Eglises d'Asie

LA CHINE ET L’EGLISE CATHOLIQUE : LE PAYS CHANGE, MAIS LE REGIME CHANGE-T-IL ?

Publié le 18/03/2010




Vingt ans de politique religieuse

En 1982, il y a vingt ans, les autorités chinoises, sous la direction de Deng Xiaoping, ont publié deux des plus importants documents de la politique religieuse de la Chine : le Document 19 (31 mars 1982) (1) et l’article 36 de la nouvelle Constitution de la République populaire de Chine (27 avril 1982). Depuis ces deux dates, il y a eu peu, sinon pratiquement aucun progrès réalisé dans ce domaine.

La Chine a considérablement changé durant ces dernières années. Les changements économiques, culturels et sociaux sont connus de tous, mais ils n’ont pas été sans entraîner d’effets contraires, qui sont généralement oubliés. Beaucoup de Chinois souffrent du chômage, du manque de sécurité à leur poste de travail (un grand nombre de décès est enregistré, en particulier, dans les mines), de l’urbanisation effrénée, du fossé grandissant entre les riches et les pauvres, de la disparité économique et sociale croissante dans de nombreuses régions du pays, des déficiences et des abus dans les systèmes de soins, d’enseignement et de justice (y compris un taux anormal de condamnations à mort), d’une corruption généralisée et des abus de pouvoir, d’une grave pollution, de la bombe à retardement qu’est le sida et maintenant du SARS (pneumopathie atypique). Malgré cela, la Chine n’a pas fait d’amélioration significative dans le domaine des réformes politiques, ni dans celui des droits de l’homme : il n’y a pas jusqu’à présent de liberté d’expression, ni d’association, de même qu’il n’existe pas d’opinion publique.

En particulier, il y a peu d’améliorations en ce qui concerne la liberté religieuse. Je soutiendrais volontiers que l’absence d’amélioration sur une période de vingt ans est, en fait, dans un monde en changement, une régression. Au cours de ces vingt dernières années, le contrôle du régime sur la religion, et, en particulier, sur l’Eglise catholique a fluctué entre des périodes de relâchement et des périodes de resserrement. L’alternance de ces périodes est toujours liée aux luttes internes de pouvoir. L’objectif primordial du régime demeure le contrôle total et la soumission. Même lorsqu’il relâche son étreinte sur la religion, le régime n’agit que pour mieux en assurer le contrôle.

La liberté de croyance en Chine

Le principe de la liberté de croyance était déjà établi dans l’article 88 de la Constitution de 1954. L’article 36 de la Constitution de 1982 doit être lu en parallèle avec le Document 19. Ce dernier, qui reste le texte de base de la politique religieuse de l’ère de Deng Xiaoping, n’accorde aucune valeur à la religion. A l’égard de la religion, le gouvernement a fait une concession simplement après avoir compris qu’il avait échoué dans sa tentative de suppression de la religion par la force. La religion devait être tolérée comme représentant une réalité, étant donné que la priorité du moment était “l’objectif commun de construire un Etat socialiste moderne et puissant Il est évident, selon le Document 19, que la religion disparaîtra naturellement lorsque le peuple sera suffisant instruit et comprendra les secrets de la science. Il est donc inutile de l’éliminer par la force, comme cela a été tenté lors de la Révolution culturelle.

C’est une politique opportuniste, non une politique de liberté religieuse. En fait, la religion n’existe dans le régime communiste chinois qu’intégrée complètement au système de parti unique et à son service. Le gouvernement de la Chine n’a pas réellement de politique religieuse au sens courant de ce terme. En d’autres termes, le gouvernement ne voit pas la religion comme un élément positif dans la société, mais comme quelque chose qu’il faut tolérer et contrôler. “L’objectif à long terme du gouvernement en ce qui concerne la religion reste, selon Ye Xiaowen, le directeur de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses (ex-Bureau des Affaires religieuses, BAR), d’éliminer l’impact de la religion en Chine” (1998) (2).

De la persécution à la discrimination ouverte et à la persécution cachée

La persécution religieuse a considérablement diminué depuis les réformes de Deng Xiaoping. Il y a moins de persécution ouverte aujourd’hui, mais reste une très grande discrimination. A l’université, par exemple, et particulièrement dans les matières les plus sensibles, il est très difficile pour un chrétien de poursuivre avec succès une carrière universitaire.

Plus de cinquante documents sur la religion parus après les documents fondamentaux de 1982 reprennent la même position. La plus grande partie d’entre eux sont des documents internes et confidentiels.

