Eglises d'Asie

LES RELIGIONS ET LES CROYANCES EN CHINE

Publié le 18/03/2010




Leçon 7 du manuel de chinois destiné aux étudiants étrangers

Beaucoup d’Occidentaux disent que les Chinois ne croient en aucune religion. De plus, bien des gens pensent que les Chinois n’ont pas leur propre religion. Est-ce vrai que les Chinois n’ont pas de religion ?

Tant de gens ont des doutes parce que les Chinois d’aujourd’hui ne s’engagent pas vraiment dans les religions et ne sont pas suffisamment attentifs à celles-ci, en comparaison avec les Occidentaux ou d’autres peuples d’Asie. Les raisons sont d’origine sociale et politique, certaines sont même idéologiques.

Depuis la fondation de la République populaire de Chine en 1949, le gouvernement encourage les gens à compter sur leurs propres efforts et sur leur dur labeur, pour favoriser la prospérité du pays, plutôt que de croire en des esprits et divinités ; il n’encourage pas non plus à croire en la force des religions. Cette attitude du gouvernement a profondément influencé les jeunes générations. A part ces considérations politiques, les croyances religieuses ne sont pas développées, non seulement sur le continent chinois mais aussi dans les milieux chinois de la société moderne (Hongkong, Taiwan). Ceci est dû au fait que les religions en Chine n’ont pas une organisation aussi stricte que celles d’Occident avec des activités organisées régulièrement. De plus, les traditions religieuses chinoises ne sont pas aussi puissantes que celles d’Occident qui ont influencé la pensée de l’homme moderne et la technologie.

Comme les autres civilisations dans le monde, les Chinois avaient, à l’origine, une religion primitive. Plus tard, avec le développement de la société et l’évolution de la civilisation, apparurent diverses religions au contact des peuples. La civilisation chinoise absorba plusieurs religions venues d’ailleurs : par exemple, elle a “sinisé” des religions extérieures et en a fait des religions chinoises. On se rend compte d’après cette introduction, que non seulement il y avait des religions en Chine mais qu’elles ont fait l’expérience de riches périodes de développement. La mise en avant constante du principe qui consiste à “laisser cent fleurs s’épanouir” (une politique fixée par le président Mao Zedong pour transformer et développer l’art théâtral chinois) de la civilisation chinoise s’est aussi appliquée au développement de la religion. Durant ces dernières années, avec les réformes, l’ouverture de la Chine sur le monde et la recherche de coopération étroite avec les pays occidentaux, les gens ont commencé à faire davantage attention au développement moderne des religions. Il y a de bonnes raisons de croire qu’avec les progrès réguliers de l’économie chinoise, de la politique et de la technologie, la restauration et le développement des religions chinoises sont entrés dans une ère nouvelle.

Il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, les peuples primitifs ne disposaient pas de bonnes forces productives et n’avaient pas d’assez de nourritures et de vêtements. C’est pourquoi ils avaient besoin de s’en remettre à la “bonté du Ciel” et de la nature. En plus d’adorer le Ciel, leur religion consistait aussi à rendre un culte à des phénomènes mal connus et puissants tels que, par exemple, le vent, la pluie, le tonnerre, les éclairs, etc. Le manque de connaissance de ces peuples primitifs les amenait à penser qu’ils ne pouvaient pas comprendre ces phénomènes ; beaucoup de choses en ce monde étaient mystérieuses. Ils les mettaient en relation avec leur propre destin et pensaient qu’ils devaient les respecter. Plus tard, les religions, primitives ont été décrites de la façon suivante : “C’était la croyance que toute chose était habitée par un esprit.” On appelle aussi ces pratiques “le culte du Ciel et de la Terre 

C’est sur la base du “culte du Ciel et de la Terre” que les Chinois ont créé leur religion qui inclut le culte des ancêtres. Quand ces gens primitifs travaillaient, ils avaient diverses difficultés. Certains chefs braves et intelligents les aidèrent à vaincre celles-ci et à remporter des succès. Ces chefs devinrent des “Héros culturels” de la nation chinoise. Finalement, ils se transformèrent progressivement en divinités et en ancêtres communs de la nation chinoise ; par exemple “Yandi” et “Huangdi” à qui les gens rendent un culte. Cette tradition du culte des ancêtres s’est poursuivie mais les gens, maintenant, ne reconnaissent que leurs propres ancêtres au lieu d’accepter ceux de toute la nation. Jusqu’à aujourd’hui, à l’occasion de la Fête du Nouvel An et d’autres célébrations, on brûle des bâtons d’encens à ses ancêtres défunts, on leur fait des prosternations, et on leur offre des sacrifices etc. Le culte des ancêtres consiste en tout cela.

