Aujourd’hui, le Sri Lanka est à la croisée des chemins. Un “accord de principe” (Memorandum of Understanding) a été signé en mars 2002 entre le gouvernement de Sri Lanka dirigé par le Premier ministre Ranil Wickramasinghe et le mouvement rebelle tamoul armé, les Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul (LTTE). Des négociations sont enga-gées, sous les auspices de la communauté internationale, en présence notamment de médiateurs norvégiens et japonais.
La guerre de sécession a gravement influé sur l’Etat et la société sri-lankaise pendant ces deux ou trois dernières décennies.
Les acteurs
Lors du recensement de 1981 les pourcentages de population s’établissaient ainsi :
– Singhalais 74 % ;
– Tamouls 18,1 % dont 12,6 % de Tamouls sri-lankais autochtones (majoritaires dans la péninsule de Jaffna et formant environ 43 % de la population dans les zones côtières du Nord-Ouest et de l’Est, et minoritaires dans les régions singhalaises du Sud) ; et 5,5 % de Tamouls dits indiens (immigrés au XIXe siècle et concentrés dans les districts des plantations de thé et d’hévéa du centre de l’île).
Pour des raisons géographiques, économiques, et de castes, la fusion des deux segments de la communauté tamoule ne s’est pas faite. La plupart des Tamouls indiens issus de groupes intouchables sont méprisés par les castes qui dominent la société tamoule de Jaffna.
Bien que les Singhalais soient bouddhistes et les Tamouls hindous dans leur majorité, les deux communautés comptent de nombreux chrétiens (7,5 % de la population sri-lankaise est chrétienne, en majorité catholique). La troisième communauté, les Musulmans (considérés comme une communauté ethnique séparée), tamoulophones, formaient 7,1 % de la population en 1981.
Les causes du conflit
Les griefs des Tamouls ont d’abord été les suivants : la ma-jorité singhalaise aurait cherché à imposer sa langue, sa cul-ture, sa religion en monopolisant le pouvoir politique. Les systèmes de sélection de l’enseignement supérieur et les procédures de recrutement de la fonction publique mis en place dans les années 1970 en auraient rendu l’accès plus difficile aux jeunes Tamouls. Les régions tamoules n’au-raient pas bénéficié des grands projets agricoles et des im-plantations de zones industrielles de la fin des années 1970.
La communauté tamoule souffre encore d’une discrimination sociale réelle dans le sud de l’île bien que de nombreux problèmes politiques spécifiques aient été résolus, au moins en principe. Le trilinguisme est ainsi reconnu par l’Etat. Mais les années de guerre civile ont engendré de nouveaux griefs plus difficiles à résoudre, dont le sentiment d’insécurité au sein de l’Etat est le plus grave.
Avant 1980
Jusque dans les années 1950, une forme de coopération existait entre les bourgeoisies tamoule et singhalaise, toutes deux anglophones, et qui jouissaient d’un traitement de faveur depuis l’époque coloniale. Mais, après l’arrivée au pouvoir de S.W.R.D. Bandaranaïke (leader du Parti de la Liberté de Sri Lanka ou SLFP) dont le programme mettait en avant la religion bouddhiste ainsi que la langue et la culture singhalaises, des violences entre Singhalais et Tamouls ont éclaté dès 1956 à Colombo et dans les colonies de peuplement de l’Est. Le Parti Fédéral tamoul, sous l’égide de Chelvanayakam, revendiqua alors l’établissement d’un Etat linguistique tamoul au sein d’une Union fédérale. Un accord signé en 1957 entre Bandaranaïke et Chelvanayakam reconnaissait finalement la langue tamoule comme langue de l’administration dans le Nord et l’Est et accordait aux Tamouls une certaine autonomie. Cet accord laissait présager une détente. Mais des groupes extrémistes au sein du SLFP et de l’UNP, les deux principaux partis singhalais, contraignirent le Premier ministre à annuler le pacte en avril 1958. Quatre jours de violence au cours desquels 300 à 400 personnes furent tuées envenimèrent les relations entre les deux communautés qui avaient vécu jusque-là en bonne entente.
La Constitution de la République nouvellement proclamée en 1972 accordait à la langue singhalaise et à la religion bouddhiste une place de tout premier plan. Cela acheva de dresser les Tamouls contre l’Etat. La même année, Vellupillai Prabakharan et trente jeunes Tamouls formèrent les Nouveaux Tigres Tamouls (Tamil New Tigers), optant pour la violence armée. En 1976, un parti politique séparatiste tamoul fut créé près de Jaffna, le Tamil United Liberation Front (TULF, fusion du Parti Fédéral et du parti du Congrès Tamoul) : il revendiqua ouvertement un Etat indépendant, l’Eelam tamoul. Pendant ce temps, les Tamil New Tigers devinrent les LTTE (Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul) et s’engagèrent dans l’action violente pour atteindre ce même objectif. Les élections de 1977 virent le parti séparatiste TULF gagner tous les sièges dans les régions tamoules.
1983-1993
En juillet 1983, à la suite d’un attentat perpétré par les mili-tants rebelles tamouls contre des soldats sri-lankais dans le Nord, des éléments proches du gouvernement organisent dans les régions à majorité singhalaise des pogroms anti-Tamouls qui font plusieurs milliers de victimes.