D’une analyse poussée de ces documents, il ressort que, s’il y a bien une politique religieuse unique, il y a deux niveaux d’application : “sur la table” et “sous la table Dans sa façon d’aborder les différentes réalités non communistes, le Parti et le gouvernement jouent constamment sur ces deux niveaux. “Sur la table” est le niveau qui s’adresse au grand public, pour lequel il est un leurre. Le niveau “sous la table” ne peut se discerner qu’avec beaucoup de difficultés et une longue familiarité avec les pratiques du Parti : c’est “le concret 

Les documents “sur la table” (documents publics) proclament la liberté religieuse, sa protection légale dont le peuple jouit de plein droit et le devoir de la religion de contribuer à la stabilité et au bon ordre de la société. Les documents “sous la table” (documents internes et confidentiels) évoquent les mesure de force à employer pour contraindre les croyants à suivre la politique religieuse du gouvernement, pour infiltrer l’Eglise du silence, la frapper durement et exacerber ses divisions internes.

L’adaptation : un concept-clé de la politique religieuse

Le précédent président de la Chine, Jiang Zemin, en s’adressant le 4 mars 1999 à des dirigeants religieux (3), résumait la politique religieuse dans les trois points suivants : 1.) une application complète et correcte de la politique du Parti sur les affaires religieuses ; 2.) un renforcement du contrôle des affaires religieuses suivant la réglementation appropriée ; 3.) une adaptation des religions à la société socialiste.

“L’adaptation” est un concept central de la politique religieuse actuelle du Parti communiste. Le style et le contenu de cette politique indiquent clairement que les croyants sont considérés comme des citoyens de seconde classe ; ils ont besoin des exhortations et des conseils des dirigeants du Parti ; leurs activités nécessitent un contrôle constant et strict, une correction et une supervision.

Dès 1994, on retrouve tout à fait dans la même ligne l’intervention de Liu Peng, un chercheur de l’Académie des Sciences sociales, lors d’une conférence à l’Université de Hongkong. Il y donna l’une des plus candides et des plus claires descriptions de l’essence de la politique religieuse, qu’il ne voyait comme rien de plus qu’un exercice de contrôle par le régime communiste.

“La religion est acceptée par l’Etat sur la base d’une reconnaissance de l’autorité politique de cet Etat. Elle accepte son leadership dans tous les domaines de la vie sociale et applique ses directives. (.) Le rôle de la religion dans la société est strictement limité. Toute organisation patriotique doit accepter le leadership du Parti communiste et du gouvernement. Les affirmations officielles montrent clairement que les relations entre le Parti communiste chinois, l’Etat et les organisations religieuses sont celles de dirigeants et de dirigés. Ces organisations sont dirigées par le gouvernement et doivent promouvoir la politique du Parti et celle du gouvernement. Elles ne sont pas, du point de vue politique, différentes des institutions qui se trouvent sous le contrôle direct et la direction du gouvernement. En Chine, les relations entre l’Etat et l’Eglise tombent sous la règle de la domination de l’Etat sur la religion. A l’évidence, la politique de liberté de croyance est fondée, non sur un concept de valeurs religieuses, mais bien plutôt sur une considération réaliste et pragmatique de l’intérêt de la religion en tant qu’instrument des objectifs politiques du Parti et de l’Etat.”

Malgré les progrès permis par ce côté pragmatique en comparaison des années sombres des campagnes politiques, les limitations arbitraires de la liberté religieuse sont injustifiables face au contexte général de recherche de modernisation et au look de modernité que les dirigeants chinois voudraient afficher. Le fait est que l’attitude de base à l’égard du phénomène religieux et chrétien a très peu changé dans les cinquante dernières années : le Parti doit contrôler la religion. Je pense aussi que l’éducation reçue par de nombreux dirigeants (pour les plus vieux d’entre eux, en Union soviétique) exerce une puissante influence négative sur la façon dont ils perçoivent le phénomène religieux.

En 2002, des articles écrits par des personnalités officielles (particulièrement celui de Pan Yue : “La vision marxiste de la religion doit évoluer avec le temps (4) et par des universitaires (par exemple, Mou Zhonjian et Li Pingye : “Le besoin d’une nouvelle approche de la question religieuse en Chine ainsi que des commentaires faits par de hauts dirigeants, y compris Jiang Zemin, ont donné naissance aux spéculations sur une redéfinition d’un mode plus positif de la politique religieuse du régime communiste.

