Eglises d'Asie

FAIRE L’EXPERIENCE DU BOUDDHISME

Publié le 18/03/2010




RCF Bordeaux : P. Gérald Vogin, vous êtes prêtre catholique, vous êtes originaire de St Médard en Jalles. Vous avez été ordonné en 1991 à l’église du Grand Parc, à Bordeaux, et vous êtes parti avec les Missions Etrangères de Paris au Cambodge où vous vivez depuis 1992. J’ai lu dans Sud-Ouest, dans le compte-rendu de la Journée Inter-Eglises du mois de juin dernier, que vous étiez un prêtre qui allait à la pagode.

P. Gérald Vogin : Effectivement, ça m’est arrivé plusieurs fois d’aller à la pagode : pour moi, c’est l’occasion de rencontrer le bouddhisme, parce que, vous savez, le Cambodge est un pays bouddhiste à 95 % et, donc, c’est la pagode qui est le lieu où j’ai pu rencontrer des bouddhistes, où j’ai pu suivre des retraites bouddhistes de dix jours.

Le bouddhisme, est-ce une religion, est-ce une philosophie, est-ce un athéisme ?

Cela dépend des gens. Pratiquement, les bouddhistes ou un certain nombre de connaisseurs disent que c’est plutôt une philosophie parce que le bouddhisme ne reconnaît pas une utilité à Dieu ou à une divinité et chacun doit trouver son salut ou faire sa voie dans ce monde en s’appuyant sur ses propres capacités, ses propres mérites et suivre en cela l’enseignement du Bouddha. D’autres disent que le bouddhisme est une religion parce qu’ils s’appuient sur le bouddhisme vécu. En fait, la plupart des gens dans les pays bouddhistes ne font pas cette expérience pratique demandée par le Bouddha mais acceptent d’emblée tous les enseignements du Bouddha avec foi, le considérant lui-même comme un Dieu, comme un protecteur dans leur vie. A ce moment-là, ils auront un rapport plus religieux que philosophique avec le Bouddha.

Entre Bouddha et Jésus, y a-t-il des points communs ?

Bien sûr, il y a des points communs : les deux sont d’origine royale, leur naissance est marquée, au moins dans les écrits, par des phénomènes merveilleux. Les deux ont parlé et ont eu des disciples. Tous les deux ont fondé une religion ou un mouvement qui les a suivis. Tous les deux, surtout, ont cherché à donner une réponse à la souffrance de l’homme. D’où vient cette souffrance ? Comment l’éviter ? Comment, avec cette souffrance, parvenir au salut ?

Ce qui les différencie, c’est que le Bouddha a trouvé un chemin pour supprimer cette souffrance qui tient à reconnaître l’impermanence de toute chose et, ayant reconnu cette impermanence, reconnaître qu’il y a une possibilité pour reconnaître cette souffrance et que cette possibilité de sortir de la souffrance passe par l’extinction des désirs et des passions ; finalement, suivre le chemin à « huit voies » qui est la voie pratique pour sortir de la souffrance mais ce chemin va passer par soi, c’est-à-dire que personne d’autre ne peut faire ce chemin à ma place et je ne peux m’appuyer que sur moi-même. Tandis que dans le christianisme, bien sûr, c’est par Jésus que nous faisons cette expérience et que nous pouvons sortir de la souffrance et aller au Père.

Quand nous regardons les représentations de Bouddha, c’est un visage souriant et paisible alors que le visage du Christ est un visage souffrant et ce n’est pas attirant pour l’Occident….

On n’est pas au même niveau. Il y a dans les pagodes des visages du Bouddha souffrant : quand il est en train de chercher cette voie de salut, pendant six ans, il va méditer et donc, au cours d’exercices même extrêmement violents physiquement, au cours d’ascèses poussées, il va découvrir que son chemin n’est pas dans une ascèse trop dure, mais dans la « voie du juste milieu ». Les bouddhistes ont pris la comparaison avec un instrument de musique dont les cordes ne doivent être ni trop tendues ni trop lâches, mais avoir la juste tension pour arriver à cette compréhension de la Vérité, à cet abandon des passions et des désirs et, finalement, pour comprendre cette vérité, atteindre l’illumination. Il n’y a pas besoin de souffrir : le Bouddha est un être pacifié car il a compris l’essence de toute chose, l’impermanence de toute chose et il ne s’attache à rien qui soit illusoire.