Fortement implantés dans la péninsule de Jaffna, les LTTE éliminent dans les années qui viennent les groupes tamouls rivaux puis étendent leurs opérations au Centre-Nord et à l’Est de l’île où ils multiplient les actions terroristes contre les populations singhalaise puis musulmane.
Après des tentatives répétées de médiation, le Premier ministre indien Rajiv Gandhi obtient, en juillet 1987, du président sri-lankais, J.R. Jayawardena, la signature d’un accord aux termes duquel, en échange de facilités stratégiques dans le port de Trincomalee à l’Est et de concessions aux revendications tamoules (formation d’une province Nord-Est autonome), l’Inde se porte garante de l’intégrité territoriale de Sri Lanka et se charge du maintien de l’ordre dans les régions à majorité tamoule. L’intervention d’une Force indienne de maintien de la paix (IPKF) se heurte cependant à la résistance des LTTE qui refusent de rendre leurs armes et se replient dans les jungles de l’intérieur. L’opération se solde par un échec pour le gouvernement de Rajiv Gandhi (assassiné en 1991).
Le retrait des troupes indiennes effectué par son successeur en mars 1990 à la demande de Colombo laisse le champ libre aux LTTE avec lesquels le président Premadasa signe une trêve. Mais les combats reprennent dès juillet 1990 dans la péninsule de Jaffna, les jungles de l’intérieur et la province orientale. Cette violence contraint plusieurs milliers de personnes à chercher refuge dans les camps ou à l’étranger. Durant ces années, les attentats suicides contre des hommes politiques perçus comme des ennemis de l’Eelam tamoul se multiplient.
1993-2001
En janvier 1995, le gouvernement de Chandrika Bandara-naïke Kumaratunga et les LTTE font une trêve et amorcent des discussions. Mais les LTTE rejettent toutes les proposi-tions et rompent le cessez-le-feu. Le gouvernement reprend malgré tout le contrôle de la péninsule de Jaffna en avril 1996. Cependant, les Tigres, qui disposent de ressources considérables, ne montrent aucun signe de faiblesse et con-tinuent d’attaquer les bases militaires et de recourir à des at-tentats suicides. Un camion piégé explose en octobre 1997 dans le quartier des affaires de Colombo, détruisant la ban-que centrale et provoquant un recul des investissements. Les célébrations du cinquantenaire de l’indépendance de Sri Lanka en 1998 sont assombries par une attaque contre le Temple de la Dent à Kandy, symbole du pouvoir et lieu saint du bouddhisme. En 1999, les LTTE sont déclarés offi-ciellement interdits à la suite d’un attentat suicide qui fait 38 morts et 129 blessés, dont la présidente elle-même, lors de la campagne électorale pour les élections présidentielles.
Sur le front diplomatique, les efforts du gouvernement pour isoler les LTTE ont porté leurs fruits : les LTTE sont inclus dans la liste des organisations terroristes des Etats-Unis et du Royaume-Uni et interdits par l’Inde après l’assassinat de Rajiv Gandhi, assassinat pour lequel le LTTE a été nommé comme principal accusé. Sur le front militaire, l’armée a rencontré des revers qui ont sapé son moral, même si elle semble finalement être sur le point de reconquérir le territoire perdu près Pass, l’isthme séparant l’île et la péninsule de Jaffna. Le gouvernement a annoncé sa volonté de négocier avec les LTTE mais n’accepte aucune condition préalable. Chandrika Bandaranaïke Kumaratunga propose des réformes constitutionnelles qui créeraient sept régions jouissant de plus d’autonomie. Ce plan est accueilli avec réticence par les milieux nationalistes singhalais et rejeté d’emblée par les LTTE, qui annoncent qu’ils combattront jusqu’à l’obtention d’un Etat indépendant.
La situation change de façon inattendue en 2002. Le nouveau Premier ministre Ranil Wickremasinghe, encouragé par la nouvelle politique étrangère des Etats-Unis après le 11 septembre, convainc les LTTE de cesser les hostilités et d’entamer des négociations. La pression des créanciers internationaux et la perte de sympathie pour la cause tamoule favorisent le rapprochement entre le gouvernement et les militants armés. Aujourd’hui, les signes semblent prometteurs mais le refus des LTTE de cesser le recrutement d’enfants pour leur mouvement armé, leur refus inconditionnel de désarmer, les craintes de la communauté musulmane de la Province Est qui se sent perdante dans les négociations entre l’Etat et les LTTE, rappellent la fragilité de l’édifice.
Bibliographie sommaire
R. Hoole, D. Somasunderam, R. Sritharna K. Thiranagama, Broken Palmyra, Claremont : The Sri Lanka Studies Institute, 1988
C. Manoragam & B. Pfaffenberger (eds) The Sri Lankan Tamils : Ethnicity and Identity, Westview Press Boulder, Colorado & Oxford, 1994
E. Meyer, Ceylan / Sri Lanka, 3e édition, PUF, Paris, 1994
A.J. Wilson, Sri Lankan Tamil Nationalism: Its Origin and Development in the 19th and 20th Centuries, Hurst & Company, London, 2000