Eglises d'Asie

INTERVIEW DE MGR JOSEPH ZEN ZE-KIUN, EVEQUE DE HONGKONG

Publié le 18/03/2010




Le gouvernement a déposé un projet de loi au Legco (Legislative Council) relatif a une réforme du système de fonctionnement des écoles sous contrat, les écoles animées par des organisations de la société civile, les Eglises chrétiennes notamment, et financées par le gouvernement. Ce projet de loi est actuellement étudié par la Commission des lois du Legco. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit précisément ?

Au début des années 1990, le gouvernement a mis en avant une politique dite de « gestion des écoles par la base signifiant par là que les enseignants, les parents et les anciens élèves avaient leur mot à dire dans la gestion des écoles. Très bien. En 1997, le Bureau de l’Education (Education Manpower Bureau) a rendu public un rapport, le Rapport nº 7, intitulé : « Pour une éducation de qualité dont un chapitre était consacré à la mise en place des structures nécessaires à garantir la qualité du système éducatif à Hongkong. Entre autres choses, on pouvait lire : « Après avoir consulté les parties concernées, nous sommes arrivés à la conclusion que Hongkong dispose d’un système tout à fait particulier caractérisé par une très importante contribution des SSB (School Sponsoring Bodies). » Les SSB sont les organisations exerçant la tutelle sur les établissements scolaires dont ils ont la responsabilité. Ce rapport proposait deux voies pour développer la participation tant des parents d’élèves que des enseignants à la vie des écoles : soit les représentants des uns et des autres faisaient leur entrée dans les « comités de gestion », soit ils entraient dans des « comités exécutifs », à former et placés sous le contrôle des comités de gestion. Dans les deux cas, la réforme envisagée laissait les comités de gestion sous l’entier contrôle des SSB.

Cependant, peu après la publication de ce rapport, le responsable du Bureau de l’Education a terminé son mandat et son successeur, quelques mois après son arrivée, a publié, en 2000, un nouveau rapport, intitulé : « Consultation sur la gestion des écoles ». Ce nouveau texte pose problème.

En quoi ce nouveau rapport pose-t-il problème ?

Mon opposition tient à ce que j’estime clairement que le gouvernement, par ce nouveau document, cherche à nous retirer le contrôle des écoles. A la fin de la période de consultation qui a suivi la publication du nouveau rapport, j’ai écrit, avec l’accord du cardinal et de la curie diocésaine, une lettre à tous les gestionnaires et les proviseurs de nos écoles, exprimant en termes très vifs mon opposition à ce nouveau texte que je considère comme faisant partie d’une conspiration. Le gouvernement, à l’époque, en 2000, s’est inquiété de la vigueur de ma réaction mais a poursuivi sa route et a présenté, en 2002, au Legco le projet de loi que je conteste aujourd’hui. Par ailleurs, il n’a absolument pas tenu compte du rejet très net de ce texte par l’Association des SSB. L’Association des SSB regroupe vingt-sept membres : le diocèse catholique de Hongkong, l’Eglise anglicane, des congrégations religieuses catholiques masculines et féminines, des protestants ainsi que des bouddhistes et des taoïstes. En tout, l’Association représente 860 écoles (de la maternelle au lycée), soit la grande majorité de toutes les écoles de Hongkong.

Depuis, le gouvernement vous a-t-il consulté à propos du projet de loi ?

Le gouvernement ne nous a jamais consulté mais n’a pas ménagé ses efforts pour expliquer tout le bien que les enseignants et les parents d’élèves devaient attendre de la nouvelle loi. Au nom d’un soudain impératif démocratique, les parents et les enseignants devraient absolument entrer dans les comités de gestion. J’ai eu deux entretiens avec Fanny Law, de la Commission gouvernementale pour l’Education, mais aucun échange réel n’a eu lieu. Lorsque j’ai enfin pu rencontrer Tung Chee-hwa, en novembre 2002, je me suis entendu dire qu’il était trop tard et qu’il ne pouvait rien faire.

Que reprochez-vous au projet de loi ?

Le point central du projet de loi est le suivant : dans le système actuel, le gouvernement contrôle les SSB par le financement qu’il apporte aux écoles sous contrat et, à leur tour, les SSB contrôlent les écoles qui, chacune, sont dirigées par un proviseur assisté d’un comité de gestion. Juridiquement, le proviseur – et lui seul – en tant que représentant du SSB est responsable devant le gouvernement de tout ce qui se passe dans son établissement. Dans le nouveau système – actuellement à l’étude devant la Commission des lois du Legco -, les nouveaux comités de gestion, appelés « Incorporated Management Committee seront, pour chaque école, directement enregistrés auprès du gouvernement et chacun de ces comités, collectivement, sera l’entité responsable devant l’autorité publique.