Dans le christianisme, ce sont surtout les Occidentaux qui se sont attachés à cette image du Christ souffrant, alors que dans le christianisme oriental, ils se sont surtout attachés à l’image du Christ Pantocrator, à l’image du Christ glorieux.

Pour les bouddhistes, est-ce que le Bouddha est vivant aujourd’hui ?

Pour les bouddhistes, le Bouddha est au nirvana : il connaît l’illumination, il connaît toute chose. Il est dans un « lieu » qui n’est pas un lieu. Il n’est pas accessible par nous autres. « Vivant » de la manière dont nous le concevons habituellement : non ! Le Bouddha ne peut pas nous aider. Par contre, pour les petites gens (bouddhisme populaire), on pourrait croire qu’il est encore vivant parce qu’ils s’adressent à lui, comme nous, à travers notre prière, nous nous adressons au Christ ou à Dieu.

Nous, les chrétiens, disons : « Jésus est le seul Sauveur ». Comment réagissent-ils quand ils entendent ceci (cf. le Synode des évêques pour l’Asie) ?

Ils ne réagissent pas ou ils sourient… Quand je dis cela, c’est ma foi qui est engagée, la foi de la personne est ici engagée. Un bouddhiste peut avoir une autre perspective et c’est sa foi qui va parler pour lui.

Pour beaucoup, le bouddhisme est une philosophie ; alors le Bouddha s’est-il intéressé aux problèmes humains ? A-t-il cherché à supprimer le problème des castes en Inde ?

Oui, il a vécu en Inde. Il s’est opposé aux castes : on dit que c’était une « révolution ». On dit qu’il était un roi, il était de la caste des guerriers. Le bouddhisme aurait été une réaction de cette caste contre la caste des brahmanes qui est la caste des prêtres et donc, d’une certaine manière, une récupération du pouvoir par la caste des guerriers. A l’heure actuelle, le système des castes n’existe plus officiellement en Inde. Je ne sais pas si le Bouddha a voulu jouer contre les castes, mais c’est clair qu’un effet induit de la foi bouddhiste ou du credo bouddhiste, ça a été la suppression des castes dans la religion bouddhiste.

Est-ce qu’aujourd’hui les bouddhistes poussent à des opérations de défense des droits de l’homme, comme y pousse le christianisme ?

Oui. Là aussi, les gens par eux-mêmes, s’ils sont vraiment bouddhistes, auront une pratique de miséricorde, de charité envers les autres, pour être bienveillants, pour être compatissants, pour essayer d’être attentifs aux besoins de leur prochain. Mais, jusqu’à une période récente, tout cela ne s’était pas traduit à travers des organisations ou des associations telles qu’on en a en Occident ou dans le christianisme, mais, récemment, ce sont des choses qui existent au Cambodge : ce sont des organisations humanitaires qui vont lutter contre la pauvreté, qui luttent surtout contre la violence, la violence domestique (dans les familles, les villages), pour essayer d’apprendre aux gens à régler leurs conflits à travers d’autres modes d’expression que l’agressivité et la violence.

Pour comprendre le bouddhisme, il faut se rappeler que Bouddha a vécu en Inde et que le bouddhisme a été en réaction contre l’hindouisme.

