Eglises d'Asie

LA SPIRITUALITE DES CATHOLIQUES DANS LA CHINE D’AUJOURD’HUI

Publié le 18/03/2010




La spiritualité des catholiques dans la Chine contemporaine a gagné de façon constante en maturité. La forme de la spiritualité des catholiques chinois ne s’attache pas qu’à un mode de pensée ou de réflexion sur le sens de la vie et sur la nature des relations avec Dieu, avec les communautés catholiques et avec le monde ; elle s’incarne aussi dans leur vie dans le Christ, par la présence et le pouvoir de l’Esprit (1). Ce n’est pas un aspect de la vie chrétienne, mais la vie chrétienne.

Dans cette situation, un regard sur le contexte de la spiritualité catholique dans la Chine contemporaine après une période de “Civilisation spirituelle socialiste” (2), telle qu’elle est mise en avant “dans les documents du XIIe Congrès du Parti, tenu en septembre 1982, et qui apparaît comme un thème récurrent dans la presse des années qui ont suivi” (3), apparaît de la plus haute importance.

1. Le contexte de la vie spirituelle dans la Chine contemporaine

Dans les années 1980 (4), avec la “Civilisation spirituelle socialiste” et la “Campagne contre la pollution anti-spirituelle des questions se posaient. Beaucoup de gens se demandaient : “Quel est le but de la vie ? “Dois-je vivre pour moi ou pour les autres ?” Ces mêmes questions se sont posées, ont trouvé une réponse ou ont été écartées dans d’autres temps et dans d’autres sociétés (5). Cependant, elles se trouvaient posées à un tournant de l’histoire de la Chine contemporaine et ont donné lieu immédiatement à des discussions enflammées et à des débats houleux sur la philosophie de la vie (ren sheng guang), avec des centaines de milliers de jeunes en forums locaux, en petits groupes de discussion ou en conversations privées (6).

En fait, la jeunesse chinoise est en recherche de spiritualité et est traversée par divers courants. Il y a la “fièvre” de l’existentialisme (particulièrement influencée par le philosophe français Jean-Paul Sartre), la “fièvre” de l’humanisme (contre l’animisme) (7) et la “fièvre” de la psychanalyse freudienne (le sexe est naturel), etc. Toutes ces “fièvres” sont apparues dans les années 1980 et ont marqué la pensée des gens (8).

Dans les années 1990, quand l’économie de marché devint l’objectif officiel des réformes, beaucoup de gens “se sont lancés dans l’aventure du business quelques-uns avec enthousiasme, d’autres avec hésitation. Qu’ils travaillent pour le gouvernement, pour des sociétés ou pour leur compte, beaucoup de gens ont adhéré au capitalisme à partir du moment où le slogan : “Devenir riche est glorieux” est devenu la règle dominante du jeu (9). Toutefois, ni la richesse matérielle, ni la reconnaissance sociale n’ont empêché les gens de se poser des questions d’ordre spirituel (10) du genre : “Comment trouver la paix de l’âme ? “Comment vivre le reste de sa vie ?”

En Chine, la poursuite du spirituel est continuelle. Parmi les plus remarquables de ceux qui recherchent, on trouve les “chrétiens culturels” (11). Dans son acception la plus large, ce terme englobe tous les gens instruits qui ont acquis quelque croyance et concept chrétien. Ils apprennent leur christianisme non pas à partir de la communauté chrétienne, mais dans des écrits théologiques, philosophiques ou culturels.

A la fin des années 1990, quelques églises où je travaillais, en milieu urbain, avaient un nombre croissant de catholiques. Un de mes camarades de collège, prêtre catholique travaillant dans le quartier de l’Université d’Agriculture au Nord-Ouest, m’expliquait qu’il n’y avait prêché l’Evangile que trois ans et qu’il avait déjà baptisé plus de mille étudiants et habitants. Il me disait aussi qu’en 2001 le nombre des catéchistes était passé de deux à six groupes. Il y avait cinq personnes par groupe. Il avait toutefois à faire face à un gros problème, celui de la formation des catéchistes, dont les connaissances religieuses étaient faibles et qui devaient enseigner à des étudiants. Un autre problème était la taille de l’église qui ne pouvait pas contenir tous les croyants. Et enfin, il était confronté à beaucoup de gens qui avaient reçu le baptême après une brève instruction et avaient besoin d’être guidés dans leur vie de tous les jours pour témoigner de leur foi.

