Cela reste vrai encore aujourd’hui. L’Eglise en Chine en fait l’expérience au quotidien, et depuis de longues années, notamment depuis le 1er octobre 1949 lorsque Mao Zedong proclama la victoire de la Révolution communiste. Devant affronter des épreuves qui avaient le goût amer de la mort (comme en particulier lors des années sombres de la Révolution culturelle), non seulement l’Eglise a survécu, mais elle continue de grandir, sans pouvoir avoir le soutien d’une structure ni d’une aide extérieure. Cette croissance est également liée à des facteurs externes, pour ne citer que la libéralisation économique introduite par Deng Xiaoping en 1978 qui a eu des répercussions positives au sein du tissu social chinois dans son ensemble. Il est important, sans toutefois perdre l’espérance, de reconnaître les limitations qui continuent à être imposées à la religion. Un journal américain titrait récemment sur les espoirs que l’on peut nourrir aujourd’hui en Chine dans le domaine religieux, à savoir une situation “de plus grande liberté et en même temps de plus grande persécution Et d’expliquer : “Le paradoxe de fond réside dans le fait qu’il semble y avoir actuellement en Chine une liberté plus grande et, en même temps, une plus lourde répression.”
Ombres et lumières en 2002
Pour essayer d’y voir plus clair sur cette réalité complexe, faisons mémoire de certains événements de l’année 2002. Parmi les nouveautés les plus importantes introduites par le 16ème Congrès du Parti communiste chinois qui s’est conclu mi-novembre 2002, il faut signaler l’approbation de la ligne pour laquelle a combattu le président sortant Jiang Zemin avec la théorie de la Triple représentation. Le parti révolutionnaire, né comme expression du prolétariat paysan et ouvrier, devrait, avec cette théorie, s’adapter à la réalité sociale en pleine mutation, en promouvant également la nouvelle classe que constituent les entrepreneurs et les néo-capitalistes, et en favorisant “la culture chinoise la plus avancée et les intérêts fondamentaux de la majorité
La Chine, qui vient d’entrer dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et qui se prépare à accueillir les Jeux olympiques de 2008, ne cesse de se déclarer un pays “socialiste aux caractéristiques chinoises” alors qu’elle présente des convergences évidentes avec le monde capitaliste. Pour le Parti communiste, qui n’hésite pas à se réserver le droit exclusif de gouverner le pays, les conséquences pratiques pourraient avec le temps être considérables, malgré la fidélité réaffirmée aux principes traditionnels du marxisme.
Dans un avenir proche, la politique à l’égard des religions et de l’Eglise catholique en particulier ne devrait pas s’éloigner de la ligne mise en place il y a un an au cours de la conférence nationale convoquée de manière exceptionnelle par le Bureau politique (à laquelle participèrent les sept membres du Comité permanent), en ce qui concerne le personnel du Parti et du gouvernement chargé de la gestion de la “politique de liberté religieuse Les rares informations que les médias officiels ont données suite aux discours prononcés par le président Jiang Zemin et par le premier ministre Zhu Rongji confirment la détermination du pouvoir à maintenir un contrôle étroit sur toutes les manifestations extérieures dans l’exercice de la “croyance religieuse” (Cf. Asia News d’octobre 2002). Depuis plus de deux ans, le mouvement spirituel Falungong, déclaré hors la loi car “secte pernicieuse endure une lourde persécution. Divers groupes, dont certains chrétiens (protestants), ont également été assimilés à ce mouvement spirituel et ont à leur tour été bannis pour la même raison (Cf. Asia News d’avril 2002). Frank Ching, un analyste attentif, souligne cet équivoque habituel : “Un parti athée décide quelles religions sont à considérer comme légitimes et lesquelles sont à classer parmi les cultes pernicieux’, alors qu’il demande aux chefs religieux de soutenir une politique de dirigeants athées
Dans un tel climat, même des groupes religieux en aucun cas subversifs sont souvent tyrannisés par les forces de sécurité, par le simple fait qu’ils n’acceptent pas d’être supervisés par les “associations patriotiques” respectives. Ce problème touche de près les chrétiens et en particulier les catholiques. Mais il peut y avoir des exceptions. C’est dans la nuit de Noël 2001 que mourait l’évêque “clandestin” de Pékin, Mgr Mathias Pei Shangde à l’âge de 83 ans. Selon la police, qui avait autorisé que l’évêque soit inhumé dans son village natal de Zhangjiapu, dans “la plus grande discrétion”, pas plus de 200 ou 300 personnes ont participé aux funérailles. En réalité, des témoins oculaires affirment qu’au moins 5 000 fidèles venus de différentes provinces de Chine ont participé aux obsèques célébrées par quatre prêtres dont trois dits “clandestins”. Dans l’homélie, le prêtre “officiel” souligna l’engagement de Mgr Pei à promouvoir le rapprochement des deux parties de la communauté catholique chinoise. Pour leur part, les forces de l’ordre eurent un comportement discret, même si elles s’efforcèrent d’empêcher l’accès de toute personne étrangère.