Je serais moins optimiste. D’abord, en 2002, et dans les premiers mois de 2003, il y a eu une aggravation du contrôle sur les activités religieuses, plutôt qu’un relâchement. Deuxièmement, la “nouvelle stratégie vers une politique de liberté religieuse” vise à un contrôle plus sophistiqué, mais encore plus total du Parti sur la religion. L’article de Pan Yue, indûment vanté, ne représente pas le revirement dont nous avons besoin. Oui, il a effectivement plaidé pour l’abandon de la vieille interprétation idéologique de la religion, mais, seuls, encore, quelques ultra-gauchistes peu nombreux soutiennent la théorie de la religion “opium du peuple Au bout du compte, et selon ses propres termes, Pan Yue vise à “la transformation de notre Parti d’un parti révolutionnaire en un parti de gouvernement, qui serait capable d’appliquer de nouvelles idées administratives et de nouveaux schémas de leadership pour assurer la direction du gouvernement, de la société et de la religion 

Les observateurs de la Chine ont vanté des universitaires bien connus sur le terrain comme Mou Zhonjian et Lie Pingye (ce dernier étant un officiel du Front uni) pour les avoir entendu soutenir une nouvelle approche de la question religieuse. Cependant, ils ne peuvent pas s’empêcher d’affirmer que “soutenir les organisations religieuses patriotiques et, à travers elles, mobiliser et rassembler la grande masse des croyants devrait être notre principale tâche, en fait de travail religieux.” Quelle affirmation décourageante !

Répondre aux objections du gouvernement

Pour les catholiques, la relation au pape est affaire de conscience et n’a rien à voir avec une emprise extérieure. L’unité avec le pape symbolise l’unité avec l’Eglise catholique universelle, qui est un dogme essentiel de la doctrine catholique. Environ 170 pays dans le monde acceptent l’Eglise catholique et certains ne sont pas moins communistes ni moins nationalistes que la Chine.

L’Eglise catholique en Chine est sous domination. Cette domination est exercée par le régime communiste au travers de ses différents organismes : le Front uni, l’Administration d’Etat des Affaires religieuses et les Associations patriotiques.

La déclaration des lieux de culte, à laquelle s’oppose l’Eglise du silence, n’est pas un acte administratif de protection ou de réglementation des activités religieuses, mais bien plutôt un moyen de contrôle et de limitation des droits de l’Eglise.

Les catholiques chinois ne sont ni des opposants politiques, ni des tièdes dans le domaine du patriotisme. Le gouvernement ne peut leur imposer quelque chose qui va à l’encontre de leur conscience. Leur demande d’être en communion avec le reste de l’Eglise universelle n’est pas politique, mais raisonnable et légitime.

Tous les instruments de répression idéologiques et administratifs mis en place dans les années de campagnes politiques anti-religieuses sont toujours présents : l’idéologie du parti unique, l’abus de pouvoir, la corruption, la torture, les détentions illégales et les camps de travail. Le recours à ces mesures extrêmes n’est pas aussi extensif qu’auparavant, mais il n’a pas disparu. Ces abus n’appartiennent pas qu’au passé, ils sont la triste réalité actuelle.

L’Eglise “officielle”

Où va l’Eglise “officielle” ? Des nuages obscurcissent son avenir. L’ordination illégale de cinq évêques à Pékin, le 6 janvier 2000, est le point d’achoppement. Cet évènement augure mal de l’avenir (5). Les officiels catholiques semblent avoir capitulé devant le régime et ils ne mènent nulle part les catholiques chinois. Malgré tout, 120 séminaristes se sont opposés à la cérémonie illégale montée par l’Etat (6). Mais les autorités de l’Eglise “officielle” ne les ont pas soutenus.

L’Eglise ouverte a des séminaires comptant un nombre significatif de séminaristes. Mais eux aussi sont strictement contrôlés. Leur programme comporte des cours d’endoctrinement politique. Ceux qui sont appelés à être ordonnés doivent passer des examens politiques. La pratique de comptes-rendus à l’Administration d’Etat des Affaires religieuses de tout événement, visite ou don est toujours en place.

Nous sommes également très inquiet des nombreux rapports qui nous parviennent sur l’utilisation des dons pour construire ou rénover les églises et les bâtiments. Dans plus d’un cas, on pourrait s’interroger sur le besoin des constructions prévues. En fait, il semble que le moment soit venu de limiter les dons pour des projets superflus !