A l’été 2001, nous avons mené une étude sur la spiritualité actuelle des catholiques en Chine. Nous n’avons pas voulu nous occuper du passé ni du futur, mais seulement du présent. Les traces de la spiritualité du passé sont rares et difficiles à détecter. Cet article donne un résumé et des commentaires sur les résultats de cette étude.

La Chine est immense et change très vite. Je sais que ce que je dis aujourd’hui peut être dépassé demain, mais je crois que les différentes religions vont renaître et prospérer (12).

2. Hypothèses

Pour découvrir les éléments constituants de la spiritualité en Chine, nous avons postulé que :

1.) Dans les institutions catholiques, le modèle de l’enseignement spirituel pouvait différer selon les différents groupes auxquels il s’adressait : laïcs, religieuses, séminaristes ou prêtres.

2.) Le modèle de vie spirituelle pouvait s’exprimer de façons variées et différentes pour les laïcs, les religieuses, les prêtres de paroisses ou les communautés religieuses (13).

3.) Le nombre d’années passées à vivre sa spiritualité pouvait affecter les choix ou les préférences en ce qui concerne la pratique de la spiritualité.

4.) La spiritualité catholique s’exprime dans un contexte social (14), où les gens ont une influence réciproque, en tant que frères et sours, et côtoient des non-catholiques, en étant en général, aimables les uns avec les autres et en recherchant la paix dans leur vie de société (15).

3. La forme de la spiritualité catholique actuelle

Avant de résumer les résultats de notre enquête, nous allons examiner la forme de la spiritualité catholique actuelle en Chine, qui nous servira de guide pour comprendre les réponses des catholiques dans leur vie personnelle. Cette forme peut revêtir plusieurs aspects sur le continent chinois. Nous voyons : 1.) Le catholicisme comme une religion marginale dans la Chine d’aujourd’hui. 2.) La progression de la spiritualité dans les institutions catholiques. 3.) Le témoignage de la spiritualité dans les équipes catholiques (laïcs, religieuses, séminaristes, clergé). 4.) La pratique catholique.

3.1. Le catholicisme comme religion marginale dans la Chine d’aujourd’hui

Les citoyens chinois peuvent librement choisir leurs croyances et leurs appartenances religieuses. La Constitution chinoise le dit clairement. Selon les statistiques du gouvernement, le nombre de croyants a augmenté de 120 millions depuis 1999 (16). Bien qu’ils ne comptent que pour environ 10 % du total de la population chinoise (1,3 milliard), leur nombre apparaît élevé au total. Pour toutes les religions approuvées par le gouvernement (bouddhisme, taoïsme, islam, protestantisme, catholicisme), il y a plus de 91 500 lieux de culte. Il y a 288 650 religieux professionnels pour le service de ces croyants.

Ces vingt dernières années, la religion est devenue une affaire d’importance qui s’est développée dans le milieu catholique chinois. De récentes statistiques pour l’Eglise catholique en Chine montrent les courageux efforts des catholiques chinois pour restaurer et renouveler leur Eglise, à la fois comme institution et comme communauté de foi.

Les statistiques indiquent qu’en un peu plus de vingt ans (1980-2000), le nombre total des catholiques en Chine est passé de 3 à 12 millions. Cependant, leur pourcentage dans la population totale de la Chine (1,3 milliard) reste inférieur à un pour cent, et de l’ordre de 10 % de la totalité des croyants (120 millions).

En 1980, le clergé catholique chinois comptait 1 300 membres ; en 2000, il était de 5 650 prêtres et religieuses. Ils représentaient 2 % des religieux de toute confession (288 650 en Chine). Les catholiques ont 6 % des lieux de culte et des salles de réunion (91 500). Le nombre des églises catholiques et des salles de réunion, qui étaient moins de dix en 1980, est passé à plus de 5 400 en 2000 (17). Aussi encourageantes que ces statistiques puissent être, elles n’en révèlent pas moins le caractère marginal du catholicisme dans la Chine d’aujourd’hui.