Malheureusement, il n’est pas rare de voir que, dans l’Eglise catholique, des membres de communautés dites “clandestines”, c’est-à-dire non reconnues officiellement, subissent des arrestations et des chantages, même si la situation varie selon les lieux. En février dernier, l’agence Fides donnait la liste de cinq évêques arrêtés et de huit autres interdits d’exercer leur ministère, auxquels s’ajoutent plus de douze prêtres arrêtés et huit interdits de ministère. En avril dernier, dans le diocèse de Zhending (Hebei) dont l’évêque non reconnu officiellement, Mgr Julius Jia Zhiguo, a été plusieurs fois arrêté par la police, un gros contingent de la Sécurité publique a démoli au bulldozer une église en phase de construction dans le village de Xiaozhao. Il semble que l’ordre ait été donné par les autorités supérieures, car les 700 catholiques du village avaient bien obtenu, de la part des autorités locales, le terrain et le permis de construire. La construction, financée par des bienfaiteurs pour un montant total de 60 000 US$, était sur le point d’être terminée. De même, dans le Fujian, sur la côte méridionale, deux chapelles où se réunissaient des groupes de catholiques non enregistrés auprès de l’Association patriotique ont été démolies par la police en mai, dans des villages situés non loin de la ville de Changle. Déjà, l’année précédente, cinq autres églises (pouvant contenir jusqu’à 2 500 fidèles pour les messes dominicales) avaient été détruites par la police aux alentours de Changle et de Fuqing. Dans ces lieux, la communauté “clandestine” est particulièrement active. Pendant l’été, des cours de catéchèse sont organisés dans de nombreuses églises pour les enfants des familles catholiques, et ceci avec l’assentiment tacite des autorités locales (même si le règlement interdit tout enseignement de la religion aux personnes de moins de 18 ans). Pour les communautés non reconnues officiellement, ces catéchèses sont toujours à risque : une religieuse ainsi que quatre laïcs catholiques ont été arrêtés par la police alors qu’ils enseignaient à 29 enfants dans une maison privée du village de Dongan, dans le comté de Lianjiang, toujours dans le Fujian. En septembre, un autre évêque, Mgr Wei Jingyi, a également été arrêté dans la ville de Qiqihar, dans le Heilongjiang.
On minimise, mais les préoccupations sont bel et bien justifiées
Les autorités minimisent ces faits, les considérant comme de simples “incidents” administratifs qui punissent les transgressions des normes en vigueur. La presse continentale n’en touche mot. Lors de la conférence de presse qui a suivi la rencontre du 21 février 2002 entre Georges Bush et Jiang Zemin, ce dernier a même soutenu que certains évêques catholiques ont été arrêtés car ils avaient enfreint la loi. Les autorités justifient ainsi la méfiance à l’encontre de l’Eglise catholique avec l’accusation que Rome interfère dans les affaires internes chinoises par le biais des communautés “clandestines”.
