Eglises d'Asie – Chine
« DANS L’ANALYSE DES AFFAIRES DE LA SOCIETE HONGKONGAISE, NOUS NE FAISONS QUE SUIVRE LA DOCTRINE SOCIALE DE L’EGLISE » – Une interview de Mgr Joseph Zen Ze-kiun, évêque du diocèse catholique de Hongkong –
Publié le 18/03/2010
Mgr Joseph Zen Ze-kiun : La loi sur la Sécurité nationale telle que stipulée par l’article 23 de la Loi fondamentale (1) aurait eu un impact sur la vie de nombreuses personnes, particulièrement dans l’Eglise, étant donné qu’elle concernait, entre autres choses, la question des relations avec la Chine. Très peu de gens connaissent réellement la situation de l’Eglise en Chine et réalisent que le gouvernement chinois contrôle l’Eglise sur le continent. Par conséquent, si je n’avais pas pris position publiquement contre ce projet de loi en évoquant la situation de l’Eglise en Chine, les gens n’auraient tout simplement pas compris les raisons pour lesquelles nous nous sommes montrés si concernés. Dans le cas où la loi aurait été votée, la situation prévalant en Chine et la façon dont les religions sont traitées auraient gagné Hongkong. C’est alors que nous nous serions retrouvés face à de graves problèmes. Ceci explique que nous ne pouvons pas nous abstenir de ne pas nous inquiéter de cette actualité. Nous devons combattre de tels projets de loi.
Quelle place l’Eglise doit-elle tenir dans un débat comme celui sur l’article 23 ?
L’Eglise a défini une ligne de conduite très claire au sujet de certains principes que l’Eglise comme la société doivent suivre. Les documents issus de Vatican II ainsi que les encycliques et les discours du pape sont explicites sur ce point. Nous ne faisons que suivre ces enseignements lorsque nous analysons les affaires sociales.
Avez-vous consacré beaucoup de votre temps à cette question ?
Non, absolument pas. Bien d’autres choses liées à l’Eglise m’ont tenu occupé. Notre Eglise est une très grande famille et nous avons tant de travail à faire, dans les domaines de l’éducation et des paroisses par exemple. L’article 23 a été la source de soucis et de problèmes mais ce dossier n’a pas accaparé l’essentiel de mon temps. Si je devais donner un chiffre, je dirais que j’y ai consacré 10 % de mon temps.
Etes-vous d’accord avec les personnes qui disent que vous avez indirectement catalysé les énergies pour la manifestation du 1er juillet et le retrait consécutif par le gouvernement du projet de loi sur l’article 23 ?
Je ne pense pas. Certains hommes de loi, des avocats ont dépensé beaucoup d’énergie sur cette question, détaillant les conséquences juridiques du projet de loi auprès du gouvernement comme auprès de l’opinion publique et les Hongkongais ont été convaincus par leurs explications. Ma sour aînée avait coutume de se montrer inquiète au sujet de mes prises de position et elle me conseillait d’être prudent. Cette fois, elle m’a dit : « Ce que tu as dit est la même chose que la position affichée par les avocats. Je peux enfin respirer maintenant. » Si, pour Pékin, c’est très difficile d’accepter cela, eh bien, Pékin devrait se montrer plus entreprenant pour exprimer ses vues sur le sujet. Si Pékin dit que cette loi peut être votée plus tard, les Hongkongais ne s’opposeront pas au gouvernement. Le gouvernement ne doit pas introduire à nouveau le texte de loi tel quel mais, au contraire, doit le revoir entièrement.
Le Saint-Siège a-t-il pesé sur les positions que vous avez prises concernant les questions politiques ?