L’âge du clergé fournit également un indice significatif pour l’avenir de l’Eglise en Chine. Selon le Guide de l’Eglise catholique en Chine, “depuis 1988, plus de 1 650 jeunes prêtres ont été ordonnés sur 2 200 séminaristes et près de 2 000 jeunes religieuses ont fait leurs voux. Dans tout le pays, il y a une grande majorité de prêtres de moins de 40 ans” (18). Dans notre enquête de l’été 2001, nous avons trouvé 14 % de prêtres ayant dépassé 70 ans (y compris 10 % de plus de 80 ans qui allaient prendre leur retraite) (19) ; 6 % ont de 50 à 69 ans ; 65 % ont de 30 à 49 ans ; 15 % ont moins de 29 ans. La moyenne d’âge du clergé se situe quelque part entre 30 et 49 ans (20).

Il y a actuellement 1 000 séminaristes dans les dix-neuf grands séminaires autorisés et les cinq petits séminaires, alors que près de 700 autres séminaristes reçoivent une formation dans des séminaires clandestins. Il y a 5 000 religieuses déclarées, novices et postulantes, dans les quarante couvents autorisés et quelque 1 000 autres dans des couvents clandestins (21).

Une nouvelle image de l’Eglise chinoise est en train de prendre forme dans l’esprit du Concile de Vatican II. Des théologiens, des liturgistes et d’autres experts religieux étrangers sont invités à enseigner dans six séminaires pour soutenir ce renouveau. A partir de 1993, plus de cent prêtres, séminaristes et religieuses ont été envoyés à l’étranger pour poursuivre leurs études théologiques. Depuis 1997, nombre d’entre eux sont revenus et apportent une aide précieuse à leurs diocèses et à leurs séminaires (22).

3.2. Progrès de la spiritualité dans les institutions catholiques

Dans notre enquête de l’été 2001, nous demandions : 1.) Comment votre diocèse assure-t-il la formation de la spiritualité des laïcs ? 2.) Comment ressentez-vous la façon dont les catholiques chinois ont accepté la nouvelle liturgie après Vatican II ? 3.) Quels sont les cours ou les activités de spiritualité les plus importants qui sont donnés dans votre séminaire ? 4.) Comment les congrégations féminines forment-elles les religieuses à la spiritualité ?

Voici le résumé des réponses à ces questions.

Plutôt qu’à “un seul moyen les institutions catholiques actuelles ont recours à de nombreux moyens pour instruire les catholiques dans la spiritualité (23). Les réponses révèlent, en effet :

1.) 39,4 % des personnes ayant répondu indiquent que leurs diocèses forment les laïcs à de nombreuses formes de la spiritualité : étude des Ecritures, étude du catéchisme, partage de la foi et pèlerinages.

2.) 28,3 % des gens pensent que leurs diocèses forment les laïcs à la vie spirituelle davantage dans le catéchisme que dans les autres formes de spiritualité.

3.) 9,4 % des personnes pensent que leurs diocèses accordent plus de place à l’étude des Ecritures pour les laïcs qu’à d’autres formes de spiritualité.

4.) 7 % des réponses indiquent que l’organisation, dans les diocèses, de pèlerinages pour les laïcs est plus importante que les autres formes de spiritualité.

5.) 5,6 % ont répondu que leurs diocèses s’organisaient pour que les laïcs “partagent sur leur spiritualité” et y accordaient plus d’importance qu’aux autres formes de spiritualité.

6.) 10,3 % n’ont pas répondu à cette question.

39,4 % des personnes ayant répondu indiquent que leurs diocèses formaient les laïcs à la spiritualité en utilisant une pluralité de moyens (études des Ecritures, étude du catéchisme, partages spirituels et pèlerinages). Une pluralité de moyens est mise en ouvre beaucoup plus fréquemment qu’un moyen unique.

En ce qui concerne la deuxième question sur l’application de la liturgie après Vatican II, 81 % des personnes interrogées pensent qu’ils ont mis en pratique la nouvelle liturgie très bien ou plutôt bien. Seulement 2,4 % ont répondu « pas bien 1,4 % ne savent pas et 11,5 % la disent légèrement appliquée.

La troisième question traitant de l’importance relative des activités et cours spirituels a donné les résultats suivants :

1.) 35 % répondent qu’ils ont davantage de “prière quotidienne” que de tout autre genre d’exercice spirituel.

