Eglises d'Asie

SRI LANKA

Publié le 18/12/2014




Troisième partie : Les chrétiens à Sri Lanka(EDA, P. Nihal Abeyasinghe et Shirley Lal Wijesinghe, juin 2003)

A l’heure actuelle, sur une population de quelque 19 millions de personnes en 2002, les chrétiens à Sri Lanka constituent environ 7 % de la population totale de l’île, partagés entre les deux principales ethnies, singhalaise et tamoule, et sont catholiques pour leur très grande majorité. Les bouddhistes constituent environ 65 % de la population, soit la grande majorité de la population singhalaise, tandis que les hindous, tamouls, sont 12 % et les musulmans, également tamoulophones, sont 7 %.

La présence d’une communauté catholique à Sri Lanka re-monte à l’arrivée des Portugais au XVIe siècle. Cependant, certains indices attestent une présence chrétienne bien antérieure. Le nestorianisme, bien après sa condamnation comme hérésie au concile d’Ephèse en 431, se développa en Perse et en Arabie indépendamment de l’Eglise romaine. Les commerçants arabes et perses le propagèrent jusqu’en Inde et en Chine. En 1912, lors de fouilles archéologiques menées à Anuradhapura, l’ancienne capitale bouddhiste du pays, une croix sculptée dans la pierre fut mise à jour, assimilable par sa forme aux croix nestoriennes du Kerala. La question reste cependant ouverte de savoir si cette croix témoigne d’une présence chrétienne réellement établie dans l’île, ou seulement du passage plus ou moins régulier d’une communauté de commerçants nestoriens d’Inde du Sud.

En tout état de cause, il n’existe aucun autre indice de la continuité d’une présence chrétienne jusqu’à l’arrivée des Portugais. Les rares autres indices chrétiens dateraient plus ou moins de la même époque que la croix d’Anuradhapura : il s’agit d’une autre croix sculptée dans la pierre et retrouvée dans une église dédiée à saint Thomas, et aussi d’une référence dans le Culavamsa (la grande généalogie bouddhiste de l’île rédigée en pali) à un capitaine chrétien du nom de Migara dans l’armée du roi bouddhiste Moggalana I (491-508).
En tout cas, les Portugais ne trouvèrent pas de présence chrétienne à Sri Lanka : ils l’instituèrent. Originaires d’une petite nation, mais pionniers européens du commerce maritime dans l’océan Indien, ils détenaient un avant-poste à Cochin, en Inde du Sud, en 1504. Ce fut de là que, dérivant à l’occasion d’une tempête, Lourenço de Almeida arriva à Galle, au sud de l’île. Son équipage local, qui connaissait les lieux, le conduisit alors à Colombo, où il débarqua le 15 novembre 1505.

La présence portugaise (1505-1658)

A l’époque où les Portugais arrivèrent, Ceylan était divisée en trois royaumes. Colombo, où les Portugais débarquèrent, était gouvernée par le roi bouddhiste Dharma Parakrama Bahu IX (1469-1511), qui résidait à Kotte, sa capitale. C’est avec sa permission que les Portugais établirent un comptoir où les marins bâtirent une petite chapelle dédiée à saint Laurent, le patron de leur expédition – et maintenant encore celui de la ville de Colombo. Quelques Portugais y restèrent tandis que les autres retournèrent à Cochin. En 1518, ils établirent une forteresse. D’autres se joignirent à eux et deux franciscains furent nommés pour pourvoir à leurs besoins spirituels.


Les Portugais sont invités à protéger le roi

Après la mort de Dharma Parakrama Bahu IX, Vijaya Bahu VI lui succéda. Mais il y eut des dissensions internes quant à savoir qui lui succéderait. Il finit assassiné en 1521 et le royaume fut divisé entre ses trois fils. L’aîné, Buvaneka Bahu VII, hérita de Kotte, mais il eut bien des difficultés à assurer sa position. Buvaneka Bahu envoya un légat au Portugal pour demander de l’aide afin de se maintenir au pouvoir et d’assurer la succession du fils de sa fille, le futur roi Dharmapala. Le roi exprima aussi son désir d’accueillir des missionnaires catholiques dans son royaume. C’est ainsi que les Portugais commencèrent à jouer un rôle sans cesse plus important dans la politique locale.

Les premiers missionnaires, des frères franciscains, arrivèrent à Ceylan en 1543, accompagnés par Joao de Villa de Conde. Lorsque de Conde essaya de persuader le roi d’embrasser la religion chrétienne, ce dernier eut pour réponse : « Jamais je n’abandonnerai la loi sous laquelle j’ai été élevé, ni pour le roi du Portugal, ni pour deux rois comme lui. » Les Portugais maintenaient plusieurs comptoirs de Negombo à Galle et Weligama. Ils y résidaient et y avaient bâti plusieurs chapelles. Ils avaient aussi fait des convertis. Les missionnaires étaient au service de tous ces chrétiens. Le premier chrétien de souche royale fut le fils d’une sour du roi, qui prit pour nom de baptême Dom Joao. Joao fut envoyé à Goa en 1555 pour son éducation et il se rendit au Portugal en 1557. Par la suite, il revint à Goa où il se maria avec une femme portugaise et où il résida jusqu’à sa mort en 1587.
En 1551, le roi Buvaneka Bahu mourut et Dharmapala lui succéda. Il était âgé de seize ans et ce fut son père qui administra le royaume en son nom. Ayant appris la mort du roi, le vice-roi portugais à Goa se rendit à Ceylan dans l’intention de mettre la main sur les richesses du défunt, mais il ne put en obtenir qu’une partie. Dharmapala fut aussi invité à se faire chrétien mais il craignait que cela ne soit désapprouvé par ses sujets bouddhistes, lesquels feraient alors appel au roi voisin pour le renverser.

Le premier roi catholique de Kotte

A la mort de son rival en 1555, Dharmapala se sentit plus libre et autorisa les franciscains à prêcher comme ils le voulaient. En 1556, il accepta lui-même le baptême. Trindad rapporte qu’à cette époque il y avait quelque soixante-dix mille chrétiens le long de la côte. En 1557, Dharmapala offrit aux franciscains un certain nombre de temples bouddhistes ainsi que les terres qui leur étaient associées et leurs revenus. Il estimait qu’il était de son devoir de protéger le christianisme depuis sa conversion de même que ses prédécesseurs avaient protégé le bouddhisme. Les franciscains, quant à eux, détruisirent certains des bâtiments bouddhistes et en transformèrent d’autres en églises. Leur approche à courte vue précipita les choses lorsque Mayadunne, qui se faisait le défenseur de la religion nationale, le bouddhisme, attaqua Kotte. Trois franciscains furent tués. Les Portugais, dans l’impossibilité où ils se trouvaient de défendre deux villes en même temps, firent venir Dharmapala à Colombo en 1565. Mais presque tout le royaume de Kotte passa sous le contrôle de Mayadunne. Les églises furent détruites. Plusieurs de ceux qui s’étaient fait chrétiens se reconvertirent.

Dharmapala vécut éloigné de son peuple pendant plusieurs années sous la protection des Portugais. La population le respectait toujours comme un descendant de souche royale. Mais les Portugais ne lui offrirent aucune assistance pour retrouver son royaume. Finalement, il put écrire personnellement au pape en 1574 par l’intermédiaire d’un marchand grec, tant était forte sa méfiance envers les Portugais. Le pape fit part de la requête de Dharmapala au roi du Portugal en juillet 1578. Mais les Portugais ne purent rien faire car, en août de la même année, ils venaient de subir de sérieux revers face aux musulmans locaux, qui avaient toujours vécu en bonne entente avec les bouddhistes et qui craignaient maintenant la concurrence commerciale des Portugais. En 1580, les franciscains avaient persuadé Dharmapala de céder son royaume aux Portugais, de ma-nière à ce qu’une succession catholique puisse être assurée. Il réalisa l’affaire en 1580, et confirma la cession en 1583.