Oui, en réaction en tous cas à l’hindouisme tel qu’il était pratiqué à ce moment-là avec son système de castes, ses dieux, ses rites magiques. En fait, le salut de la personne passait par la remise d’elle-même entre les mains des dieux… Et le Bouddha a nié cette possibilité-là, a nié cette grâce en disant que chacun par soi-même était responsable de son propre salut. Tout à l’heure, j’ai parlé du Bouddha quand vous avez évoqué « Jésus seul Sauveur » : pour les Cambodgiens, c’est quelque chose qui les fait sourire parce que, pour eux, les dieux sont toujours dans le système de réincarnation ; l’éternité, telle qu’on la conçoit dans le christianisme ou en Occident, n’existe pas ! Il y a une pérennité qui dure des millions et des millions d’années, mais toute chose a une fin. Et les dieux ne sont pas supérieurs à Bouddha parce qu’il est sorti du système de réincarnation. Il ne se réincarne plus. Le Bouddha « est » maintenant.

Peut-on dire que le Bouddha est éternel ?

Oui, je pense qu’on peut le dire, mais, dans la mesure où il est illuminé, il n’est plus dans le monde des réincarnations. Pour les Cambodgiens, la référence, ce sont les dieux de l’hindouisme et, donc, ils pensent que Jésus est un de ces dieux ; et, finalement, Jésus est toujours prisonnier du système du monde. Quand on demande aux Cambodgiens : « Qui de Bouddha ou de Jésus est supérieur ? » La réponse est : « Bouddha ! » Bien sûr, le bouddhisme est supérieur au christianisme puisque ce dernier ne vise que le Paradis où résident les dieux, qui est toujours soumis à la réincarnation. Alors que le bouddhisme vise le nirvana qui veut échapper à la réincarnation. Quand on est dans la réincarnation, on est toujours dans la souffrance et dans l’impermanence.

Nous voyons le fossé qui sépare bouddhisme et christianisme. A notre époque, nous parlons beaucoup de dialogue avec le bouddhisme : est-ce qu’on peut vraiment dialoguer ?

Oui, bien sûr ! Le bouddhisme est une religion très tolérante et les bouddhistes eux-mêmes sont très tolérants. Beaucoup de chrétiens ont commencé à dialoguer depuis longtemps avec le bouddhisme. Il y a des bouddhistes qui ont cherché vraiment à comprendre ce qu’est le christianisme ; par exemple, en Thaïlande, un moine bouddhiste a enseigné le christianisme aux bouddhistes… Ce dialogue se fera plutôt à un niveau pratique, au niveau de l’expérience spirituelle pratique.

Quelles peuvent en être les formes pratiques ?

Ce serait un dialogue dans la méditation. Ils voudraient comprendre comment les chrétiens eux aussi recherchent l’illumination, comment Jésus est pour eux un maître qui va les conduire à l’illumination, à comprendre la réalité de toutes les choses qui les entourent, à comprendre leur propre réalité et parvenir finalement au détachement de toutes les passions. C’est sur ce terrain-là que les bouddhistes nous attendent le plus.

Vous parlez du chemin qu’un chrétien peut faire vers le bouddhisme. Quel chemin peut faire un bouddhiste vers le christianisme ?

Un bouddhiste peut en effet s’interroger sur le rôle de l’histoire. Tout n’est pas que répétition implacable. Il y a une progression, même en deçà des apparences. Un autre aspect important aussi serait pour eux de découvrir une résistance, quelque chose qui subsiste, qui demeure, une réalité au-delà de ce qui change et que beaucoup d’hommes et de femmes finalement perçoivent. Ils ont tendance à considérer que tout le spirituel échappe totalement à l’expérience sensible et concrète.

On a dit que le bouddhisme était le dernier genre reli-gieux avec lequel le christianisme aura à s’expliquer.

Je veux bien le croire ! C’est vrai que le bouddhisme nous pose beaucoup de questions théologiques. On a tendance à questionner les bouddhistes et eux nous questionnent aussi sur notre foi, sur Dieu, alors qu’on oppose système à système. Or les bouddhistes n’ont pas fondé de système comme nous, nous avons pu en fonder, surtout avec l’apport des philosophies grecques. Il y a certainement un dialogue à poursuivre dans ce domaine-là.