2.) 20 % assurent que leur vie spirituelle s’exerce dans plusieurs domaines (prière quotidienne, méditation et contemplation, partage des expériences de leur vie spirituelle avec un directeur spirituel, lecture de la vie des saints, pratique de l’amour de Dieu et du service d’autrui).

3.) 21 % considèrent l’exercice de leur vie spirituelle centré sur la méditation et la contemplation.

4.) 6,4 % affirment que « la pratique de l’amour de Dieu et le service des autres” sont plus importants pour le développement de leur spiritualité.

5.) 4 % pensent que le partage de sa vie spirituelle avec un directeur spirituel est très important pour les séminaristes.

6.) 2 % répondent qu’il est plus important pour les séminaristes d’étudier la spiritualité et la vie des saints.

7.) 2 % pensent qu’ils doivent rechercher d’autres formes de spiritualité que celles qui ont été mentionnées.

8.) 35 % avancent que l’exercice de la prière est le principal exercice spirituel pour les séminaristes.

9.) 9,7 % ne donnent pas de réponse.

Les réponses à la question 4 sur la façon dont les congrégations religieuses forment leurs religieuses à la spiritualité révèlent que les congrégations considèrent “l’instruction spirituelle multiple” comme primordiale. Cette réponse a été donnée par 28 % des personnes interrogées. Elle est considérée comme secondaire dans la formation des novices et des postulantes à hauteur de 18,5 %. Le détail se présente ainsi :

1.) 28 % disent que le noviciat met l’accent sur la formation aux services charitables, aux lectures spirituelles et à l’étude succincte de la théologie.

2.) 18,5 % répondent que les congrégations religieuses féminines forment leurs novices à la spiritualité dans leurs diocèses.

3.) 9,2 % pensent que la formation dans les congrégations féminines s’apparente à une “retraite si on la compare aux autres formes pratiquées dans leurs églises.

4.) 9 % répondent que les congrégations féminines dans leur voisinage donnent la préférence à l’étude succincte de la théologie.

5.) 4,8 % pensent que la formation spirituelle est très proche de la lecture spirituelle.

6.) 5,5 % avancent que la formation des religieuses à la spiritualité dans leurs congrégations devrait utiliser d’autres formes d’exercices que ceux mentionnés.

7.) 18,1 % n’ont pas répondu à notre question.

Il y a un facteur temps impliqué dans la façon de vivre sa spiritualité et dans le choix que l’on fait des moyens. Les résultats montrent que :

1.) Tant les séminaristes que les religieuses qui ont vécu de nombreuses années dans leurs communautés ressentent plus que tout que leur principale source de spiritualité est d’être “attentifs à la prière alors que ceux qui n’y ont vécu que moins de temps le ressentent moins.

2.) Les religieuses pensent qu’être “attentives à la prière” est plus important pour elles, comme source de spiritualité, que ne le pensent les séminaristes.

3.) Les séminaristes ont une grande variété de sources de vie spirituelle venant de leurs années de séminaire.

4.) Les religieuses qui ont une vie religieuse vieille de seulement un ou deux ans ont une source spirituelle différente de celles qui ont plus de trois ans de cette même vie.

Si les vocations venaient ordinairement de familles ayant plus d’un fils ou plus d’une fille, elles commencent à venir maintenant de familles n’ayant qu’un fils ou qu’une fille.

3.3. La spiritualité et la personnalité catholique

Traditionnellement, nous parlons de sources spirituelles en comprenant la prière et le travail pastoral. En d’autres termes, une source spirituelle est semblable à un don de Dieu (24), une énergie particulière qui pousse les croyants à aimer Dieu par dessus tout et à aimer son prochain (25). Elle marque la vie de tous les jours des catholiques et les encourage à devenir “de bons catholiques” pour supporter les autres et être prêts à souffrir une perte plutôt qu’à prendre avantage de son prochain (26).

Dans le contexte de la spiritualité et de la personnalité catholique, nous avons envisagé les questions suivantes : Quelles sont les sources spirituelles dans votre vie de tous les jours ? Comment le clergé de votre diocèse exprime-t-il sa vie spirituelle ? Quel est le pourcentage de catholiques qui assistent à la messe le dimanche dans votre paroisse ? Comment participez-vous à la nouvelle liturgie, après Vatican II ? Ces questions sur la vie spirituelle catholique s’adressent aux laïcs, aux séminaristes, aux religieuses et au clergé.

