Eglises d'Asie

Dans l’est du pays, la radicalisation d’une partie de la communauté musulmane inquiète la communauté catholique

Publié le 18/03/2010




Selon le P. Joseph Dunstan, curé de la paroisse catholique Saint-Antoine à Mutur, la petite communauté catholique de la ville se sent menacée, certains craignant même pour leur vie face à la radicalisation croissante d’une partie de la jeunesse musulmane de la ville. Mutur, localité située non loin de la ville de Trincomalee, dans la province est du pays, a été le théâtre ces dernières années de tensions et même de heurts entre musulmans et Tigres tamouls.

Dans cette ville, un jeune catholique a été enlevé à la fin du mois d’août dernier et retrouvé assassiné quelques jours plus tard. Selon le P. Dunstan, les catholiques de Mutur soupçonnent un certain groupuscule musulman, nouvellement fondé et baptisé “Oussama d’être responsable du meurtre. Lors des obsèques d’Adrian Seller, la victime âgée de 21 ans, le P. Dunstan a remarqué que des jeunes musulmans avaient ostensiblement suivi le cortège funéraire et que lui-même avait été suivi lorsqu’il s’était rendu au poste de police pour s’enquérir de l’avancement des investigations. Toujours selon le prêtre, un autre groupe de jeunes musulmans s’est récemment formé, nommé “Djihad et la rumeur dit qu’une liste de douze personnes à éliminer, des jeunes catholiques et hindous, a été dressée par ce groupe. Prenant au sérieux ce qu’il perçoit comme une menace réelle, le P. Dunstan a envoyé à titre de précaution certains jeunes catholiques à Trincomalee et à Batticaloa tandis qu’un certain nombre de catholiques ne dorment plus chez eux la nuit mais autour de l’église. Selon le prêtre, Mutur et ses environs immédiats comptent environ 10 000 familles musulmanes ; résidant en centre-ville, la communauté catholique ne compte que 162 personnes là où, en 1990, elle était forte de 400 fidèles.

Mgr Kingsley Swampillai, évêque du diocèse catholique de Trincomalee-Batticaloa, a confirmé, le 31 août dernier, que les craintes du P. Dunstan étaient fondées. Il a qualifié la situation à Mutur de “précaire”. Dernièrement, a-t-il ajouté, l’ordination sacerdotale d’un séminariste originaire de Mutur a dû être organisée ailleurs qu’à Mutur. “Il ne pouvait être ordonné ni même célébrer sa première messe dans l’église de sa ville d’origine” car un tel événement aurait pu aisément être interprété comme une démonstration de force des catholiques dirigée contre les musulmans.

Pour les responsables politiques de la communauté musulmane de la région, les menaces exercées par les jeunes musulmans sur les catholiques n’existent pas. Selon K.M. Thoufeek, membre du Parti du Congrès musulman du Sri Lanka (SLMC) et député de la circonscription de Trincomalee à l’Assemblée nationale, la mort d’Adrian Seller est “très regrettable”. Il ajoute toutefois que, si les musulmans sont harcelés, “on ne peut garantir que les responsables musulmans pourront empêcher la jeunesse musulmane de prendre les armes pour se défendre et défendre la communauté musulmane”. Il explique que la tension entre catholiques et musulmans à Mutur remonte aux années 1985-1990 lorsque des catholiques de la ville se sont joints à des cadres du LTTE, les Tigres tamouls, pour lancer des attaques contre des musulmans.

De fait, rappelle pour sa part le P. Dunstan, les tensions entre catholiques et musulmans remontent à ces années-là. En 1990, l’église Saint Antoine, une desserte de la paroisse et un temple méthodiste ont été incendiés. Mais, pour Mohammed Anifa Mohammed Rafeek, ancien président du Conseil municipal de Mutur, s’il est vrai que les responsables religieux de la communauté musulmane ne sont pas en mesure de dicter leur conduite aux jeunes musulmans, il est faux de dire que des groupes extrémistes ont été fondés. “Ce sont des rumeurs lancées par le LTTE plaide-t-il.

Pour les observateurs, la tension qui se fait jour à Mutur est significative d’une radicalisation de la communauté musulmane du Sri Lanka (1). Face à l’enlisement du processus de paix entre les Tigres tamouls et Colombo, les musulmans du pays, qui vivent en majorité dans la province est, sont résolument opposés au plan du LTTE visant à les intégrer dans la zone autonome qui rassemblerait, sous l’égide des Tigres, le nord et l’est du Sri Lanka. Certains parmi la communauté musulmane, forte de 1,3 millions de membres, évoquent ouvertement la perspective de prendre les armes pour se défendre des visées hégémoniques des Tigres tamouls. Le 19 août dernier à Colombo, Ferial Ashraff, principal responsable de l’Alliance nationale pour l’unité, le second parti musulman après le SLMC, a déclaré : “Il peut advenir qu’il ne reste plus d’autre option pour les musulmans que de prendre les armes et de se battre.” Au sein du SLMC, qui fait partie de la coalition gouvernementale du Premier ministre Ranil Wickremesinghe et dont les douze députés sont essentiels à la très courte majorité soutenant l’actuel gouvernement, l’analyse est la même. Hashan Ali, secrétaire général de ce parti, se dit opposé au recours à la violence mais inquiet au cas où les musulmans seraient obligés de vivre sous le contrôle des Tigres. Selon certains analystes, les Tigres tamouls, qui règnent de facto dans le nord et l’est du pays, cherchent à entraîner la communauté musulmane dans un cycle de violence où, soumis à des pressions des Tigres, des musulmans sont poussés à s’en prendre à la minorité chrétienne de cette région du Sri Lanka. L’objectif poursuivi par les Tigres serait de réduire au silence les communautés chrétiennes et musulmanes des zones qu’ils contrôlent, voire d’obtenir leur départ.