Eglises d'Asie – Chine
LA CONSECRATION DE Mgr PETER FENG UN EVENEMENT HISTORIQUE ! QUELLE EST LA PART DE CESAR, QUELLE EST LA PART DE DIEU ?
Publié le 18/03/2010
Mais alors, qu’est-ce qui a rendu la consécration de Mgr Feng si « historique » ? Est-ce que tous les problèmes qui auparavant causaient des mésententes se sont soudainement dissipés à Jingxian ? Je ne le pense pas. Ce qui, à Jingxian, était nouveau et porteur d’espoir, c’est le fait que les autorités civiles chinoises et la communauté des prêtres du diocèse de Hengshui ont eu une longue, ouverte et franche discussion sur la manière dont la liturgie de la consécration devait être organisée. La question en discussion était une claire application des paroles de Jésus-Christ : « Don-nez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu. » (Mt 22,21). Pour les autorités civiles, ce genre de cérémonie signifie l’« installation d’un évêque – c’est-à-dire d’un administrateur – d’un diocèse Pour les prêtres, c’est la consécration d’un « pasteur pour le peuple de Dieu Un évêque est choisi pour devenir l’officiel « serviteur et témoin » de la présence du Christ dans le monde d’aujourd’hui et pour présider sa communauté dans la célébration de l’eucharistie. Ceci est un événement strictement religieux dans lequel les catholiques célèbrent un mystère de leur foi : un de leurs prêtres reçoit la plénitude du sacrement du sacerdoce et devient leur « pasteur » (évêque), dont la tâche est « de guider sa communauté de chrétiens dans leur foi ». Devenir évêque est un appel de Dieu. Choisir le candidat évêque signifie discerner qui parmi les prêtres est qualifié pour cet appel. Ceci doit se faire dans un processus qui permet aux prêtres et à leur communauté de réfléchir dans la foi. Si des motivations matérielles, des ambitions personnelles ou des pressions extérieures corrompent cette réflexion de foi, le résultat est nul et sans valeur pour l’Eglise. Consacrer le candidat choisi est une liturgie dans laquelle tout ce processus est accompli par la communauté dans une joyeuse célébration de foi. Cette liturgie appartient clairement à la ‘part de Dieu’.
Nous ne sommes pas surpris qu’il soit difficile pour des non-croyants de comprendre cela puisqu’ils ne pensent pas en termes de foi. Ils considèrent un évêque seulement comme « le chef et l’administrateur » d’un diocèse. Pour les catholiques, cet aspect du devoir d’un évêque est aussi important et réel. Mais il vient après le premier devoir : celui d’être un pasteur. Il souligne la fonction de l’évêque dans la société et il représente la partie administrative de sa nouvelle fonction, qui doit bien sûr aussi être respectée et trouver sa juste place. Un évêque doit être reconnu par les autorités officielles. Son installation est un acte sur lequel on doit s’entendre avec elles. Son Eglise doit être enregistrée selon la loi, etc. Tout cela appartient au terrain qui relève de la supervision de César. Cela, en vérité, valait la peine pour les prêtres chinois et les autorités civiles de passer plusieurs heures à essayer de définir quelle partie de leur liturgie appartient à Dieu et quelle part appartient à César. Seul un dialogue ouvert et honnête peut réaliser cela. Chacune des deux parties doit essayer de comprendre le point de vue de l’autre. C’est ce qu’elles ont fait à Jingxian et c’est pourquoi cela a pris tant de temps. Les deux parties méritent des louanges pour leurs efforts.
La distinction entre la part de Dieu et la part de César dans la sélection et la consécration d’un évêque peut sembler simple à première vue mais les longues controverses sur cette question pendant les cinquante dernières années montrent qu’il n’en est pas ainsi. Les points de vue étaient différents et opposés mais il n’y eut que rarement ou jamais de dialogue sur la question. Finalement, à Jingxian, les prêtres et les autorités civiles ont eu le courage de passer plusieurs heures pour discuter franchement et ouvertement cette question controversée et élaborer une entente mutuelle, même s’ils ont dû pour cela différer la cérémonie. Cela en valait la peine. Finalement, les fidèles ont célébré dans la joie le fait que le nouvel évêque, d’après la vieille tradition de l’Eglise et d’après la loi de l’Eglise, après avoir été choisi par la communauté des prêtres dans une réflexion de foi, a été nommé par le pape Jean-Paul II.