3.3.1. Les laïcs

Les laïcs chinois croient que faire le bien n’a pas pour but de se faire bien voir du voisinage ou d’obtenir le respect de la communauté catholique ou des institutions locales. “C’est une affaire de salut éternel. Ce n’est définitivement pas de ce monde. C’est une affaire d’aller au ciel ou en enfer. Ils en parlent beaucoup plus que ne le font la plupart des catholiques d’Occident” (27).

Les catholiques savent que s’ils ont prié régulièrement et ont reçu les sacrements, ils sont certains de voir, après leur mort, le Seigneur au ciel, après un passage dans les flammes du purgatoire

La prière journalière est très importante pour les laïcs. Ils prient le matin et le soir. Ils vont à la messe tous les jours, si un prêtre vient dans leur église. Ils adorent le Saint Sacrement souvent. Ils récitent le rosaire ensemble et suivent le Chemin de Croix le dimanche après midi.

3.3.2. Les séminaristes et les religieuses novices

Les séminaristes et les novices vivent habituellement dans un séminaire ou une communauté. Ils ont un programme normal de formation à la spiritualité pour développer leur vie spirituelle. Pour rassembler les informations sur ce point, nous avons interrogé plusieurs directeurs spirituels et avons visité quelques congrégations féminines dans différents endroits. Notre conclusion est qu’“on enseigne aux séminaristes et aux jeunes religieuses aussi bien par l’exemple que par la parole. Tous les jours, ils vont ensemble à l’église avec les séminaristes pour dire les prières du matin, chanter des hymnes à la gloire de Dieu et assister à la messe. En classe, ils étudient la Bible et la doctrine de l’Eglise, dont ils tirent la force pour leur vie spirituelle . parfois, ils vont à l’hôpital visiter les malades et les personnes âgées et prier avec eux. En bref, il ressort de notre enquête et de nos entretiens que les séminaristes, les novices ou les postulantes et quelques directeurs spirituels se sont réellement investis dans la vie spirituelle de l’Eglise catholique en Chine”.

3.3.3. Les religieuses et le clergé

Pour les personnes qui revendiquent d’avoir reçu la vocation de prêtres ou de religieuses, le lien paradoxal entre l’obéissance et la liberté ne devient pas simplement une donnée d’expérience banale, mais un principe central d’organisation de leur spiritualité, de leur façon de comprendre et de justifier le sens de leurs vies. On parle de cette vocation comme d’un don mystérieux de Dieu.

Presque tous les jeunes prêtres, séminaristes et religieuses que nous avons interviewés dans différents séminaires et congrégations au cours de l’été 2001 venaient de petits villages catholiques et de familles catholiques ayant une grande foi. Plusieurs mentionnaient que leur petit village catholique, qui comptait moins de trois cents catholiques, avait donné trois ou quatre prêtres et religieuses, alors que des grandes villes comme Pékin et Shanghai ne donnent plus beaucoup de vocations. Les séminaires et les couvents sont remplis de candidats qui viennent de la Chine continentale rurale. La plupart, mais pas tous, séminaristes et novices (jeunes femmes se préparant à faire leurs voux de religieuses) disent que leurs parents ont encouragé un fils ou une fille à entrer en religion, ce qui est un orgueil pour la famille et lui confère un statut social (28). Cependant, les parents n’encouragent leurs enfants à entrer dans la vie religieuse que sous certaines conditions : leur fils ou leur fille doit avoir une vraie foi catholique et être intelligent. Quelques familles, dans certains endroits, encouragent même tous leurs enfants à devenir prêtres ou religieuses.

Les circonstances familiales et communautaires peuvent avoir une influence importante sur la décision d’un jeune de devenir prêtre ou religieuse. Cependant, cette décision est un choix personnel, la réponse à un appel de Dieu. J’ai demandé à un prêtre comment il savait que l’appel venait de Dieu. Il m’a répondu : “Nous avons au moins une raison parmi les nombreuses qui existent. Nous savons que la Chine est un pays immense avec une énorme population. C’est un grand champ d’action pour le catholicisme. Qui prendra en charge cette responsabilité et cette obligation ? Qui s’y attaquera et le mettra en valeur ? Le Seigneur a mis cette tache immense sur nos épaules. Nous l’avons reçue et nous avons dit oui au Seigneur.”

