nous les aliéner et voir se durcir les préjugés qu’ils nourrissent éventuellement.

A propos d’Anwar Ibrahim, subsiste toujours le sentiment du besoin de voir un jour aborder le problème de son emprisonnement.

Je ne pense pas à Anwar comme une question dont j’aurais à tenir compte dans tout ce que j’ai à faire aujourd’hui. Je pense qu’il faut bien faire ce que vous faites. Si vous agissez bien, le peuple sera avec vous.