Eglises d'Asie

OUVERTURE A PEKIN ?

Publié le 18/03/2010




Pendant que la passation de pouvoir de la « quatrième génération » de dirigeants chinois à la « cinquième génération » s’est déroulée sans anicroches, et que les nouveaux, Hu Jintao, Wen Jiabao, Wu Bangguo, Zeng Qinghong, et les autres se sont retrouvés plus ou moins là où on les attendait, les signes positifs pour la stabilité du pouvoir en place se sont multipliés. Pourtant, les symptômes classiques de la nervosité du pouvoir ne s’atténuent pas : arrestations arbitraires, condamnations très lourdes de dissidents, répression des ethnies aux frontières sous prétexte de lutte contre le terrorisme, répression religieuse. Ce long cortège des misères de la dictature n’a en rien diminué. Comment expliquer ce paradoxe ?

Il règne en Chine une terrible impression de déjà vu, qui ne rappelle pas de très bons souvenirs. En effet les multiples signes de dégel évoquent fortement la période des années 1980 durant laquelle les artistes, les intellectuels, puis finalement la rue se sont emparés de l’espace de liberté qui leur était concédé pour réclamer plus de démocratie, moins de corruption, plus de transparence. Les manifestations de 1989, qui ont vu la culmination de cette agitation, furent réprimées le 4 juin dans le sang.

Aujourd’hui, les signes positifs sont innombrables. Jiang Zemin, qui apparaissait il y a seulement six mois encore comme tout puissant et incontournable, est en train de s’effacer en douceur derrière son successeur Hu Jintao. Il est probable qu’il gardera quelque temps son poste à la tête de la Commission militaire d’Etat, mais cela n’aura pas l’importance que l’on imaginait. L’indifférence générale de la population, qui observe son départ et celui de son Premier ministre Zhu Rongji, tient essentiellement au fait que la politique que les deux hommes ont menée depuis le XVe Congrès n’est pas particulièrement populaire. Les Chinois savent voir derrière la façade et les effets d’annonce : les Jeux olympiques pour 2008, l’Exposition universelle à Shanghai pour 2010 ; cela profitera à un certain nombre d’entrepreneurs déjà bien placés, mais cela n’a en rien résolu les phénomènes grandissants de chômage et de pauvreté dans les villes. Les autorités reconnaissent officiellement que plus de vingt millions d’urbains vivent en dessous du seuil de pauvreté. De plus, la privatisation en marche des secteurs fondamentaux que sont la santé et l’éducation plonge de plus en plus de Chinois dans la peur du lendemain.

En effet, les opérations prestigieuses encouragent plus la corruption que le développement harmonieux du pays, et les Chinois sont soulagés d’observer les premiers gestes de leur nouveau chef : dès son élection à la tête du Parti communiste chinois, Hu Jintao a en effet joué la transparence et affiché une sollicitude certaine à l’égard des plus démunis. Il a même demandé que, dorénavant, le compte-rendu des réunions du Bureau politique soit publié, ce qui a permis aux Chinois de découvrir qu’après les formalités d’usage de la première réunion, le Bureau politique a consacré sa seconde session à discuter des problèmes de la pauvreté et du chômage et la troisième ceux de la paysannerie.

Au cours d’une conférence publique, Hu Jintao a également insisté sur le fait que tous étaient égaux devant la Constitution et que nul ne pouvait se placer au-dessus des lois, une affirmation rarement confirmée par un parti qui se déclare “infaillible et omniscient 

Enfin, Hu Jintao a remis à la mode un slogan maoïste qui, en l’occurrence, apparaît comme plus rassurant qu’inquiétant : women yao jianku fendou (‘Nous nous battrons avec âpreté’), sous entendu : contre la misère.

Le remplaçant du Premier ministre, Wen Jiabao, a également donné des signes encourageants : le jour du Nouvel An chinois, il est descendu dans une mine récemment touchée par un accident meurtrier. La nouvelle a été considérée comme sensationnelle : les dirigeants chinois se contentent généralement de prononcer quelques paroles lénifiantes, ou, pire encore, de diminuer voire de nier les drames qui se déroulent dans le pays.

Côté propagande, la situation semble s’éclairer aussi. Autant l’ancien responsable du contrôle sur la presse et l’opinion, Ding Guanggen, a su se montrer répressif et fermé, autant Li Changchun, qui maintenant est chargé de la propagande au sein du Bureau permanent du PCC, a voulu envoyer des signaux positifs en annonçant que la presse devait refléter la vérité, écouter la volonté du peuple et ne pas se contenter de reprendre le discours officiel.

