Eglises d'Asie

Face aux appels d’une partie du clergé bouddhiste à voter une loi restreignant les conversions, l’Eglise catholique réaffirme le droit des catholiques à proclamer leur foi

Publié le 18/03/2010




A quelques semaines d’intervalle, deux événements ont amené l’Eglise catholique du Sri Lanka à réaffirmer le droit pour les catholiques à proclamer librement leur foi. A la fin du mois d’août, en premier lieu, la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka s’est dite « inquiète » d’un jugement rendu le 25 juillet 2003 et annoncé devant le Parlement le 5 août suivant. Le 25 juillet, les juges de la Cour suprême, saisis par des organisations bouddhistes au sujet de l’enregistrement en tant que person-ne morale d’une congrégation de religieuses catholiques, avaient déclaré que, si la Constitution du pays reconnaissait le droit de tout citoyen à pratiquer la religion de son choix, elle ne donnait pas aux citoyens sri-lankais un droit fondamental à propager leur religion. Par ailleurs, le 23 septembre dernier, un rassemblement national auquel ont participé environ 1 500 moines bouddhistes a été l’occasion pour certains cercles bouddhistes, représentés par le Jathika Sangha Sammelanaya, de revendiquer le vote par le Parlement d’une loi restreignant les conversions, obtenues par des moyens « immoraux de bouddhistes à d’autres religions. Là aussi, l’Eglise catholique a réagi, un évêque déclarant « qu’en ce qui concerne le christianisme, la proclamation de notre foi fait partie intégrante de notre religion ».

S’agissant du jugement de la Cour suprême, l’affaire concerne le vote par le Parlement de deux projets de loi conférant le statut de personne morale à, d’une part, la « Province des sours enseignantes de la Sainte Croix du Tiers Ordre de Saint François de Menzingen du Sri Lanka » et, d’autre part, au « Ministère du vin nouveau un groupe protestant d’origine norvégienne. Pour la responsable de la congrégation catholique, le dépôt du projet de loi ne répondait qu’au besoin de sa congrégation de devenir une personne juridique distincte des diocèses où elle est active. Présente au Sri Lanka depuis 1930 et active dans six diocèses du pays, la congrégation avait besoin de ce statut pour « acquérir des terrains et bâtir des bâtiments en son nom propre ainsi que le précise sa supérieure, Sour Immaculée Joseph. Selon la religieuse, le rejet du projet de loi par la Cour suprême a constitué une surprise étant donné que d’autres ordres religieux, tels les jésuites, jouissent depuis plusieurs années de l’autonomie juridique, jamais remise en question.

Le recours devant la Cour suprême avait été déposé par la branche féminine du Congrès bouddhiste de Ceylan au motif que, s’agissant de l’Eglise catholique, les religieuses ne cherchaient pas seulement à propager la religion catholique mais aussi à « attirer des personnes appartenant à d’autres religions en leur offrant des biens et des avantages matériels ». Dans leurs attendus, les juges de la Cour suprê-me ont estimé que, puisque la Constitution ne définit pas formellement un droit à propager la religion, si des efforts sont entrepris par une personne pour convertir une autre personne à sa religion, une telle conduite peut mettre en danger l’existence même de la communauté bouddhiste, le Buddha Sasana.

S’agissant de l’appel de moines bouddhistes au vote d’une loi anti-conversion, semblable à celles qui existent déjà dans certains Etats de l’Union indienne (1), Mgr Frank Marcus Fernando, évêque de Chilaw et président de la Commission épiscopale responsable des catéchistes, a rejeté l’idée selon laquelle des non-catholiques pourraient définir les paramètres de la foi catholique. « Personne n’est en mesure de définir pour nous la limite entre ce qui relève de ‘l’enseignement’ de notre foi et ce qui relève de’ la propagation’ de notre foi a-t-il déclaré, précisant que le catéchisme ne se limite pas à l’enseignement de « certaines vérités religieuses et de normes morales abstraites ». Tout en déclarant que si le bouddhisme et le christianisme n’existaient pas et n’avaient pas été « propagés » par les disciples de Bouddha et de Jésus depuis des siècles, l’humanité serait aujourd’hui plus « pauvre » qu’elle n’est, l’évêque catholique a ajouté : « Par une ironie du sort, ces récents développements et les efforts déployés pour nous contenir nous donnent le signal que nous n’avons pas été suffisamment obéissants au commandement du Seigneur d’aller et de prêcher. »

Depuis quelques années, les observateurs notent qu’une fraction du clergé bouddhiste développe des sentiments de moins en moins amicaux envers les chrétiens. Outre la volonté de certains moines bouddhistes de voir se développer un bouddhisme nationaliste orienté contre les séparatistes tamouls, majoritairement de confession hindoue, une partie du clergé accuse les Eglises chrétiennes d’utiliser les ouvres sociales et caritatives qu’elles animent pour convertir des bouddhistes au christianisme. En avril 2000, par exemple, l’Eglise catholique avait dû démentir les accusations selon lesquelles elle ferait preuve de prosélytisme en cherchant à améliorer le niveau de vie de villageois principalement bouddhistes d’un village reculé du centre-ouest du Sri Lanka (2). En réponse à ces inquiétudes, les moines bouddhistes ont lancé des appels invitant à favoriser l’essor du bouddhisme, invitant également les moniales à prêcher l’enseignement de Bouddha auprès des enfants des écoles. On se souvient à ce propos qu’en mai 2000, le Premier ministre Ratnasiri Wickremanayake, qui est aussi le responsable de Buddha Sasana, la plus haute autorité du bouddhisme au Sri Lanka, avait lancé une campagne de publicité dans les principaux journaux du pays pour appeler les jeunes bouddhistes sri-lankais à embrasser la vocation monastique et revêtir la robe safran des moines bouddhistes du pays. Sans préciser plus avant sa pensée, le Premier ministre mettait en garde contre une conspiration à l’ouvre contre le bouddhisme (3). En juillet 2001, des moines bouddhistes appelaient au vote d’une loi pour interdire les conversions au christianisme, conversions jugées par eux trop rapides et nombreuses dans les régions rurales pauvres et isolées du pays (4).

Pour Mgr Fernando, l’arrêt de la Cour suprême comme l’appel au vote d’une loi anti-conversion indiquent que le pays est arrivé à « un moment décisif » où l’harmonie interreligieuse et la liberté religieuse sont en jeu. « Si nous ne sommes pas attentifs maintenant, nous verrons très bientôt des conflits religieux se déclarer a-t-il estimé. Pour certains responsables de l’Eglise catholique du Sri Lanka, le risque de voir votée prochainement une loi anti-conversion est cependant faible étant donné que le gouvernement, occupé par le règlement du conflit entre Tamouls et Cinghalais, ne souhaite sans doute pas voir se développer des émeutes à caractère religieux qu’un tel projet de loi susciterait sans doute.

La Constitution du Sri Lanka stipule que l’Etat est laïque mais reconnaît une place prééminente au bouddhisme, religion pratiquée par près de 70 % des 18,7 millions de Sri Lankais. Les hindous représentent environ 15 % de la population, les chrétiens et les musulmans formant chacun environ 7,5 % de la population.