Il a aussi été approuvé par la Conférence épiscopale de Chine avec l’approbation des autorités civiles chinoises. Cet événement a été célébré lors d’une cérémonie liturgique chinoise qui a commencé dans la petite cathédrale catholique et, après une procession à travers les rues de Jingxian, a continué dans le Hall du Peuple local en la présence de plus d’un millier de catholiques du diocèse. Parmi eux, se trouvaient beaucoup de catholiques et de prêtres non officiels (clandestins). De cette manière, la célébration a été une occasion de rapprochement entre les chefs civils et ceux de l’Eglise et aussi entre les catholiques appartenant aux deux communautés, officielle et clandestine.
On peut dire que la consécration épiscopale de Jingxian a été différente de la plupart des autres consécrations épiscopales en Chine depuis 1958. Cette année-là, deux évêques chinois furent nommés par la République populaire de Chine et consacrés sans avoir d’abord obtenu une nomination par le pape. A cause de cela, l’événement démarra une controverse historique. Et, depuis 1958, les consécrations épiscopales en Chine ont souvent été cause de malentendus. Ou bien le nouvel évêque était consacré sans nomination par le pape, et cela rendait malheureux aussi bien les autorités de l’Eglise que les catholiques chinois. Ou bien l’évêque était consacré sans l’accord des autorités civiles chinoises, ce qui le rendait illégal d’après la loi chinoise, et dès lors ses activités pastorales comme évêque pouvaient être considérées comme punissables par la loi.
De ces cinquante ans d’histoire ressort une Conférence épiscopale catholique chinoise « officielle » qui est approuvée par la République populaire de Chine, mais n’a jamais été approuvée par le Saint-Siège, et une autre, « non officielle » (clandestine), qui n’a été approuvée ni par le Saint-Siège ni par les autorités chinoises. Nous savons tous que, durant ces vingt dernières années, un grand nombre d’évêques officiels chinois ont demandé au Saint-Siège de régulariser leur situation. Beaucoup d’entre eux ont obtenu une réponse positive et ont été nommés par le pape. A ce jour, le pape a approuvé plus de 80 % de tous les évêques chinois, officiels ou non officiels. Mais juste le fait qu’il existe en Chine deux sortes d’évêques catholiques – les légaux et les illégaux, d’après la loi de l’Eglise aussi bien que d’après la loi du pays -, ce simple fait est malsain et anormal. A l’intérieur de la Chine, cela cause une division parmi les pasteurs (= évêques) et une confusion parmi les catholiques, qui ne sont pas certains s’ils doivent ou non assister à la messe. Les autorités chinoises arrêtent certains des évêques illégaux à cause de leurs activités illégales. Elles insistent pour que les activités religieuses soient enregistrées selon la loi, mais ils ignorent le fait que l’existence même d’une communauté de l’Eglise clandestine a ses racines dans l’intolérance passée du régime. Elles forcent les fidèles à adopter des éléments incompatibles avec la foi catholique. Cela fait du mal à l’Eglise, mais cela fait aussi du mal à la réputation internationale de la République populaire de Chine, qui garantit « la liberté de foi religieuse » dans sa Constitution. Pourquoi prolonger cette controverse qui n’existe qu’en Chine, alors que 165 autres pays dans le monde n’ont pas ce problème ?
Pendant des années, nous avons espéré que la normalisation des relations sino-vaticanes clarifierait la situation mais chaque fois que nous avons espéré réussir, quelque tournure inespérée des événements a fait s’évanouir ces espoirs. Nous continuons encore à espérer. Mais, en l’absence de relations diplomatiques, on se demande si un dialogue informel mais vrai et honnête – comme à Jingxian – peut aider à se débarrasser de ces controverses inutiles, qui n’apportent aucun bénéfice à personne et qui font du mal à l’Eglise aussi bien qu’à l’Etat chinois. La consécration épiscopale à Jingxian à l’Epiphanie 2004 peut être considérée comme un pas positif dans cette direction. Les efforts physiques accomplis par les prêtres et les autorités lors de longues heures de négociations ont produit leurs fruits et leur résultat a été une célébration pleine de sens. C’était positif, même si les deux parties – les autorités civiles et les prêtres de Jing-xian – n’ont probablement pas été pleinement satisfaites de tous les aspects de la célébration. On ne peut pas s’attendre à clarifier d’un seul coup une controverse vieille de cinquante ans. Mais au moins les résultats à Jingxian ont été positifs. Espérons que ces efforts bénéficieront aux futures négociations et aboutiront à une solution définitive de cette controverse qui a apporté trop de malentendus dans le passé. Une telle solution bénéficierait à la fois à l’Eglise chinoise et à la République populaire de Chine.