A ce jour, des manifestations de ce style sont tolérées à Hongkong, placé sous souveraineté chinoise, mais certains craignent que, une fois les nouvelles lois relatives à la trahison, la sédition et la subversion votées, de tels agissements ne tombent sous le coup de la loi et encourent de lourdes sanctions. Les hauts dirigeants du gouvernement écartent ces craintes et déclarent que les libertés étant à la base de la prospérité économique du territoire, elles ne sauraient être remises en question. « L’accusation de subversion ne s’applique pas à des groupes qui se contentent de chanter des slogans », a déclaré le 24 septembre dernier Regina Ip, plus ferme que jamais dans ses fonctions de Secrétaire à la Sécurité, le jour où son gouvernement a annoncé que les nouvelles lois seront effectives aux alentours de juillet 2003.
Dès aujourd’hui, la police peut poursuivre les auteurs de la manifestation du 1er octobre au titre de la loi interdisant la profanation du drapeau chinois mais ce qui a provoqué l’inquiétude des défenseurs des droits de l’homme, des partis pro-démocratiques et des militants des libertés civiles, c’est bien l’ensemble formé par ces futures lois sur la sécurité nationale. « Fondamentalement, nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de promulguer de telles lois, déclare Yuen Mee-yin, directeur exécutif de la Commission ‘Justice et paix’ du diocèse catholique de Hongkong. Les lois actuellement en vigueur couvrent déjà ces sujets. »
Pékin n’est pas de cet avis. Il a demandé que Hongkong se dote d’une législation plus dure en matière de sécurité nationale par laquelle la peine maximale ira jusqu’à la réclusion à perpétuité. Pour mener les enquêtes relatives à la plupart de ces nouveaux crimes, la police aura le pouvoir de perquisitionner les domiciles et les bureaux sans mandat de justice. Cependant, avec le soutien des factions pro-Pékin et pro-business du Legco (Legislative Council, la mini-Assemblée du territoire), les lois seront à coup sûr votées.
Des critiques mettent en avant le fait que le gouvernement de Hongkong dispose déjà de très larges pouvoirs lui permettant de protéger la sécurité nationale, que ce soit en utilisant le code pénal ou le droit des sociétés ou en recourant aux pouvoirs de police étendus hérités de la colonisation britannique. Ils craignent que les nouvelles lois, ajoutées aux zones grises de la Loi fondamentale, le texte faisant office de constitution à Hongkong et qui précise l’action des tribunaux locaux, soient comme un cheval de Troie. Une fois inscrites dans le droit, argumentent-ils, les nouvelles lois donneront à Pékin le pouvoir d’écraser n’importe quelle dissidence politique et d’exercer un pouvoir absolu de contrôle politique sur l’ancienne colonie britannique dès lors que les dirigeants chinois se sentiront menacés.
Certains craignent également que les nouvelles lois permettent aux autorités de Hongkong d’interdire des organisations telles que le mouvement Falungong. D’autres groupes, tel que l’Alliance pour le soutien du mouvement démocratique et patriotique en Chine, pourraient se retrouver dans le collimateur de Pékin. Les autorités chinoises ont dénoncé ce groupe comme étant « subversif ».
Selon les militants des libertés civiles, depuis que Pékin a repris le contrôle de Hongkong, en 1997, il n’y a pas eu un seul incident sur le territoire qui permette de dire que la souveraineté de la Chine ou son unité nationale ont été remises en cause. « Il n’y a ni sédition ni subversion ici déclare Michael Davis, expert en droit constitutionnel à l’Université chinoise de Hongkong.
Cependant, ce qui semble irriter Pékin au plus haut point, ce n’est pas ce qui a pu ou non se passer depuis 1997 et la rétrocession du territoire à la Chine mais bien les soubresauts qui ont agité Hongkong après l’écrasement du printemps de Pékin en 1989, lorsque plus d’un million de Hongkongais sont descendus dans la rue pour dire leur protestation. Depuis cette date, les passions se sont calmées mais, à l’époque, le sentiment de sympathie pour les manifestants de la place Tienanmen était quasi-universel, des soutiens tant financiers que moraux prenant massivement la direction du nord. Hongkong a ensuite joué un rôle central dans l’ex-filtration de quelque 800 dissidents importants en dehors de Chine continentale.
Apparemment désireux d’empêcher la répétition de tout phénomène semblable, Pékin a insisté en 1990 pour dire que l’article 23 de la Loi fondamentale faisait obligation aux autorités responsables du territoire après la rétrocession de promulguer des lois plus restrictives sur la sécurité nationale. Les pressions que Pékin exerce en ce moment pour faire passer ces lois ont été interprétées par beaucoup comme un élément clef de sa stratégie pour faire en sorte d’empêcher que Hongkong ne devienne « une base pour la subversion » dirigée contre les autorités centrales chinoises. Selon certains experts en droit, ce que Pékin cherche, c’est le pouvoir d’étendre son action directement au cour de Hongkong au cas où une menace sérieuse fait à nouveau surface et met en danger son existence.