Après la dynastie des Qin et des Han, apparurent des religions à dimension nationale telles que le taoïsme ou le bouddhisme. De plus, le confucianisme arriva et influença le développement de la culture chinoise. Les sinologues occidentaux qui étudient la composition de la civilisation chinoise divisent toujours l’ancienne religion en trois branches : le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme. En fait, ce dernier n’est pas une religion, mais il a joué un rôle irremplaçable, plus important qu’aucune religion, dans le développement de la culture ancienne du pays. C’est une culture, une philosophie que les Chinois n’ont jamais considérée comme une religion.

(Suit une présentation succincte des différentes religions présentes en Chine : taoïsme, bouddhisme, islam, judaïsme et christianisme.)

Ce que l’on doit aussi mentionner est le développement du christianisme en Chine. Il fut introduit durant la dynastie des Tang et était appelé la “Religion de la lumière Mais plus tard, son influence diminua. Pendant la dynastie des Yuan, il fut réintroduit et une église appelée “le Temple de la Croix” fut construite. Elle avait certaines relations avec l’Europe. Il y eut à cette époque des luttes cruelles entre chrétiens, bouddhistes et taoïstes. Pendant les dynasties des Ming et des Qing, les religieux chrétiens d’Occident tentèrent encore et encore d’entrer en Chine pour l’évangéliser. Durant la propagation du christianisme, qui était identifié à la civilisation occidentale, celui-ci et la culture traditionnelle chinoise entrèrent en conflit. Finalement, l’Occident apporta quand même des lumières (1) et diverses contributions. Le christianisme est l’une des religions les plus influentes dans le monde, il rassemble beaucoup de croyants en Chine.

Les spécialistes qui ont étudié la culture chinoise depuis les débuts se rendent compte que les croyances des Chinois sont différentes de celles des autres nations. Les croyants chinois font attention aux avantages qui sont visibles, en conséquence, ils peuvent croire en plusieurs religions à la fois. Par exemple, une famille chinoise peut pratiquer le culte des ancêtres, adorer les dieux du taoïsme et, en même temps, brûler des bâtons d’encens à Bouddha. Les Chinois préfèrent laisser les dieux vivre en harmonie et les invoquer quand ils en ont besoin.

Les Chinois, à cause de cette attitude religieuse, à la fois désinvolte et intéressée, n’ont ni grand amour, ni grande haine envers les religions. Leurs pratiques et leurs offrandes ne sont jamais inconditionnelles.

Depuis les temps anciens jusqu’à maintenant, les Chinois considèrent la religion sous un angle pratique. Ils se souviennent qu’ils ont une religion quand ils ont besoin d’aide : une telle attitude est typique du pragmatisme religieux chinois. Celui-ci est résumé par un dicton célèbre : “Ne brûle pas d’encens quand tout va bien mais étreins les pieds du Bouddha quand tu es en détresse.”

Jusqu’à maintenant, les êtres humains ont une connaissance limitée. Beaucoup de phénomènes ne peuvent pas être expliqués. Ils sont mystérieux et impossibles à prédire. C’est un terrain favorable pour la croissance des religions qui, elles, expliquent ces phénomènes par leur doctrine.

Quelle est l’attitude des Chinois éduqués face à celles-ci ? Référons-nous à ce que disait Confucius, le grand penseur des temps anciens. Les textes du Sage n’ont pas parlé d'”hyper puissance” ou de divinités différentes. Quand on lui a demandé s’il savait quelque chose au sujet de la mort, il répondit clairement : “Nous ne connaissons pas la vie, comment pourrions-nous connaître la mort ?”

En lisant cela, vous pouvez avoir l’impression que Confucius n’avait foi ni dans les esprits, ni en aucune divinité. Il s’en tenait à distance tout en les respectant. Cette attitude du Sage a influencé des générations. Plus tard, les Chinois ont respecté les différents dieux et toute sorte de religions ou ont même cru et croient en eux. Un certain nombre de gens sont enclins à croire qu’il y a quelque chose plutôt qu’à croire qu’il n’y a rien du tout.

————————————————

Commentaire

Ce texte est intéressant à bien des points de vue. Il est tiré du nouveau livre de chinois des étudiants étrangers en Chine. C’est la septième leçon de l’ouvrage rédigé pour les Occidentaux, Asiatiques et Africains qui, de plus en plus nombreux, s’initient à la langue et à la culture chinoises.

Le gouvernement chinois est extrêmement soucieux de donner aux étrangers une bonne image de la Chine. En outre, il contrôle étroitement toutes les publications et, tout spécialement, celles concernant les religions en Chine. En effet, cel-les-ci pourraient finir par mettre en danger l’athéisme qui est toujours la doctrine officielle du pays. On peut donc être certain que ce texte reflète la pensée officielle actuelle des dirigeants chinois. Mais il s’agit, ici, d’une pensée adoucie, à laquelle on a raboté les angles, de façon à ne pas choquer ces étrangers qui viennent faire des études en Chine. Ils rapportent beaucoup d’argent au pays, il convient donc de ménager leur sensibilité en ce qui concerne les religions.