Mais la situation politique à Ceylan continuait de suivre des hauts et des bas. A Sitawaka, le deuxième des trois royaumes bouddhistes de l’époque, Rajasinghe succéda à Mayadunna comme roi en 1582. Il attaqua Kandy, le troisième royaume bouddhiste, et le conquit. Il marcha aussi sur Colombo mais les Portugais réussirent à le contenir. En 1592, le peuple kandyen rejeta Rajasinghe. A sa mort en 1593, il n’y avait plus de roi en mesure de mener une guerre. Les Portugais purent reprendre le royaume de Kotte et se saisir de Bandara, le neveu de Rajasinghe, âgé de douze ans. Dharmapala mourut en 1597 et le capitaine général Dom Jeronimo de Azvedo devint le premier Portugais à diriger le royaume. Bandara fut baptisé sous le nom de Dom Phillip et fut éduqué au couvent franciscain.

L’arrivée des autres ordres religieux

François Xavier fut le premier jésuite à aller en Inde en 1542. D’autres jésuites le suivirent. Ils s’étaient faits une réputation dans le domaine de l’éducation, et pas seulement en Europe. Ils firent plusieurs brèves visites à Colombo. Les résidents portugais de la ville sollicitèrent une présence jésuite permanente. Les franciscains y étaient fortement opposés. Mais l’évêque de Cochin autorisa quatre jésuites à s’y installer en 1602. L’évêque avait résolu la controverse en assignant aux jésuites le territoire situé au nord de la rivière Maya-Oya, et aux franciscains celui situé au sud. En 1605, les dominicains arrivèrent à Ceylan et prirent en charge la région centrale de Sabaragamuwa. En 1606, ce sont les augustiniens qui arrivèrent et se virent attribuer les Quatre Korales.

Le roi de Kandy, Jayaweera Bandara, se montra lui aussi intéressé par la protection des Portugais et il invita les franciscains sur son territoire. Lorsque le premier frère arriva en 1546, le roi reçut le baptême. Il autorisa les franciscains à rester à Kandy. En 1547, ils construisirent une église en l’honneur de Marie Immaculée dans la ville. A sa mort, Karaliyadde Bandara lui succéda et se fit catholique.

Les chrétiens à Mannar sous le ministère de François Xavier

Outre le royaume de Kotte que les trois frères Buvaneka Bahu, Raygam Bandara et Mayadunne s’étaient partagé après avoir assassiné leur oncle en 1521, l’est de Ceylan, de Batticaloa à Trincomalee, était gouverné par un dirigeant tamoul. Le royaume de Jaffna dans le Nord ainsi que Mannar à l’Ouest étaient gouvernés par un autre roi tamoul. Les activités missionnaires à Mannar avaient été initiées par François Xavier, qui prêchait en Inde. En 1544, il envoya à Mannar un ecclésiastique, lui aussi nommé François Xavier. En relativement peu de temps, il avait pu rassembler et baptiser un grand nombre de gens à Mannar. Mais les prêtres hindous se rendirent en délégation auprès du roi de Jaffna et lui rapportèrent non sans exagération ce qui se passait à Mannar. Le roi prit la tête d’un contingent de cinq mille hommes, probablement pendant le dernier trimestre de l’année 1544. Il rencontra peu de résistance et à chacun, sans distinction d’âge, de sexe ni de rang, il fut demandé s’il était chrétien, et chacun répondant positivement fut mis à mort. On considère que cinq cents à six cents personnes furent ainsi tuées.

François Xavier voulut punir le roi de Jaffna pour son crime. Mais les Portugais durent attendre 1560 avant de se lancer à la conquête de Jaffna. Leur tentative fut infructueuse mais ils s’emparèrent de l’île de Mannar et y érigèrent une forteresse. Les franciscains y bâtirent une église. Par la suite, les jésuites servirent à Mannar, après leur arrivée en 1602 – et cela jusqu’à la chute de Mannar entre les mains des Néerlandais en 1658.
A la fin de la période portugaise, les royaumes de Kotte et de Jaffna étaient sous contrôle portugais. Le royaume kandyen restait autonome, même s’il y avait une présence missionnaire. Vers la fin de la période portugaise, il y avait environ cent vingt prêtres catholiques à Ceylan pour quelque 80 000 catholiques dans le Nord et 120 000 dans le reste du pays. Mais le roi de Kandy de l’époque n’appréciait pas la présence d’étrangers à Ceylan et il se servit des Néerlandais pour les en chasser. En 1638, les Néerlandais conquirent Batticaloa dans l’Est et, l’une après l’autre, les forteresses portugaises tombèrent. Colombo fut prise en 1656 et Jaffna en 1658. Ce fut la fin de l’ère portugaise à Sri Lanka. Mais l’inattendu survint : les Néerlandais, autre groupe d’étrangers, se substituèrent aux Portugais.

La présence néerlandaise (1658-1796)

Avant même de prendre le contrôle de Sri Lanka, les Néerlandais avaient eu pour politique de ne tolérer aucune autre religion que l’Eglise réformée néerlandaise dans les territoires placés sous le contrôle de la Compagnie marchande des Indes Orientales. Toute pratique ou tout enseignement d’une autre religion était passible de confiscation des biens, d’emprisonnement, d’exil ou même d’une condamnation à mort.

Répression contre les catholiques et expulsion de tous les prêtres

Quand les Néerlandais eurent conquis Batticaloa en 1638, ils signèrent un accord avec le roi de Kandy stipulant qu’aucun prêtre ou religieux catholique ne serait autorisé à séjourner dans le royaume. Après qu’ils eurent pris le contrôle de tout le territoire auparavant détenu par les Portugais, les Néerlandais décrétèrent en 1682 que les catholiques n’auraient plus le droit : 1.) de se réunir en public ou en privé ; 2.) de participer à l’Eucharistie ou à quelque autre rite catholique ; 3.) d’écouter prêcher la doctrine catholique ou chanter des hymnes, même sans la présence d’un prêtre ; 4.) de garder une statue ou image chez soi ; 5.) de participer en public ou en privé à quelque rite religieux que ce soit célébré par un prêtre vivant secrètement dans l’île ou de passage ; 6.) de recevoir le baptême par un prêtre, pour tout individu, enfant, adulte, ou serviteur ; et enfin 7.) aucun prêtre ne pourrait célébrer l’Eucharistie ni quelque autre rite religieux. Toute personne considérée coupable de la moindre de ces offenses serait condamnée à une amende, à l’emprisonnement, ou à quelque autre peine. Si la personne était un prêtre, il serait banni du pays. Les Néerlandais redoutaient que ceux qui resteraient fidèles à la religion des Portugais pourraient tenter une restauration du régime portugais. En outre, les Néerlandais pensaient que les catholiques locaux se convertiraient alors à l’Eglise réformée et qu’ils pourraient ainsi exercer un meilleur contrôle politique sur le pays.

La ligne politique des Néerlandais n’apporta pas les résultats attendus. Certes, ils réussirent à expulser tous les prêtres catholiques du pays et, comme la condition pour obtenir un poste gouvernemental était de se convertir à l’Eglise réformée, un certain nombre de personnes s’y plièrent. Mais la grande majorité resta fidèle à la religion catholique. Pourquoi donc ? Une raison au moins en était le « clan », structure que reflétait l’organisation des catholiques de Ceylan. Tant que le chef restait intraitable, l’ensemble du clan faisait de même. L’aspect formel de leur fidélité n’était pas dû à une formulation conceptuelle de la doctrine, mais bien plutôt à ce que ces catholiques sous le coup de la persécution considéraient comme étant l’esprit du christianisme. Cet esprit était plus affectif que cognitif et lié à certaines pratiques. Ces pratiques correspondaient à celles de la religion populaire. Ainsi, des catholiques pouvaient publiquement contredire les principes de leur foi, permettre que leurs enfants soient baptisés dans l’Eglise réformée néerlandaise, tout en continuant à se considérer catholiques. Lorsque l’occasion se présentait, un prêtre catholique voyageant par le port de Colombo administrait ses services aux catholiques locaux.

L’arrivée de Joseph Vaz et des oratoriens

Pendant une trentaine d’années, il n’y eut pas de prêtre catholique à Sri Lanka, jusqu’à ce que le P. Joseph Vaz (1651-1711), oratorien, béatifié en 1995, arrive de Goa, déguisé en travailleur. Il avait pensé mettre pied à terre à Jaffna mais, à cause d’une tempête, il atteignit Mannar en 1687. De Mannar, Vaz fit route vers Jaffna. La tactique que Vaz utilisa pour reconnaître les catholiques à Jaffna était de se déplacer en portant ostensiblement un rosaire autour du cou. Aux yeux des protestants, cela aurait relevé de l’abus mais, aux yeux des catholiques, c’était un signe de reconnaissance. Petit à petit, la nouvelle de sa présence se répandit. Il eut l’intention de célébrer la messe dans trois maisons pendant la nuit de Noël 1689, mais les Néerlandais en eurent vent et ils envoyèrent leurs militaires perquisitionner ces maisons. Vaz n’étant pas encore arrivé, il put échapper à toute arrestation. Un autre oratorien, Joao de Braganza, était arrivé en 1689 à Colombo où il se mit au service des catholiques avant de poursuivre sa route vers Puttalam. D’autres prêtres encore arrivèrent.