Peut-être du fait du caractère très sensible de ces mesures, à un moment où l’attention tant locale qu’internationale était concentrée sur l’évolution des libertés et du mode de vie à Hongkong placé sous le drapeau chinois, les autorités chinoises ont préféré attendre presque cinq ans avant de dévoiler leur plan et que le vice-Premier ministre Qian Qichen, en juin dernier, appelle publiquement Hongkong à voter sans tarder ce train de nouvelles lois. Après des négociations intenses et discrètes avec le gouvernement central, le chef de l’exécutif de Hongkong Tung Chee-hwa a, le 24 septembre dernier, rendu public un document consultatif par lequel il a donné trois mois au public de Hongkong afin d’exprimer son opinion au sujet des mesures proposées. Cependant, par ce qui a été analysé comme une tentative délibérée d’esquiver des critiques détaillées, le gouvernement s’est gardé de publier la formulation exacte des futures lois qui seront, très probablement, présentées au Legco au début de l’année prochaine. Et, afin de limiter encore le risque de voir l’opinion publique se braquer, les plus hauts responsables du territoire ont entamé une vigoureuse campagne médiatique destinée à réassurer les Hongkongais que leurs libertés seront préservées. « Les droits de l’homme et les libertés civiles sont les bases de notre succès. Je les protégerai, a déclaré Tung à l’issue de la publication du document consultatif. En rédigeant nos propositions pour le pouvoir législatif, nous avons pris la peine de les comparer avec les lois similaires qui peuvent exister dans différents pays occidentaux. Je qualifierai nos propositions à la fois de libérales et de raisonnables. »
A ce jour, la manouvre semble fonctionner. Il y a eu peu de réactions publiques d’insatisfaction et pas d’objections sérieuses de la part de la Grande-Bretagne ou d’autres gouvernements étrangers. Certains avocats locaux ont même salué l’intention apparente du gouvernement de préciser la définition de la plupart des crimes et délits. Ces réactions atones peuvent sans doute s’expliquer par le fait que la plupart estime que le vrai danger pour Hongkong sur les questions liées à la sécurité nationale se trouve dans la Loi fondamentale elle-même et que, de ce fait, Tung ne peut rien y changer. Selon les dispositions contenues dans la Loi fondamentale, Pékin peut passer au-dessus de n’importe quelle loi de Hongkong si la Chien est en guerre ou si l’« agitation » dans le territoire est considéré comme posant une menace pour sa sécurité nationale. « En fin de partie, ce sont eux qui détiennent la carte maîtresse », déclare Davis.
D’un certain côté, la comparaison avec l’arsenal législatif d’autres sociétés libérales fait sens. Même les plus complètes des démocraties maintiennent des pouvoirs draconiens pour préserver leur sécurité nationale. Mais les défenseurs des libertés civiles font remarquer que Hongkong n’est pas encore une démocratie et qu’il y manque le système de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui protège sous d’autres cieux les citoyens de leurs gouvernements par trop zélés, corrompus ou cyniques.
Une étude du document consultatif révèle que le gouvernement a l’intention de modifier l’actuelle loi sur la trahison en la redéfinissant comme le fait d’unir ses forces avec un étranger dans le but de commettre une série d’infractions et de délits, y compris le renversement du gouvernement central (chinois) ou la préparation d’une invasion étrangère. Plus controversé, un nouveau délit de sécession est proposé qui mettra hors-la-loi le fait de se séparer de la Chine ou de résister au gouvernement central en exerçant un contrôle sur le territoire national par le biais de menace, l’usage de la force ou d’autres moyens. Sachant que la « reconquête » de Taiwan est une priorité pour Pékin, des esprits critiques se demandent si le fait de soutenir publiquement l’indépendance de l’île sera assimilé à un acte de sécession.
La subversion, un autre des nouveaux délits, est définie comme l’usage de la menace ou l’utilisation de la force ou de tout autre moyen illégal pour intimider ou renverser le gouvernement. Les militants pour la démocratie craignent qu’appeler à des réformes démocratiques en Chine puissent un jour être considéré comme une tentative d’intimidation exercée sur les autorités de Pékin. Sous la nouvelle version de la loi sur la sédition, ce sera un délit d’inciter une personne à commettre la trahison, la sécession ou la subversion. Inciter publiquement à la violence ou au désordre de façon à mettre en danger la stabilité de Hongkong ou de la Chine deviendra également un délit. Cette proposition est combattue par certains au motif qu’elle pourrait servir de base légale au gouvernement pour restreindre la liberté d’expression et museler la presse.