Qu’est-ce qui sépare fondamentalement le bouddhisme du christianisme ?

Ce qui sépare fondamentalement nos deux religions, c’est la manière dont le croyant aborde sa pratique. Dans le christianisme, on a eu tendance, à cause certainement de la philosophie grecque, à faire un système. Donc, en fait, toute l’expérience pratique que Jésus est venu nous donner à travers son enseignement, on l’a codifiée en quelque chose de rigide, à travers des dogmes et, en Occident, on raisonne à partir de ce système : c’est blanc ou c’est noir ; il y a peu de place pour d’autres choses. Donc, pour nous, le dialogue est quelque chose d’assez complexe, alors que le bouddhisme s’appuie avant tout sur une pratique et sur cette expérience. Peut-être Jésus et le Bouddha ne sont-ils pas si éloignés l’un de l’autre, mais, à cause du poids des siècles, le christianisme est plus fondé sur un système alors que le bouddhisme est toujours resté à une pratique très personnelle qui vise la guérison intérieure de la personne, principalement à travers le silence, la méditation, à travers une certaine ascèse, à travers une loi morale ; en pratiquant l’expérience bouddhiste, la personne se retrouve face à elle, face à ce qu’elle est, face à ses problèmes aussi, et c’est donc seule qu’elle doit y faire face, qu’elle doit trouver les ressources nécessaires pour se détacher de ce qui l’emprisonne et de tout ce qui peut faire illusion.

Vous avez parlé de « nos deux religions ». Le bouddhisme est-ce une religion ?

Je dis religion parce que c’est plus conventionnel, c’est une manière de parler, mais quand on dit : « Qu’est-ce que le bouddhisme ? il faut bien dire quelque chose car la plupart de bouddhistes modernes ou convaincus appelleraient plutôt le bouddhisme une « pratique en renonçant à tout système philosophique ou religieux…

Dans le bouddhisme, il n’y a pas de philosophie ; c’est une conception de l’homme en particulier, il n’y a pas de concept ?

C’est vrai quand on entend parler de « non moi », « non soi », on dit que le bouddhisme nie la personne, la personnalité et c’est un peu plus complexe : c’est un peu difficile de dire cela. Pour eux, ce n’est pas une question qui compte ; l’important, c’est de nier l’attachement à cette personnalité : tout ce qui va m’emprisonner, tout ce qui va me garder centré sur moi-même, me ramène à mon égoïsme, à mon narcissisme fondamental, tout cela est mauvais, tout cela produit la souffrance, tout cela est la source même de ce qui est douleur, problèmes psychiques et finalement va conduire à ma perte. Donc une remise de soi à travers la reconnaissance que tout est impermanence, que je ne peux me fonder sur aucune réalité pour essayer d’asseoir ma vie, d’asseoir mon pouvoir.

Lutter contre l’égoïsme, c’est bien un point commun entre le christianisme et le bouddhisme.

Oui, au niveau pratique, bouddhisme et christianisme peuvent tout à fait se rejoindre.

Y a-t-il aussi une différence fondamentale ?

Les deux ont une loi morale ; il y a des commandements bouddhistes comme nous en avons aussi. Nous avons une pratique et une ascèse comme le bouddhisme. Le silence est une vertu dans les deux religions, la solitude aussi. Souvent le bouddhiste va aller à la recherche de cette vérité en se connaissant soi-même. Pour nous, nous passons par Dieu pour nous connaître nous-même.

Quelle différence y a-t-il entre la méditation et la prière ?