Il n’est pas nécessaire d’attendre des instructions du Saint-Siège. Je suis très familier de la doctrine sociale de l’Eglise. Le Saint-Siège ne s’opposerait pas à mon action. En fait, il m’a soutenu sur les questions telles que le droit au regroupement familial pour les Chinois du continent nés de parents résidant légalement à Hongkong (2) ou bien encore telles que l’article 23. Le Conseil pontifical ‘Justice et paix’ a exprimé son appréciation concernant notre travail en faveur du regroupement familial. Sur un plan diplomatique, la question de savoir si mes prises de position ont un impact sur l’établissement de relations entre le Vatican et Pékin est sans doute un autre problème. Je présume que Rome me soutient sur le plan des principes mais doit se montrer plus prudent dans l’exercice de sa diplomatie. Ceci dit, étant donné qu’il n’y a pas actuellement de négociation entre Pékin et le Saint-Siège, le problème ne se pose pas. Leurs différends concernent la nomination des évêques sur le continent.
Le plus important point de désaccord entre Pékin et moi remonte probablement à un article de journal que j’ai écrit pour expliquer la position du Vatican au sujet de la canonisation de 120 martyrs de l’Eglise en Chine en octobre 2000 (3). Les sujets de débats récents ne posent pas autant de difficultés. De la même façon, personne ne sait réellement pourquoi plusieurs théologiens du diocèse de Hongkong et de l’étranger n’ont pas été autorisés à enseigner dans des séminaires du continent à la fin de l’année 2002. Tous avaient enseigné dans des séminaires du continent auparavant et avaient reçu un bon accueil. Dans le même temps, d’autres théologiens ont continué à être autorisés à se rendre sur le continent.
Comment la nomination de Mgr John Tong Hon, évêque auxiliaire de Hongkong, à la fonction de conseiller de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples au Vatican peut-elle aider à la communication entre l’Eglise de Chine et le Saint-Siège ?
La nomination de Mgr Tong, directeur du Centre d’études du Saint-Esprit du diocèse de Hongkong, structure spécialisée sur les affaires de l’Eglise en Chine, est justifiée. Sa nomination fournit certainement une occasion de plus de discuter de ces problèmes, même si le Vatican est grand et compliqué. Il est difficile d’imaginer dans quelle mesure cette nomination peut aider mais, certainement, elle apportera un certain bénéfice.
Vous êtes membre de la Commission post-synodale (relative au Synode des évêques pour l’Asie) nommée par le pape. Vous et plusieurs autres membres du clergé de Hongkong ainsi que des laïcs êtes membres de différentes instances vaticanes. Quel rôle le diocèse de Hongkong joue-t-il dans l’Eglise universelle ?
Notre Eglise est universelle. Notre diocèse a encore beaucoup de choses à apprendre de la situation des autres. Nous pouvons partager avec les autres les difficultés qui sont les nôtres et nous pouvons aussi écouter leurs problèmes. Tout ceci est très normal. Rapidement dit, il n’y a pas encore assez de Chinois pour représenter la Chine au Saint-Siège. Le cardinal Paul Shan Kuo-hsi, de Kaohsiung, à Taiwan, est aujourd’hui le seul cardinal chinois. Il a dit un jour qu’il y a de nombreux Chinois dans l’Eglise et que l’Eglise de Chine est importante mais qu’il y a peu de Chinois aux niveaux élevés de la hiérarchie du Saint-Siège. Nous ne voulons pas nous battre pour le pouvoir, mais ce que j’ai décrit est un fait.
Comment l’Eglise de Hongkong est-elle reliée à l’Eglise de Macao et à celle de Taiwan ? Y aurait-il un intérêt à fusionner les diocèses catholiques de Hongkong et de Macao à l’image de la province de l’Eglise anglicane, qui englobe les deux cités ?
Non. Les diocèses de Macao et de Hongkong sont dans des situations très différentes. J’ai peu de contact avec les responsables du diocèse de Macao mais l’évêque de Macao siège au conseil d’administration du séminaire du Saint-Esprit à Hongkong et y vient régulièrement pour des réunions. Mais je suis d’accord avec le fait que nous devons développer nos contacts. S’agissant de Taiwan, j’ai encore moins de liens avec l’Eglise de Taiwan. Seul le P. Thomas Law Kwok-fai, qui dirige notre Commission pour la liturgie, a des contacts avec Taiwan concernant la liturgie. J’entretiens des contacts personnels avec le cardinal Shan de Taiwan. Au moins, avons-nous plus d’occasions de nous rencontrer depuis le Synode pour l’Asie de 1998 étant donné qu’il est désormais le seul cardinal représentant l’Eglise de Chine. En fait, il a une très forte personnalité et il est très respecté au sein de l’Eglise de Chine.
