Eglises d'Asie

Les responsables religieux se disent choqués et attristés par la répression meurtrière d’une émeute dans le Sud musulman du pays

Publié le 18/03/2010




Etat de choc et profonde tristesse. Telles ont été les premières réactions de divers responsables religieux thaïlandais après l’annonce de la répression meurtrière menée par la police dans le Sud musulman du pays. Soixante-dix-huit manifestants musulmans entassés dans des camions de la police sont morts le 25 octobre dernier après un trajet de cinq à six heures sous le soleil en direction d’un camp militaire de la province de Pattani. Selon les médecins légistes, la plupart d’entre eux sont décédés par suffocation ou étouffement. Ils faisaient partie d’un groupe de 1 000 à 1 300 manifestants interpellés par la police après qu’une manifestation eut dégénérée devant un poste de police de la province de Narathiwat. Trois mille jeunes manifestants s’étaient réunis devant ce poste de police pour réclamer la remise en liberté de six hommes accusés d’être impliqués dans le vol de plusieurs armes distribuées dans le cadre de réactivation des milices villageoises. Pour disperser la foule, la police a fait usage de ses armes, tuant six manifestants ; trois autres corps ont été retrouvés un peu plus tard dans une rivière voisine, portant le bilan de cette journée à 87 morts. Ce nouvel incident est venu s’ajouter à une longue liste d’attaques – quelque trois cents depuis le début de l’année qui ont fait près de 400 morts – inaugurée par l’attaque d’un poste de police le 4 janvier 2004 (1).

Dans le sud thaïlandais où les musulmans sont majoritaires dans quatre provinces situées à proximité de la frontière du pays avec la Malaisie, l’évêque du diocèse catholique de Surat Thani, responsable d’une petite communauté de fidèles, s’est déclaré profondément attristé. “Je ne jette pas le blâme sur quiconque car je ne possède pas suffisamment d’éléments pour le faire mais tant de morts sont le résultat du péché dans ce monde a déclaré Mgr Prathan Sridanusil, nommé le 9 octobre dernier à la tête de ce diocèse qui couvre les quinze provinces méridionales du pays.

Du côté des bouddhistes, le vénérable Kittisak Kittisopano a été beaucoup plus direct, tenant le gouvernement pour responsable de ce tragique épisode, un gouvernement, a-t-il déclaré, “qui devrait avoir honte de laisser de telles choses se produire”. Le Premier ministre Thaksin Shinawatra et tous ceux qui sont impliqués dans l’affaire doivent non seulement présenter des excuses, a-t-il ajouté, mais le Premier ministre devrait démissionner “car nous avons un gouvernement qui viole les droits fondamentaux des personnes”.

Chez les musulmans, les réactions ont été plus ou moins virulentes. Niti Hasan, président du Conseil des organisations musulmanes de Thaïlande, organisme qui rassemble les conseils provinciaux musulmans ainsi que les principales organisations musulmanes du pays, a déclaré que “ces morts sont la cause de grandes souffrances et de désordres chez nos frères et sours musulmans de Thaïlande”. Selon lui, les responsables religieux musulmans des provinces méridionales avec qui il s’est entretenu craignent que “la violence continue” si le gouvernement n’accepte pas la responsabilité de ces morts. Le danger, a-t-il souligné, est que les musulmans thaïlandais concluent qu’ils ne peuvent pas compter sur le gouvernement et ses représentants, ni même les respecter. Il est à craindre qu’“il y aura une réponse violente à ce qui s’est passé ce 25 octobre et cela n’est pas bon pour la société”. Comme en écho à ces propos, Abdul Rahman Abdul Samed, dignitaire musulman de Narathiwat, a déclaré que l’incident du 25 octobre “plongera le Sud thaïlandais dans l’enfer”.

Dans la presse locale, à Bangkok, The Nation appelle à un sursaut national. “La Thaïlande a-t-elle encore une conscience ? s’interroge son éditorialiste. Le quotidien s’étonne, face à cette violence manifestement “encouragée par l’Etat de “l’apathie” de ses concitoyens. Ces manifestants observaient le ramadan : ils étaient fatigués, déshydratés. “Il n’est pas exagéré de dire que du bétail sur la route de l’abattoir voyage dans de meilleures conditions et a droit à un meilleur traitement s’indigne-t-il avant de conclure : “Dans un pays à dominante bouddhiste (…), ce silence de la voix de la conscience est assourdissant.”

Les 63 millions de Thaïlandais sont bouddhistes à plus de 90 %. Dans le sud du pays, seules quatre provinces sont à majorité musulmane. Les statistiques officielles indiquent que trois millions de Thaïlandais sont musulmans, chiffre contesté par certaines organisations musulmanes qui estiment que le nombre des musulmans est proche de six millions (2).