L’Administration d’Etat des Affaires religieuses est l’organe suprême chargé d’appliquer les décisions du Parti communiste et de l’appareil gouvernemental dans la “gestion” des religions, par le biais du Bureau des Affaires religieuses, dont le directeur Ye Xiaowen a rang de vice-ministre. Selon Kie Cheng, chercheur à l’Académie des Sciences sociales de la province du Hebei, le gouvernement ressent le besoin de réviser les critères pesants adoptés jusqu’à présent. Et même le n° 2 de l’Administration, Wang Zuoan, assure que cette administration exerce une fonction modératrice, du fait qu’elle reste vigilante à ce que les divers organes exécutifs n’appliquent pas les normes en vigueur selon leur bon plaisir. Dans un entretien accordé en mars dernier, il reconnaissait que le monde religieux chinois est en pleine mutation, car, outre les cinq religions reconnues officiellement, il existe de plus en plus d’expressions de dévotion populaire, parmi lesquelles justement le Falungong et des cultes plus ou moins superstitieux dont il est difficile de discerner la légitimité. Cela montre ainsi l’urgence, admet Wang, de formuler une nouvelle norme nationale pour se substituer à toutes les normes locales qui se sont multipliées ces dernières années ; pour cela, il faudra au moins un ou deux ans de travail. En référence à la polémique sur la canonisation des 120 martyrs de Chine (qui a eu lieu le 1er octobre 2000), Wang soutient que les missionnaires étrangers proposés à la vénération de l’Eglise chinoise sont en réalité de mauvais modèles et il n’hésite pas à affirmer que “l’histoire a démontré que le Vatican a poursuivi une ligne constante d’hostilité envers la Chine La polémique sans fin avec “le Vatican” a certes des incidences diplomatiques (la question de Taiwan), mais elle dénote à la racine une compréhension différente du fait religieux et du rôle du Saint-Siège pour les catholiques du monde entier. Elle semble s’être atténuée ces derniers mois, de par l’invitation qu’a reçue le cardinal japonais Shirayamagi Seiichi, archevêque émérite de Tokyo, à se rendre en Chine avec une délégation de la Conférence mondiale Religions et Paix’ au mois d’octobre dernier.
Ce qui pourrait jouer en faveur des religions reconnues officiellement est justement le difficile bras de fer qui oppose actuellement le gouvernement et le mouvement spiritualiste Falungong ainsi que d’autres groupes religieux qui ont déjà été mis hors-la-loi parce que considérés comme “sectes pernicieuses”. Le président Jiang Zemin, lors d’une visite en novembre 2001 au temple bouddhiste de Bailin dans la province du Hebei, aurait même demandé aux moines d’encourager la religion bouddhiste chez les jeunes générations. Cela faisait justement partie de la guerre lancée contre “l’invasion des sectes pernicieuses”. Reconnaissant que la religion jouera un rôle toujours plus important en Chine, le président chinois avait montré sa préoccupation de “gouverner le pays avec vertu selon une maxi-me de Confucius. C’est peut-être la constatation tardive d’une réalité présente dans le pays depuis longtemps déjà : l’usure progressive des idéaux de la révolution marxiste a fait que le sentiment religieux peut offrir l’inspiration et la force nécessaires pour résister à la tendance à la consommation et à la corruption déferlante. Il est donc légitime de penser que, si l’on diminuait les contrôles qui pèsent lourdement sur les religions reconnues, l’attraction vers les mouvements “clandestins” serait moins forte. Dans la logique du pouvoir, reconnaître l’influence croissante des religions ne contredit en rien la volonté affirmée de les tenir sous contrôle étroit. L’éditorial du Quotidien du Peuple n’a donc étonné personne lorsqu’il a exalté les directives sévères de la Conférence de décembre sur les religions, les considérant comme une “nouvelle phase de travail en ce qui concerne les religions en Chine
Selon le Wall Street Journal du 6 février 2002, la Chine serait en réalité en train de revoir sa “les fondements de sa politique religieuse, avec une ligne plus tolérante envers les principaux groupes religieux Cependant, les spécialistes de la situation religieuse en Chine, en particulier le professeur Richard Madsen, prévoient à l’avenir une attitude encore plus répressive de la part du régime de Pékin, pas tant pour des motifs anti-chrétiens que pour la préoccupation de tenir sous contrôle tous les secteurs de la société animée des forces centrifuges, elles-mêmes suscitées les développements économiques permanents. Et selon Mickey Spiegel, de l’organisation Human Rights Watch, de nombreux dirigeants de Pékin n’ont pas abandonné la vision traditionnelle qui prévoit l’élimination éventuelle de la religion : “Ils reconnaissent que se libérer de la religion sera un processus long et, d’autre part, ayant besoin de leur coopération, ils contrôlent les croyants.” Des faits inquiétants en ce sens ne manquent pas.
