Eglises d'Asie

Les partis islamistes protestent bruyamment contre l’introduction des nouveaux passeports, leur reprochant de ne plus faire mention de la religion du titulaire

Publié le 18/03/2010




Les partis islamistes, minoritaires au Parlement national et majoritaires dans une des cinq provinces du pays, ont lancé une campagne de protestation pour réclamer le retrait des nouveaux passeports. Introduits à la fin de l’année dernière et présentant la particularité de pouvoir être lus par des machines optiques, les nouveaux titres de voyage diffèrent des anciens en ce qu’ils ne portent plus mention de l’appartenance religieuse de leur titulaire ; de plus, les mots “République islamique du Pakistan” ne figurent plus sur leur couverture. Pour les partis islamistes, le nouveau passeport témoigne de la politique délibérée de “laïcisation” menée par le président Pervez Musharraf, sous la pression des Etats-Unis. Ils ont promis de ne pas relâcher leur pression tant que le gouvernement ne fera pas marche arrière.

Dans leur campagne contre les nouveaux passeports, les partis islamistes mettent en avant le fait que la communauté des Ahmadiyas va bénéficier de l’absence de rubrique concernant l’appartenance religieuse. Les Ahmadiyas sont les membres de cette minorité issue de l’islam ; ils professent notamment que Mahomet n’est pas le dernier prophète. Au Pakistan, ils ont été déclarés “non musulmans” par un vote du Parlement en 1974 et c’est à la suite de ce vote que la mention de la religion avait été introduite sur les passeports pakistanais. “Les membres de la secte [des Ahmadiyas] seront en mesure d’obtenir un visa pour l’Arabie saoudite en se prétendant musulmans et pourront pénétrer dans les sanctuaires les plus saints de l’islam, à La Mecque et à Médine, contournant ainsi l’interdiction qui est faite à tous les non-croyants de fouler les lieux saints a déclaré un porte-parole de Muttahida Majilis-e-Amal (Parti uni pour l’action), coalition de partis islamistes.

Le gouvernement a qualifié les accusations et les appréhensions des partis islamistes de “totalement infondées”. “Les passeports issus par l’Arabie saoudite et d’autres pays islamiques, eux non plus, ne comportent pas de mention de la religion a déclaré Aftab Khan Sherpao, ministre de l’Intérieur. Face à l’agitation entretenue sur cette question, le gouvernement a toutefois convoqué une réunion spéciale du Conseil des ministres, placée sous la présidence du ministre de la Défense, Rao Sikander Iqbal. Selon les analystes locaux, le gouvernement hésite sur la conduite à adopter.

En effet, depuis la fondation du pays, en 1947, les débats n’ont jamais véritablement cessé sur la nature des institutions nationales, le pays hésitant entre une orientation religieuse ou laïque. Le gouvernement lui-même serait divisé sur la question du passeport. Le ministre des Affaires religieuses, Mohammad Ejaz-ul Haq, pèserait de tout son poids en faveur de la réintroduction de l’appartenance religieuse et de la mention “République islamique”. Eja-ul Haq est le fils de Zia-ul Haq, ancien dirigeant du pays et artisan controversé de la politique d’islamisation menée dans les années 1980. Face à Ejaz-ul Haq, d’autres ministres estiment que céder aux pressions des milieux religieux enverrait “un mauvais signal à l’étranger analyse un haut fonctionnaire, cité par l’AFP (1).

Selon I. A. Rehman, militant des droits de l’homme, il est probable que le gouvernement cèdera face aux islamistes. “Le régime Musharraf s’est enfermé dans un dilemme parce qu’il n’a pas de stratégie face au clergé. Par le passé, il n’a pas hésité à passer des accords avec les mollahs déclare-t-il, estimant que toute l’agitation créée autour de cette question est “un exemple classique et ridicule de ‘non-problème’ transformé en problème”.

A Lahore, le 18 janvier, la Commission ‘Justice et paix’ du diocèse catholique de Lahore a organisé une manifestation pour réclamer le maintien des passeports sous leur nouvelle forme. Selon le P. Abid Habib, coordinateur de la Commission, le président Musharraf ne doit pas céder sur ce point. Les chrétiens ont exprimé leur satisfaction après la suppression par son gouvernement du système des “électorats séparés mesure électorale discriminatoire à l’égard des minorités religieuses. D’autres mesures restent à abroger, dans le domaine de l’éducation et du droit, pour assurer aux non-musulmans le respect de leurs droits, a ajouté le prêtre. “Il n’est pas rare au Pakistan d’instrumentaliser la religion. De nombreuses mesures politiques prises au nom de l’islam ont servi à dominer ou à nuire à certaines communautés a-t-il conclu.

En 1993, un débat assez semblable avait occupé le devant de la scène. A l’époque, il était question d’introduire la mention de l’appartenance religieuse sur les cartes d’identité. Les minorités religieuses, chrétiennes en particulier, avaient fait valoir que la mesure aurait pour effet d’instituer un véritable apartheid religieux dans le pays. Après plusieurs semaines, le gouvernement avait fait machine arrière et renoncé à faire mention de la religion sur les cartes d’identité (2).