Le rôle de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses

L’Administration d’Etat des Affaires Religieuses (nouvelle dénomination du Bureau des Affaires religieuses – BAR) exerce un rôle particulièrement négatif. Elle met souvent sous une pression effarante de jeunes prêtres pour obtenir des dons de l’extérieur. Sous le prétexte de nouveaux règlements en matière d’urbanisme, des jeunes prêtres sont poussés à présenter à des agences étrangères de vastes projets de rénovation ou de construction de nouvelles églises et de nouveaux séminaires. Ces projets ne reposent sur aucun besoin pastoral et leurs budgets sont trop élevés.

Pour que de jeunes prêtres suivent leur politique et leurs ordres, les officiels du BAR n’hésitent pas à leur offrir les tentations de voyages, de divertissements et même de carrières politiques. Récemment, nous avons été informés de tentatives d’officiels visant à interférer dans l’ordination de nouveaux évêques, en imposant la présence d’évêques illégitimes comme co-consécrateurs. Dans certains cas, des officiels du BAR sèment la confusion dans l’esprit des meilleurs des prêtres en les forçant à accepter l’ordination à la prêtrise ou à l’épiscopat contre leur volonté.

Les observateurs de la Chine rapportent que les officiels de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses sont considérés comme au bas de l’échelle des officiels du gouvernement. Ils manquent souvent d’une éducation élémentaire et ont de faibles chances de faire carrière. Leur compréhension de la religion est souvent limitée aux préjugés idéologiques classiques : la religion est une forme de connaissance inférieure, sans fondement scientifique, et le christianisme n’est qu’une autre forme de religion étrangère et impérialiste. Ces officiels ont à décider de tout ce qui touche à la vie de tous les jours des évêques, des religieuses, des prêtres, des séminaristes et des fidèles.

Les prêtres nous racontent comment ils sont convoqués à la dernière minute pour assister à de longues réunions, où ils doivent s’asseoir, écouter ces messieurs et accepter toutes sortes de limitations à leurs activités. J’ai assisté à l’ordination d’un prêtre et j’ai pu constater que les deux premières rangées, habituellement réservées à la famille du prêtre qui va être ordonné, étaient, en fait prévues pour vingt-quatre officiels du BAR, qui sont arrivés en retard. Ils sont restés assis même lorsqu’il eût fallu se lever en signe de respect et, au milieu de la cérémonie, ils ont quitté l’église comme un seul homme, laissant les rangées vides. Immédiatement après l’ordination, ces mêmes officiels ont présidé une réunion, pendant laquelle le prêtre nouvellement ordonné, sa famille et ses amis ont dû écouter les admonestations des officiels sur la liberté religieuse. Un prêtre m’a dit récemment que l’Administration d’Etat des Affaires religieuses lui avait offert de l’argent pour qu’il l’informe (comprenez rapporte) sur tout ce qui se passait dans l’Eglise.

Un universitaire important de Pékin, travaillant sur les problèmes religieux, m’a dit qu’il avait expliqué aux officiels du BAR qu’un Etat moderne n’a pas besoin de BAR, à leur grand désappointement. En fait, jusqu’à ce que le gouvernement décide où réaffecter les milliers de personnes travaillant au BAR, il n’y a aucun espoir d’amélioration de la liberté religieuse en Chine.

La crise chez les jeunes prêtres

Quelques jeunes prêtres résistent au harcèlement auquel ils sont soumis. Ils nous offrent un splendide exemple à tous. Mais d’autres succombent à la pression, et nous avons ainsi un nombre élevé de prêtres qui quittent le sacerdoce et de nombreux prêtres qui sont rejetés par leurs communautés catholiques pour leur conduite de faible moralité.

De plus, la modernisation et la sécularisation, comme partout ailleurs dans le monde, posent certainement de sérieux problèmes et constituent une menace pour la foi et la pratique de la foi des catholiques en Chine. La crise des vocations est généralement une des premières conséquences de la sécularisation. Je soupçonne que la crise des vocations a déjà commencé aussi en Chine. Quelques-uns des grands séminaires récemment construits ou restaurés auront ainsi bientôt des places vacantes.

La crise que connaissent nombre de prêtres, de séminaristes et de religieuses prend racine dans le processus historique du changement et du mouvement vers la modernisation. L’Eglise de Chine a un problème supplémentaire à affronter : elle n’a pas de réelle liberté de formation, d’activité pastorale, ni de croissance spirituelle. La pression politique à laquelle sont soumis les évêques, les prêtres et les religieuses empêche ces derniers de traiter correctement et sereinement les défis d’une société en transformation rapide.

