Eglises d'Asie

L’ARRET DU FINANCEMENT PUBLIC DES ECOLES CORANIQUES SUSCITE DES REMOUS

Publié le 18/03/2010




La décision du Premier ministre Mohamad Mahathir de supprimer le financement public des écoles religieuses s’inscrit dans un programme plus vaste visant à retirer l’islam du champ de l’éducation. Le moins que l’on puisse dire est que cette initiative n’est pas passée inaperçue. Le parti d’opposition d’obédience musulmane, le Parti Islam SeMalaysia (PAS), s’est saisi de la question avec l’idée qu’il y avait là une opportunité rêvée d’augmenter sa popularité au sein de la communauté malaise, quasi exclusivement musulmane et qui représente environ 60 % de la population totale du pays.

Les responsables gouvernementaux mettent en avant le fait que, selon eux, les écoles religieuses sont des lieux où prospère l’extrémisme islamiste, où l’enseignement dispensé répand un islam largement teinté de thèmes anti-gouvernementaux et où le Premier ministre Mahathir est décrit comme hostile à la foi musulmane. Cependant, force est de constater que les écoles coraniques sont populaires auprès de nombreux parents malais qui estiment que les écoles publiques proposent un enseignement trop laïcisé.

“Nous estimons que le gouvernement a sous-estimé l’impact potentiel [de sa décision concernant l’arrêt du financement public des écoles coraniques privées], déclare Syed Azman Syed Ahmad, parlementaire et membre du PAS. Les écoles religieuses font partie du patrimoine malais et l’homme de la rue estime que le gouvernement, en prenant cette décision, n’est pas seulement contre l’islam mais contre les Malais.” Du côté du Front national, la coalition soutenant Mahathir, on ne semble pas inquiet outre mesure. Certains suggèrent même qu’en diminuant le rôle de la religion dans les écoles, l’opposition islamique se trouvera amoindrie.

Le gouvernement a annoncé l’arrêt du financement des écoles religieuses en février dernier. Selon Musa Hitam, un ancien Vice-Premier ministre et personnalité respectée au sein de l’UMNO, le parti du Premier ministre Mahathir, si l’influence de la religion n’est pas contenue dès maintenant dans les écoles religieuses, “le PAS va prospérer”. Pour Mohamed Rahmat, secrétaire général du Front national et un des hiérarques de l’UMNO, le gouvernement ne reviendra pas sur sa décision de réformer la place de la religion dans les écoles, quelles qu’elles soient, et ne craint pas de devoir susciter une certaine impopularité sur cette question, y compris si elle doit se traduire dans les urnes. “C’est quelque chose que nous devons mener à bien. Le PAS et le reste de l’opposition vont s’en saisir et faire campagne sur ce thème mais cela ne nous coûtera pas les prochaines élections estime Mohamed Rahmat, en référence aux prochaines élections qui doivent avoir lieu avant la fin 2004.

Mohamed Rahmat concède cependant que, du fait de l’enracinement réel du PAS auprès d’une partie de la population et des remous causés par la décision du gouvernement au sujet du financement des écoles coraniques, l’UMNO va devoir faire face à de sérieuses difficultés électorales dans les Etats dominés par les Malais, tel celui de Kedah, ou dans les deux Etats déjà contrôlés par l’opposition, Kelantan et Terengganu. C’est dans ces régions que la controverse est la plus virulente et c’est là que le PAS et un certain nombre de groupes de l’opposition exploitent cette question, parvenant à réunir des foules importantes lors de meetings politiques où la décision de Mahathir est présentée comme une action dirigée contre la religion musulmane.

Au tout début, Mahathir avait dans l’idée de purement et simplement fermer toutes les écoles coraniques. L’initiative aurait été bien trop impopulaire si bien que lui et son parti ont finalement décidé de seulement couper les financements publics à ces écoles. En cherchant à étrangler financièrement ces établissements, le gouvernement espère que les parents musulmans les abandonneront, en retirant leurs enfants pour les mettre dans le système éducatif public, lequel offre également un programme d’enseignement religieux. “Nous voulons offrir une alternative qui consiste à leur donner la possibilité d’être intégrés dans les écoles publiques a déclaré Mahathir devant des membres de l’UMNO lors d’une réunion au sujet des écoles coraniques qui a eu lieu à la mi-février 2003.

