Tout cela va finalement changer le 1er octobre, quand la nouvelle réglementation concernant l’enregistrement des mariages va prendre effet. Avec les nouvelles règles, les couples qui se présentent aux bureaux d’enregistrement des mariages ne devront présenter que leurs cartes d’identité et les documents attestant de leur lieu de résidence.
Le changement a été annoncé en Chine comme un progrès significatif de la liberté individuelle. Wang Zhenyu, un expert éminent concernant le mariage à l’Académie chinoise des sciences sociales, considère que c’est « une révolution indiquant une plus grande ouverture et une approche plus humaine de la part du gouvernement. Mais certains attirent l’attention sur le fait que les réformes administratives « populistes » du gouvernement demeurent très sélectives. L’Etat contrôle encore dans le détail d’autres aspects de la vie privée des citoyens et, tandis que l’espace des libertés individuelles des Chinois augmente, les droits qui leur permettraient de se défendre en justice ne leur sont pas accordés.
La nouvelle loi concernant le mariage faite suite à d’autres initiatives populaires. Dans trente-quatre villes situées sur la côte est, les citoyens peuvent désormais faire une demande de passeport sans avoir à présenter une lettre de leur employeur d’Etat ou de leur comité de quartier. Depuis le 1er septembre, les citoyens de toutes ces villes peuvent aussi demander des documents de voyage pour visiter Hongkong et Macao en tant que visiteurs individuels, en l’absence de toute autorisation officielle. Le ministère de la Sécurité publique indique qu’il a l’intention d’élargir cette procédure à cent villes d’ici la fin de l’année. De plus, les travailleurs « migrants » ne peuvent plus être ni détenus, ni expulsés des villes, s’ils n’ont pas sur eux les permis et documents d’identité adéquats.
Nicolas Becquelin, directeur de recherches d’un groupe de défense des droits de l’homme en Chine basé à Hongkong, considère que l’évolution de l’enregistrement des mariages représente « un élément faisant partie d’une évolution plus vaste tendant à rationaliser beaucoup de réglementations et procédures affectant la vie de la population ». Il reconnaît que « les réformes de cette nature accroissent vraiment la liberté individuelle des citoyens chinois ». Il insiste cependant sur le fait qu’« il est fondamentalement différent de disposer d’un peu plus d’espace de liberté individuelle ou d’avoir effectivement et réellement des droits ».
D’après Nicolas Becquelin, avoir des droits implique de disposer effectivement des moyens de les défendre quand on a le sentiment qu’ils ne sont pas respectés. Or le système politique et juridique chinois actuel y fait obstacle. Trop souvent, dit-il, « le gouvernement n’accepte pas d’être mis en cause en justice ». Il ajoute que l’évolution vers une simplification des procédures est « un processus sélectif, qui n’est pas transparent, et qui dépend des autorités centrales qui décident de ce qui peut être rectifié ou transformé et de ce qui doit rester en place ».
Ce caractère sélectif est bien apparent. Le Parti communiste n’est pas prêt à octroyer aux citoyens la liberté de parole ou d’association. Il n’est pas non plus prêt à remettre en cause sa position concernant la politique de limitation des naissances. Chaque région chinoise dispose de réglementations compliquées, précisant d’une part le nombre d’enfants que peut avoir un couple (le maximum étant en règle générale fixé à deux), et ayant d’autre part pour objectif le contrôle des naissances d’enfants dits « inférieurs entendant par là ceux qui auraient des infirmités.
La réglementation stipulant que les employeurs doivent approuver le mariage remonte à l’époque sombre des contrôles stricts exercés à l’encontre de la société, lorsque Mao Zedong dirigeait la Chine. Bien que les nouvelles règles d’enregistrement des mariages aient été promulguées en 1994 lorsque les réformes économiques et sociales allaient de l’avant, elles n’ont pas été mises en application.
