Eglises d'Asie

LE LEADER DU LTTE SORT RENFORCE DE L’ECHEC DE LA MUTINERIE DU ‘COLONEL KARUNA’

Publié le 18/03/2010




Dans le contexte du déploiement de puissance et de confiance en soi de Vinayanamoorthi Muralitharan, alias “le colonel Karuna leader de l’aile militaire rebelle du Front de Libération des Tigres Tamouls (LTTE) dans les districts des provinces orientales de Batticaloa et d’Ampara, tout au long du mois de mars, ce qui apparaît surprenant n’est pas tant son impuissance à contrer la suprématie de Velupillai Prabhakaran sur le LTTE que la rapidité avec laquelle il s’est incliné devant l’assaut lancé par le haut commandement de Vanni.

Dès la première semaine d’avril, des signes étaient patents d’un déclenchement d’une offensive contre Karuna, sous la forme de troupes massées le long de la frontière nord du district de Batticaloa, et de l’intensification des opérations en mer des “Tigres de Mer” sur la côte est. De plus, des rapports indiquaient l’infiltration dans le district de Batticaloa de commandos de tueurs du LTTE, ainsi que le meurtre de partisans influents de la révolte de Karuna. L’offensive déclenchée dans les premières heures du 9 avril a été lancée sur terre et sur mer, accompagnée de l’infiltration, dans les zones de Batticaloa et d’Ampara contrôlées par le gouvernement, de petits groupes du LTTE – les gangs au revolver – chargés d’empêcher tout soutien civil au groupe rebelle.

Devant cette offensive tous azimuts, il était clair dès le 15 avril que la faible résistance du groupe rebelle avait été brisée et que l’autorité de Prabhakaran sur les zones orientales contrôlées par le LTTE était complètement rétablie. Des bribes d’information en provenance de cette région indiquaient que plus de 50 % des combattants rebelles (qui, selon Karuna lui-même, comptaient au départ plus de 5 000 hommes) s’étaient ralliés à Prabhakaran et que les autres, dans leur grande majorité, avaient suivi les instructions antérieures de leur chef et avaient abandonné les armes et s’étaient enfui chez eux ou se cachaient.

Néanmoins, le très officiel Daily News écrivait le 27 avril que la principale faction des Tigres tamouls rebelles, basée au nord du Sri Lanka, avait accusé les combattants qui étaient restés fidèles à Karuna, leur leader en fuite, du meurtre, le 25 avril, de sept de leurs membres dans le district de Batticaloa. Le commandant du groupe de protection scandinave, la Mission de Protection du Sri Lanka, Hagrup Haukland, annonçait, de son côté, qu’il avait reçu une plainte du chef politique du LTTE selon laquelle des combattants de Karuna se seraient rendus dans les zones orientales contrôlées par les rebelles et auraient tué sept rebelles.

Au même moment, plusieurs centaines d’hommes qui avaient servi sans les forces de Karuna à des postes de commandement se seraient enfuis des zones contrôlées par le gouvernement pour se retrouver en grand nombre dans la capitale Colombo. Avant sa fuite, Karuna aurait détruit des stocks considérables d’armes et de munitions ainsi que plusieurs installations militaires qui étaient sous son commandement. Il se serait enfui à l’étranger – en Inde, selon certains, en Malaisie, selon d’autres. Aux dernières nouvelles, il serait rentré dans Colombo et se cacherait dans un quartier résidentiel à prédominance tamoule, au sud de la ville.

Les conséquences possibles de la révolte de Karuna peuvent être étudiées sous trois angles différents mais complémentaires : son impact sur 1.) la politique électorale au Sri Lanka, dans le contexte des élections parlementaires et sa répercussion sur les principales forces politiques du pays, 2.) le caractère durable du cessez-le-feu en cours et les perspectives de la reprise des négociations de paix entre le gouvernement du Sri Lanka et le LTTE, et 3.) la force effective du LTTE.

Pour le gouvernement de Colombo, communiquer sur le déclenchement de cette révolte est un dilemme, car le résultat d’une information ou l’absence d’information peut s’avérer préjudiciable à la fois au maintien du cessez-le-feu et aux espoirs électoraux des deux factions du gouvernement qui s’opposent violemment dans leur campagne pour les élections au Parlement du 2 avril.

Par exemple, reconnaître de facto Karuna comme leader rebelle de Batticaloa-Ampara ou simplement accéder à une de ses requêtes mineures constituerait une atteinte aux clauses du cessez-le-feu et provoquerait vraisemblablement la colère de Prabhakaran. Mais ne pas reconnaître Karuna ou refuser une de ses requêtes peut très bien entraîner des représailles violentes de la part de ceux qui lui sont restés fidèles dans les provinces orientales et/ou l’accusation par les nationalistes cinghalais d’une servilité éhontée du gouvernement vis-à-vis de Prabhakaran.