S’adressant en mai dernier aux responsables des comités du Parti qui contrôlent les universités chinoises, le ministre de l’Education, Mme Chen Zhili, recommandait d’intensifier la vigilance contre l’infiltration d’idées libérales occidentales et contre l’expansion de la religion parmi les étudiants qu’ils faut décourager de participer aux messes dominicales et à toute autre activité religieuse. Une telle déclaration est non seulement anti-constitutionnelle, et elle est probablement dictée par la frustration de voir que les jeunes intellectuels montrent toujours moins d’intérêt pour l’idéologie officielle, mais encore elle révèle que la vieille mentalité est encore bien enracinée chez ceux qui tiennent les rênes du pouvoir.
Les médias enflent les signes d’ouverture
Dans un tel climat, il est tout à fait compréhensible que, lorsque les médias dédient un large espace aux affaires religieuses, on suspecte l’existence de motivations intéressées. L’année 2002 a vu par exemple une surabondance d’informations religieuses. En avril, la revue Beijing Review consacrait un dossier spécial à rappeler que la liberté de religion est garantie par la législation chinoise et que toutes les activités religieuses en Chine sont gérées indépendamment par les groupes religieux eux-mêmes. Alors que l’on se préoccupe d’éliminer les éventuelles “interférences étrangères on ne fait pas mystère du fait que la liberté concédée aux “organisations religieuses, aux rites religieux et à la célébration de festivités religieuses” est encadrée par la loi et par la politique religieuse mise en œuvre par l’appareil. Pendant l’été, alors que le président Jiang Zemin se préparait à rencontrer George W. Bush dans son ranch au Texas, on annonça d’importantes aides économiques offertes par la Municipalité de Pékin pour la restitution et la restauration de propriétés religieuses qui avaient auparavant été réquisitionnées. A cette occasion, le vice-directeur du Bureau des Affaires Religieuses de Pékin, Ji Wenyuan, a admis que des complications bureaucratiques ont souvent empêché la reconnaissance des droits sur ces propriétés, et a promis que les questions en suspens seraient résolues d’ici l’année prochaine, soulignant que, de telle manière, les groupes religieux pourront ainsi être autosuffisants et éliminer le besoin de recourir à un soutien étranger. Le problème d’obstruction bureaucratique avait également été soulevé par des membres des structures officielles de l’Eglise, lors d’une réunion au printemps de la section religieuse de l’Assemblée politique consultative populaire, qui se tient en marge des sessions de l’Assemblée nationale populaire. L’évêque (“officiel”) Liu Jinghe, de Tangshan, un des neuf délégués catholiques présents à l’Assemblée, soulignait le 9 mars dernier que, vingt ans après la reprise des activités religieuses, tous les biens de l’Eglise n’ont pas encore été restitués et que “c’est principalement un problème politique !”
Au cours de l’année, on a procédé à la restauration de la cathédrale de l’Immaculée Conception (Nan Tang) et on travaille à celle du Christ-Sauveur (Bei Tang), qui sera dorénavant destinée à devenir le nouveau siège de l’évêque “officiel”, Mgr Michel Fu Tieshan, alors que la nouvelle et imposante structure du Séminaire catholique national est presque terminée. De même, l’église protestante de Chongwenmen aussi bien que des temples bouddhistes et taoïstes ont bénéficié de ces contributions financières (des dizaines de millions de yuans). La reconstruction du séminaire protestant de Nankin a également été approuvée. Les médias officiels ont particulièrement porté attention à l’Eglise catholique et à Mgr Fu Tieshan, membre de l’Assemblée nationale populaire, et de son Comité permanent. Entre le 28 juillet et le 8 août, neuf informations religieuses relatives au diocèse de Pékin ont été rapportées par la presse officielle. Une d’entre elles soulignait que Mgr Fu s’engage à assurer aux participants aux Jeux olympiques de 2008 la possibilité d’assister aux offices liturgiques dans les principales langues. Un article du China Daily du 6 août 2002 rappelait que presque cent prêtres, séminaristes et religieuses chinoises ont été envoyés dans différents pays occidentaux pour étudier la théologie et obtenir des diplômes académiques. A ce sujet, un éditorial de l’hebdomadaire catholique de Hongkong, The Sunday Examiner, du 18 août 2002 faisait remarquer qu’aucune allusion n’a été faite aux bourses d’étude et aux nombreuses initiatives d’hospitalité des Eglises locales de ces pays et exprimait ainsi l’espoir que les autorités chinoises prennent acte du fait que la communion universelle de l’Eglise catholique guidée par le pape ne se fasse pas au détriment de la croissance et de la juste autonomie de l’Eglise chinoise. Le journal espérait également de manière provocatrice que l’Association patriotique des catholiques chinois soit reléguée enfin à une “simple note à insérer dans les livres d’histoire
