Eglises d'Asie

Les luttes de pouvoir entre musulmans pourraient être un facteur de déraillement des pourparlers de paix entre les Tigres tamouls et le gouvernement de Colombo

Publié le 18/03/2010




La quatrième session de pourparlers de paix entre les Tigres tamouls du LTTE et le gouvernement de Colombo, qui a eu lieu en Thaïlande du 6 au 9 janvier derniers, a été un demi-succès, les négociateurs achoppant sur la question du désarmement des parties en présence, le LTTE refusant de démanteler son armée sans garanties conséquentes. La cinquième session de négociations est prévue du 7 au 10 février prochains, en Thaïlande, mais certains observateurs et diplomates s’interrogent sur les menaces que font peser sur les pourparlers de paix les dissensions qui sont apparues au sein de l’appareil politique des musulmans du Sri Lanka. Selon ces observateurs, la crise qui couve au sein du Congrès musulman du Sri Lanka (SLMC), parti politique de la communauté musulmane locale et partenaire crucial du gouvernement du Premier ministre Ranil Wickremesinghe, pourrait, si elle ne trouve pas de solution, avoir de graves conséquences. Leurs craintes sont de voir les responsables politiques musulmans adopter des positions intenables lors des négociations de paix afin, par cette surenchère, de conserver le pouvoir au sein de leur communauté.

Rauf Hakeem, dirigeant de longue date du SLMC et dont le leadership est contesté en interne, a mis en garde, le 5 janvier dernier, dans les termes suivants : “Les problèmes auxquels font face les musulmans doivent être considérés immédiatement, tout délai ne pouvant qu’envenimer les choses.” Ministre dans le gouvernement de Ranil Wickremesinghe et membre de la délégation de quatre personnes représentant Colombo à la table des négociations avec le LTTE, il n’est pas satisfait de ne pas être considéré comme le représentant des intérêts des musulmans sri-lankais. De plus, la non-application, sur le terrain, de décisions obtenues lors des trois premières sessions de négociations a affaibli l’autorité de Rauf Hakeem au sein du SLMC. Selon une source gouvernementale citée par (1), “le danger est que les rivalités internes au SLMC rejaillissent sur les négociations de paix”.

Lors des négociations d’il y a deux mois qui se sont tenues en Thaïlande entre le LTTE et la délégation gouvernementale sri-lankaise, un accord avait été conclu pour que les hostilités récurrentes sur le terrain entre musulmans et Tigres cessent dans la partie orientale de l’île (2). “Les parties s’accordent pour établir des comités de paix au niveau communautaire de façon à faciliter la résolution des problèmes locaux, à contribuer à la communication interethnique et à la réconciliation, et à promouvoir le respect des droits de l’homme avait alors déclaré le représentant du gouvernement norvégien, facilitateur des pourparlers. Depuis, protestent les hommes politiques musulmans, peu de choses ont été concrètement réalisées, ce qui a fragilisé la position politique de Rauf Hakeem au sein de sa communauté et de son parti. Déjà, il n’a dû son maintien à la tête du SLMC qu’à un recours déposé en justice.

Selon des sources diplomatiques citées par , Rauf Hakeem, qui a adopté une “approche pragmatique” dans ce dossier, est confronté à des éléments plus durs, le pressant de durcir le ton. En avril dernier, il a rencontré en tête-à-tête le chef des Tigres, le très secret Velupillai Prabhakaran, pour obtenir la fin des hostilités entre les Tamouls et les musulmans. Cette rencontre a fait de lui le seul ministre du gouvernement à avoir rencontré le leader incontesté du LTTE, mais ne suffit pas à asseoir son autorité face à une jeune garde musulmane, opérant au sein ou en dehors de SLMC et au ton plus offensif.

Les musulmans sri-lankais représentent environ 7,5 % des 18,66 millions de Sri-Lankais. Dans un pays où la fracture est principalement ethnique, entre Tamouls et Cinghalais, accessoirement hindouistes pour les uns et bouddhistes pour les autres, les musulmans forment un cas à part. Parlant soit le tamoul soit le cinghalais en fonction de leur lieu de vie, les musulmans sont officiellement considérés comme un groupe ethnique à part entière (à la différence, par exemple, des chrétiens qui, présents aussi bien au sein de la communauté tamoule que cinghalaise du pays, ne forment pas une ethnie distincte en soi). Le règlement du contentieux entre les musulmans et les Tigres passera, estiment les observateurs, par un accord pour refermer les cicatrices nées du nettoyage ethnique mené en 1990 par le LTTE dans la péninsule de Jaffna, où plus de 100 000 musulmans furent brutalement chassés de chez eux. Aucun accord de réparation n’a encore été négocié.