En 1692, Vaz se rendit à Kandy, mais il fut arrêté, soupçonné d’être un espion portugais, et emprisonné. L’emprisonnement ne fut pas sévère. Il lui fut permis d’ériger une petite tente dans le jardin de la prison et d’y placer une croix. Il y fut souvent vu en prière et, le jour de Noël 1692, il put célébrer la messe sous la tente. En 1693, il fut autorisé à construire une petite maison dans la ville de Kandy et à travailler pour les catholiques des alentours. En 1696, il y eut une sévère sécheresse. La population de Kandy implora ses divinités bouddhistes et hindouistes. Un employé catholique du roi suggéra à ce dernier qu’il demande à Vaz de prier son Dieu. L’histoire dit que Vaz s’agenouilla pour prier et que, peu après, il y eut d’abondantes pluies. En 1697, le royaume kandyen fut la proie d’une peste terrible. Vaz et son compagnon Carvalho, lui aussi prêtre, s’étaient engagés activement dans le soin des blessés et l’enterrement des morts. A la suite de cela, Vaz fut officiellement libéré et obtint la permission de voyager comme il le voulait à travers tout le royaume. Mais il y eut des périodes sombres.
En 1699, des moines bouddhistes portèrent des accusations contre les prêtres catholiques. Ils obtinrent du roi le bannissement de Carvalho. Sa maison et son église furent détruites. Mais Vaz continua de voyager et de servir les catholiques à travers tout le royaume kandyen de 1697 jusqu’à sa maladie en 1707. D’autres oratoriens se joignirent à lui. Parmi eux, il y eut Jacome Gonsalvez (1676-1742) qui arriva en 1705 et qui est considéré comme le père de la littérature chrétienne en singhalais.

Il importe de remarquer qu’au contraire des franciscains, Vaz n’était pas arrivé dans l’île sous le patronage du roi du Portugal, ni avec l’appui d’une force militaire. Il avait débarqué comme un homme pauvre au service de la religion et de ceux qui étaient dans le besoin. Au contraire des franciscains, il n’avait aucune intention de spolier économiquement les bouddhistes. Même s’il lui est arrivé de souffrir de certains non-chrétiens, dans sa pratique de la charité, il ne faisait aucune distinction de religion. Il est vrai cependant qu’il aurait souhaité voir tous ces gens accepter la foi chrétienne.

La méthode que Vaz utilisait pour organiser les catholiques était simple. Dans chacun des villages où se trouvaient des familles catholiques, il invitait les gens à ériger une chapelle en fonction de leurs moyens et de leurs préférences. Pour chaque chapelle, il y avait un président laïc qui supervisait l’assemblée du dimanche et des jours de fête et préparait la visite du prêtre. S’il n’y avait pas de président, il y avait au moins un sacristain et un catéchiste, qui s’occupaient de l’entretien de la chapelle, visitaient les malades en l’absence du prêtre, lisaient les prières à l’église et aux côtés des malades, assistaient aux funérailles, instruisaient les jeunes et les ignorants. Le président était choisi pour son influence et sa respectabilité ; le sacristain et plus particulièrement le catéchiste pour leur ferveur et leur piété. Ces deux fonctions étaient considérées comme très honorables.

Quand Jacome Gonsalvez arriva en 1705, Vaz le chargea de préparer des textes chrétiens en langue locale. Gonsalvez apprit le singhalais auprès de moines bouddhistes. Il ne fait pas de doute qu’il avait une bonne connaissance de la littérature singhalaise classique. Ses ouvres peuvent être divisées en quatre grandes catégories : textes de controverse (ou polémiques, essayant d’établir la vérité du christianisme, réfutant parfois la doctrine bouddhiste dans un langage qui pouvait offenser les sentiments bouddhistes), textes littéraires (dans chacun desquels il essayait de présenter un thème chrétien en recourant à un langage et une imagerie tirés du contexte culturel singhalais), textes d’exhortation (de trois sortes : édifiants, dévotionnels, et d’instruction), et dictionnaires (vocabulaires, glossaires). Gonsalvez ne rencontra aucune opposition particulière de la part de sa hiérarchie pour son ouvre en singhalais. Mais il composa aussi des ouvres en tamoul. Il fut cependant accusé d’introduire des nouveautés dans ses traductions de prières telles que la Litanie de la Vierge Marie ou la Prière du Seigneur, et il lui fut demandé de les retirer.

Le clergé catholique avait toute liberté de mouvement sur le territoire du royaume kandyen. De là, il se rendait aussi en territoire contrôlé par les Néerlandais pour y rencontrer les catholiques. Certains des ouvrages polémiques de Gonsalvez offusquèrent moines et laïcs bouddhistes. Ceux-ci s’en plaignirent auprès de l’ambassadeur néerlandais dans le royaume kandyen, ce qui attisa sa colère. En 1746, il y eut une manifestation devant le palais royal. Le roi finit par sévir en bannissant les prêtres catholiques de son royaume en 1747. Ils se réfugièrent dans le Vanni, au Centre-Nord, où le dirigeant local leur permit de résider.

Levée des mesures répressives des Néerlandais

L’opposition au pouvoir néerlandais et plus particulière-ment à leur politique religieuse commença notamment à Negombo, et se propagea à peu près partout. En 1762, les catholiques adressèrent une pétition aux autorités néerlan-daises : ils rappelaient qu’ils avaient su coopérer avec les Néerlandais et demandaient en conséquence la reconnais-sance de leurs prêtres et le libre exercice de leur religion. Les Néerlandais prirent la requête en considération et déci-dèrent de suivre la même politique que celle alors en vi-gueur en Hollande, à savoir que les catholiques ne seraient plus forcés d’avoir leurs mariages célébrés par un ministre de l’Eglise réformée, mais devant un officier civil. Cette concession fut progressivement reconnue aux autres régions sous contrôle néerlandais. Mais la même concession supposait aussi que les catholiques devaient payer certaines taxes à l’occasion d’un mariage ou d’un décès.

En 1748, il y eut une série de disputes entre le royaume kandyen et les Néerlandais concernant les dispositions relatives au commerce de la cannelle, des éléphants et des perles, raison d’être du pouvoir colonial. En 1753, il y eut une confrontation militaire. Les Kandyens conquirent les forteresses néerlandaises à Hanwella et Matara. A cette époque, le pouvoir portugais en Inde s’effondrait tandis que s’étendait la domination britannique. Le roi de Kandy essaya de jouer des Anglais pour évincer les Néerlandais. Il n’y réussit pas, malgré la visite que lui rendit un délégué britannique. Les Néerlandais, qui avaient eu vent de cela, tentèrent de conquérir le royaume kandyen, sans succès. En 1766, les deux parties signèrent un traité de paix.

Entretemps, de plus en plus de prêtres arrivaient : quinze en 1777, dix-huit en 1782, et seize en 1795. Tandis que Vaz avait insisté sur le fait que les prêtres devaient connaître le singhalais et le tamoul, nombre de nouveaux arrivés négligeaient d’apprendre les langues locales. Il leur manquait l’esprit de sacrifice et la ferveur des oratoriens des premiers temps, et leur mode de vie était loin d’être exemplaire. Quoi qu’il en soit, ce furent ces prêtres qui s’occupèrent des catholiques jusqu’à la fin de la présence néerlandaise (1796) et pendant les cinquante premières années de l’ère britannique à Sri Lanka.

Le pouvoir britannique en Inde s’était progressivement étendu jusqu’à Ceylan. En 1795, les Anglais conquirent plusieurs forteresses néerlandaises (Trincomalee, Mannar, Kalpitiya, Negombo) et, avec la chute de Colombo en 1796, le territoire de Ceylan contrôlé par les Néerlandais passa entre les mains des Anglais.