Quelles seront les conséquences concrètes de ce changement ?

Elles sont triples :

– Le gouvernement dit qu’il est prêt à accorder la présidence des comités de gestion des écoles aux proviseurs des écoles. Mais le rôle des proviseurs est changé. Dans le nouveau système, un proviseur ne fera que présider des réunions et n’aura aucun pouvoir en-dehors de ce comité.

– Il dit que les SSB pourront nommer jusqu’à 60 % des membres des comités de gestion et en garder ainsi le contrôle. Mais chacun sait que les problèmes ne peuvent pas tous se régler par des votes dans ce genre de comités. Si un ou plusieurs membres, désormais élus, des comités ne sont pas ou plus d’accord avec la vision et la mission du SSB, les divisions dans ces comités les rendront ingérables. Et le gouvernement sera alors le seul recours, le SSB ne pouvant plus intervenir comme c’était le cas auparavant.

– Il dit que le SSB peut mettre par écrit dans les constitutions de chaque école sa vision de l’éducation et la mission de cette école. Mais chacun sait que ces constitutions ne peuvent ni entrer dans des détails trop précis ni être trop concrets. De plus, le projet de loi ne prévoit aucun mécanisme permettant d’être sûr que les constitutions des écoles seront respectées.

En résumé, ce qui nous inquiète est que, dans les faits, les SSB, qui encore une fois assument la responsabilité de tant d’écoles, ne seront plus en position d’assurer leur responsabilité.

Dans le cas de l’Eglise catholique, je tiens à souligner que le système actuel fait que nous disposons d’une structure forte derrière chaque école et son proviseur. De longue date, le diocèse a mis sur pied un Comité central de gestion. Même s’il n’a pas de statut juridique en droit civil, il remplit très efficacement son rôle. Il est formé de directeurs d’écoles, de quelques prêtres et spécialistes des questions juridiques. Ils étudient la politique éducative du gouvernement, analysent l’évolution de la société et produisent des directives pour nos écoles. Il faut également parler du Bureau catholique de l’éducation ou siègent des personnes ayant l’expérience de directeurs d’écoles et dont la tâche est toute entière de travailler à régler les éventuels problèmes qui viennent à surgir dans telle ou telle école. Selon le projet de loi actuellement à l’étude, ces deux organisations n’auront plus la possibilité, juridiquement, d’intervenir dans les affaires de nos écoles. Mais, sans elles, le diocèse n’est plus en position d’être réellement responsables de nos écoles et de leurs besoins. Ce qui est en jeu ici, c’est notre capacité à animer des écoles. Il est évident que le gouvernement cherche à nous marginaliser en mettant les SSB de côté.

Face à ce projet de loi, que demandez-vous aujourd’hui ?

Ce que nous demandons, à l’heure qu’il est, est de revenir à la lettre du Rapport nº 7, c’est-à-dire à un système où les SSB gardent le contrôle des comités de gestion.

Le gouvernement et ses alliés disent que nous sommes contre la démocratisation, contre la gestion par la base de nos écoles, contre leur autogestion. Nous répondons que cela n’est pas vrai, que c’est le gouvernement qui a mis de côté le Rapport nº  7. En vérité, ce débat n’est pas un débat sur la démocratisation du mode de fonctionnement de nos écoles. Nous avons d’ores et déjà fait nôtres les principes de démocratie et de participation. Certaines de nos écoles comptent déjà des parents d’élèves et des enseignants qui partagent notre vision et notre mission au sein de leur comité de gestion et nous sommes déterminés à aller plus loin dans la prise en compte des recommandations du Rapport nº 7. Concrètement, nos écoles mettent en place des comités exécutifs qui sont des espaces de débats et dont la fonction est consultative. Il est cependant évident que le comité de gestion de telle ou telle école adoptera volontiers toutes mesures arrêtées par son comité exécutif dès lors qu’elles sont conformes à notre vision et notre mission dans le domaine éducatif.

Au cas où le texte est voté en l’état, quelles seront, selon vous, les conséquences pour le diocèse de Hongkong ?