Les racines d’une faiblesse féconde
Plus de cinquante ans après l’expulsion de plus de 5 000 missionnaires étrangers, l’Eglise en Chine démontre qu’elle a pris conscience que l’Evangile n’implique pas des situations privilégiées, mais qu’il est le levain qui fermente de l’intérieur ; il est la semence destinée à croître dans le contexte simple qu’est le jardin d’une maison. D’un point de vue humain, la position de l’Eglise reste particulièrement faible car elle ne peut pas compter sur une protection ou sur des structures qui lui garantissent le libre exercice de sa mission évangélisatrice. Mais elle ne manque pas d’une force intérieure qui ne peut se mesurer avec des paramètres humains, car elle se greffe sur le mystère du Christ crucifié et ressuscité. Actuellement, dans la recherche d’un dialogue avec la Chine, on hésite à parler de persécution ; mais ce serait une trahison à la vérité historique des faits que de survoler les milliers de vrais martyrs qui ont marqué la vie de l’Eglise ces dernières décennies ! (Dans son livre intitulé Martyrs en Chine, le P. Giancarlo Politi a rassemblé une première documentation sur plus de 1 600 victimes de l’actuel régime communiste, que ce soient des ecclésiastiques ou des laïcs). Et le témoignage de cette capacité extraordinaire à souffrir sans haine et en pardonnant constitue encore aujourd’hui une lumière pour tous ceux qui cherchent un sens à leur vie. C’est ce qui m’a été confirmé au cours de récentes rencontres lors de ma visite en Chine en octobre dernier. Du fait de la sympathie dont jouissent généralement les chrétiens dans la société chinoise, de nombreuses personnes sont attirées et veulent connaître le message de l’Evangile pour demander ensuite le baptême. Le gouvernement considère les catholiques et les protestants comme deux religions différentes, du fait du nom par lequel elles s’identifient religion du Maître du Ciel” et “religion du Christ Outre les communautés protestantes qui font partie officiellement du “Conseil chrétien de Chine divers groupes évangéliques très actifs s’affermissent depuis quelques années et ont un nombre de fidèles assez élevé. Mais, à ce jour, il n’existe pas de statistiques exactes quant au nombre des fidèles. En ce qui concerne les catholiques, des estimations crédibles parlent de dix à douze millions, soit pratiquement le triple par rapport à la situation précédant l’arrivée de Mao au pouvoir. (Il est étrange de constater que les membres des structures officielles continuent à répéter les chiffres de 1949 alors qu’on n’atteignait pas les quatre millions à l’époque, catéchumènes inclus). Il s’agit de toute façon d’une petite communauté (moins d’un pour cent de la population chinoise !) qui souffre de nombreux problèmes générés et conditionnés par la situation politique actuelle. Cela vaut la peine d’en citer quelques uns. La fracture entre les catholiques dits “clandestins” et ceux qui sont officiellement reconnus, à savoir entre ceux qui refusent et ceux qui acceptent les conditionnements imposés par le pouvoir politique, est toujours aussi douloureusement vive. Les prêtres et les évêques sont également impliqués dans cette fracture. Le problème du vieillissement de l’épiscopat se fait de plus en plus aigu (plus de la moitié des évêques ont dépassé les 70 ans) et plusieurs diocèses sont sans pasteur. Du fait que, pendant trente ans, les séminaires ont été tous fermés et les communautés religieuses dispersées, la nouvelle génération de prêtres et de religieuses, qui date des années 1980, ressent une insuffisance dans leur formation. Et l’interférence des organes présumés “gérer” les religions, même sur des questions typiquement pastorales, ne cesse de continuer. En fait, le régime n’admet pas que puissent exister des domaines exclusifs de compétence pastorale. C’est pour cela qu’il n’a jamais été possible, même pour des évêques, d’organiser des réunions entre eux sans la présence encombrante du représentant politique du Bureau des Affaires religieuses et/ou de l’Association patriotique. Un évêque de l’Eglise reconnue officiellement se lamentait récemment du fait que le gouvernement invite des laïcs catholiques à gérer l’Eglise comme une “démocratie”, afin d’évincer les évêques du pouvoir.
