Eglises d'Asie

Dans un contexte de tensions anti-chrétiennes persistant, les évêques catholiques disent leur refus d’une éventuelle loi anti-conversion

Publié le 18/03/2010




Par un communiqué en date du 14 janvier dernier, la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka a mis en garde les autorités contre toute tentative visant à faire voter une loi rendant “les conversions non éthiques” illégales. Les évêques estiment qu’une telle loi ne résoudrait rien et ne ferait qu’attiser les divisions et polariser la société en groupes antagonistes. Signé de Mgr Oswald Gomis et de Mgr Marius Peiris, président et secrétaire général de la Conférence épiscopale, le communiqué a été rendu public dans un contexte marqué par la persistance d’actes violents dirigés contre la minorité chrétienne.

On se souvient qu’après le décès en décembre dernier d’un moine bouddhiste connu pour son engagement en faveur d’une campagne contre ce qu’il caractérisait de “conversions non éthiques” de bouddhistes par des chrétiens fondamentalistes, les fêtes de Noël avaient été marquées par des tensions assez vives, la police étant amenée à protéger un certain nombre de lieux de culte chrétiens (1). Passé le nouvel An, les tensions se sont poursuivies et deux églises catholiques au moins ont été l’objet d’attaques lancées, selon toute vraisemblance, par des bouddhistes. Le 15 janvier, l’église St Michael à Homagana, à vingt-cinq kilomètres de Colombo, était partiellement détruite par un incendie criminel et la police, intervenue rapidement sur les lieux, a arrêté un suspect. Le 18 janvier à deux heures du matin, c’était au tour de l’église St Anthony à Pannipitiya, à une vingtaine de kilomètres au sud de Colombo, d’être elle aussi partiellement incendiée par une foule de bouddhistes venus d’un temple voisin. Ce nouvel incident s’est produit en dépit du fait que deux policiers avaient été placés en faction devant l’édifice catholique pour le protéger, une décision prise par les autorités locales après que, depuis le 28 décembre dernier, deux attaques aient été commises contre des lieux de culte de la paroisse. Enfin, dans la nuit du 26 au 27 janvier, une église catholique de la banlieue de Colombo a été attaquée, ses vitraux brisés, des statues endommagées et des bibles brûlées. Trois jours auparavant, dans une intervention télévisée, la présidente Chandrika Kumaratunga, qui détient le portefeuille de l’Intérieur, avait fermement condamné l’ensemble de ces attaques contre des lieux de culte chrétiens et demandé au chef de la police de démasquer les coupables.

Ce sont des articles parus récemment dans la presse locale qui ont motivé les évêques à prendre publiquement position le 14 janvier. Selon ces articles, le gouvernement réfléchit à un projet de loi anti-conversion sur le modèle de textes similaires votés l’année dernière dans plusieurs Etats de l’Inde voisine et devrait proposer un texte d’ici à la fin du mois de février 2004. Dans leur communiqué, les évêques commencent par se dire “gravement préoccupés” des tensions interreligieuses constatées dans le pays. Ils poursuivent en écrivant qu’ils sont conscients que ces tensions sont dues aux préoccupations suscitées par ce qui, dans certains cercles, est perçu comme étant des “conversions contraires à l’éthique” et déclarent immédiatement après que “eux aussi expriment leur désaccord sans équivoque” face à des conversions “frauduleuses” qui seraient obtenues en recourrant à des avantages matériels (2). Dans un entretien à l’agence Fides, Mgr Oswald Gomis a été encore plus clair, disant que “les racines de la violence résident dans l’attitude de plusieurs sectes protestantes qui ont lancé une campagne de conversions”. L’archevêque de Colombo expliquait que les catholiques font les frais des plaintes selon lui justifiées de la communauté bouddhiste car les non-chrétiens ont tendance à confondre les protestants et les catholiques. Il ajoutait avoir essayé de parler aux dirigeants protestants en cause, “mais beaucoup d’entre eux n’écoutent pas nos suggestions”.

Pour désarmer les tensions constatées, les évêques disent qu’il est effectivement nécessaire de trouver le moyen de régler ces problèmes si l’on veut créer dans le pays une atmosphère d’amitié entre les religions. Après une étude approfondie de la situation, les évêques disent être convaincus que le recours à la voie législative dans ce domaine est une impasse et ne ferait même qu’exacerber les passions. Dans le cas où une loi anti-conversion serait votée, écrivent les évêques, le risque est de voir, devant les tribunaux, une polarisation de la société selon des lignes de fracture confessionnelles. Les personnes qui se trouveraient être reconnues coupables apparaîtraient comme des martyrs aux yeux de leur communauté d’appartenance et les relations entre les communautés n’en deviendraient que plus conflictuelles.

Développant leur réflexion, les évêques estiment que l’Etat n’a pas à juger des intentions d’une personne quant à son appartenance ou à son changement d’appartenance religieuse. Ce sont des choix qui appartiennent au secret d’une conscience laquelle est inviolable et l’Etat ne saurait dire ce qui est “acceptable” ou “inacceptable” dans les raisons qui motivent une personne dans son choix de se convertir ou de conserver sa foi religieuse.

De plus, ajoutent les évêques, une loi restreignant la liberté de se convertir ou de ne pas se convertir peut trop aisément devenir “un outil de harcèlement, d’abus et d’intimidation” à l’encontre des minorités religieuses d’un pays donné. C’est pourquoi, écrivent-ils, lorsque le Tamil Nadu a adopté une ordonnance pour restreindre la liberté de conversion, les bouddhistes de cet Etat indien se sont joints aux chrétiens pour dire leur opposition. Plus récemment, au Gujarat, toujours en Inde, plusieurs milliers de personnes ont choisi de se convertir au bouddhisme dans un acte public de défi pour, précisément, protester contre un texte de loi similaire (3).

Revenant à la situation sri-lankaise, les évêques disent que le pays doit se souvenir des impasses provoquées par les lois relatives à l’usage de la langue majoritaire pour éviter de reproduire dans le domaine religieux des erreurs débouchant sur des tensions interreligieuses. Ils proposent de mettre sur pied une commission sur le modèle de la Press Complaints Commission qui, dans le domaine de la presse, est habilitée à recevoir les plaintes pour diffamation. Selon les évêques, une commission interreligieuse ad hoc recevrait la mission d’enquêter sur les accusations de “conversions non éthiques” et ses avis, outre l’autorité dont elle serait investie, pourraient contribuer à bâtir un respect et une confiance mutuels entre les religions.

Pour finir, Mgr Gomis et Mgr Peiris rappellent que l’Eglise catholique est attachée au service de tous, quelle que soit leur appartenance religieuse, et que, “comme toutes les religions elle ne cache pas sa doctrine aux gens. Ils écrivent enfin que chacune des grandes religions établies aujourd’hui au Sri Lanka a son origine hors du pays et a été adoptée comme faisant partie intégrante de leur vie par ceux qui la professent. “Même aujourd’hui, concluent-ils, des religions orientales comme le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam sont adoptées par un grand nombre de personnes en Occident, fruit des efforts entrepris pour les propager dans ces pays.”