Eglises d'Asie

Le ministère fédéral de l’Intérieur provoque une controverse en interdisant trente-cinq livres dont plusieurs ouvrages chrétiens

Publié le 18/03/2010




Le 9 avril dernier, le ministère fédéral de l’Intérieur a publié une liste de 35 ouvrages interdits au titre de la Loi sur les publications et les écrits de presse, datant de 1984 et amendée en 1987, au motif que ces écrits présentaient « une menace pour l’ordre public ». Rédigés en malais ou en indonésien pour 34 d’entre eux, ces ouvrages ont, pour une partie d’entre eux, trait à l’islam ou à des personnalités musulmanes et, pour une autre partie, à l’univers chrétien ; le 35e est la traduction dans la langue de la minorité Iban, peuple autochtone de Sarawak, de la Bible. L’annonce de l’interdiction de ces ouvrages a provoqué de vives protestations dans différents milieux. Le président du Barreau a déclaré que la me-sure gouvernementale bafouait les libertés d’expression et de religion. Le Parti d’action démocratique, formation d’opposition, s’est interrogé sur le fait de savoir si la mise à l’index des ouvrages devait être mise sur le compte de fonctionnaires trop zélés et oublieux de la protection, inscrite dans la Constitution, de la liberté religieuse. Du côté chrétien, l’émotion a été vive et le secrétaire général du Conseil des Eglises chrétiennes, Herman Shastri, soutenu en cela par l’archevêque catholique de Kuala Lumpur, a immédiatement demandé une audience au ministre de l’Intérieur.

Au sujet de la Bible traduite dans la langue du peuple Iban, la surprise des milieux chrétiens a été grande. Rien n’annonçait une telle mesure étant donné que la Bible en question, publiée sous les auspices de la Société biblique de Malaisie, est utilisée depuis 1988. Commencée il y a environ un siècle par des missionnaires, la traduction de cette Bible a été achevée il y a quinze ans et a été depuis largement diffusée au sein du peuple Iban. Avec 400 000 personnes, les Ibans ou « Dayaks de la mer » constituent le plus important groupe parmi les peuples indigènes non musulmans de l’Etat de Sarawak, en Malaisie orientale ; ils sont majoritairement chrétiens. Selon un responsable du ministère de l’Intérieur, dont les propos étaient rapportés le 13 avril par le Sarawak Tribune, les censeurs gouvernementaux reprochent à la Bible en iban d’utiliser des termes qui appartiennent à l’islam, enfreignant ainsi le droit malaisien qui interdit qu’un livre religieux non musulman recoure au lexique musulman (1). Selon des sources non gouvernementales, les censeurs du ministère de l’Intérieur reprochent à la Bible l’usage des termes « Allah Taala » qui signifient « Dieu tout-puissant ». L’usage de ces termes étant très fréquent dans la littérature musulmane, les autorités auraient craint qu’une confusion naisse dans l’esprit de musulmans venant à lire la Bible en iban. Pour les critiques de la mise à l’index de la Bible en iban, l’argument des censeurs ne tient pas, la Bible étant en circulation depuis 1988, et témoigne d’une intolérance religieuse et raciale grandissante.

Toutefois, le 22 avril, Herman Shastri, accompagné de responsables d’Eglises protestantes de Sarawak, a obtenu une entrevue avec Abdullah Badawi, ministre de l’Intérieur et Premier ministre adjoint. A l’issue de l’entrevue et sans dévoiler le contenu de l’entretien, le responsable protestant s’est déclaré satisfait des décisions prises à cette occasion. Selon le Straits Times de Singapour du 25 avril, le ministre aurait suggéré, afin d’écarter tout risque de confusion, que chaque édition de la Bible en iban porte une croix aisément indentifiable et la mention : « Ceci est la traduction de la Bible en langue iban. » Le gouvernement fédéral a finalement annoncé la levée de l’interdiction de la Bible en iban.

Parmi les 34 autres livres interdits, on compte sept ouvrages publiés en malais portant sur la Bible et Dieu, dont trois comprennent le mot ‘Allah’ dans leur titre. Quatre d’entre eux ont été édités par la maison d’édition jésuite Kanisius, maison basée en Indonésie et publiant des livres religieux ainsi que des ouvrages de psychologie et de médecine : Mengenal Tulisan Perjanjian Baru (‘Connaître le Nouveau Testament’) de Mgr Ignatius Suharyo, archevêque de Semarang (en Indonésie) ; Sejarah Singkat Liturgi Barat (‘Histoire brève de la liturgie occidentale’) de Theodor Klauser ; Surat-surat Paulus (‘Les lettres de St Paul’) par la Fondation biblique indonésienne ; et Doa Santap (‘Les prières du repas’) d’une religieuse catholique. Selon les dispositions du droit malaisien, il est interdit d’imprimer, de produire, de publier, de vendre, de mettre en circulation, de distribuer ou de posséder un ouvrage proscrit. Les contrevenants s’exposent à des amendes pouvant aller jusqu’à 20 000 ringgits (5 000 euros) et/ou une peine de prison maximale de trois ans.