Eglises d'Asie

UN ENTRETIEN AVEC Mgr PAUL PONEN KUBI, PREMIER EVEQUE ‘ADIVASI’ DE L’EGLISE CATHOLIQUE DU BANGLADESH

Publié le 18/03/2010




Que ressentez-vous en devenant le premier évêque ‘adivasi’ du Bangladesh ?

Les gens en sont heureux et je suis heureux avec eux. L’Eglise est universelle. Les gens peuvent appartenir à des nations différentes, à des tribus différentes, mais nous partageons une même foi. Je dois garder cela à l’esprit dans toutes mes actions à venir. Nombreux sont ceux qui disent et qui continueront à dire que je suis l’évêque des Adivasis mais je dois dépasser cette manière de voir les choses. Je connais la culture, la langue, les traditions des Adivasis et je peux aisément comprendre ce qu’ils ressentent, dans la joie comme dans la peine. Mais ma pensée comme mes actions doivent tendre à l’universel car je suis évêque de l’Eglise universelle.

Quel est le statut des Adivasis au Bangladesh ?

Je pense que les évêques et les prêtres qui ont travaillé et qui travaillent aujourd’hui dans le diocèse de Mymensingh aiment profondément les Adivasis. Nous devons reconnaître leur contribution et leur dévouement ainsi que les résultats de leur travail, dans les dimensions socio-économiques et spirituelles du développement des Adivasis. Les missionnaires n’ont pas fait de différence entre les Adivasis et les Bangladais ; ils ont en pris soin sur un même pied d’égalité.

Comment la foi grandit-elle parmi eux ?

La foi a été plantée, prêchée. Une grande attention a été portée à cela. Mais aujourd’hui l’influence de la modernité est partout. Les Adivasis ne font pas exception. C’est pourquoi nous devons explorer de nouvelles manières de développer la vie spirituelle. Prier quotidiennement, le matin et le soir, lire la Bible sont bien entendu des éléments essentiels de la vie spirituelle. Développer des relations plus profondes entre nous, ouvrer à la fraternité et à adopter de bonnes attitudes entre nous, tout cela fait aussi partie de la vie spirituelle. Mais cela ne veut pas dire que nous devons cesser de prier matin et soir ou d’assister à la messe du dimanche. Il doit y avoir une intégration réciproque de la prière et de l’action.

Comment développeriez-vous la spiritualité dans le monde d’aujourd’hui ?

Je pense que nous devons être plus près des gens et comprendre leurs centres d’intérêt, leurs goûts, leurs désirs et leurs émotions. Ce n’est qu’ensuite que nous pouvons décider quelle approche adopter. Une attitude prête à l’emploi, artificiellement plaquée, ne peut fonctionner. Les choses doivent être analysées dans un premier temps. Les Adivasis semblent connaître une crise en ce qu’ils s’interrogent sur la manière de préserver leur langue, leur culture et leurs traditions. Il n’y a là rien de bien nouveau dans la mesure où les Adivasis sont une minorité. L’histoire nous montre que les minorités ont bien souvent vécu sous pression ou sous la menace. C’est ce qui se passe aujourd’hui au Bangladesh et cela est source, pour eux, les Adivasis, d’une grande inquiétude. La question de leur existence est posée. Ils doivent survivre en se battant et les Adivasis du Bangladesh font précisément cela. Je dirais qu’ils sont sur la bonne voie, en se battant pour préserver leurs rites, leur culture, leur langue et leurs traditions. C’est vrai des Adivasis mais aussi de tous les peuples autochtones minoritaires de par le monde. Toutes les minorités sont concernées. Ce à quoi nous devons être attentifs est de contribuer à éveiller leur conscience. Diverses ONG et les Eglises chrétiennes travaillent à établir leurs droits, à les faire valoir. Je pense que désormais les Adivasis sont éduqués, reçoivent une éducation et cela les aide à défendre et préserver leurs droits et leur culture.

Travaillerez-vous à impliquer les autres évêques pour la défense des Adivasis, en particulier sur les questions agraires et le dépouillement des Adivasis de leurs terres ?

Cette question ne m’est pas propre, à moi tout seul. Les évêques sont conscients de ce problème. Je ne vois donc pas la nécessité de mettre particulièrement l’accent sur cette question. Je crois qu’avoir conscience de l’existence d’un problème implique de s’engager dans la résolution de ce problème. Les évêques ne se tiendraient pas informés des difficultés des Adivasis s’ils n’étaient pas intéressés par leur sort. Et une participation active ne se traduit pas uniquement par l’engagement dans les démarches auprès de l’administration ou par la prise de parole publique. Les évêques peuvent ne pas s’impliquer politiquement dans les problèmes des Adivasis, mais cela ne les empêche pas de travailler en coulisse.

Certains parmi les Adivasis et les médias accusent les missionnaires de constituer une menace pour la culture adivasie ?

Il y a des conflits sur cette question. Par exemple lorsque Wangala (une fête traditionnelle des Garo consistant en une offrande à Dieu des récoltes) est célébré, certains pensent que les Garo reviennent à leurs croyances anciennes d’adoration de la nature. D’autres estiment que, puisque la messe est célébrée au cour de Wangala, les anciennes traditions des Garo disparaissent. En fait, la foi est profondément inscrite dans cet effort d’inculturation. Cela se traduit par le fait que la Bonne Nouvelle de Jésus est prêchée dans une forme adaptée à la culture adivasie. Jésus est la manifestation humaine de Dieu. Il est né dans une société juive et a vécu selon la culture et les traditions juives. C’est ce que signifie réellement le terme d’inculturation. Mais, par ignorance, les laïcs s’interrogent sur ce point.

Y a-t-il eu des tentatives menées pour expliquer aux laïcs l’inculturation ?

Autant que je sache, l’inculturation n’a pas été d’abord introduite en tant que telle auprès des Adivasis. Les premiers efforts ont concerné les communautés s’exprimant en bangladais, à la messe, pour les prières, les cantiques, la liturgie et le reste. Au début, il y a eu de nombreux séminaires, discussions et analyses. Mais ceci s’est déroulé entre évêques, prêtres, religieuses, religieux et catéchistes, les laïcs étant finalement relativement peu présents. La conséquence est que la plupart des gens ignorent ce qui s’est fait et ils posent des questions.

Quelle évaluation porteriez-vous sur l’Eglises du Bangladesh ?

J’entrevois de nombreux points forts et quelques points faibles. Premièrement, en dépit d’être une petite Eglise et une communauté minoritaire, les chrétiens sont connus : les musulmans et les hindous savent que nous existons. Et ils ont une image positive de nous. Deuxièmement, nous disposons d’un nombre certain d’institutions d’éducation très renommées, parmi les meilleures du pays. C’est un sujet de fierté. Troisièmement, l’Eglise chrétienne n’a causé aucun tort au pays et à la nation. Au contraire, à chacune des crises qu’a traversées la nation, l’Eglise était aux côtés de la nation.

Une difficulté réelle et cruciale est la division parmi les Eglises protestantes. Il faudrait aussi mentionner la distance invisible mais tangible entre l’Eglise catholique et les Eglises protestantes. Nous devrions être plus proches, entretenir plus de contacts, pour que nous, chrétiens, ne soyons pas connus par nos divisions. Enfin, il existe de fines divisions mais néanmoins perceptibles entre les différents groupes chrétiens d’origine autochtone ; ces divisions ne devraient pas exister.