Les communautés du silence

Les communautés du silence, qui n’ont pas souffert seulement dans le passé, mais qui souffrent encore maintenant, sont un grand espoir pour l’Eglise de Chine. Elles ne s’opposent pas au gouvernement simplement pour le plaisir de s’opposer. En fait, elles ne font pas d’activisme politique. Elles veulent simplement vivre leur foi dans toute son intégrité.

La permanence des communautés du silence, en dépit de la politique religieuse de “tolérance a fait prendre – à contre cour – conscience au régime qu’il n’avait pas résolu le problème catholique : l’Eglise catholique de Chine ne pourra jamais devenir indépendante. L’Eglise du silence a poussé les membres de l’Eglise officielle à comprendre la nécessité de rechercher l’accord de Rome pour obtenir le respect des fidèles. Sans l’Eglise du silence, je ne crois pas que la communion avec le pape et avec l’Eglise universelle aurait été un point aussi majeur des questions de l’Eglise catholique en Chine, ni une telle source d’ennuis pour les autorités. On doit porter au crédit de l’Eglise du silence d’avoir empêché l’Eglise “officielle” de succomber à la pression du régime et de prendre ses distances avec le pape et l’Eglise universelle.

La plus grande préoccupation des dirigeants du régime étant la stabilité, ils sont extrêmement actifs pour supprimer tout désaccord. Tout ce qui n’est pas sous leur contrôle doit être proprement et simplement supprimé. Des nouvelles venant de l’intérieur du pays nous ont fait part de nombreux exemples de harcèlements, de violences, d’arrestations, de disparitions et de détentions de fidèles, de religieuses, de prêtres et d’évêques de l’Eglise du silence. Des autorités interrogées sur ces faits sont embarrassées au point de nier l’existence des communautés de l’Eglise du silence. Dans un article récent paru dans la revue de l’Eglise “officielle”, Ye Xiaowen (directeur de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses) énonce que les “catholiques du silence” (donc ils existent bien) doivent être persuadés “avec patience” qu’il n’y a pas en Chine d’alternative à l’affiliation à l’Eglise “officielle”.

Les méthodes de répression utilisées par les autorités pour supprimer ce monde du silence peuvent obtenir des résultats à court terme. Mais elles sont condamnées à l’échec, comme l’ont prouvé cinquante années de résistance. La question posée par l’Eglise du silence est sérieuse et légitime. Sa voie doit être entendue plutôt que supprimée.

La réconciliation : une priorité

Comme observateurs de la Chine, nous connaissons bien la situation de l’Eglise en Chine, et sa division entre une communauté ouverte et une communauté silencieuse ne peut pas être décrite en noir et blanc. La plupart des membres du clergé et des fidèles des deux communautés sont des témoins de leur foi, d’une façon qui commande notre respect. Nous devons toujours éviter des jugements qui simplifieraient une réalité complexe et décriraient en les déformant des options légitimes différentes.

Le Centre d’études du Saint Esprit, suivant en cela la voie du Saint-Siège et des évêques de Hongkong, a mis l’unité de l’Eglise en Chine en tête de ses priorités. Nous aimerions beaucoup voir les membres des deux communautés travailler ensemble à leur réconciliation et à leur unité, ce en quoi ils répondraient aux voux du Saint Père. Ceux qui dans les deux communautés travaillent dans cette voie montrent réellement une âme catholique. Ceux qui perpétuent ou même aggravent la division et les conflits, à quelque communauté qu’ils appartiennent, manquent, d’une certaine façon, d’un esprit réellement catholique. Malheureusement, on peut se rendre compte que, dans de nombreuses occasions particulières, si la division et les conflits ne trouvent pas de solution, ce n’est pas dû au manque de bonne volonté de la part des responsables religieux catholiques.

Les relations entre le Saint-Siège et Pékin

Le message papal au peuple chinois du 24 octobre 2001 est un document extraordinaire dans lequel le pape reconnaît que les chrétiens en Chine ont fait des erreurs et créé des incompréhensions et des injustices. Le regret qu’il y manifeste et le pardon qu’il en demande doivent être compris comme un geste extraordinaire de générosité et d’affection, un pas vers une future collaboration et vers l’amitié.

Ce n’est pas une position nouvelle pour le pape. Durant les longues années de sa vie, il a souvent parlé de la Chine avec franchise et affection et, à plusieurs occasions, il a exprimé des regrets et admis des erreurs.