De la même façon, tout agissement soit de la présidente Chandrika Kumaratunga (leader de l’Alliance pour la Liberté du Peuple uni, UPFA), soit de son rival politique, l’actuel Premier ministre Ranil Wickremasinghe (leader du Front National uni), qui toucherait le nouveau scénario dans le “Nord-Est” du pays pourrait avoir un impact décisif sur l’étendue du soutien électoral attendu de la communauté tamoule et donc sur le résultat des élections.

Au cours des derniers mois, probablement en prévision d’une élection nationale, le haut commandement du LTTE a mis sur pied une “alliance” comprenant presque toutes les forces politiques tamoules en les réunissant sous la bannière de Thamil Arasi Kachchi (ITAK), connue aussi comme l’Alliance nationale tamoule (Tamil National Alliance, TNA). Pour la désignation des candidats, ce fut le bureau de l’ITAK qui a fait le choix des candidats pour les districts électoraux des provinces du nord et de l’est.

Le but de cette manouvre était que, si le LTTE pouvait assurer la victoire de ses candidats triés sur le volet, il aurait au moins vingt députés dans le nouveau parlement qui lui seraient acquis. Du fait que le système actuel de représentation proportionnelle ne permet ni à l’UPFA, ni à l’UNF de prétendre à plus d’une faible majorité dans les 225 membres du Parlement, la direction du LTTE avec 22 membres à sa dévotion aurait sérieusement son mot à dire dans les affaires du pays.

Bien que cette stratégie ait essuyé un revers lorsque Karuna a ordonné aux candidats de l’ITAK des provinces de l’Est de resserrer leur liens avec la direction du Vanni, les conditions instables crées par la révolte eurent l’effet de placer l’ensemble du processus électoral de la province Nord presque entièrement sous le contrôle du commandement du LTTE, lui rendant possible de truquer les élections par le recours à la violence et permettant à l’ITAK de remporter une victoire totale dans le nord. L’impact qu’a eu Karuna sur les élections dans la province orientale s’est révélé être éphémère, et, de toute façon, les candidats de l’ITAK élus dans l’Est du pays sont tombés sous la coupe de Prabhakaran après l’effondrement de Karuna.

Peu après les élections, Prabhakaran a convoqué à son quartier général tous les membres de l’ITAK élus au nouveau Parlement pour leur dicter leur ligne de conduite et plus spécifiquement, leur ordonner de reprendre en toute priorité avec le gouvernement la mise en place du projet du LTTE, prévoyant une administration intérimaire pour “le Nord-Est Ce projet appelé “propositions d’une Autorité indépendante pour le Nord-Est” (ISGA), s’il voyait le jour, donnerait au commandement du LTTE un pouvoir autocratique sur les deux provinces et, comme l’ont fait remarquer de nombreux opposants, préparerait la voie à la sécession totale. Ainsi, l’impact global de la révolte de Karuna sur la politique parlementaire du Sri Lanka a fortement contribué à mettre en lumière l’influence directe du LTTE sur les affaires politiques nationales. Elle a virtuellement éliminé du courant politique le point de vue tamoul modéré. Et elle a rendu la politique de consensus encore plus évanescente qu’auparavant.

La configuration parlementaire qui est sortie des urnes le 2 avril – la formation d’un gouvernement par l’UPFA, sans toutefois bénéficier de la majorité absolue – a une importance vitale pour les perspectives de paix et de stabilité au Sri Lanka. La reprise des négociations entre le gouvernement et le LTTE devra maintenant surmonter trois formidables obstacles : le rejet de l’ISGA par l’UPFA dès la proposition qu’en a faite officiellement le LTTE en septembre 2003, le refus de l’UPFA d’accepter le LTTE comme le seul représentant des Tamouls du Sri Lanka et sa promesse électorale de s’opposer au concept d’une patrie tamoule traditionnelle qui comprendrait la totalité des provinces du Nord et de l’Est.

Les représentants du précédent gouvernement qui étaient en première ligne des négociations avec le LTTE (le Premier ministre de l’époque, Wickremasinghe, et ses proches collègues, les ex-ministres G. L. Peiris et Milinda Moragoda) n’ont cessé d’affirmer leur conviction de ce que, lors des négociations à Oslo en décembre 2002, les délégués du LTTE sous la conduite d’Anton Balasingham avaient accepté l’idée d’un système fédéral permettant le gouvernement autonome interne du “Nord-Est” du Sri Lanka. Ce système répondait à leur demande et amènerait le LTTE à abandonner ses combats sécessionnistes, ouvrant ainsi la voie vers une paix durable.