Pour un bouddhiste, la méditation est plutôt une concentration sur la respiration ou les différentes parties de son corps et, dans cette concentration, on fait une sorte de vide où on est face à soi ou à la réalité qui nous entoure. Et, au cours de cette méditation, nous connaissant nous-même, affrontant cette réalité, nous n’avons pas d’échappatoire; puisque nous sommes dans la méditation, nous n’avons pas la possibilité de nous échapper comme nous le faisons habituellement, où nous pouvons aller à travers des discours, à travers le raisonnement, l’activisme, l’achat de biens, la consommation de biens… Ce qui est important aussi, c’est que quand je médite, il n’y a personne pour m’aider. Je suis face à moi-même, je n’ai de relations avec personne, je suis face à moi-même, c’est tout. Alors que dans la prière, il y a une relation avec Dieu. Dans la prière, c’est Jésus qui va m’aider à cette conversion du cour, conversion intime, qui va me guider à changer ma vie. Alors que dans la méditation, c’est l’expérience que je fais de moi-même et de la réalité du monde qui m’entoure qui me conduit à la conversion.

P. Gérald Vogin, vous êtes au Cambodge, vous baignez dans ce milieu culturel bouddhiste. Venant en France, vous avez remarqué que le bouddhisme intéressait de plus en plus de personnes. Vous êtes allé dans un monastère, pas très loin de la Gironde, qui est le plus grand monastère bouddhiste d’Europe.

Oui, à Dieulivol, à 15 km. au sud de Ste Foy la Grande. C’est un monastère qui est à cheval sur les trois départements du Lot et Garonne, de la Dordogne et de la Gironde. Il est réparti sur trois petits hameaux. Ils sont 120 à 130 moines et moniales qui sont engagés à vie et qui reçoivent des centaines de personnes. J’ai participé à une retraite et nous étions 350 ou 400 personnes.

Comment expliquez-vous cet attrait du bouddhisme pour un Occidental ?

Selon moi, dans ce qui attire beaucoup les Occidentaux dans le bouddhisme, on peut voir ce que certains historiens ont pu considérer comme la faillite du christianisme ou une faillite pour nos compatriotes pour qui le christianisme ne parle plus, ou pour qui la personne même du Christ ne parle plus. Et au contraire, que l’expérience faite dans le bouddhisme, que la méditation ou les pratiques bouddhistes peuvent vraiment apporter une guérison intérieure de la personne et faire l’expérience concrète de la guérison.

Vous dites que, dans le bouddhisme, il faut évacuer le « soi », mais n’est-ce pas aussi évacuer Dieu de soi ?

Pas forcément. On peut être tellement plein de soi et avoir des conceptions des autres et de soi tellement erronées qu’on risque de les plaquer sur Dieu. Par exemple : quelqu’un qui pourrait avoir une vision absolument autoritaire des autres ou de son père, pourrait plaquer cette vision de l’autorité sur Dieu, et envisager Dieu comme quelqu’un d’extrêmement autoritaire. Or le bouddhisme me dit : je fais le vide, je retourne à ces expériences fondamentales qui font ma vie et qui sont aussi problématiques pour y renoncer, pour lâcher prise et m’établir dans le moment présent et ne pas mesurer ce qui est présent à l’aune du passé.

Donc le bouddhisme permet d’évaluer ce qui est de Dieu en moi et l’altérité de Dieu.

Pour moi, il m’a aidé à apprendre à faire place au mystère de Dieu. Je crois que jusqu’à ce que j’aie l’expérience du bouddhisme, j’avais besoin de Dieu, d’un dieu-objet qui puisse remplir mes besoins, d’une certaine manière mes besoins psychologiques. Il n’y avait pas de relation gratuite, il me semble. C’était un dieu qui faisait nombre avec les objets du monde et que je pouvais placer… sur les rayonnages de ma bibliothèque ! Alors qu’à travers le bouddhisme, ça m’a permis d’épurer mon intériorité, mon cour, pour pouvoir avoir une relation gratuite avec Lui. C’est-à-dire que ma vie est très belle par elle-même, que je n’aurais presque pas besoin de Dieu pour dire cette beauté de ma vie et que, donc, la relation que j’ai avec Dieu est maintenant complètement gratuite.

P. Gérald Vogin, vous êtes au Cambodge depuis plus de dix ans comme prêtre et comme missionnaire pour annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Avez-vous connu des conversions de Cambodgiens bouddhistes ?