En réponse, les autorités chinoises ont répété leurs deux mêmes préalables : la rupture avec la République chinoise de Taiwan et la non-ingérence dans les affaires intérieures de la Chine. En fait, les autorités chinoises ont voulu éviter de répondre à l’appel du pape !

La question de Taiwan n’est pas réellement un problème, et le gouvernement chinois le sait. Ce n’est pas le Saint-Siège qui a choisi de quitter la Chine après l’arrivée du communisme ; le Saint-Siège a été contraint de quitter la Chine en 1951. Depuis 1971, la présence diplomatique à Taipei a été réduite au minimum (7). Ce fut le choix prophétique de Paul VI, précisément en vue de favoriser le dialogue avec Pékin. Les autorités chinoises concernées ont été informées depuis de nombreuses années qu’avec un accord d’ensemble, le Saint-Siège serait prêt à régler le problème de Taiwan de façon correcte. Demander la rupture des relations diplomatiques comme préalable est un stratagème diplomatique. La reconnaissance de la République chinoise de Taiwan n’a jamais été une pierre d’achoppement de la diplomatie chinoise. Les dirigeants chinois – Mao Zedong et Chou Enlai – ont chaleureusement reçu Richard Nixon en 1972 alors que les Etats-Unis entretenaient des relations diplomatiques normales avec Taiwan, sans parler d’assistance militaire ou de collaboration étroite.

La mission du pape est religieuse. En fait, l’activité diplomatique du Saint-Siège est seulement fonction de la paix et de la mission pastorale de l’Eglise. Cette mission pastorale passe avant tout succès diplomatique. C’est la raison pour laquelle l’Eglise ne peut pas, ainsi, accepter les préalables imposés par Pékin. Pour l’Eglise, la diplomatie n’est qu’un simple instrument pour assurer sa légitime liberté et ses droits. Quand le gouvernement chinois acceptera d’accorder à l’Eglise ces droits si longtemps attendus, le différend diplomatique sera réglé.

La nomination des évêques

Le second préalable, à savoir, la non-ingérence dans les affaires intérieures chinoises, se rapporte, avant tout, à la nomination des évêques. Pour l’Eglise catholique, c’est une question primordiale de liberté et d’autonomie. L’Eglise jouit de ce droit partout dans le monde. Puisqu’il est évident que les évêques sont des personnalités religieuses et non des personnalités politiques, leur nomination relève du pape et non du gouvernement. Cependant, un évêque est une autorité importante dans la société civile. D’où le souhait du Saint-Siège d’accepter des concessions raisonnables et légitimes, ce qu’il a fait dans d’autres pays, comme par exemple, à Cuba et au Vietnam. La balle reste donc dans le camp du gouvernement chinois.

L’activisme diplomatique du Vatican

Dans un passé récent, les diplomates du Vatican ou des personnes proches du Vatican se sont livrés à de nombreuses démarches auprès du gouvernement chinois. Certains ont pu croire que le message papal au peuple chinois d’octobre 2001 pourrait ouvrir la voie à un accord historique. Ces espoirs ont été déçus. Je suis persuadé que la diplomatie et les démarches diplomatiques peuvent se révéler nécessaires, mais elles ne sont certainement pas essentielles à la mission de l’Eglise, qui est avant tout religieuse et spirituelle. L’Eglise chinoise, comme beaucoup d’Eglises dans d’autres régions du monde, a survécu sans l’aide de succès diplomatiques, et je ne vois pas pourquoi il faudrait maintenant poursuivre dans cette voie, à tout prix. Il n’y aura pas d’avancée notable tant que le pays et le pouvoir politique n’auront pas changé. Je vois d’autres priorités pour l’Eglise de Chine, qui est en train de changer de façon significative. Il nous faut soutenir sur le plan pastoral et spirituel les évêques, les prêtres, les religieuses, les séminaristes et les fidèles, dans cette période délicate où le leadership passe de l’ancienne à la nouvelle génération. Par-dessus tout, nous devons aider l’Eglise chinoise à faire face aux défis insidieux de la modernisation et de la sécularisation.

Notes

(1)Au sujet du Document 19, voir, entre autres, EDA 217 (Cahier de documents)

(2)Voir EDA 279 (Cahier de documents)

(3)Voir EDA 283

(4)Voir EDA 346 et 349 (Cahier de documents)

(5)Voir EDA 301, 302, 309, 312

(6)Voir EDA 307

(7)Voir EDA 279, 281, 303