Wu Changzhen, professeur à l’Université de Chine de droit et des sciences politiques, précise que la demande officielle d’une autorisation écrite de l’employeur n’aurait jamais dû conférer « le moindre droit ou privilège » à ses signataires. La lettre devait simplement confirmer le statut matrimonial et l’âge du couple auprès des autorités. Mais elle ajoute que « dans sa mise en application, cette autorisation est utilisée par certaines unités de travail (danwei) comme un moyen de pression ». Une myriade de raisons peut être invoquée pour ne pas délivrer l’autorisation écrite. « Ils peuvent penser que votre mariage n’est pas convenable ou que vous avez enfreint la morale ajoute Wu. Des ressentiments personnels ne sont pas toujours absents, tout comme les divagations propres à la politique de l’enfant unique. Des quotas annuels concernant le nombre de naissances autorisées sont attribués aux employeurs individuels, comités de quartier et villages. Selon Wu Changzhen, « si les quotas sont restreints, les autorités locales peuvent essayer de dissuader la population de se marier en refusant de délivrer les autorisations écrites. Tout cela va à l’encontre du droit au mariage ».
Wu Changzhen, qui a été consultée par le ministère des Affaires civiles pour la rédaction du projet de la nouvelle réglementation, insiste sur le fait que « les gens devraient être libres de se marier. C’est une décision qui doit découler de leur propre initiative. Il ne devrait être permis à personne d’interférer ». Personne ne semble être en désaccord avec la suppression des autorisations écrites. « Je n’ai pas entendu parler de la moindre opposition déclare Wu Changzhen.
Cependant, le débat s’envenime à propos d’un autre changement intervenant dans les règles d’enregistrement du mariage, s’agissant cette fois-ci de la suppression de la visite médicale obligatoire prénuptiale pour le couple. Des critiques, surtout de la part des établissements médicaux et du planning familial, affirment que la suppression de l’examen médical prénuptial pourrait conduire à beaucoup plus de naissances d’enfants « diminués ».
La « qualité » des enfants
Wu Changzhen dit qu’en renonçant à la visite médicale obligatoire, les rédacteurs du projet voulaient rendre le couple responsable de sa santé, plutôt que de dépendre de l’Etat. Ils ne voulaient pas non plus donner aux médecins un droit de veto sur les mariages. En plus, une véritable industrie s’est développée autour des examens prénuptiaux. Wu Changzhen dit aussi que les médecins des cliniques désignées par l’Etat pour effectuer les examens prénuptiaux font généralement des examens trop approfondis et facturent de ce fait payer des montants colossaux.
Mais les critiques faites par les services médicaux notent que les examens prénuptiaux sont requis par la Loi chinoise sur la santé de la mère et de l’enfant. Wu Changzhen observe que la loi tend à s’assurer de la « qualité » des enfants, et non pas du mariage. « Pour le mariage, nous disposons d’une loi sur le mariage., et la loi sur le mariage n’exige pas d’examens médicaux prénuptiaux. »
Wu Changzhen ajoute qu’elle ne voit pas d’obstacle à ce que le ministère de la Santé et la Commission d’Etat pour le Planning familial et la Population soient impliqués après le mariage. Et si une femme est enceinte et « si les examens montrent des anomalies, si l’enfant est anormal, nous pouvons la faire avorter, dit-elle. Nous pouvons envisager de remédier à la situation de différentes façons. Il n’est pas nécessaire d’exiger que tout le monde présente un certificat médical lors de l’enregistrement du mariage. »
Comment Wu Changzhen justifie-t-elle le fait de ne pas impliquer l’Etat dans les décisions concernant le mariage, tout en étant fortement impliqué dans les décisions concernant les naissances ? Elle répond que « le mariage a une importance pour la société, mais que c’est une affaire personnelle du ressort des individus ». A l’opposé, « l’enfant est clairement l’affaire de la société. Il s’agit de la génération future pour la société. ayant un impact sur la prospérité de la nation et sur le développement de la société. » Wu Changzhen ajoute : « Si la prochaine génération n’est pas ‘supérieure’, alors que ferons nous ? Le pays aura des problèmes. »