Enfin, les vieux caciques, tels que Li Rui, ancien secrétaire de Mao Zedong, recommencent à être entendus, pour la première fois depuis 1989. Dans un article publié par la revue Yanhuang Chunqiu, Li Rui a préconisé la mise en place de la démocratie au sein du parti, en suggérant que les secrétaires de province, et même le secrétaire général du parti, soient élus par leurs pairs, afin de renforcer leur crédibilité. Le mot « légitimité » n’est pas prononcé, mais c’est tout comme. Dès le début de l’article, Li Rui a annoncé d’emblée la couleur puisqu’il y affirmait : “Toutes les dictatures sont condamnées à s’effondrer un jour.” Le 27 février, Li Rui persiste et signe en répondant aux journalistes qu’il n’a subi aucune pression après la parution et en ajoutant malicieusement que la revue n’a pas été obligée de retirer ses exemplaires de la vente (contrairement à ce qui se produit fréquemment.) et qu’elle a au contraire été plutôt encensée ! Il y a malheureusement une suite à cette belle histoire : en mars, le magazine Vingt-et-unième siècle (Ershiyi shiji) a été censuré après la parution d’une interview de … Li Rui.

Un autre vétéran, Yuan Gen, ancien ami de Zhao Ziyang, ancien secrétaire général du Parti, toujours en résidence surveillée depuis le 4 juin 1989, fait également un retour remarqué en préconisant une séparation claire des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Alors ? Faut-il voir dans cet amoncellement de signes évocateurs d’un printemps longtemps espéré le début d’une transition démocratique ? Pas sûr ! Si le pouvoir bouge, se met au goût du jour, aurait-on envie de dire, c’est plus pour des raisons pragmatiques, ou même opportunistes, que par conviction profonde. Deux éléments principaux l’y ont poussé : la pression sociale intérieure et la pression internationale qui, même molle et souvent inconséquente, a fini par arracher quelques lambeaux de respectabilité tels que la signature de conventions internationales et la mise en place d’un appareil de lois plus structuré.

La gestion de l’information durant l’épidémie récente du SARS (pneumopathie atypique) reflète aussi la difficulté d’analyser les comportements actuels du gouvernement. Il est maintenant clair que l’épidémie a commencé dès le début du mois de novembre 2002 dans la province du Guangdong. Cette province était connue pour la remarquable liberté de ton de la presse locale et notamment de l’hebdomadaire Nanfang Zhoumo (‘Week-end du ). Or la nomination de Zhang Dongming à la tête de ce magazine au mois d’avril 2003 confirme les pires soupçons concernant le comportement des autorités face à l’information “utile”. En effet, c’est M. Zhang, qui occupait à l’époque un poste de direction dans le département de la propagande de la province du Guangdong, qui était responsable des relations avec la presse et a fait circuler une directive datée du 10 février stipulant que : “Tous les médias doivent considérer tous les cas de SARS comme strictement confidentiels. Des secrets de ce type ne doivent pas être diffusés.”

Le département de la propagande a, durant cette période, émis jusqu’à plusieurs directives par jour pour censurer certaines nouvelles, et interdire toute critique concernant les réactions jugées trop molles du gouvernement. L’annonce, en avril, du limogeage du ministre de la Santé et du maire de Pékin est, hélas, à replacer en perspective avec la nomination de Zhang Dongming à la tête du Nanfang Zhoumo : un coup pour calmer l’opinion publique, un coup pour maintenir le contrôle du parti sur la diffusion de l’information.

De toute façon, que le gouvernement le veuille ou non, l’information circule de plus en plus vite, grâce aux cinquante millions d’internautes chinois et à la volonté clairement exprimée de la population et des dirigeants de s’intégrer dans la communauté internationale.

Mais, malgré tout, les bonnes intentions ne suffisent pas et n’ont jamais fait bouger grand-chose. En décembre 2002, une personnalité religieuse tibétaine influente, Tenzin Deleg Rimpoche, a été condamnée à mort avec sursis et son assistant, Lobsang Dhondup, a été exécuté aussitôt après le procès (1). En janvier 2003, un intellectuel chinois, Tan Haidong, a été condamné à sept ans de prison à Urumchi, pour avoir “diffusé des commentaires réactionnaires” sur Internet. Une jeune étudiante de 23 ans, Liu Di, est au secret depuis plusieurs mois à Pékin pour la même raison. Des leaders ouvriers, comme Yao Fuxin et Xiao Yunliang, risquent de très lourdes peines de prison pour avoir organisé des manifestations dans des villes industrielles sinistrées du Nord-Est. Hélas, les noms à citer seraient trop nombreux pour un simple tour d’horizon.

Si le pouvoir se sent menacé par la rue, s’il craint une déstabilisation aux frontières, il n’hésite jamais : il réprime, et toujours férocement. Cela, les intellectuels le savent. Eux qui devraient prendre l’initiative, s’engager pour restructurer la société civile, encourager les ouvriers à défendre leurs droits contre des profiteurs corrompus, dès que la répression est décidée d’en haut, ils détournent, dans leur grande majorité, pudiquement les yeux. Cette peur n’est pas nouvelle : elle a été instillée par cinquante ans d’un régime répressif. Tant que cette angoisse ne sera pas évaporée dans un climat plus clément, la Chine restera ce qu’elle est : une immense usine à fabriquer des millions d’objets bon marché, un marché prodigieux qui s’ouvre, mais où les modestes espaces de liberté durement acquis pourront être de nouveau confisqués sans préavis. Tant que le rapport de force qui lie actuellement pouvoir et société n’aura pas été radicalement modifié, aucun des signes positifs que l’on vient d’énumérer ne pourra être considéré comme irréversible.

(1)Voir EDA 368