Des prêtres et des religieuses pensent que cette sorte de foi, la foi qui soutient une vocation, n’est pas simplement le produit de l’environnement familial, mais quelque chose qu’il faut activement développer. D’après mon expérience, la croissance constante du nombre des séminaristes et des novices, des prêtres et des religieuses dans la Chine rurale témoigne que le catholicisme chinois est beaucoup plus qu’un problème ethnique ou d’identité imposé à la naissance et passivement accepté et il est beaucoup plus qu’une conformité aux habitudes d’une communauté ou aux dictats de parents. Pour quelques-uns, au moins, c’est une foi qui s’est intériorisée et qui doit être nourrie par l’individu, quand il l’a découverte. Elle est ressentie mystérieusement, non pas comme une donnée humaine, mais comme un don gratifiant de Dieu (29).

3.4. La pratique religieuse

Une autre question de l’enquête était centrée sur l’assistance à la messe du dimanche. Les réponses allaient de plus de 95 % à moins de 30 %. Le pourcentage moyen actuel se situe, selon nos propres statistiques, à plus de 65 %.

Au milieu des années 1980, certaines régions de Chine continentale ont commencé à mettre en pratique la nouvelle liturgie catholique de Vatican II. Depuis le milieu des années 1990, elle s’est étendue dans toute la Chine.

Notre enquête s’intéressait à la façon dont les catholiques chinois participaient à la nouvelle liturgie de Vatican II, particulièrement à celle de la messe. Les pourcentages varient de presque 30 % qui répondent “très activement” à 45 % de “modérément” et à 16 % qui s’accordent sur “convenablement”. Un pour cent seulement en est irrité. Les autres disent “ne pas être intéressés “ne pas savoir” ou ne répondent pas à la question.

4. Les catholiques chinois et l’avenir de l’Eglise

Les catholiques chinois diffèrent grandement dans leur appréciation de l’avenir de l’Eglise. D’un côté, 55 % annoncent qu’ils sont optimistes. Mon interprétation de leur réponse est qu’ils voient probablement de nombreuses occasions au développement de l’Eglise et qu’ils s’appuient sur le fait que c’est le Christ qui a fondé son Eglise et que sa croissance est guidée par l’Esprit Saint. Le Christ est monté aux Cieux et l’Esprit Saint est au travail dans l’Eglise. Les catholiques n’ont donc pas de souci à se faire pour l’avenir de l’Eglise. D’un autre côté, les 13 % qui disent ne pas être sûrs de cet avenir peuvent voir l’Eglise comme “le Royaume de Dieu à venir, mais pas encore sur cette terre, mystère de la foi chrétienne”. Les 32 % qui s’avouent “peu optimistes” ou qui ne répondent pas à la question peuvent être ceux qui voient l’Eglise souffrante et suivant le Christ dans sa Passion et sa Crucifixion. Ils sont encore à la recherche du sens de “l’Incarnation”. Ces trois groupes donne la perspective de l’avenir de l’Eglise et le défi auquel sont confrontés les catholiques d’aujourd’hui et de demain.

4.1. Perspectives

1.) Le Saint Esprit guide la communauté chrétienne vers la plénitude de l’activité de l’Eglise, vers le recrutement de séminaristes et vers la formation de religieuses. Les équipes sacerdotales catholiques sont très jeunes ; l’âge moyen des prêtres et des religieuses est entre 30 et 49 ans ; beaucoup de jeunes prêtres et de jeunes religieuses ont de grandes responsabilités dans l’Eglise et dans la communauté (30). Les laïcs peuvent aussi faire connaître leur avis sur la liturgie de l’Eglise, sous la conduite du prêtre de leur paroisse (31).

2.) Le mouvement de renouveau de l’Eglise vise au développement d’une communauté chrétienne encore plus parfaite, rendant visible l’institution ecclésiale, parachevant la personne dans son tout, corps et âme, comme un membre de l’Eglise universelle, par le pouvoir du Christ et la dynamique du Saint Esprit pour la gloire du Père.

3.) La réconciliation à l’intérieur des organisations et des institutions catholiques (l’unité interne de l’Eglise) est une aide pour rechercher un moyen pour les catholiques de montrer leur identité, leur rôle et leur spiritualité dans la Chine socialiste.