La présence britannique (1796-1948)

Lorsqu’ils accédèrent au pouvoir à Ceylan en 1796, les Anglais maintinrent une position de stricte neutralité sur la question religieuse.

La liberté de religion à Ceylan

En août 1796, le général James Stuart de l’armée britannique, qui administrait le pays depuis la conquête du territoire auparavant détenu par les Néerlandais, déclara que tous les prêtres catholiques seraient libres d’exercer leur ministère religieux et que les catholiques pourraient célébrer les mariages dans leurs églises. En 1806, le gouverneur britannique à Ceylan, Thomas Maitland, révoqua les mesures auparavant en vigueur à l’encontre des catholiques et leur reconnut une totale liberté de la pratique de leur religion, décision qui prit effet le 4 juin de cette année-là, jour de l’anniversaire du roi d’Angleterre.

Le fait est que les Anglais étaient venus avec leur propre religion – l’Eglise anglicane – qui était étroitement associée à l’Etat britannique. Mais la neutralité qu’ils professaient ne s’appliqua guère aux autres confessions non chrétiennes. D’un côté, la majorité des officiels anglais étaient chrétiens. D’un autre côté, le processus de socialisation à l’occidenta-le était confié aux Eglises. C’est ainsi que les Eglises chré-tiennes, justement parce qu’elles servaient d’instruments de socialisation, acquirent de plus en plus de pouvoir dans le domaine politique. Le bouddhisme au contraire n’avait aucune reconnaissance officielle. C’est ce qui explique, même après l’indépendance, des phénomènes sociaux comme les événements de 1956.

Le ministère des oratoriens d’Inde qui avait commencé avec Joseph Vaz continua pendant une cinquantaine d’années encore au début du règne britannique. En 1833, le roi du Portugal supprima les ordres religieux dans son pays. L’année suivante, cette mesure s’étendit aux colonies portugaises et c’est ainsi que les oratoriens de Goa disparurent en 1835. Les anglicans, arrivés avec les Britanniques, établirent le diocèse de Colombo en 1845, et James Chapman en fut nommé le premier évêque. D’autres confessions encore arrivèrent dans l’île : la Société pour la Promotion de la Connaissance chrétienne en 1801 (qui compta 119 baptêmes dans sa première année, dont 84 de catholiques) ; la Baptist Missionary Society en 1812 ; les Wesleyan Missionaries en 1815 (qui avaient établi 54 écoles en 1828) et la Church Missionary Society en 1815.

L’impact des Eglises chrétiennes non catholiques se fit sentir notamment à travers le système scolaire. A l’époque des Néerlandais, les catholiques n’avaient pas d’écoles – il leur était déjà difficile d’avoir des églises. Mais, maintenant qu’ils avaient recouvré la liberté de culte, il leur manquait l’ardeur et l’enthousiasme. Ils avaient pu construire des églises seulement vers la fin de la période néerlandaise lorsque les mesures répressives avaient été levées. On rapporte que, vers 1783, il y avait ainsi quelque quatre cents églises, en fait guère différentes de sommaires abris. A l’époque britannique, la grande priorité des catholiques fut de construire des églises permanentes.

En outre, l’anglais n’était pas la langue des oratoriens à Ceylan. Or, sous les Britanniques, ce fut bien sûr l’anglais qui devint la langue de l’administration, dont la connaissance était nécessaire pour obtenir certains postes gouvernementaux. Les Eglises chrétiennes non catholiques, qui avaient établi des écoles, surent pourvoir à ces besoins nouveaux et faire venir des professeurs de Grande-Bretagne. Malheureusement, ces écoles devinrent aussi des outils de prosélytisme. Sir James Emerson Tennent en 1850 parle de « l’influence conjointe de l’éducation et des prêches, qui ne sont pas des activités indépendantes mais complémentaires.

Le royaume kandyen était resté indépendant jusqu’en 1815 lorsque les Anglais s’en emparèrent. Ils signèrent alors la Convention kandyenne dans laquelle il était déclaré : « Le Rajah (roiSri Wickrema Rajah Sinha, ayant failli à ses devoirs sacrés de souverain, a perdu toute prétention à ce titre et aux pouvoirs subséquents, et est déclaré déposé de sa fonction de roi » (cité par : Vimalananda, p. 201). Les Britanniques de leur côté s’engagèrent à maintenir et à protéger les rites, ministres et lieux de culte des bouddhistes. Ce qui ne fut pas compris à l’époque était que, les Anglais étant chrétiens, ils comprendraient cette entreprise d’une manière différente de ce que les bouddhistes auraient pu en attendre. Cette question ne fut réglée que par la Constitution républicaine de 1972.
L’Eglise catholique à Ceylan fut d’abord placée sous la juridiction de Goa, puis sous celle de Cochin. En 1834, le pape Grégoire XVI en fit un vicariat. Cependant, il ne put arriver à trouver comme il le souhaitait un premier vicaire autochtone et anglophone. En 1938, il nomma finalement Vincente de Rosayro, un Indien déjà en poste à Ceylan. A sa mort, il fut remplacé par Caitano Antonio. Ce fut à l’époque de ce dernier (1843-1857) que les missionnaires européens commencèrent à revenir. Le premier à être envoyé par la Propagation de la Foi de Rome fut un oratorien italien, Orazio Bettacchini en 1842. En 1845 arriva le premier silvestro-bénédictin, Joseph Bravi, un Italien lui aussi, suivi de deux cisterciens, Freilano Oruna et Firenzo Garcia. En 1847, la Propagation de la Foi envoya quatre prêtres diocésains à Ceylan. En vue d’assurer la succession du vicaire Antonio, Bettacchini fut nommé coadjuteur d’Antonio en 1845, avec spécialement sous sa responsabilité le nord de Ceylan. Les prêtres indiens à Ceylan s’opposaient à la nomination d’un Européen comme évêque, mais Rome ignora les protestations et désigna finalement Bettacchini.

Bettacchini était soucieux d’obtenir des prêtres anglopho-nes pour Ceylan. Il se rendit en Angleterre, sans succès. A son retour à Rome, il rencontra en 1847 le fondateur des oblats de Marie Immaculée, Mgr Eugène de Mazenod. En fait, les oblats avaient déjà exprimé leur souhait de venir à Ceylan, mais la Propagation de la Foi n’avait pas répondu à leur requête. Cette fois, il fut convenu que les oblats viendraient. A cet effet, Jaffna fut constitué en vicariat séparé en 1847, sous la responsabilité de Bettacchini.

Les premiers oblats arrivèrent en 1847. Ils étaient déjà dix-neuf lors de la mort de Bettacchini en 1857. Le territoire dont ils avaient la charge restait confiné au Nord. L’oblat Stephane Semeria (1813-1868, originaire de Vintimille) fut nommé coadjuteur du vicariat de Jaffna et fut ordonné évêque par le fondateur des oblats lui-même en 1856. Il succéda à Bettacchini. Les silvestro-bénédictins étaient en poste dans le vicariat de Colombo et, à la mort de l’oratorien Antonio en 1857, Bravi, qui avait été nommé coadjuteur en 1849, lui succéda.

Les vicariats de Jaffna et de Colombo étaient en conflit sur la question de la délimitation de leurs juridictions respectives. L’un de ces litiges concernait le sanctuaire Sainte Anne de Talawila, lieu de pèlerinage qui de ce fait constituait aussi une importante source de revenus. Chacun des deux vicariats souhaitait l’avoir sous sa juridiction. Sur le rapport d’un visiteur spécial de Rome, il fut décidé que Talawila et sa région jusqu’à Chilaw seraient inclus dans le vicariat de Jaffna, mais à la condition que chaque année un cinquième du revenu du sanctuaire soit remis au vicariat de Colombo.

Une autre affaire, d’une importance encore plus grande, fut la différence d’opinion entre les vicaires de Jaffna et de Colombo concernant le système scolaire. L’éducation était placée sous la tutelle de la Commission scolaire centrale et Bravi était le seul catholique à en être membre. Il montra peu d’enthousiasme pour les écoles catholiques et autorisa les catholiques à fréquenter les écoles gouvernementales. Or celles-ci étaient liées de très près aux Eglises protestantes. Le vicaire de Jaffna était d’un avis opposé. Mais aucun des vicariats ne put trouver de solution au problème.