Cependant, en s’insérant dans le peu d’espace laissé par les conditions politiques, les catholiques travaillent à une certaine normalisation de la vie chrétienne. Ainsi, des initiatives pour le renouvellement liturgique des communautés selon le Concile Vatican II ont été mises en place. On imprime des ouvrages de formation ou de dévotion, on tient des cours de catéchuménat et de formation catéchétique, on réalise des parements liturgiques et des objets de culte, etc. Le bimensuel Shinde ( Foi’) publié dans la province du Hebei est désormais diffusé dans tous les diocèses du pays. Les Eglises commencent à bénéficier de la possibilité de construire même en Chine des structures de leur propre initiative, de type organisations non gouvernementales’ occidentales (même si elles ont le soutien de bureaux d’Etat ou para-étatiques). C’est ainsi qu’est née, dans le Hebei, la première expérience d’engagement social catholique, avec l’organisme Beifang Jinde. S’ajoute en outre la diffusion sans cesse plus large des moyens électroniques de communication, que quelqu’un appelle déjà la “nouvelle route de la soie” (on compte plus de 55 millions d’internautes en Chine). Le gouvernement doit favoriser ce phénomène en vue du développement technologique et économique, mais il en a peur car Internet peut devenir un instrument possible de dissension et il érige actuellement un “rideau de silicium” avec des filtres et des contrôles sur de nombreux thèmes politiques. Quant aux thématiques religieuses, les Eglises et les fidèles peuvent avoir leurs propres sites et puiser à des ressources disponibles hors de Chine. On dénombre aujourd’hui quelque 700 sites gérés par des communautés catholiques chinoises dans le monde, avec des informations et de la documentation provenant également des Eglises d’Occident, de Radio Vatican et d’autres organismes du Saint-Siège. Dans le secteur de l’éducation et de l’activité sociale, les Eglises ont encore l’interdiction en Chine d’“interférer mais de fait, la présence de jeunes religieuses est généralement acceptée dans les villages ; elles sont au service des handicapés, des personnes âgées, des enfants abandonnés. Et dans certaines communautés locales, des cours scolaires sont également tolérés pour suppléer aux carences de l’éducation d’Etat.
On le voit bien, les Eglises bénéficient de certaines libertés civiles qui sont concédées à la société chinoise sur la base de la logique du libre-échange, sans cependant devenir plus “faibles” du point de vue institutionnel. Mais les problèmes politiques se croisent avec les questions culturelles et autres, plus religieuses et ecclésiales. Aujourd’hui, la vraie faiblesse de l’Eglise en Chine réside bien dans la vulnérabilité de trop d’agents pastoraux (y compris des prêtres et des évêques) soumis aux pressions et aux illusions de la consommation exaspérée qui prévaut dans la société. En outre, les divisions internes qui affligent encore les communautés chinoises sont un contre-témoignage paralysant, même si les positions des “clandestins” et des “officiels” tendent à se rejoindre. Il nous faut nous sentir tous co-responsables de ces faiblesses et de ces maladies, par le simple fait que nous faisons tous partie de l’unique famille sauvée bien que pécheresse. Prier pour l’Eglise en Chine reste un impératif pour nous tous.
Des nouveautés attendues sur le plan culturel
Nous parlions de questions culturelles. Les foules qui fréquentent les temples qui ont été rouverts ces dernières années confirment le retour aux valeurs religieuses caractéristiques de la tradition chinoise. Les religions chinoises antiques convergent dans la construction de “voies sapientiales” dont il faut tenir compte lorsqu’on propose la Bonne Nouvelle du Christ. L’Eglise en Chine présente aujourd’hui un visage totalement chinois et donc compatible avec la culture locale. Mais pour qu’elle puisse irradier efficacement le message évangélique et proposer le visage du Christ de manière crédible, elle a besoin d’une réflexion théologique renouvelée, du même ordre que celle produite par Matteo Ricci il y a 400 ans, et d’un effort de conversion profonde aux valeurs de l’Evangile, comme cela a été rappelé au Synode des évêques pour l’Asie. Il n’y a aucun doute : “Le visage du Christ attirera les peuples de l’Asie vers et à travers le visage de l’Eglise.”
