Eglises d'Asie

RENOUVEAU DES TENSIONS DANS LE SUD MUSULMAN DU PAYS

Publié le 18/03/2010




Après une longue absence, l’armée thaïlandaise s’est une nouvelle fois déployée dans le sud thaïlandais. Une flambée de violence dans cette région majoritairement musulmane a réveillé les craintes de certains responsables que l’insurrection musulmane dans cette partie du pays, depuis longtemps en sommeil, s’était soudainement réactivée. Toutefois, des diplomates occidentaux, des hommes politiques et des militants engagés sur le terrain social appartenant à la minorité musulmane de Thaïlande suggèrent que les violences qui viennent de se produire pourraient en fait être dues à un conflit rampant mais féroce entre certains éléments perdus actifs au sein de la police et de l’armée thaïlandaises.

Des groupes jusqu’ici non identifiés ont incendié vingt écoles publiques et lancé un raid coordonné sur un arsenal de l’armée de terre le 4 janvier dernier dans la province de Narathiwat, tuant quatre soldats et subtilisant une importante quantité d’armes. Le lendemain, deux bombes ont explosé dans la province voisine de Pattani. Et enfin, deux jours plus tard, un groupe d’hommes masqués a ouvert le feu sur un poste de police isolé dans la province de Yala. A ce jour, aucune organisation – qu’elle soit étrangère ou thaïlandaise – n’a revendiqué ces différentes attaques.

Réagissant à cette crise, le Premier ministre Thaksin Shinawatra a dépêché trois membres du gouvernement et le chef d’état-major de l’armée de terre dans la région, leur donnant une semaine pour identifier et capturer les coupables. Sept jours ont passé sans aucune arrestation. Les responsables de la sécurité thaïlandais ont toutefois produit une liste de dix-huit suspects à leurs pairs en Malaisie. Les autorités thaïlandaises disent penser que certains suspects ont pu franchir la frontière que le sud thaïlandais partage avec la Fédération de Malaisie. Et, peu après, Kuala Lumpur et Bangkok se sont mis d’accord pour mettre en place des patrouilles terrestres et aériennes communes le long de la frontière – une première depuis les années 1970.

Les provinces méridionales de la Thaïlande ont une longue histoire d’insurrection larvée, nourrie principalement par la perception des musulmans locaux – qui représentent environ 5 % de la population totale du pays – selon laquelle le gouvernement central, dominé par des bouddhistes, met en ouvre une politique de discrimination fondée sur des critères religieux. Depuis la fin des années 1980, l’insurrection larvée avait pratiquement disparu, à l’exception de quelques groupuscules qui ont continué à l’occasion à faire le coup de feu durant les années 1990.

Selon certains spécialistes thaïlandais des questions de sécurité, le récent accès de violence indique que l’insurrection islamique dans la région redémarre, sans doute en réaction aux mesures mises en place depuis peu par les autorités thaïlandaises dans le contexte de la guerre menée par les Etats-Unis contre le terrorisme. Ces mesures vont jusqu’à surveiller les dirigeants musulmans locaux ainsi que les enseignants présents dans les écoles confessionnelles de la région ; elles impliquent aussi le stationnement de forces de police fortement armées dans les écoles coraniques de ces provinces. Dernièrement, le récent – et non résolu – assassinat d’au moins deux responsables musulmans locaux n’a pas contribué à apaiser les tensions, ajoutent des travailleurs sociaux.

Une crise des organes de sécurité

Si un mouvement militant musulman émergeait réellement, cela pourrait faire du sud thaïlandais un nouveau chaudron de l’extrémisme islamiste dans le Sud-Est asiatique, estiment des spécialistes des questions de sécurité. “Cela pourrait signifier le début d’une nouvelle époque de violence dans le sud [thaïlandaissi cette crise n’était pas gérée convenablement, affirme Panitan Wattanayagorn, professeur d’université, spécialiste des questions de sécurité. Cela constitue la première vraie crise de sécurité à laquelle ce gouvernement doit faire face.”