Bravi mourut en 1860 et se posa la question de sa succession. Eugène de Mazenod, le fondateur des oblats, suggéra à Rome que Semeria soit transféré à Colombo. Les silvestro-bénédictins s’y opposèrent. Le bénédictin Sillani fut alors nommé en 1863. Sillani se montra très concerné par la question scolaire. En 1865, il y avait vingt-sept écoles de garçons en singhalais et quatre en tamoul, ainsi que onze écoles de filles en singhalais et trois en tamoul. Sillani essaya d’en augmenter le nombre. Il était particulièrement soucieux d’établir une école en anglais, laquelle pourrait aussi servir de petit séminaire pour les candidats à la prêtrise. Le monastère bénédictin de Kotahena (Colombo) fut transféré à Kandy en 1867. Il y eut alors un développement de l’activité missionnaire à Kandy. Sillani chargea les frères des Ecoles chrétiennes d’établir une école en anglais dans les locaux de l’ancien monastère de Kotahena. Les cours commencèrent en 1868 avec 204 élèves. En 1867, Sillani posa la première pierre de l’école de filles qui devait être placée sous la tutelle des sours du Bon Pasteur en 1869. A l’époque de la mort de Sillani, il y avait 123 écoles dans le vicariat de Colombo.

L’évêque Sillani racheta en 1870 le Ceylon Catholic Messenger, qui avait été lancé en 1869 par un laïc catholique ceylanais, Francis Fonseka, afin de défendre l’Eglise catholique contre ses ennemis. Il racheta aussi son équivalent singhalais, lancé par un autre laïc local, Juan Pranandu, en 1866. Ces deux journaux fonctionnèrent alors comme gazettes officielles de l’Eglise catholique. En outre, les ouvres de Jacome Gonsalvez furent aussi imprimées et diffusées. Une imprimerie fut installée à Jaffna en 1871 et le Jaffna Catholic Guardian commença de paraître en 1876. Il convient de rappeler que la première imprimerie en singhalais avait été introduite à Ceylan par les Néerlandais en 1736 et avait été utilisée essentiellement pour l’impression de tracts religieux. La Bible Society eut sa propre presse en 1812 et la Wesleyan Mission en 1862 – le clergé bouddhiste en 1862 aussi.

Les débats publics : chrétiens versus bouddhistes

Il a été fait mention du malaise qui avait résulté des ouvres apologétiques de Gonsalvez qui eurent pour résultat le bannissement par les bouddhistes des prêtres catholiques du royaume kandyen. Mais les protestants devaient aussi avoir une leçon à apprendre. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, des pasteurs prirent part à un débat public avec des représentants bouddhistes sur la foi dans leurs confessions respectives. Le premier débat eut lieu à Baddegama en 1864 entre George Parsons (un pasteur anglican) et trois moines bouddhistes. Le deuxième débat, dit « controverse de Panadura eut lieu en 1873 à Panadura entre David de Silva (un pasteur wesleyen) et le célèbre moine bouddhiste Migettuwatte Gunananda. Chacun présenta ses arguments – sans que l’autre put vraiment le comprendre. Ce qui ressort de la lecture de ces débats avec le recul, c’est que l’exposé chrétien se voulait conceptuel et logique, axé sur la vérité de la connaissance – ce qui n’était pas la préoccupation de l’exposé bouddhiste, fondé au contraire sur une notion existentielle de la validité de la connaissance. Les bouddhistes considérèrent que ces débats se concluaient comme une proclamation publique de la supériorité de leur religion. Les bouddhistes se sentaient d’autant plus encouragés que certains gouverneurs britanniques, notamment William Gregory (1872-1877), eurent certains égards pour le bouddhisme. Mais il y eut aussi des troubles entre les deux communautés : ainsi des émeutes de 1883 lorsqu’une procession bouddhiste quelque peu bruyante arriva à un temple à Kotahena tandis qu’avait lieu le service de la Semaine Sainte dans l’église catholique du quartier. En 1889, fut publié sous le titre Durvida-hrdaya-vidaranaya un volume d’attaques virulentes contre le christianisme, et plus particulièrement le catholicisme. On peut remarquer qu’en 1956, la réponse à une publication catholique, Rodaya était une réimpression d’un chapitre du livre publié en 1889 et intitulé Kanni Mariyage Hati.

Les oblats à Colombo et Jaffna, les bénédictins à Kandy

Concernant les missions, les bénédictins ne furent pas en mesure d’augmenter le nombre des prêtres travaillant dans leur vicariat, tandis que les oblats bénéficiaient d’un plus grand soutien de l’étranger. Mais les bénédictins ne voulaient pas pour autant se défaire du vicariat de Colombo. Lorsqu’après la mort de Sillani, Clement Pagnani fut nommé à Colombo en 1879, il essaya de persuader ses confrères bénédictins de laisser le vicariat de Colombo aux oblats, mais il ne put obtenir l’unanimité. En 1882, Pagnani proposa à Rome que les oblats prennent en charge les vicariats de Colombo et de Jaffna, et que la région centrale de l’île soit sous la responsabilité des bénédictins. Rome accepta l’année suivante et Pagnani fut transféré à Kandy. André Melizan (né à Marseille), qui était coadjuteur de Jaffna, prit en charge le vicariat de Jaffna, tandis que Christophe Bonjean, O.M.I. (1823-1892 – né à Clermont), fut nommé à Colombo.

La formation des prêtres

Jaffna était quelque peu en avance sur Colombo concernant l’éducation et la vocation des prêtres autochtones. A Jaffna, Bettacchini avait inauguré le Jaffna Boys Seminary (qui devait devenir le St. Patrick’s College), où l’enseignement se faisait en anglais. En 1864, ces écoles étaient au nombre de six. En 1862, les Sours de la Sainte Famille de Bordeaux, la première congrégation féminine à venir à Sri Lanka, prirent en charge une école de filles en anglais qui avait ouvert ses portes douze ans auparavant et avait été jusqu’alors dirigée par une Irlandaise. Bonjean, le successeur et continuateur de Bettacchini, ouvrit un séminaire à Jaffna en 1871 (devenu en 1874 le St. Martin Seminary) qui formait aussi bien des oblats que des prêtres diocésains. Quand Bonjean fut transféré à Colombo en 1883, il lança la même année le St. Bernard Major Seminary, qui forma oblats et prêtres diocésains pendant soixante-douze ans avant de fusionner avec le National Seminary d’Ampitiya (près de Kandy) en 1955.

Une initiative d’importance pour la formation des prêtres non seulement à Sri Lanka mais aussi en Inde et en Birmanie fut la création du séminaire pontifical sous l’égide du nonce apostolique Ladislaus Zaleski (né en Pologne). Il fut établi à Ampitiya en 1893. Dans son message à cette occasion, le pape Léon XIII déclara : « Ce sont vos fils qui seront les ministres de votre salut. » – et il en fut ainsi. Nombre d’évêques indiens ont été élèves de ce séminaire. Il fut dirigé par les jésuites et, à partir de 1926, il fut autorisé à décerner des diplômes, y compris le doctorat. Lorsque les jésuites transférèrent le séminaire pontifical à Poona en Inde en 1955, les oblats prirent en charge l’administration du séminaire d’Ampitiya. Ce dernier revint finalement à la Conférence épiscopale de Sri Lanka en 1972. Un institut pour la formation des candidats à la prêtrise dans les diocèses des provinces Nord et Est avait été établi à Jaffna pendant quelque temps mais, à la suite des pogroms anti-Tamouls de 1983, cet institut enseigne désormais la théologie, de même que le St. Francis Xavier Seminary. Et l’on peut se demander dans quelle mesure le séminaire d’Ampitiya peut encore être qualifié de « national ».

Les écoles confessionnelles

Après son transfert à Colombo en 1883, Bonjean devint le père spirituel du système des écoles confessionnelles. Son idée de base était que l’éducation devait être liée à la religion, aussi bien au foyer qu’à l’école. Ceci fut un succès non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour toutes les autres religions. Ainsi le même moine bouddhiste Gunananda Thero qui avait participé au débat de Panadurai fut un pionnier du Ananda College (1887), le plus important collège bouddhiste. Il contribua aussi au développement de deux écoles de formation de moines bouddhistes (ou pirivenas), le Vidyodaya Pirivena (1873) et le Vidyalankara Pirivena (1875) – qui ont été constituées en universités d’Etat en 1957. Bonjean souhaitait ouvrir une école en anglais et, en 1892, il désigna les PP. Thomas Guglielmi (né en Corse) et Charles Lytton (originaire d’Irlande) pour mener ce projet à bien : le St. Joseph’s College à Maradana (un quartier de Colombo) ouvrit ses portes en 1896.