4.) Le dialogue des Eglises locales avec d’autres religions et avec la culture chinoise ouvre la spiritualité chrétienne à l’inculturation de la théologie en Chine.

5.) Avec l’ouverture du marché économique et la participation de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, la pensée et la culture occidentales donneront davantage d’occasions aux érudits chinois d’expliquer, au cours de conférences, l’éthique et la spiritualité chrétiennes comme modèle d’échanges culturels.

4.2. Défis

L’enquête indiquait quels étaient les principaux défis auxquels devait faire face la spiritualité des catholiques de la Chine d’aujourd’hui.

1.) Alors qu’elle supporte davantage de responsabilités, la nouvelle génération doit affronter les défis d’une société qui change très rapidement et qui, de plus en plus, est attirée par l’argent, le profit matériel et le pouvoir. Souvent isolés, les jeunes prêtres et les jeunes religieuses ont besoin d’un soutien moral et de partager sur leurs problèmes pastoraux grâce à des programmes de formation continue (32). Ce défi n’est pas seulement celui de la croissance spirituelle du clergé et des religieuses, mais aussi, celui de la foi et de la spiritualité des laïcs.

2.) Pour le dialogue et la réconciliation, il faut comprendre la Chine et l’Eglise catholique de façons certainement différentes, mais non contradictoires. La Chine et l’Eglise catholique sont les deux plus anciennes “institutions” existantes opérant encore sur la scène mondiale, dans des domaines assurément différents : l’une, le politique et le social, l’autre, le religieux et le spirituel (33).

3.) Pour promouvoir le dialogue entre les religions à l’intérieur de la culture chinoise, dans le cadre du pluralisme religieux et du socialisme en Chine, il faut rechercher toutes les occasions de développer la spiritualité chrétienne, de telle façon qu’existent un fort courant spirituel catholique et de hautes écoles catholiques qui puissent explorer la “spiritualité entre catholiques et Chinois” et la “théologie entre catholiques et Chinois”.

Conclusion

La spiritualité des catholiques d’aujourd’hui en Chine maintient un bon équilibre, en même temps qu’une intégration dynamique, entre les “ingrédients” essentiels d’une authentique spiritualité catholique. Elle est visionnaire quand elle incorpore une nouvelle façon de voir la réalité et l’essence des biens matériels, interprétant, ainsi, “les choses spirituelles pour ceux qui sont spirituels” (1 Cor. 2,13). Elle est relationnelle parce que nous sommes, par définition, des êtres relationnels – des êtres en relation avec Dieu, avec notre prochain, et particulièrement en Chine, avec sa culture et avec les autres religions, parce que nous vivons au milieu du pluralisme religieux et dans un pays socialiste. Le caractère relationnel de notre spiritualité de chrétien requiert une sensibilité particulière à la présence, aux besoins et aux dons des autres, aussi bien qu’aux biens crées sur cette terre.

Cette spiritualité est facteur de changement, toujours ouverte à la présence de l’Esprit, qui a le pouvoir de guérir, de réconcilier, de renouveler, de donner la vie, d’apporter la paix, de soutenir l’espoir, d’offrir la joie et de créer l’unité. Nous sommes radicalement des êtres sociaux, ayant reçu le don de la spiritualité catholique, liés les uns aux autres et en union avec l’ordre naturel et cosmique. Nous sommes, aussi, des individualités, distincts les uns des autres par la conscience et la liberté, même si nous partageons une commune humanité, et une solidarité avec l’ordre existant en Chine. Nous restons des individus uniques avec leurs différentes expériences de Dieu.

En bref, la spiritualité catholique en Chine non seulement s’est développée avec une forme de concentration individuelle, qui a une plus longue histoire, mais elle a, aussi, été une discipline cherchant à expliquer l’expérience catholique, telle qu’elle arrive en réalité, telle qu’elle transforme vraiment celui qui la vit, pour lui donner la plénitude de la vie dans le Christ, c’est-à-dire une intégration de la vie, transcendante en soi, dans la communauté de la foi catholique. La spiritualité catholique en Chine montre l’économie du salut en Dieu et la ressent dans “l’Incarnation “la Crucifixion” et “la Résurrection” du Christ.

Notes

(1)Cf. Xiao Ting Yang, «That’s the Spirit! Catholic Church in China after Vatican II”, in World Mission, juin 2001, pp. 33-35.