En fait, toute la stratégie de la négociation reposait sur le fait que Prabhakaran lui-même avait souscrit à “l’option fédérale Dans ces conditions, les révélations de Karuna sur le point de vue du leader du LTTE sur ce qui s’était passé à Oslo ont été d’une importance cruciale. Elles correspondaient en fait exactement aux éclaircissements donnés par Anton Balasingham, le principal porte-parole du LTTE à l’étranger sur la position de son chef et précisaient que la forme d’autodétermination, qui était recherchée, comprenait le droit à la sécession et à la formation d’un Etat indépendant (voir sur ce point les déclarations largement diffusées de Balasingham à une conférence de presse à Oslo, le 5 décembre 2003). Le fait que les révélations de Karuna n’aient pas été démenties par la direction du LTTE a ainsi donné l’occasion aux futurs négociateurs du gouvernement d’abandonner leurs illusions sur la position du LTTE et de redéfinir leur propre position en tenant compte de la volonté du leader du LTTE de maintenir l’objectif d’une sécession.

On peut ainsi considérer que la révolte de Karuna a eu un impact mixte sur le LTTE. Elle a mis en lumière certaines erreurs d’opinion répandues dans le monde entier par la propagande des Tigres Tamouls ces dix dernières années : d’abord, qu’il n’y aurait qu’une seule patrie indivisible, propre aux Tamouls du Sri Lanka et qui recouvrirait toute la zone des provinces du Nord et de l’Est, et ensuite, que le LTTE a seul pouvoir d’agir et de parler au nom des Tamouls du Sri Lanka. En effet, la révolte, tout en exposant la faiblesse de la revendication d’une “patrie” (cet aspect a été étudié très à fond dans des recherches récentes), a aussi clairement démontré le caractère superficiel de l’affirmation selon laquelle la direction du LTTE aurait monopolisé le pouvoir sur la totalité de la communauté tamoule du Sri Lanka.

Un autre aspect négatif de cette révolte est la perte de combattants, d’armements et d’installations militaires consécutive au départ de Karuna. Selon le journaliste Iqbal Athas, la grande cache d’armes et de munitions détruite sur les ordres de Karuna, au moment de sa retraite, comprenait des mortiers et de l’artillerie lourde acquis par le LTTE après l’établissement du cessez-le-feu de décembre 2001. Pareillement et selon des estimations de la presse, le nombre des déserteurs dans les rangs du LTTE, après l’effondrement de la révolte aurait atteint plus de 2 000 hommes. Athas souligne également la répercussion de la révolte sur la diaspora tamoule que l’on peut observer dans les communautés tamoules, notamment en France, en Suisse et au Canada, et qui pourrait déboucher sur une diminution des soutiens extérieurs au LTTE.

Néanmoins, des gains substantiels ont été acquis par le LTTE à la suite de l’effondrement de la révolte. Il y a, par exemple, une nette amélioration de l’image de Prabhakaran, qui est apparu comme un chef invincible. Beaucoup de journalistes, même parmi ceux qui étaient opposés aux Tigres tamouls, n’ont pas tari d’éloges sur le prétendu génie militaire de Prabhakaran dans son offensive stratégique sur Karuna, en faisant semblant d’ignorer le pathétique déséquilibre des forces en révolte.

Un aspect plus tangible de la révolte est qu’elle a permis à Prabhakaran de renforcer sa mainmise sur la population tamoule du Sri Lanka et d’assurer le contrôle de sa politique encore plus fermement qu’auparavant, en transformant ses leaders politiques, à quelques faibles exceptions près, en un groupe de laquais sans expression ni volonté propres.

Encore plus important est le renforcement de la capacité de Prabhkaran à mener une politique de la corde raide avec le gouvernement du Sri Lanka. Il est maintenant parfaitement conscient de son impunité à continuer ses exactions à l’encontre du cessez-le-feu, presque sans aucun risque d’une réponse de Colombo, si l’on exclut les plaintes de principe déposées auprès de la Mission de Protection du Sri Lanka, dirigée par la Norvège pour assurer le maintien du cessez-le-feu. Il devient chaque jour plus évident que le gouvernement du Sri Lanka a abandonné son devoir de protection de tous les citoyens de son pays, non seulement en refusant de donner aux rebelles la sécurité qu’ils recherchent dans les zones supposées être sous son contrôle, mais aussi en ignorant les groupes de tueurs du LTTE qui hantent les rues de Colombo, à la recherche des fidèles de Karuna qui pourraient s’y cacher.

Enhardi par l’incapacité du gouvernement à exercer son autorité, ou par son refus de le faire, même à Colombo, le LTTE a essayé, au cours des derniers jours, d’étendre son contrôle sur plusieurs localités stratégiques dans la péninsule de Jaffna et dans la Province de l’Est. Ce pourrait être le prélude d’un essai du LTTE de reprendre Jaffna. Prabhakaran a également annoncé au nouveau gouvernement que la mise en place d’une administration intérimaire sur le “Nord-Est probablement sur le modèle de ses propositions d’une ISGA, serait un préalable essentiel à la reprise des négociations de paix.