On observe qu’il est difficile d’évaluer l’importance des initiatives promotionnelles en faveur des religions proposées l’été dernier. Une d’entre elles mérite cependant une attention particulière car elle représente une nouveauté absolue dans le domaine culturel et elle semble se greffer justement sur ce que nous sommes en train de dire. Le 6 août 2002, Mgr Fu Tieshan annonçait la constitution à Pékin d’un Institut pour l’Etude du Christianisme et des Cultures, en souvenir du grand missionnaire italien Matteo Ricci ; le Quotidien du Peuple faisait également écho à cette information. Le P. Pierre Zhao Jianmin, à qui la direction de l’institut a été confiée, vient juste d’obtenir une maîtrise en droit canonique à l’université de Louvain la Neuve en Belgique et se propose d’explorer les rapports entre catholicisme, moralité, culture et art. Jusqu’à aujourd’hui, étaient étrangement exclus de la recherche scientifique et de l’échange interdisciplinaire dans le domaine religieux et sur le christianisme tous les organismes religieux ; les études et les publications produits par eux ne pouvaient sortir des communautés respectives. Ce nouvel Institut pourra désormais collaborer avec de nombreux centres d’études sur la religion et sur le christianisme qui sont nés ces dernières années dans différentes universités chinoises, valorisant ainsi la contribution positive que le christianisme a apporté à la Chine. Un des premiers projets devrait être la publication d’une série de livres sur les Echanges culturels entre la Chine et l’Occident dans l’histoire du catholicisme chinois du XVe au XVIIIe siècles. Le P. Zhao se dit satisfait car ces études pourront être publiées par des éditeurs officiels, et pas seulement au sein des circuits limités de l’Eglise.
Il n’est pas anodin de constater que ces ouvertures ont été annoncées alors que la Municipalité de Pékin décidait de mettre à jour les normes sur la “gestion des affaires religieuses” dans la capitale chinoise, en publiant un nouveau document qui a été discuté et approuvé par l’Assemblée populaire locale, en juillet. L’agence de presse officielle Xinhua citait pour l’occasion le vice-directeur de la Commission législative de l’Assemblée populaire de la Municipalité, Zhang Zhijian, qui soulignait que cette étude, à l’origine, concernait également des pratiques normalement abolies, mais très populaires, comme la divination, etc. Seront également concernés la possibilité pour les groupes religieux de proposer leurs propres publications, leurs objets de dévotion et leurs travaux artistiques, au-delà des lieux respectifs de culte. Dans le nouveau texte en vigueur depuis début novembre 2002, certains paragraphes restent assez imprécis ; c’est pourquoi il faudra voir si, dans la pratique, ce document sera appliqué et dépassera les restrictions existantes.
Il est trop tôt pour dire si le 16ème Congrès du Parti communiste chinois qui s’est terminé mi-novembre marquera une évolution positive dans les choix de la politique des autorités envers la religion. On ignore même si la question de la gestion des religions a émergé lors du Congrès dont les débats sont restés rigoureusement secrets. Avant le Congrès, malgré quelques voix isolées (Cf. Asia News d’octobre 2002), ce thème avait été pratiquement éliminé d’une discussion publique telle que répercutée dans les médias. Mais certains pensent que la sensibilité inédite et l’attention démontrées par Jiang Zemin envers le problème religieux durant ses dernières années au pouvoir pourraient, avec le temps, avoir des répercussions sur les orientations de la politique religieuse. Même s’il se retire de la charge suprême du Parti et de l’Etat, Jiang Zemin s’est assuré de tenir les rênes de la ligne politique du Parti pour les prochaine années, par le biais de proches nommés au sein du très puissant Comité permanent du Bureau politique (désormais composé de neuf membres, contre sept auparavant). Parmi eux, il y a un grand ami de Jiang Zemin en la personne de l’ex-secrétaire du Comité du Parti à Pékin, Jia Qinglin, qui a mis en place la nouvelle législation de la Municipalité sur la gestion des activités religieuses. On peut espérer que l’expérience de Pékin aura des résultats positifs, marquant ainsi une étape vers une plus grande libéralisation. Ce document signé par la Municipalité de Pékin pourrait en effet servir de ligne d’orientation pour la nouvelle législation nationale qui est à l’étude depuis longtemps.