(2)Cf. Donald E. Maclnnis, Religion in China Today, Policy & Practice, Maryknoll, NY, 1989, p. 420. En 1979, Ye Jian Ying, président du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, affirmait : “Tout en édifiant une fondation matérielle solide, nous voulons améliorer le niveau éducatif, scientifique, culturel et sanitaire de toute la population, renforcer les idéaux et la morale révolutionnaires, développer une vie culturelle riche et variée et ainsi construire une culture et une idéologie socialistes avancées” (Beijing Review, 10 novembre 1986, p. 17).

(3)Cf. Donald E. Maclnnis, op. cit., p. 420.

(4)Ibid.

(5)Cf. China Youth Club, Cambridge, Mass., 1980.

(6)Cf. Feng Gang Yang, “Three Approaches to Spiritual Values” in Pacific Rim Report, Univsersité de San Francisco, mars 2001, p. 4.

(7)Cf. Feng Gang Yang, op. cit., p. 4.

(8)Ibid.

(9)Ibid.

(10)Ibid.

(11)Cf. Chen Cunfu et Edwin Hui, “The Phenomenon of the Cultural Christian – An Overview and Evaluation”, in Regent Chinese Journal, n° 4, 1996

(12)Ibid.

(13)Cf. John Tong, Challenges and Hopes, Stories from the Catholic Church in China, Taipei, Taiwan, 1999, pp. 91-101.

(14)Ibid., p. 93.

(15)Cf. Richard Madsen, China’s Catholics, Tragedy and Hope, in an Emerging Civil Society, University of California Press, 1998, p. 87.

(16)Cf. Li Pingye, “A Report on the Development of Religion in China in the 1990’s”, in Journal for the Study of Christian Culture, n° 2, 1999, Beijing, p. 202.

(17)Cf. The 18th National Catholic China Conference Report.

(18)Cf. Jean Charbonnier, Guide to the Catholic Church in China, Communication, Singapour, 2000, p. 2.

(19)Ibid.

(20)Sources : General Social Survey about the Catholic Church in China, été 2001.

(21)Cf. Jean Charbonnier, op. cit., p. 14.

(22)Ibid.

(23)La formation spirituelle recouvre plusieurs réalités : a.) pour les laïcs : toutes les catégories suivantes : étude des Ecritures, étude du catéchisme, partage et spiritualité, pèlerinages ; “Formation spirituelle simple” : chacune des catégories ci-dessus ; b.) pour les religieuses : les catégories suivantes : noviciat, formation aux services caritatifs, lectures spirituelles, retraites, études théologiques courtes ; “Formation spirituelle simple” : chacune des catégories ci-dessus ; c.) pour les séminaristes : les catégories suivantes : prière quotidienne, méditation et contemplation, étude de la spiritualité et de la vie des saints, pratique de l’amour de Dieu et du service des autres ; “Formation spirituelle simple” : chacune des catégories ci-dessus ; d.) pour le clergé : les catégories suivantes : prière quotidienne, retraites, amour de Dieu et du prochain, recherche de la paix et de la joie pour les autres ; “Formation spirituelle simple” : chacune des catégories ci-dessus.

(24)Cf. Sandra M. Schneiders, “The Study of Christian Spirituality: Contours and Dynamics of a Discipline”, in Journal of the Society for the Study of Christian Spirituality, vol. 6, n° 1, printemps 1998.

(25)Cf. Richard Madsen, China’s Catholics, op. cit., pp. 105.

(26)Ibid.

(27)Ibid.

(28)Cf. Richard Madsen, China’s Catholics, op. cit., p. 106.

(29)Ibid.

(30)Cf. Wen Shun Tian, “Chinese Church Expresses New Life”, in Zhong guo jiao hui lun wen (Journal de l’Eglise de Chine), pp. 118-199.

(31)Cf. Xiao Ting Yang, “That’s the Spirit! Catholic Church in China after Vatican II” in World Mission, juin 2001, pp. 33-35.

(32)Cf. Jean Charbonnier, op. cit., pp. 3-4.

(33)Message du Saint-Père Jean-Paul II pour le quatrième centenaire de l’arrivée à Pékin de Matteo Ricci, SJ, in L’Osservatore Romano, n° 44-31, octobre 2001, pp. 3-4.