Les religieuses

Après l’installation des Sours de la Sainte Famille de Bordeaux en 1862, de nombreux autres ordres de religieuses suivirent : les Sours du Bon Pasteur en 1869, les Missionnaires Franciscaines de Marie en 1886, les Petites Sours des Pauvres en 1888, les Sours de la Charité en 1896, les Sours carmélites en 1922. Les carmélites furent le premier ordre de sours contemplatives : elles établirent leur monastère en 1935 à Mattakuliya (quartier nord, pauvre de Colombo).

Les religieuses qui venaient à Ceylan n’étaient pas prêtes à admettre des jeunes filles locales dans leurs institutions. Des initiatives furent prises afin d’établir des instituts religieux autochtones. Mgr Sillani inaugura celui des Sours de Saint François Xavier en 1871, ainsi qu’une seconde branche à Bolawalana en 1875 : il en remit la direction aux Sours du Bon Pasteur. En 1900, les deux sections furent rassemblées. En 1957, les Sours de Saint François Xavier (environ cinq cents à cette époque) furent associées aux Sours du Bon Pasteur. L’évêque de Galle au sud de l’île, Mgr Joseph van Reith, installa l’ordre des Holy Angel Sisters dans son diocèse en 1903. Pour les hommes, un institut local pour la récitation perpétuelle du rosaire et la pratique de la pénitence fut établi à Tholagatty en 1928. Une branche du même institut fut établie pour les religieuses en 1948.

L’établissement de la hiérarchie

En 1887, le système de vicariat de l’Eglise catholique à Sri Lanka fut changé en un système épiscopal régulier. L’évêque de Colombo devint archevêque et celui de Jaffna suffragant. En 1893, deux nouveaux diocèses furent créés à Galle et Trincomalee. En 1939, ce fut le diocèse de Chilaw.

Pendant la guerre, la nouvelle arriva à Ceylan que les Japonais étaient sur le point de débarquer à Ceylan, en 1944. Mgr Masson (originaire de Chambéry) fit le vou de construire une église en l’honneur de Marie si Ceylan était épargnée. Ce fut le cas, de justesse d’ailleurs. Et c’est ainsi que fut construite la basilique Notre Dame de Lanka, laquelle devint un lieu de pèlerinage. Our Lady of Lanka, protectrice de l’île, est fêtée le 4 février (le jour anniversaire de l’indépendance de l’île acquise des Britanniques).

Après l’indépendance (de 1948 à aujourd’hui)

L’indépendance politique de Sri Lanka obtenue des Britanniques en 1948 n’altéra pas l’état de fait : la position de supériorité dont jouissaient les chrétiens depuis l’époque britannique. Après l’indépendance, nombre de Sri-Lankais considéraient que la Chine était le modèle à suivre, parce que le peuple voyait satisfaits ses trois besoins essentiels : nourriture, logement et habillement. Cela suscita une peur du marxisme dans l’Eglise catholique. Le communisme était perçu comme une menace planant sur le monde. Le Saint-Siège à Rome avait promulgué des avertissements et des décrets en vue de la contrer. Entre 1948 et 1951, la hiérarchie locale se fit l’écho de ces craintes. L’Eglise n’avait pas réalisé que pendant les dernières décennies du colonialisme britannique, la gauche à Sri Lanka avait été particulièrement active, et qu’elle avait réussi, non seulement dans les villes mais dans les campagnes aussi, à représenter un réel facteur de changement luttant contre le système de castes, le communautarisme, le sectarisme religieux, etc.

Une Eglise chrétienne avec un parfum local : premières tentatives

En vérité, les Eglises chrétiennes, et l’Eglise catholique plus particulièrement, vivaient chacune plus ou moins renfermées dans leur milieu. Au XIXe siècle, il n’y eut aucun réel effort pour ouvrer en vue d’une Eglise vraiment enracinée dans le pays. Ce ne fut qu’au début du XXe siècle que des tentatives éparses eurent lieu. Certaines personnalités, sans forcément avoir bien saisi les changements qui apparaissaient, eurent cependant des intuitions justes. Il en fut ainsi du Trinity College à Kandy : créé en 1857 sous le nom de Kandy Collegiate School (fermé en 1863 puis rouvert en 1872), il tenta de transplanter la tradition anglaise des Public Schools à Ceylan. En 1926, McLeod Campbell, principal du collège (1924-1935), lança le projet de construction de la chapelle du collège. Dans un livret intitulé Une chapelle singhalaise pour le Trinity College à Kandy, Campbell écrivait en 1926 : « Notre chrétienté aurait risqué d’être dénoncée comme un élément étranger si les bâtisseurs du Trinity College s’étaient montrés insensibles à l’enthousiasme suscité par la redécouverte des ruines, et s’ils avaient manqué de s’y associer en préférant revenir à une architecture d’un type exotique (sic), gothique, classique, ou byzantin. » La chapelle reste aujourd’hui un monument empreint de cet effort de concilier le culte chrétien et le contexte culturel ancien du pays.

L’évêque anglican, Lakdasa de Mel (premier évêque de Kurunegala en 1950, puis élu évêque de Calcutta et de la Métropole d’Inde, Pakistan, Birmanie et Ceylan en 1962), était très conscient du besoin d’inculturation dans l’art et la liturgie. Danses et tambours kandyens furent introduits dans le culte anglican dès 1956. Par la suite, le Bharatha Natyam, danse d’Inde du Sud, fut aussi incorporé. Même avant cela, le Student Christian Movement fut un forum pour plusieurs générations d’étudiants chrétiens où l’Evangile devait relever les défis de l’époque. Dès les années 1940, l’organisation s’était engagée dans différents projets de recherche. Il était en interaction permanente avec le South Asian Christian Students’ Movement et maintenait des liens avec la World Students Christian Federation. Une autre tentative de vivre la vie locale fut le Christaseva Ashram, fondé à Jaffna en 1931.
De nombreux ouvrages ont été écrits sur l’histoire de Ceylan. Mgr Edmund Peiris, évêque de Chilaw (1940-1972), a étudié l’histoire de l’Eglise à Ceylan. Il était aussi musicien et appréciait la culture locale. Il coopta un prêtre de Goa, Alfred Lobo, qui l’aida à étudier les sources portugaises. Le jésuite S. G. Perera a aussi abondamment écrit sur l’histoire de l’Eglise à Sri Lanka. Un prêtre de l’archidiocèse de Colombo, W. L. A. Don Peter, reste un contributeur d’importance dans l’étude scientifique de l’histoire de l’Eglise catholique, aussi bien en anglais qu’en singhalais. Le jésuite italien Vito Perniola, arrivé en 1936, a traduit et publié les documents relatifs à l’histoire de l’Eglise à Sri Lanka écrits dans différentes langues coloniales (plus d’une douzaine de volumes à ce jour). Martin Quéré, O.M.I. (né en Bretagne en 1924, arrivé en 1948 et, à ce jour, toujours professeur au National Seminary d’Ampitiya), a travaillé avec une rare précision critique sur la période portugaise. Malheureusement, il ne semble pas qu’il y ait de jeunes historiens pour poursuivre ce travail de recherche.

La montée du nationalisme : l’élite rurale sur la scène politique

Lorsque les Britanniques accordèrent l’indépendance politique à Ceylan, l’élite locale de l’époque était formée sur un même mode de pensée. Malgré tout, il y avait des luttes de pouvoir au sein même de cette élite. Or, le pouvoir, dans une démocratie, est proportionné au nombre de votes. C’est ainsi qu’un diplômé d’Oxford de l’époque britannique, S. W. R. D. Bandaranaïke, réalisa qu’il pourrait arriver au pouvoir en s’attachant le soutien de l’élite rurale. C’est ce qui se passa en 1956. Il renonça publiquement à sa foi anglicane et embrassa le bouddhisme. Il obtint ainsi le soutien des « cinq grandes forces » au niveau du village : les moines bouddhistes, les médecins traditionnels, les professeurs en langue locale, les cultivateurs et les travailleurs.