Prenant la défense de leurs propositions, les hauts responsables du gouvernement affirment qu’il sera du ressort des tribunaux de Hongkong, indépendants à ce jour, de statuer sur les preuves établissant le caractère délictueux de telles ou telles actions. Mais, dans l’ignorance de la formulation exacte de ces nouvelles lois, il est difficile de dire quelle sera la marge de manouvre et d’interprétation dont jouiront les tribunaux pour maintenir un équilibre entre la sécurité nationale et les libertés civiles. De plus, la latitude d’action des tribunaux vis-à-vis des lois sur la sécurité nationale est incertaine. En effet, selon l’article 19 de la Loi fondamentale, les tribunaux locaux n’ont pas juridiction sur « les actes relevant de l’Etat tels que la défense et les affaires étrangères ». Des juristes suggèrent qu’en cas de crise, le gouvernement central peut décider, à ce titre, que la sécurité nationale est en dehors du champ de compétence des tribunaux locaux. Toujours selon la Loi fondamentale, d’autres provisions existent qui peuvent amener les tribunaux locaux à demander une interprétation des lois relevant de la sécurité nationale à l’Assemblée nationale popu-laire chinoise, dont chacun sait la faiblesse du pouvoir réel.
De fait, la plupart des Hongkongais respectueux des lois ont peu à craindre de ces nouvelles lois en temps normal, mais la menace peut se révéler sérieuse au cas où des événements tels que ceux de 1989 se répètent et si le gouvernement central décide qu’il est menacé. Selon des experts en droit, nombre des actions entreprises par les Hongkongais pour soutenir et venir en aide aux manifestants de Tienanmen tomberaient aujourd’hui sous le coup de la loi et seraient considérées comme des crimes graves.
LE MOUVEMENT FALUNGONG CRAINT DE FAIRE LES FRAIS DES NOUVELLES LOIS SUR LA SECURITE NATIONALE
Le mouvement mystique Falungong est considéré comme une des cibles potentielles les plus probables de la proposition de nouvelles lois sur la sécurité nationale à Hongkong. Le gouvernement se propose en effet de renforcer considérablement les déjà fort restrictives mesures en vigueur à Hongkong contre les organisations politiques étrangères jouant un rôle dans la vie politique locale ou menaçant la sécurité nationale. Ces nouvelles lois frapperont d’interdiction toute organisation qui commettra ou aura l’intention de commettre un acte de trahison, sécession, sédition, subversion ou espionnage. Une organisation pourra également être interdite si elle est liée avec un ou des groupes actifs sur le continent et qui y ont été interdits au nom d’impératifs relatifs à la sécurité nationale. Organiser, soutenir ou servir de représentation à un groupe interdit deviendra un crime.
« Le gouvernement de Hongkong veut sans aucun doute utiliser le droit pour nous supprimer, a déclaré le 24 septembre dernier au South China Morning Post Kan Kung-cheung, porte-parole du mouvement Falungong. Le droit permet au Parti communiste chinois d’étendre son influence sur Hongkong, mais je n’ai pas peur. » De hauts dirigeants du gouvernement de Hongkong ont démenti les affirmations selon lesquelles Falungong, objet d’une répression féroce sur le continent où le groupe a été étiqueté comme « secte maléfique se trouvera en danger une fois les nouvelles lois votées au début de l’an prochain. Ces responsables soulignent que le Parti communiste n’a jamais interdit un groupe sur le fait qu’il représentait une menace pour la sécurité nationale. Les autorités chinoises ont plutôt fait appel aux dispositions contenues dans le code pénal pour interdire les groupes qu’elles considèrent comme dangereux, comme cela a été le cas avec Falungong.
A Hongkong, des critiques affirment que les nouvelles lois donneront à Pékin la possibilité d’interdire un groupe sur la base du fait qu’il représente une menace pour la sécurité nationale, ce qui obligerait par contrecoup Hongkong à prendre des mesures similaires.
Le 25 septembre dernier, cependant, répondant en direct à la radio à des questions d’auditeurs, Regina Ip, secrétaire à la Sécurité, a déclaré que Falungong pourrait ne pas être interdit à Hongkong même dans l’éventualité où Pékin décide d’interdire ce mouvement pour des motifs de sécurité nationale. Regina Ip a fait remarquer que le porte-parole de Falungong avait démenti l’existence de tout lien entre le mouvement sur le continent et les fidèles hongkongais de Falungong. Selon elle, les choses peuvent être interprétées ainsi car le groupe local de Falungong est en fait affilié au fondateur du mouvement, Li Hongzhi, lequel est installé aux Etats-Unis.