Dans le nouveau système, nous craignons ne pas être en mesure d’assurer la tutelle d’autant d’écoles que nous le faisons aujourd’hui. Tout simplement parce que le système envisagé ne nous permet de dire que les écoles dont nous avons la responsabilité pourront rester fidèles à notre projet éducatif. Combien d’écoles allons-nous devoir abandonner ? Je ne sais pas mais je doute que ce soit ce que souhaitent les Hongkongais qui nous confient leurs enfants.

Le danger dans le nouveau système est que, très facilement, les comités de gestion seront divisés, donc paralysés et seul le gouvernement sera en position d’intervenir, en dernier recours. Si c’est cela que les Hongkongais veulent, ils doivent aussi être prêts à en payer le prix. Chacun sait que les écoles publiques coûtent 30 % plus cher à gérer que les écoles sous contrat, les écoles gérées par les SSB. Alors, pourquoi le gouvernement voudrait-il écarter les SSB ? La seule explication est que le gouvernement cherche à concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. Le gouvernement ‘vend’ sa réforme au nom de la décentralisation. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. Les SSB seront ‘décentrés’, mis de côté, et les écoles sous contrat seront rendues semblables aux écoles publiques. Mon expérience à Shanghai après l’arrivée des communistes au pouvoir m’enseigne que nous devons être très attentifs.

Le gouvernement agit-il ici selon les desiderata de Pékin ?

Je ne sais pas. La seule chose que je peux dire que le rapport qui a remplacé le Rapport n° 7 peut être attribué à celui qui présidait à l’époque la Commission pour l’Education, Anthony Leung. Pour reprendre ses propres termes, les changements envisagés sont « révolutionnaires ». Plus fondamentalement, comme cela a déjà été souligné, nous sommes en droit de considérer que le gouvernement de Hongkong, en proposant au Legco ce projet de loi, ne respecte pas l’article 141 de la Loi fondamentale, lequel dit : « [.] Les organisations religieuses peuvent, selon leurs pratiques antérieures, continuer à gérer [.] des écoles [.]. » D’un point de vue constitutionnel, nous sommes donc en droit de refuser cette nouvelle loi.

Le gouvernement refuse de discuter avec nous. Il élude le débat et n’a jamais eu de réel contact avec moi sur ces sujets. Ce que nous avons décidé par conséquent est de nous adresser directement aux parents d’élèves et aux enseignants. Nous leur avons dit nos objections à ce projet, les risques qui seront les leurs lorsqu’ils auront la possibilité de faire partie des comités de gestion. Nous avons réalisé que les parents des élèves scolarisés dans nos écoles ne sont pas vraiment conscients des dangers que fait peser ce projet de loi sur le système éducatif hongkongais. C’est pourquoi nous allons très prochainement mener une étude auprès des parents d’élèves pour savoir ce qu’ils ont saisi de l’enjeu.

A la Commission des lois du Legco, pensez-vous que le projet de loi puisse être amendé ?

Au Legco, le texte a été longuement débattu mais aucune objection sérieuse n’a été soulevée. Des failles ont bien été soulignées mais cela ne débouche sur rien, sur aucun changement substantiel. La seule question intéressante qui a été posée est celle-ci : pourquoi les écoles publiques et ce qu’on appelle ici les écoles directement subventionnées ne sont-elles pas concernées par la future loi ? (Les « direct subsidied schools » sont des écoles directement subventionnées par le gouvernement, à charge pour elles de trouver auprès des parents d’élèves un complément de financement. Elles sont, de fait, fréquentées par les classes aisées de la population.) Il y a la une différence de traitement qui pose question.

Au Legco, il a été proposé que le délai de cinq années dont les écoles sous tutelle des SSB disposeront pour mettre leur structure en conformité avec la nouvelle loi soit transformé en une période de cinq ans « de libre choix ». Laissons les écoles qui le souhaitent adopter le nouveau système. Les autres auront la possibilité de conserver les dispositions prévues par le Rapport n° 7. A la fin de ces cinq années, nous pourrons alors réexaminer la situation. Mais le gouvernement n’a pas réagi cette proposition.

Que comptez-vous faire ?

Je vais très prochainement écrire une lettre ouverte aux membres du Legco pour dire que nous préférons un système « de libre choix » et je m’expliquerai à nouveau comme je l’ai fait le 5 mai dernier devant la Fondation démocratique de Hongkong. J’accorde une importance primordiale à ce dossier car j’estime que, si nous ne battons pas, nous serons laminés petit à petit.