Pour l’heure, les écoles coraniques privées n’ont pas baissé les bras. “Affirmer que les écoles religieuses forment des militants islamiques et répandent des slogans anti-gouvernementaux est faux déclare Azmi Hamid, responsable de Gegar, un mouvement récemment mis sur pied pour s’opposer aux manouvres de Kuala Lumpur visant à obtenir la fermeture des écoles coraniques. Il met en avant le fait que plusieurs personnalités gouvernementales de premier plan, tel le propre conseiller de Mahathir pour les affaires musulmanes, Hamid Othman, sont issues des écoles coraniques.

Dans l’Etat de Perak, Wan Ahmad Tarmizi Abdul Aziz, recteur d’une de ces écoles, s’offusque que l’on puisse considérer que son établissement forme de futurs extrémistes. “La volonté du gouvernement de fermer nos écoles ne s’appuie sur rien de concret. C’est une question purement politique affirme-t-il, fort de son expérience à la tête de l’école Al Mahad Umah fondée il y a treize ans dans la ville de Chemor.

Dotée de salles d’informatique, de laboratoires de sciences et d’installations sportives, et accueillant près de 700 élèves sur un campus moderne et vaste, Al Mahad a pour elle ses résultats, ses élèves décrochant parmi les meilleurs scores de tout le pays aux tests de fin du cycle d’études secondaires. Selon le ministre fédéral de l’Education, qui s’exprimait au mois de mars dernier, environ 10 % des élèves des écoles coraniques ont quitté les établissements où ils étaient scolarisés pour rejoindre les écoles publiques, à la suite de l’arrêt du financement gouvernemental des écoles religieuses privées.

“En dépit des menaces proférées et du recours à tout l’attirail gouvernemental pour faire peur aux parents, seul un petit nombre d’élèves est parti. Le message est clair : les parents et les élèves ne bougeront pas déclare Wan Ahmad qui ajoute que son établissement, tout comme d’autres, a déjà initié des campagnes de financement pour combler le manque à gagner créé par la décision du gouvernement fédéral.

Aujourd’hui, on estime à 300 000 le nombre des élèves qui suivent une scolarité à plein temps dans les écoles religieuses, publiques et privées confondues, sur la péninsule malaise. Plusieurs Etats ont vu ces dernières années une forte croissance du nombre des écoles religieuses présentes sur leur territoire. Dans l’Etat de Perak, le nombre des écoles religieuses est passé de 151 en 1991 à 689 aujourd’hui. Dans les zones urbaines, la même tendance est constatée, rendant plus compliqué l’objectif de Kuala Lumpur de contrôler ces établissements.

La controverse créée autour des écoles coraniques met en évidence une division nouvelle mais s’inscrit dans un contexte vieux de plusieurs décennies de rivalités politiques entre musulmans malais modérés et conservateurs au sein d’un pays plurireligieux et multiethnique. Les modérés, emmenés par l’UMNO, ont dominé la scène politique de la Malaisie depuis 1957, date de l’indépendance. Mais tout a changé après le 11 septembre 1998, le jour où Mahathir a chassé son héritier putatif, le très musulman Anwar Ibrahim. Le renvoi d’Anwar Ibrahim et son emprisonnement ont provoqué des défections importantes de modérés au sein de l’UMNO et, aujourd’hui encore, de nombreux responsables de ce parti confient que l’UMNO n’a pas regagné le terrain perdu.

Le PAS et, dans une moindre mesure, le Parti de la Justice, la formation politique d’Anwar Ibrahim, en tant que membres de la coalition des trois parties qui forme l’opposition parlementaire, ont été les principaux bénéficiaires des déboires de l’UMNO, faisant pencher la balance du cour du pays malais en faveur des conservateurs. Depuis, les affrontements entre modérés et conservateurs se sont faits plus vifs, plus fréquents et politiquement plus lourds de conséquences. Le fossé entre les deux bords s’élargissant, il devient plus difficile au gouvernement de convaincre l’opinion que ses initiatives ne sont pas avant tout menées dans une optique politicienne. “Toutes les questions sont devenues politiques, déplore un ministre du cabinet fédéral, membre de l’UMNO. Il devient difficile de faire comprendre notre position.”