Eglises d'Asie

En vue d’une éventuelle révision de la loi anti-blasphème, les représentants des minorités religieuses ont présenté leurs doléances au gouvernement

Publié le 18/03/2010




Le 22 mars dernier, Habib-ur-Rehman, secrétaire d’Etat au ministère des Affaires des minorités, a reçu à Islamabad une trentaine de responsables catholiques, protestants et hindous. La rencontre, une première, s’inscrivait à la suite du désir exprimé en mai 2004 par le chef de l’Etat, Pervez Musharraf, de voir la loi sur le blasphème révisée (1). Cette loi, adoptée en 1984, punit de mort le fait de diffamer Mahomet et de la prison à vie le fait de blasphémer contre le Coran. Que ce soit sur la scène nationale, de la part des responsables religieux et des milieux de défense des droits de l’homme, ou sur la scène internationale, cette loi a été vigoureusement critiquée pour les abus auxquels elle a donné lieu, ses opposants dénonçant notamment son utilisation pour régler entre personnes privées des conflits n’ayant rien à voir avec la religion.

Aux appels des responsables religieux à abolir la loi, les représentants du gouvernement ont répondu le 22 mars que les conditions n’étaient pas réunies à ce jour pour envisager la suppression des articles du Code pénal portant sur la loi anti-blasphème. Ils ont mis en avant la nécessité de procéder étape par étape et ont précisé que l’objet de la rencontre était de “consulter les parties concernées à la lumière des incompréhensions et des réserves soulevées par les minorités”. Ils ont également précisé qu’ils avaient pour mission de recueillir des suggestions en vue d’un éventuel amendement de la loi. Une seconde réunion suivra, ont-ils enfin annoncé, pour formaliser ces suggestions, avant de les transmettre au ministère chargé de la rédaction des projets de loi.

Pour le P. Bonnie Mendes, de la Commission ‘Justice et paix’ de l’épiscopat catholique du Pakistan, la réunion, par le seul fait d’avoir été organisée, représente “un développement positif mais cela ne doit pas cacher, a-t-il déclaré, que c’est l’abrogation de la loi qui est nécessaire, non un simple amendement de sa formulation. Ayant lui aussi pris part à la réunion du 22 mars, Akram Gill, un catholique membre de l’Assemblée nationale, a ajouté que la loi “avait rendu la vie des minorités encore plus misérable qu’auparavant” et devait donc être abrogée.

Au titre des suggestions formulées par les responsables religieux, se trouve la proposition d’incriminer l’usage abusif qui est fait de la loi anti-blasphème. Ainsi, a-t-il été suggéré, ceux qui se livrent à de faux témoignages au titre de la loi anti-blasphème se verraient susceptibles d’être condamnés aux mêmes peines, auxquelles les personnes faussement accusées auraient été condamnées, si elles avaient été reconnues coupables.

Selon des données citées par Habib-ur-Rehman, environ 5 000 affaires ont été portées devant la justice depuis 1984, au titre des articles 295-B et 295-C du Code pénal, les textes détaillant la loi anti-blasphème. Dans un pays où la population est à 97 % musulmane, 73 % de ces affaires ont concerné des musulmans – une proportion qui indique une très forte surreprésentation des minorités religieuses dans les affaires liées à l’utilisation de l’article 295 du Code pénal. Les données rassemblées par l’Eglise catholique sont semblables : en 2004, 82 personnes ont été mises en examen au titre de la loi anti-blasphème ; parmi elles, on comptait 55 musulmans et deux chrétiens. Aujourd’hui, selon d’autres sources, une centaine de personnes seraient derrière les barreaux pour des affaires liées à cette loi (2).

En dépit des assurances données par le gouvernement, selon lesquelles les autorités pakistanaises souhaitent réviser la loi anti-blasphème pour en limiter l’usage abusif, Mgr John Saldanha, archevêque catholique de Lahore, a estimé, dans un entretien accordé le 17 mars à l’agence Ucanews, qu’il ne fallait pas s’attendre à une abolition de ce texte. “Le gouvernement estime qu’il ne peut pas l’abolir en ce moment, du fait de la pression exercée par les partis politiques islamiques, les extrémistes et les conservateurs a-t-il déclaré (3).