Eglises d'Asie

Dans le sud du pays, les forces de l’ordre écrasent dans le sang une insurrection de jeunes musulmans

Publié le 18/03/2010




Le 28 avril dernier, l’armée thaïlandaise et les forces de police ont écrasé dans le sang une insurrection de quelques douzaines de jeunes musulmans, partis avant l’aube à l’assaut d’une dizaine de postes de police et de bases militaires dans l’extrême sud du pays. A Songkhla, Yala et Pattani, dans les trois provinces proches de la frontière malaisienne, les forces de l’ordre ont répliqué en faisant un usage massif de leurs armes à feu face à des jeunes, semble-t-il, nettement moins puissamment armés. Le bilan est le plus lourd jamais enregistré dans cette région : 107 assaillants, trois soldats et deux policiers tués, selon un bilan officiel. L’affrontement le plus meurtrier s’est produit à Pattani, à la mosquée Kreasae, lieu de culte chiite très vénéré par les musulmans locaux où s’étaient réfugiés 32 jeunes rebelles. Après l’assaut, les forces de l’ordre ont dénombré 32 corps.

La journée sanglante du 28 avril s’inscrit dans un contexte chargé. Dans le sud du pays, où les 3,5 millions de musulmans d’ethnie malaise sont largement majoritaires, la loi martiale avait été décrétée par Bangkok à la suite de l’attaque, le 4 janvier dernier, d’un dépôt militaire et de l’incendie de dix-huit écoles publiques (1). Depuis cette date, et malgré l’envoi de 6 000 policiers et 2 000 militaires en renfort, le calme n’était pas revenu. Une soixantaine de personnes – dont des moines bouddhistes, des enseignants et des policiers – avaient trouvé la mort, assassinées (2). Les membres du gouvernement ont accusé alternativement des trafiquants d’armes, des terroristes islamistes, des politiciens véreux ou d’anciens séparatistes d’être à l’origine de ces violences mais sans jamais pouvoir avancer de preuves formelles ou démanteler un quelconque réseau.

Théâtre d’insurrections séparatistes dans les années 1970 et 1980, le sud islamisé de la Thaïlande, sunnite à 95 %, ne s’est jamais pleinement intégré au reste du royaume, très majoritairement bouddhiste. Rattaché à la Thaïlande par le traité anglo-siamois de 1909, l’ancien sultanat de Pattani, qui était jusqu’au XIXe siècle un centre prestigieux d’apprentissage de l’islam, a été divisé en quatre provinces : Pattani, Yala, Narathiwat et Satun. Au cours des années 1930 à 1970, la population a été contrainte par les dictateurs nationalistes au pouvoir à Bangkok de se conformer à la culture dominante thaïe : la langue locale, le jawi, un dialecte malais, a été interdite, l’habit malais dénigré, les enfants obligés d’apprendre les prières bouddhiques. La population n’a jamais accepté cette tentative forcée de “siamisation”. A la fin des années 1960, les premiers mouvements séparatistes sont apparus mais sans jamais toutefois prendre une grande ampleur. Après 1986, lorsque le gouvernement thaïlandais a proposé une amnistie, ils sont devenus marginaux (3).

A Bangkok, le Premier ministre Thaksin Shinawatra a minimisé la portée des attaques du 28 avril, qualifiant les assaillants de “bandits” à la recherche d’armes pour les revendre. “Nous ne leur donnerons pas l’occasion de créer des problèmes de séparatisme et de religion a-t-il notamment déclaré. Le gouvernement semble toutefois avoir du mal à expliquer cette recrudescence de la violence. Avant l’assaut de la mosquée de Kreasae, le Vice-Premier ministre Chaovalith Yongchaiyuth avait dit vouloir “prendre (les assaillants) vivants, les interroger et connaître leurs véritables mobiles”. Après l’assaut, l’officier le plus gradé sur place, le général Panlop Pinnamee, a été rappelé à Bangkok pour s’expliquer sur les raisons du bain de sang qui a suivi.

Selon le politologue Somjaï Phagaphasvivat, interrogé par le quotidien Libération, le renouveau de l’agitation dans le sud musulman n’a pas de cause unique mais s’explique plutôt par une combinaison de facteurs : action ou influence du terrorisme international par le truchement de l’organisation régional de la Jemaah Islamiyah, résurgence du séparatisme ou encore émergence d’une nouvelle génération de musulmans formée dans les madrasas du Moyen-Orient. “Il y a un élément lié au terrorisme international, mais cela se combine à un problème de politique intérieure. Et il faut ajouter certains conflits entre diverses autorités de l’Etat déclare-t-il.

Selon le P. Peter Nichon Sarathit, administrateur apostolique du diocèse de Surat Thani, qui couvre les territoires du sud de la Thaïlande, “la question est politique et non pas religieuse”. Responsable d’une communauté catholique de 6 000 fidèles, surtout présente dans la partie septentrionale du sud thaïlandais, il dit que les catholiques n’ont pas eu, à ce jour, à souffrir des tensions constatées depuis janvier dernier. Dans la province de Yala, il note seulement qu’un temple protestant a été attaqué.