Le résultat ne fut pas la renaissance de la langue et de la culture singhalaises. Ceci fut plutôt le fait du mouvement Heva Havula, lancé par Munidasa Kumaratunga en 1941, qui n’était en aucune manière un mouvement raciste. Une grande figure de ce mouvement, Sir Charles Silva, traduisit des textes de littérature tamoule en singhalais. Ce qui arriva au contraire avec le Premier ministre Bandaranaïke, ce fut une politisation de la langue, des coutumes, et de la religion. Le singhalais fut déclaré langue nationale unique. Les Tamouls sentirent la discrimination se mettre en place. Un accord fut ensuite passé avec le leader tamoul Chelvanayagam, mais abrogé six mois après. Un moine bouddhiste assassina Bandaranaïke en 1959.

Tamouls et chrétiens furent les uns comme les autres de nouvelles cibles, accusés de jouir de trop de privilèges. La première phase de cette montée du nationalisme parmi les Singhalais vit le conflit politique s’exprimer en termes religieux, prenant le passé comme référence – les chrétiens en furent la cible. Dans la seconde phase, le conflit s’exprima en termes de lutte ethnique – et les Tamouls devinrent la cible.

Une lutte pour le pouvoir exprimée en termes religieux

La Commission bouddhiste fut significative à cet égard. Le All Ceylon Buddhist Congress s’en vit proposer la constitution en 1953 et les membres en furent nommés en 1954 : sept membres éminents du Sangha (clergé bouddhiste) et sept bouddhistes laïques. Ils eurent des entretiens avec de nombreuses personnes et publièrent leur rapport en 1956.

Une des questions importantes soulevées dans le rapport était celle de l’éducation. Le fait est que les écoles de villages ne dispensaient qu’une éducation primaire et secondaire plutôt élémentaire, au contraire des villes. Toutes ces écoles étaient gérées et financées par le gouvernement – il y avait peu d’écoles indépendantes. Le rapport de la Commission affirmait qu’un enfant chrétien avait une chance sur 200 d’entrer à l’université, un enfant hindou une sur 500, et un enfant bouddhiste une sur 1 000. Outre l’accès à l’université, une autre question fut soulevée concernant le fait que les enfants des confessions autres que chrétiennes ne bénéficiaient pas d’une éducation religieuse les concernant dans les écoles confessionnelles. En fait, les enfants de confessions non chrétiennes étaient admis dans ces écoles sur décision de leurs parents, qui étaient au courant de cela lorsqu’ils faisaient la démarche d’admission. Et ces parents optaient pour une école confessionnelle parce que la qualité de l’éducation et la discipline étaient souvent meilleures que dans les écoles gouvernementales. La recommandation de la Commission bouddhiste était que toutes les écoles confessionnelles soient nationalisées. C’est ainsi que les lois passées en 1960 et 1961 décidèrent de la nationalisation sans compensation. En référence au Congrès pour les laïcs de Rome tenu en 1921, une grande série de manifestations de chrétiens, surtout catholiques, furent lancées, prétendument « spontanées mais en fait préparées par l’Eglise. Finalement, ce fut par l’intervention du cardinal Gracias, archevêque de Bombay, que la hiérarchie accepta d’y mettre un terme. Toutes les écoles rurales furent remises à l’Etat. Une quarantaine d’écoles en secteur urbain furent préservées, sachant qu’elles ne pourraient recevoir aucune aide de l’Etat ni prélever de frais d’inscription. La situation devint vite invivable et plusieurs d’entre elles furent cédées au gouvernement.
Les suspicions à l’encontre des chrétiens n’étaient pas encore apaisées qu’une tentative de coup d’Etat pour renverser le gouvernement fut déjouée en janvier 1962 : tous les suspects étaient chrétiens.

L’affaire des écoles et la manière dont elle se termina montra l’Eglise catholique au plus bas de son pouvoir de persuasion. Par la suite, l’Eglise collabora pendant quelque temps avec le pouvoir en place sans revendiquer de droits particuliers. Lorsque, dans les années 1970, les jours de Poya (marquant les quatre phases de la lune) furent déclarés congés hebdomadaires et que le dimanche devint un jour ouvré, l’Eglise ne protesta pas. Finalement, le gouvernement réalisa que cela n’était pas viable sur le plan économique. Mais il semble que la situation ait changé : ainsi en 1999, le jour des élections, qui avait été fixé pour le Vendredi Saint, a finalement pu être déplacé.

Le Concile Vatican II (1962-1965) et son impact

L’archevêque (et ultérieurement cardinal) Cooray de Colombo (1947-1976) préféra le statu quo. Lors du débat sur le célibat des prêtres pendant le Synode épiscopal de 1971, il devait dire que « l’ouragan n’était pas le meilleur moment pour rénover le toit de la maison » (cité dans : Schillebeeckx, p. 119). Il n’était pas favorable aux change-ments envisagés par le Concile. Mais d’un autre côté, Mgr Leo Nanayakkara, évêque de Kandy (1958-1972), assista lui aussi au Concile, expérience qui fut pour lui décisive.

Après le Concile, plusieurs prêtres s’activèrent à en répan-dre le message et l’esprit. Des contributions remarquables vinrent du P. Nereus Fernando (de l’archidiocèse de Colombo) et des jésuites Michael Catalano et Joe Sommers. Des débats sur le sens et l’état de l’Eglise s’animèrent dans les colonnes du journal Outlook, publié par un médecin, le Dr. W.D. Lionel, puis par Quest, revue publiée par le Centre for Society and Religion. C’est en fait dans quatre domaines au moins que l’esprit de Vatican II a pénétré dans la vie de l’Eglise à Sri Lanka : le renouveau liturgique par le recours aux langues vernaculaires ; le renouveau des structures de l’Eglise avec l’établissement des conseils paroissiaux et la reconnaissance des conseils des prêtres dans les diocèses ; un esprit de dialogue avec les autres religions et les idéologies ; une approche plus radicale des questions sociales et un plus grand engagement des prêtres et des religieux dans les mouvements populaires.

Le Second Synode provincial (1968-1969) qui suivit le Concile institua comme priorités dans l’action pastorale : a.) la participation des laïcs dans tous les aspects de la vie de l’Eglise ; b.) le recentrement sur la dimension sociale de la foi ; c.) rendre compte du rôle des autres fois, religions et idéologies ; d.) la reconnaissance de la nécessité d’un renouvellement pastoral continuel dans un monde en changement permanent. Ce fut un vaste brassage de points de vue différents – au contraire du Synode de 1995, dirigé d’en haut.

Mgr Nanayakkara (1917-1982) se fit le chantre de Vatican II à Sri Lanka. Malheureusement, il resta minoritaire, sans réussir à initier un mouvement de masse. C’était un catholique très traditionnel lorsqu’il avait été ordonné évêque de Kandy en 1959. Mais il a toujours été une personne ouverte et amicale. Ces qualités ont été renforcées sur le plan spirituel par son expérience de Vatican II. Même s’il n’a pas réussi à se battre pour une formulation théologique systématique, son attitude devint une source d’inspiration pour tous ceux qui essayaient de lire les signes du temps et d’y répondre. Dans les années 1960, il se consacra à la réforme de l’Eglise et, dans les années 1970, à l’analyse des thèmes sociaux et des idéologies politiques. « Christ est pour le monde entier, pour tous. Toute grâce est Sienne. De la même manière, aucun parmi les bouddhistes ne peut dire que le Bouddha est seulement pour eux. déclara-t-il (cité dans : England, p. 481). C’est sur son inspiration que le centre Satyodaya fut établi à Kandy en 1972. Il apporta son soutien actif au Centre for Society and Religion et au centre Tulana. Il renonça à l’évêché de Kandy en 1972 pour venir dans le diocèse déshérité de Badulla nouvellement constitué, afin de se rapprocher des exclus de la société. Dans son nouveau diocèse, il lança un programme novateur de formation théologique (School for Ministries) qu’il appela Sevake Sevana : on y vivait en petits groupes, réfléchissant sur le quotidien de l’expérience, étudiant la théologie des rites, lisant les textes sacrés. Mais il ne put gagner les faveurs de la hiérarchie sri-lankaise ni de l’envoyé du pape à Sri Lanka. Le projet fut abandonné peu après sa mort.

