Eglises d'Asie

Dans l’impossibilité de faire enregistrer légalement son mariage, une Malaise, anciennement musulmane et aujourd’hui chrétienne, demande à voir ses droits constitutionnels reconnus

Publié le 18/03/2010




Lorsqu’Azlina Jailani a voulu se marier il y a quelques années, sa vie s’est soudainement compliquée et s’est trouvée placée au centre de polémiques intenses. Née dans une famille malaise et donc considérée comme musulmane, elle s’est, une fois parvenue à l’âge adulte, convertie au christianisme. Le fait était déjà suffisamment délicat pour ne pas être ébruité mais, lorsqu’Azlina Jailani a demandé que son mariage soit enregistré dans le très officiel Registre des mariages, elle s’est vue opposer un refus au motif qu’étant Malaise, elle était légalement une musulmane.

Tout en étant rare, le cas d’Azlina Jailani n’est pas exceptionnel et les difficultés au centre desquelles elle se trouve aujourd’hui ne sont pas inédites. Cependant, son histoire en Malaisie fait couler beaucoup d’encre, des défenseurs des droits de l’homme et des avocats s’étant saisis de son cas pour demander une clarification des règles régissant les conversions religieuses.

Dernièrement, Azlina Jailani et son avocat ont déposé un recours devant une juridiction civile et ont demandé que les juges produisent une déclaration selon laquelle elle est libre de pratiquer la religion de son choix et que la mention ‘islam’ soit supprimée de sa carte d’identité à la rubrique ‘appartenance religieuse’. En tant que Malaise, Azlina Jailani aurait dû normalement déposer une telle demande non devant un tribunal civil mais devant un tribunal religieux, un tribunal islamique appliquant les préceptes de la charia, la vie familiale des Malais étant régie dans la Fédération malaisienne par le droit islamique. Cependant, pour éviter ce processus – long et à l’issue incertaine -, Azlina Jailani a estimé qu’elle pouvait faire valoir ses droits en faisant appel à la liberté de religion garantie à tous les Malaisiens par la Constitution de la Fédération. De fait, la Constitution du pays garantit la liberté religieuse mais cette disposition est généralement comprise comme ne s’appliquant pas aux Malais, tous considérés comme musulmans (1).

Pour Shad Faruqi, professeur de droit constitutionnel et de droit islamique, l’exigence imposée aux musulmans d’obtenir des tribunaux islamiques une reconnaissance légale de leur éventuelle conversion à une autre religion doit être comprise dans le cadre de la société malaisienne, société plurireligieuse et multiraciale où l’identité ethnique est étroitement liée à l’appartenance religieuse. Le but recherché ici, souligne le professeur de droit, est d’éviter que les musulmans arrêtés pour un délit à caractère religieux se soustraient à leurs obligations légales en arguant d’une conversion à une autre religion.

Pour un certain nombre d’avocats et de spécialistes du droit, ce type d’arguments est de moins en moins recevable dans la société malaisienne d’aujourd’hui. Ils en veulent pour preuve la multiplication ces derniers temps d’affaires comparables à celle d’Azlina Jailani. Au début de cette année, un tribunal a ainsi eu à juger du droit de garde de deux enfants nés d’un couple composé à l’origine de deux hindous mais où le père s’était par la suite converti à l’islam. La mère est restée hindoue et les enfants avaient été convertis à l’islam par le père. Les juges ont prononcé une garde conjointe, le soin quotidien des enfants étant toutefois confié à la mère à charge pour elle de les élever dans la religion musulmane. Plus récemment, dans l’Etat du Kelantan, quatre musulmans qui avaient renoncé à l’islam ont été emprisonné après avoir refusé de suivre la décision d’un tribunal islamique leur intimant l’ordre de cesser des pratiques religieuses considérées comme déviationnistes par rapport à la foi musulmane.

Dans un pays où une règle non écrite veut que les non-musulmans ne doivent pas faire de prosélytisme auprès des adeptes de l’islam, les conversions de musulmans à une autre religion sont rares mais ces quelques cas portés à l’attention publique viennent sinon bousculer un tabou de la société malaisienne, du moins tester la garantie constitutionnelle de la liberté religieuse et la façon dont cette garantie s’applique aux musulmans. Selon le professeur Shad Faruqi, « il est nécessaire que le législateur se prononce clairement sur cette question ».