Bien sûr ! Là où je travaille, il y a beaucoup de conversions du bouddhisme vers le christianisme. Ce qui les attire, c’est justement cette Bonne Nouvelle de Jésus-Christ : c’est-à-dire que le bouddhiste est fondamentalement seul, dans l’expérience que le Bouddha lui indique, le bouddhiste y va seul… Il peut bien s’appuyer sur la communauté bouddhiste, sur les bonzes, sur les textes, mais il n’y a pas de relation intérieure directe comme nous, chrétiens, pouvons l’avoir avec Jésus. En fait, nous, nous sommes guidés vers le Père et vers la pleine réalisation de nous-même à travers cette connaissance du Père et à travers le chemin vers le Père par Jésus.

Le Cambodgien qui se convertit, en devenant chrétien, est-ce qu’il ne se coupe pas de sa communauté ?

D’une certaine manière, c’est clair, il doit choisir ! On ne peut pas appartenir à deux communautés différentes. Cela ne veut pas dire que dans la vie quotidienne, il va devoir se séparer de sa famille, de ses frères et sours, de ses voisins… Ce n’est pas cela qu’on lui demande ! En plus, il y a une pratique bouddhiste qui ne s’oppose pas à la pratique chrétienne et vice versa… Il y a un terrain sur lequel les deux peuvent se retrouver, par ex : la conversion de soi, la compassion…

Un Cambodgien qui devient chrétien n’abandonne pas sa pratique du bouddhisme ?

Cela dépend de ce qu’on entend par pratique du bouddhisme : si on entend « aller à la pagode », bien sûr, on lui demande d’arrêter de pratiquer les rites bouddhistes, au moins dans leur dimension religieuse. On lui demande de se tourner vers le Christ en tant que guide de sa vie, de connaître la réalité qui l’entoure, une vie de charité envers ceux qui l’entourent, mais pas d’abandonner ce que le bouddhisme a de bon.

N’est-ce pas mal vu de se convertir ?

Ce n’est pas toujours facile, surtout qu’il y a des groupes de « chrétiens fondamentalistes » qui, au moment de la conversion, demandent d’écraser ou de piétiner les images de Bouddha. Et la population prend ces manifestations avec beaucoup de peine et de colère ; les moines considèrent que les chrétiens sont venus au Cambodge pour détruire le bouddhisme, ce qui, moi, me peine car je ne suis pas au Cambodge pour détruire quoi que ce soit…

Les moines bouddhistes ont-ils l’esprit missionnaire universaliste comme les chrétiens ?

Dans le bouddhisme, il y a eu des moments missionnaires. C’est une religion missionnaire. Vous savez que le bouddhisme est né près du Népal, au nord de l’Inde, au Ve siècle avant J.-C. : il s’est répandu à travers toute l’Asie ; il y a même eu des missions bouddhistes en Egypte et certains spécialistes pensent que le monachisme chrétien serait né peut-être au contact du monachisme bouddhiste dans la vallée du Nil ; les monastères bouddhistes auraient essaimé. Même encore maintenant, il y a une certaine visée missionnaire bouddhiste, peut-être pas dans le sens de chercher à convertir les gens comme nous, mais de chercher à les sortir de la souffrance ; non pas de chercher à amener les gens vers un maître, vers le Bouddha, comme nous, vers le Christ, mais vers leur propre réalisation. Leur pratique bouddhiste en tant qu’humanisme est très bienvenue.

Ce qui freine le développement du christianisme, c’est la richesse des religions hindoue et bouddhiste. Je pose la question de Jean-Paul II : « Le troisième millénaire du christianisme sera-t-il asiatique ? »

Je laisse la réponse… à Dieu ! et à l’histoire… parce qu’il nous reste neuf siècles pour y répondre ! Je l’espère… mais si, en même temps, le troisième millénaire est chrétien, j’espère que ça ne veut pas dire une chrétienté d’opposition aux autres religions, mais une chrétienté d’accomplissement qui reconnaîtrait aux autres religions ce qui est du Christ.