Première remarque : En Chine, pour les étudiants étrangers, on aborde maintenant ouvertement le sujet des religions en cours. C’est nouveau. Durant les années 1980, on répondait aux questions des étudiants par des formules vagues, sous-entendant que c’était un phénomène du passé qui se confondait plus ou moins avec les superstitions et qui était en train de mourir de sa belle mort. (L’auteur de ces lignes a lui-même fait des études en Chine durant cette période.) Puis on a affirmé que les religions ne constituaient pas un sujet de discussion intéressant en classe, en comparaison avec le développement économique, scientifique et technique de la Chine. Il ne convenait donc pas de s’attarder sur le passé de la Chine mais plutôt de regarder avec optimisme devant soi.

Le fait que le sujet soit inclus maintenant dans les manuels peut signifier que les dirigeants voient les religions de façon plus positive maintenant mais, également, que les professeurs de langue chinoise, harcelés par les questions des étudiants, ont décidé de ne plus tergiverser et d’aborder le sujet de front.

Seconde remarque : Même s’ils ne parlent pas d’“opium du peuple les auteurs de ce textes sont fidèles aux théories du marxisme dans leur analyse des phénomènes religieux. La religion, selon eux, est le résultat de l’ignorance et de la pauvreté. On les pratique pour conjurer le malheur et le mauvais sort. On sent aussi, derrière certaines affirmations du texte, la théorie du dépérissement des religions qui pointe son nez. Les religions chinoises ne sont ni solides ni vivaces. Leur mort naturelle est d’ores et déjà prévisible. Finalement, les religions sont considérées comme des raccourcis pour expliquer des phénomènes naturels étonnants (pluie, tonnerre) mais jamais comme une quête spirituelle, une recherche du sens de la vie ou une tentative de communiquer avec la transcendance.

Troisième remarque : La Chine est vue du point de vue des “Han” : on ne parle pas du tout des Tibétains et autres minorités ethniques (52 en tout) qui ont toutes des religions. On développe le point de vue que, pour les Chinois, la religion a des bases douteuses, qu’elle est utilitaire et peu profonde. En conséquence, on en conclut que la vie religieuse est marginale dans le pays et, que pour la grande majorité des gens, l’essentiel de leurs préoccupations n’est pas là.

On peut se demander, si telle est vraiment la situation et pourquoi le gouvernement chinois déploie une telle énergie pour persécuter et contrôler, à tous les niveaux, des religions que l’on affirme pourtant inoffensives. Les terribles persécutions du passé, surtout au moment de la prise du pouvoir par les communistes et durant la Révolution culturelle, se réduisent, d’après les auteurs, à des encouragements (quel euphémisme !) à ne compter que sur son travail et à ne pas s’en remettre aux religions. Certes les persécutions ont diminué d’intensité au fil du temps mais elles perdurent encore dans la Chine d’aujourd’hui. Le zèle que déploient les différentes associations gouvernementales – Association patriotique de catholiques de Chine, Mouvement des trois autonomies protestant, etc. – pour contrôler les activités religieuses du pays témoignent d’un souci constant : tenir à distance les dirigeants de religions, canaliser les divers courants spirituels qui se manifestent dans le pays pour les rendre inoffensifs, empêcher les religions de reprendre progressivement de l’importance. N’y a-t-il pas là une contradiction entre ce qui est proclamé ci-dessus et la politique délibérément anti-religieuse du gouvernement ?

Le gouvernement chinois craint les Tibétains, réprime la religion lamaïste et n’a toujours pas permis au dalaï lama de revenir chez lui. Il redoute aussi que les musulmans du Xinjiang communiquent avec leurs coreligionnaires des pays limitrophes tels que le Kazakhstan et le Tadjikistan. Il craint qu’ils s’organisent pour demander l’indépendance et, à cette fin, perpétuent des attentats. Il empêche les catholiques chinois d’avoir des relations normales avec le Saint-Siège et s’ingère dans la nomination des évêques. Il interdit les réunions domestiques des protestants, en dehors des lieux rouverts. Il emprisonne les membres du Falungong sous prétexte que c’est une secte perverse.

L’enseignement du marxisme athée est toujours matière obligatoire à examen dans toute l’éducation primaire, secondaire et supérieure dans tout le pays. La publication de livres ou de revues à thème religieux est toujours strictement limitée en nombre et les contenus censurés. Pourquoi déployer de tels efforts pour combattre une attitude religieuse qui serait, selon ce texte, à la fois désinvolte et intéressée ? Si les Chinois n’ont ni grand amour, ni grande haine envers les religions, si celles-ci sont vraiment marginales, pourquoi les contrecarrer ?