Jusqu’à maintenant, le gouvernement a indiqué que la probabilité que ces actes soient imputables à des terroristes était faible. Il a préféré les mettre sur le compte de malfaiteurs plutôt que d’incriminer d’éventuels séparatistes ou des terroristes. Le caractère complexe des attaques récemment commises et l’assaut apparemment très bien coordonné d’un avant-poste de l’armée à Narathiwat en avril dernier ont toutefois retenu l’attention des responsables de l’appareil de sécurité pour qui des ramifications internationales ne seraient pas à exclure.

Thaksin et le ministre de la Défense, Thammarak Issarangkura, ont affirmé que des écoles religieuses étaient devenues le terreau où prospérait un islamisme militant mais ne se sont pas risqués à établir un quelconque lien avec l’une ou l’autre organisation terroriste étrangère. “Le gouvernement explore toutes les dimensions du problème, y compris d’éventuelles ramifications internationales, a déclaré Jakrapob Penkair, porte-parole du gouvernement. Nous enquêtons sur ces incidents et nous fonderons notre politique sur des faits confirmés, pas sur des théories.”

Les problèmes de sécurité dans les provinces méridionales du pays ne datent pas d’hier. Selon des membres des services de renseignement thaïlandais, Hambali, connu aussi sous le nom de Riduan Isamuddin, un des responsables opérationnels du réseau Al-Qaida, et d’autres membres appartenant au mouvement islamiste indonésien de la Jemaah Islamiah ont trouvé refuge dans cette région sud de la Thaïlande après qu’en janvier 2002, Singapour et la Malaisie eurent déclenché de vastes opérations contre eux.

Hambali a été capturé le 11 août 2003 en Thaïlande, dans la ville d’Ayutthaya. Quelques temps auparavant, en juin de la même année, des agents thaïlandais avaient interpellé trois importants responsables islamistes à Narathiwat, les inculpant ensuite pour avoir pris part à un complot visant à faire exploser des bombes devant cinq ambassades étrangères. Enfin, un petit groupe de musulmans originaires du sud thaïlandais ont été arrêtés au Cambodge et accusés de préparer des actions terroristes.

Toutes ces arrestations, semble-t-il, ont mis en alerte les services thaïlandais au sujet des questions de sécurité dans le sud du pays. Un rapport confidentiel rédigé en juillet dernier par le Conseil national de sécurité du gouvernement thaïlandais met en garde contre “de nouveaux groupes islamistes” à l’ouvre dans ces régions. “A travers des contacts de plus en plus fréquents avec des extrémistes et des fondamentalistes des pays du Moyen-Orient, d’Indonésie, de Malaisie et des Philippines, ces derniers se sont transformés en une entité politique significative peut-on lire dans ce rapport qui précise aussi qu’une “organisation secrète” coordonne leurs actions et regroupe les restes de trois groupes autrefois insurgés contre Bangkok : l’Organisation de libération unie de Pattani (Pulo), le Nouveau Pulo et le Barisan Revolusi Nasional.

Avant les récentes actions menées dans les provinces du sud, les services de renseignement thaïlandais surveillaient au moins deux importants dirigeants islamistes qui, selon eux, avaient fourni un soutien logistique à Hambali ainsi qu’à d’autres membres de la Jemaah Islamiah lorsque ces derniers avaient traversé le sud de la Thaïlande au début de l’année 2002. Une surveillance décidée, toujours selon les services thaïlandais, après que les Etats-Unis eurent fourni des informations obtenues des interrogatoires de Hambali.

Lors d’un entretien réalisé avant les incidents de ce mois de janvier, un diplomate américain haut placé avait dit que les services américains à Bangkok observaient “l’émergence d’un fondamentalisme islamique et d’un islam politique nouveaux” dans les régions musulmanes principalement modérées de la Thaïlande. “L’islam change de par le monde et il change aussi dans le sud thaïlandais, avait dit ce diplomate. La perception établie de longue date selon laquelle les musulmans thaïlandais s’identifient traditionnellement en premier lieu comme Thaïlandais et en second lieu comme musulmans change.” Il partageait les vues des services de renseignement thaïlandais selon lesquelles certains responsables islamiques dans le sud du pays entretenaient des liens avec la Jemaah Islamiah.