L’archevêque anglican de Kurunegala, Mgr Lakshman Wickremesinghe (1927-1983), l’avait accompagné et soutenu dans son approche. Ils étaient aussi des amis très proches. Le souci premier de Wickremesinghe était d’exploiter au mieux les ressources existantes pour le bien de l’humanité, tout en acceptant et respectant l’autonomie et l’intégrité de chaque religion. Il prônait une « réciprocité fondée sur le Christ avec les autres religions et leurs adeptes Il suggéra que l’Eglise opte pour « un socialisme marxiste autochtone s’inspirant pour cela non pas de Marx, mais de la Bible et des autres traditions religieuses à Sri Lanka.

Mgr Nanayakkara ne représentait sûrement pas le point de vue majoritaire de la hiérarchie catholique. De fait, il fut l’objet d’attaques permanentes. Cependant, Mgr Wickremesinghe semble avoir été mieux compris au sein de son Eglise. Et plusieurs des projets qu’il initia avant de devenir évêque (la Christian Workers’ Fellowship et Devasaranaramaya) existent encore à ce jour. En fait, après lui, le diocèse anglican de Kurunegala a eu des évêques qui sont restés ouverts aux courants nationaux. Mais du fait du petit nombre des anglicans, leur impact fut très limité alors qu’ils méritaient mieux.

La période d’après le Concile vit le début d’une tentative de dialogue avec le monde. Cependant, il faut se rappeler que cela n’était pas un simple phénomène de l’après-Vatican II. A l’époque de l’indépendance, il ne faut pas l’oublier, Tamouls et Singhalais avaient travaillé ensemble. Par l’intermédiaire de leur leader, G. G. Ponnampalam, déjà, les Tamouls revendiquaient l’égalité des chances. C’était un temps d’euphorie, et bien des leaders apparaissaient dans la société. Le P. Peter Pillai, un oblat, et recteur du St Joseph’s College à Colombo, n’était pas seulement un pédagogue, il se battait aussi pour la cause de la justice sociale.

Sur l’invitation du gouvernement (une coalition comprenant notamment des marxistes et des trotskystes), le pape Paul VI fit une escale à Ceylan le 4 décembre 1970 à son retour de Manille, et il célébra une messe à l’aéroport. Ceylon fut alors le premier pays bouddhiste au monde à inviter et recevoir un pape. Les décorations étaient traditionnelles et orientales, s’inspirant très franchement des plus anciennes découvertes architecturales bouddhistes. Il fut demandé conseil au prélat bouddhiste, le révérend Mapalagama Vipulasara Thero. Le pape lui-même était particulièrement conciliant. Il resta debout tandis que les moines bouddhistes, assis, psalmodiaient des pirith (strophes extraites des textes bouddhistes) en signe de bienvenue et en guise de bénédiction. Un grand nombre de bouddhistes avaient apporté leur plus parfaite coopération aux préparatifs. Ce fut une visite au nom de la paix. Il en fut tout autrement de la visite de Jean-Paul II en 1995, venu béatifier Joseph Vaz. Ses remarques sur le bouddhisme dans Entrez dans l’espérance avaient soulevé une controverse. Des excuses furent attendues. Des moines bouddhistes firent des manifestations contre la visite. Et le clergé bouddhiste refusa de rencontrer le pape. Dans son discours, celui-ci reconnut les autres confessions de l’île et fit même des citations de textes bouddhistes, mais il n’y eut aucune excuse concernant les vues exprimées dans son livre. Ce n’est qu’après le Synode des évêques pour l’Asie de 1999 que Jean-Paul II déclara : « Les systèmes religieux tels que le bouddhisme et l’hindouisme présentent un caractère très nettement sotériologique. »

Le soulèvement des jeunes

Si les événements et développements qui ont suivi les élections de 1956 ont marqué l’émergence d’une « nouvelle classe » de la société en position de pouvoir, l’insurrection des jeunes qui enflamma le pays le 5 avril 1971 fut justement issue de cette « nouvelle classe » : essentiellement des jeunes ruraux singhalais bouddhistes (3,4 % seulement des insurgés actifs furent des jeunes catholiques). Ces jeunes considéraient que les espoirs qu’ils avaient placés dans le gouvernement nouvellement élu, avaient été réduits à néant. Ceux qui se sont insurgés, regroupés dans le parti JVP (Front de libération du peuple), comptaient parmi les mieux éduqués de la jeunesse rurale, à ceci près qu’ils se retrouvaient sous-employés, voire sans emploi. Parmi les évêques catholiques, seul Mgr Nanayakkara (rejoint en cela par l’évêque anglican de Kurunegala, Lakshman Wickremesinghe, et la Christian Workers’ Fellowship) essaya de comprendre dans ces événements la part du défi dans le ressentiment des jeunes, mais aussi de travailler dans le sens de réformes économiques d’une nature radicale. Les autres évêques soutinrent totalement le gouvernement (à composante fortement marxiste) et condamnèrent les insurgés qu’ils qualifièrent de « jeunes fourvoyés ». Le gouvernement s’engagea dans une répression on ne peut plus brutale (1).

A cette époque, le gouvernement était encore dans le sillage des tendances qui s’étaient dégagées en 1956 et une nouvelle Constitution fut élaborée et mise en place en 1972. L’article 3 statue que le bouddhisme est religion d’Etat, et que ce dernier a pour devoir de protéger et encourager le Buddha Sasana (clergé bouddhiste), tout en garantissant liberté et autonomie à toutes les autres religions. Le nom du pays fut changé et « Ceylon » devint « Sri Lanka » selon sa forme singhalaise. Même si aucune référence particulière n’était faite à la Convention kandyenne de 1815, ces changements semblent porter la marque explicite des aspirations des Kandyens qui l’ont de fait rédigée. La conséquence de cet état de fait est que les autres religions, qui n’ont pas les mêmes garanties constitutionnelles, doivent chaque fois négocier une alliance avec l’autorité politique. La hiérarchie catholique avait compris cela et la formule d’un ministère des Affaires chrétiennes fut proposée dans les années 1980. Il existait déjà des ministères pour les autres groupes religieux – bouddhiste, hindou et musulman. Mais nombre de catholiques se sont exprimés contre ce projet, qui fut alors abandonné. Puis, en 2002, il a été annoncé, sans discussion publique, qu’un ministère des Affaires chrétiennes était créé. Il semble aussi que plusieurs Eglises chrétiennes non catholiques soient opposées à ce ministère.

Se maintenir ou innover ?

Avec pour arrière-plan les événements de 1956 et 1971, l’Eglise catholique se renferma sur elle-même et nombre des mesures qui furent prises devaient isoler ses membres des idées qui pouvaient les « perturber ». Le séminaire national à Kandy, qui avait été administré par les oblats, fut repris en main par la Conférence épiscopale de Sri Lanka en 1972, pour cause de penchants marxistes ; la Fédération des Etudiants catholiques fut supprimée en 1973 ; les contrats des professeurs du séminaire soupçonnés d’idées marxistes furent suspendus ; une certaine forme de censure fut imposée sur la presse catholique.

L’Eglise catholique établit aussi de nouveaux diocèses : à Badulla en 1972, à Mannar en 1981, à Anuradhapura en 1982, à Kurunegala en 1987, et à Ratnapura en 1995. Les diocèses sont maintenant au nombre de onze. Ces tout derniers temps, Mgr Malcolm Ranjith de Ratnapura a été nommé co-secrétaire de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples, à Rome (2002). Il convient de remarquer ici que, d’après le recensement de 2001, les chrétiens sont devenus la plus petite communauté religieuse (environ 7 % de la population), légèrement moins que la communauté musulmane. L’Eglise anglicane compte juste deux diocèses, Colombo (depuis 1845) et Kurunegala (depuis 1950).

Trois instituts d’importance ont été créés dans les années 1970 en périphérie de l’Eglise : le Centre for Society and Religion (d’abord en banlieue puis à Colombo même) par Tissa Balasuriya en 1971, Satyodaya par Paul Casperz à Kandy en 1972 avec le soutien actif de l’évêque de Kandy, Mgr Nanayakkara, et Tulana à Kelaniya par Aloysius Pieris en 1974. Les trois membres fondateurs respectifs sont tous des religieux. Les deux premiers centres s’intéressent avant tout aux réalités socio-économiques et