Avez-vous évoqué, vous et le cardinal Shan, la manière d’aider l’Eglise de Chine et la façon d’augmenter la représentation de l’Eglise de Chine au Saint-Siège ?
Nous n’en avons pas formellement discuté. Cependant, au cas où Rome organise des réunions consacrées à l’Eglise en Chine, nous serions l’un et l’autre invités à y participer et à y exprimer nos points de vue. Le cardinal Shan s’inquiète réellement du fait que si peu de membres chinois du clergé ou du laïcat soient impliqués dans les affaires du Saint-Siège, particulièrement à la Congrégation pour l’évangélisation des peuples où les hauts responsables ne sont pas familiers de la situation en Chine. Nous sommes un peu inquiets.
Après avoir participé directement aux Journées asiatiques de la jeunesse à Bangalore, en Inde, comment voyez-vous que les jeunes de Hongkong, de Macao et de Taiwan puissent mieux coopérer ?
Contrairement à ce qui s’est passé pour les Journées mondiales de la jeunesse, nous avons eu peu de contacts avec Taiwan et Macao avant et pendant cet événement. Mais, en tant que Chinois, nous avons été très heureux de nous voir là-bas ; cela nous a réconfortés. Je pense que nous pouvons développer nos liens, en particulier avec le diocèse de Macao. A ces Journées asiatiques de la jeunesse, personne du continent n’était présent.
Dans le diocèse de Hongkong, vous avez entamé un dialogue avec les laïcs dans le cadre des paroisses. Où en êtes-vous ?
J’ai commencé cela il y a plus de dix mois. Cela a été très bénéfique. Les paroissiens me demandent surtout pourquoi je suis si présent sur la scène politique, si « politisé », et je leur explique ce qu’est la politique et ce que signifie le terme « politisé ».
Un autre point d’intérêt pour les paroissiens est le cas de cet ancien prêtre du diocèse de Hongkong reconnu coupable d’abus sexuel sur la personne d’un servant de messe. Lui avez-vous rendu visite en prison ?
Cet incident de fait est très grave mais la couverture médiatique dont il a fait l’objet l’a amplifié (4). L’affaire est devenue politique, du fait de la pression exercée par la société dans son ensemble et parce que des affaires semblables ont éclaté aux Etats-Unis et dans différents autres pays. Nous n’avions pas à nous excuser. Un de nos frères a fait une erreur mais nous ne l’avons pas encouragé à faire cette erreur. Les seules excuses que nous devrions faire concernent notre négligence – nous n’aurions pas dû l’autoriser à devenir prêtre. Nous n’avons pas eu de contact avec lui lors de l’enquête et du jugement et nous ne lui avons pas offert d’aide ou d’assistance financière. Après sa condamnation, je lui ai rendu visite en prison. Il est très apaisé ; il prend même part à un groupe d’étude de la Bible. Bien entendu, il souhaite faire appel parce que son cas est très politique et complexe.
Cette affaire aura-t-elle un impact sur les vocations sacerdotales à Hongkong ?
Je ne le pense pas. Une personne mûre comprend que c’était là la faute d’une personne, pas de tout le clergé. Les affaires de harcèlement sexuel au sein des familles sont, en fait, beaucoup plus nombreuses et appellent une attention particulière.
(1)Au sujet de la loi sur la Sécurité nationale, voir EDA 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 369, 371, 375, 377, 378, 379, 380
(2)Au sujet de l’engagement de l’Eglise sur la question du droit au regroupement familial à Hongkong, voir EDA 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 380
(3)Voir EDA 317. Au sujet de la querelle née des canonisations du 1er octobre 2000, voir le Dossier publié en supplément de EDA 315 ainsi que EDA 298, 305, 315, 316, 317, 319, 342, 352, 362, 365, 367, 379
(4)Voir EDA 353, 368, 370