Les Etats-Unis projettent d’établir une mission diplomatique dans la ville de Hat Yai, située dans le sud du pays, officiellement pour promouvoir les échanges culturels et gérer les programmes d’aide humanitaire. Selon un haut responsable des services de renseignement thaïlandais qui travaille avec la CIA, le gouvernement américain utilisera également cet avant-poste diplomatique comme un centre logistique pour la surveillance et le traitement de l’information concernant les organisations terroristes de la région.

Parallèlement, le gouvernement thaïlandais a renforcé les mesures de sécurité prises dans la région ces derniers mois. Outre la surveillance de certains responsables musulmans locaux et l’envoi de policiers dans des écoles coraniques, la loi martiale a été décrétée dans de nombreux districts de la région. Le ministère de l’Education rédige une proposition de loi pour un plus grand contrôle de l’Etat sur la centaine d’écoles coraniques, jusqu’ici très peu encadrées juridiquement. Enfin, les autorités ont récemment remis en place le recours à des milices locales – une tactique très controversée utilisée par l’armée thaïlandaise pour combattre les insurgés communistes dans les années 1980 – afin de patrouiller et de faire remonter du renseignement.

Pour certains hommes politiques musulmans, cette politique sécuritaire et le soutien du gouvernement à la guerre américaine contre le terrorisme pourraient bien aviver les tensions. [Les musulmans dans le sud] ne font toujours pas confiance au gouvernement, explique Den Tohmeena, sénateur de la province méridionale de Pattani. Les gens pensent que ce gouvernement se soucie plus de plaire aux Etats-Unis que de régler les problèmes locaux.”

Tout le monde n’est pas convaincu de la responsabilité de militants islamistes ou d’insurgés musulmans dans le récent accès de violence. Certains diplomates occidentaux et des analystes thaïlandais de la scène politique avancent l’hypothèse selon laquelle des cliques de policiers et d’officiers de l’armée luttent entre elles pour le contrôle de certains trafics et pourraient bien être impliquées dans les attaques. Ils remarquent que le sud thaïlandais est bien connu pour abriter des syndicats du crime organisé actifs dans toutes sortes de trafics – du trafic d’armes à celui d’êtres humains. “Ces réseaux entretiennent des relations bien placées et sont protégés localement par la police, l’armée et les politiques, avance Sunai Phasuk, membre de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et qui a enquêté sur les récentes violences. On ne peut exclure la possibilité que des intérêts particuliers soient impliqués dans ces récentes affaires.”

Quoi qu’il en soit, l’escalade de la violence et la fermeté de la réponse du gouvernement débouchent sur un recul du mouvement démocratique local. De nombreuses ONG locales et des groupes religieux avaient pris la tête dans l’application de différentes mesures réformatrices dans le domaine politique et définies par la Constitution de 1997, des réformes visant à accorder une plus grande autonomie aux communautés locales. Hama Mayunu, travailleur social et responsable d’une radio communautaire dans la province de Narathiwat, craint que de nombreuses réformes que lui et ses collègues ont défendues soient remises en cause si le gouvernement central fait mouvement pour réaffirmer son pouvoir dans la région. Lui aussi croit que des responsables thaïlandais corrompus obéissent à “un ordre du jour secret” et sont impliqués dans les récentes violences. “Etait-ce des éléments venus de l’extérieur ou des militaires ? Les gens dans les villages ne savent pas à quoi s’en tenir, a-t-il déclaré lors d’un entretien téléphonique. Désormais, nombreux sont ceux qui ont peur de sortir de chez eux.”

Une relative stabilité avait permis l’an dernier à Thaksin de dissoudre deux agences de sécurité établies dans les années 1980 et confiées à l’armée, transférant du même coup la responsabilité de la sécurité à la police locale. Aujourd’hui, certains spécialistes des questions de sécurité et des hommes politiques de l’opposition estiment qu’il est allé trop vite. Avec une résurgence des violences, de hauts responsables de l’armée font valoir qu’ils doivent reprendre du service à leurs anciens postes et avancent pour cela des raisons de sécurité nationale.