Eglises d'Asie

Dans l’Etat de Terengganu, dirigé par le PAS, parti d’obédience musulmane, la communauté catholique s’interroge sur les conséquences de l’introduction de la charia dans le Code pénal

Publié le 18/03/2010




Votée en juillet 2002 (1), l’introduction de la charia dans le Code pénal a pris effet le 27 octobre dernier dans l’Etat de Terengganu. Dans cet Etat situé sur la côte orientale de la péninsule malaise et contrôlé depuis les élections de novembre 1999 par le PAS (Parti Islam SeMalaysia), premier parti de l’opposition au niveau national et parti d’obédience musulmane, le chef de l’exécutif local, Abdul Hadi Awang, a en effet annoncé que la publication au Journal officiel de l’Etat de la loi votée en juillet 2002 valait promulgation de cette dernière. Pour la petite communauté catholique de Terengganu, Etat dont la population est très majoritairement musulmane, les conséquences de ce changement, tant sur les musulmans que les non-musulmans, sont encore difficiles à évaluer et les questions restent nombreuses.

Aux termes du texte voté en juillet 2002, la « Loi sur le droit criminel de la charia » (‘Hudud et ) s’appliquera à tout musulman mis en examen pour avoir commis certains crimes et délits. La loi dresse la liste de neuf infractions (consommation d’alcool, relations sexuelles illicites, dénonciation calomnieuse de relations sexuelles illicites, sodomie, vol, vol à main armée, blasphème et apostasie, rébellion et homicide ou blessure faite à autrui) ainsi que les peines applicables à ces délits (par exemple, flagellation pour consommation d’alcool, amputation de la main pour vol, crucifixion pour un vol à main armée ayant entraîné mort d’homme, peine capitale et confiscation des biens pour celui qui refuse de revenir sur un blasphème ou une apostasie). Selon le PAS, le texte, voté il y a plus d’un an, n’a pas été promulgué jusqu’à aujourd’hui afin de permettre aux habitants de l’Etat de prendre connaissance de son contenu par le biais, entre autres, des « ceramah » (‘conférences religieuses’). La loi s’appliquera à tout musulman et, dans le cas où un non-musulman était impliqué dans un crime ou délit décrit à la fois dans ce texte de loi et dans le Code pénal antérieur, ce non-musulman pourra décider en vertu de quel droit pénal il sera jugé – et donc choisir lequel des deux lui sera le plus favorable.

Pour les quelque deux cents catholiques installés dans la capitale de l’Etat, Kuala Terengganu, les questions que soulève ce nouveau code pénal ne relèvent pas tant du texte lui-même que de la manière dont il sera appliqué. Ils s’inquiètent également des évolutions possibles qui pourront être, à l’avenir, apportées à l’application de ce texte. « Nous devons attendre de voir ce qu’il va se passer une fois que la loi sera appliquée, a déclaré Ian Teoh, président du conseil pastoral de l’unique paroisse de la ville. Pour l’heure, il ne s’agit que de paroles. Ce qu’ils peuvent réellement faire n’est pas clair. » Pour Francis Mark Periasamy, employé de l’industrie touristique, le PAS déclare aujourd’hui que les non-musulmans ne seront pas concernés par la nouvelle loi. « Mais qu’est-ce qui les empêche de changer d’avis d’ici à quelques années ? s’interroge-t-il.

De fait, un des principaux obstacles à l’application de la nouvelle loi semble être, selon les commentateurs malaisiens, sa possible inconstitutionnalité. La Malaisie, dont un peu moins de 60 % de la population est musulmane, est un Etat laïque dont la religion officielle est l’islam. Des lois inspirées de la charia existent déjà ; elles s’appliquent aux seuls musulmans et concernent les secteurs de la vie civile tels que le mariage, le divorce, l’héritage et des questions morales. La Constitution fédérale donne aux Etats la possibilité d’assurer l’application de telles lois issues de la charia mais réserve le domaine du Code pénal au gouvernement fédéral. S’agissant de la loi de juillet 2002, le gouvernement du Terengganu affirme que sa loi relève de la charia et non du droit pénal en tant que tel et qu’il est donc compétent en la matière.

Si les institutions fédérales ne se sont pas prononcées sur la question, les militants des droits de l’homme ont eux dénoncé la loi comme une régression inquiétante. Outre les critiques à l’encontre des punitions contenues dans la loi, considérées par ces militants comme autant de violations des droits fondamentaux de la personne, sont dénoncées les clauses de la loi qui permettent à un non-musulman de choisir quel système juridique lui sera appliqué. Pour Cynthia Gabriel, de l’organisation « La Voix des Malaisiens d’une part, le fait pour un non-musulman de pouvoir choisir quel système lui sera le plus favorable introduit une inégalité entre musulmans et non-musulmans, la possibilité de choisir n’étant pas offerte aux musulmans ; et, d’autre part, si un musulman et un non-musulman sont impliqués dans un même crime, une partie sera punie différemment de l’autre en fonction du système juridique auquel elle sera rattachée. « Cela sape complètement le principe de base inscrit dans la Constitution selon lequel toutes les personnes sont égales devant la loi explique-t-elle.

Dans l’Etat voisin du Kelantan, le seul autre Etat de la Fédération contrôlé par le PAS, une loi semblable a été votée en 1993 mais n’a jamais été promulguée. Pour justifier cela, les autorités de l’Etat mettent en avant l’absence de structure juridique pour appliquer les peines éventuellement prononcées mais, selon des experts juridiques, le gouvernement se garde de promulguer la loi car il sait qu’elle ne passera pas le test de constitutionnalité (2). Dans les deux Etats, des mesures ont été prises dans le sens d’une islamisation de la vie publique, telles que l’interdiction de la vente d’alcool, des paris ou encore l’instauration de la non-mixité dans les piscines ou dans les files d’attente des supermarchés. Les catholiques, en petit nombre dans l’Etat de Terengganu, se disent « tolérés » dans l’Etat, le PAS ne cherchant toutefois pas à leur créer des difficultés particulières. A Kuala Terengganu comme dans les autres districts de l’Etat, ils ne disposent pas d’église. Selon Ian Teoh, une demande de permis de construire a été déposée il y a des années, bien avant la victoire du PAS aux élections de 1999, mais elle n’a jamais abouti (3).