Quand on étudie les attitudes face au phénomène religieux dans les universités chinoises, on se rend compte qu’effectivement beaucoup de jeunes se déclarent de prime abord athées. Mais dès qu’on gratte un peu il apparaît tout de suite que ce n’est pas un athéisme de conviction mais d’ignorance. Ces étudiants n’ont eu aucun moyen durant leur jeunesse de connaître les religions et ils reconnaissent volontiers que leur attitude est le fruit de leur éducation. En effet, depuis leur plus jeune âge, on leur a martelé que croire en une religion était de l’obscurantisme et que Dieu n’existait pas. Aussitôt qu’on leur explique pourquoi on croit en Dieu et quel est le fondement de la foi au Christ, leur attitude change et ils découvrent un univers nouveau, celui de la vie spirituelle, qu’ils ne soupçonnaient pas avant. La plupart d’entre eux n’ont jamais réfléchi à des problèmes tels que la vie après la mort, l’existence du mal, le sens de la vie. L’ignorance dans laquelle on élève les jeunes Chinois engendre de l’immaturité et une absence totale de questionnement personnel. Pour eux, le monde est simple, il n’y a qu’une vérité, celle qu’enseigne le Parti communiste. Il suffit d’obéir à ses ordres pour pouvoir passer une vie sans problème.

Pour adhérer au Parti communiste chinois, il faut faire serment d’athéisme. Mais beaucoup le font sans même se rendre compte de la portée de cet engagement. Plus tard, parfois, ils découvrent une foi ou se mettent à pratiquer de nouveau la religion à laquelle ils adhéraient avant. Les responsables du Parti sont très sévères envers ceux de ses membres qui pratiquent une religion. Les mises en garde et les promesses de sanctions sévères sont significatives. Cependant, malgré les menaces, nombreux sont ceux qui enfreignent cette règle et les rappels à l’ordre restent sans effet. Il semble bien que la terrible répression qui a frappé le Falungong soit due au fait que de nombreux cadres du Parti soutenaient secrètement ce mouvement spirituel ou même y adhéraient. Il y avait aussi, vraisemblablement, dans les rangs même du gouvernement quelques partisans de ce mouvement. Les responsables du parti se sont tout de suite rendus compte qu’il y avait là une menace pour leur pouvoir.

Les Chinois ont une religion très pragmatique, fondée sur l’intérêt personnel. C’est vrai pour beaucoup de gens dans le monde entier aussi bien que pour ceux de l’ancien Empire du Milieu. Les auteurs de ce texte doutent des motivations des gens qui adhèrent à une religion. Ils ont raison. Celles-ci sont rarement pures. Mais ils feraient bien, par la même occasion, de s’interroger également sur les motivations de ceux qui adhèrent au Parti communiste. Ne le font-ils pas surtout par pragmatisme et intérêt personnel ? On voit que l’argument pour dénigrer les religions traditionnelles en Chine peut se retourner contre ceux qui l’avancent.

En fait, ce document s’adresse probablement d’abord à ceux qui, parmi les étudiants étrangers, voudraient communiquer leur foi à leurs amis chinois. On les avertit d’avance : les Chinois ne sont pas très intéressés par les religions, ce ne sont pas de bons croyants. Ne vous lancez pas dans une aventure hasardeuse : vous dépenserez beaucoup d’énergie et vous serez déçus du résultat.

Le texte ci-dessus comporte de bonnes observations. Son ton est modéré et son contenu tolérant est rassurant. Pourtant il est peu convainquant. Les auteurs ne sont certainement jamais allés voir à Hongkong ou à Taiwan, et moins encore en Occident, ce que signifiait croire en une religion. Ils y auraient découvert qu’il y a différents niveaux d’adhésion et de participation et qu’on ne peut juger un mouvement spirituel sur les déformations et les déviations que certains de ses membres font subir à l’idéal proposé. On ne peut prendre pour norme la foi de gens non pratiquants, peu éclairés ou mal formés. Les mêmes auteurs ne semblent pas soupçonner non plus que les religions naturelles et celles qui sont révélées sont sensiblement différentes. Visiblement, nous avons à faire à des observateurs qui ont fait un effort d’objectivité et d’ouverture sur le monde religieux mais qui n’en demeurent pas moins tout à fait extérieurs à la réalité étudiée et totalement inféodés au tout-puissant Parti communiste chinois qui, comme toujours en ce domaine, dicte ses exigences et sa façon de voir.

(1)Terme vague qui peut signifier la philosophie des Lumières, l’éveil de la Chine ou une nouvelle inspiration