Eglises d'Asie

Après l’examen en seconde lecture devant le Parlement d’un projet de loi anti-conversion, les chrétiens se mobilisent pour dire leur opposition résolue à ce texte

Publié le 18/03/2010




Le 6 mai dernier, le texte intitulé : “Loi de prohibition des conversions forcées à la religion” a été présenté en deuxième lecture au Parlement (1). Bien que l’adoption de ce projet de loi soit loin d’être acquise, la réaction des chrétiens ne s’est pas fait attendre, face à un texte perçu comme un outil forgé par des éléments extrémistes du bouddhisme et dirigé contre les Eglises chrétiennes. Le 7 mai, à Sudasuna, ville située à 60 km. au nord de Colombo, Mgr Frank Marcus Fernando, évêque de Chilaw, a expliqué à une foule de 4 000 chrétiens les raisons de l’opposition des Eglises chrétiennes à ce projet de loi.

L’évêque a rappelé que les fondateurs de toutes les grandes religions avaient appelé leurs fidèles à répandre leurs enseignements. C’est ainsi, a-t-il expliqué, que le bouddhisme s’est répandu en Afghanistan, en Birmanie, en Chine, au Japon, au Sri Lanka et en Thaïlande. “Les missionnaires bouddhistes jouissent de la plus complète liberté de prédication et propagent le bouddhisme dans d’autres pays, mais, de retour au Sri Lanka, la situation est toute autre a-t-il argumenté, ajoutant, sur le ton de l’ironie : “Envoyez des missionnaires à l’étranger pour prêcher la tolérance et convertir. Mais, de retour à la maison, brûlez les églises, écrivez de nouvelles lois et jetez en prison les chrétiens.” Parlant sous une large banderole “Protégeons la liberté de religion face à la loi anti-conversion l’évêque catholique a ajouté que le projet de loi “ne représentait pas un danger pour les seuls chrétiens, mais pour toutes les minorités (du pays)”.

Introduit en juillet dernier par des moines élus députés au nom du Jathika Hela Urumaya (JHU, Héritage national cinghalais), le projet de loi a été rejeté par la Cour suprême en août 2005, du fait de certaines de ses dispositions, jugées contraires à la Constitution. Avec ce nouvel examen en commission parlementaire, les députés vont décider si le projet doit être amendé, pour satisfaire aux remarques de la Cour suprême, ou s’il doit être présenté tel quel au Parlement, où seule une majorité des deux tiers pourra alors le transformer en loi, avant d’être présenté aux électeurs lors d’un référendum.

Pour les moines bouddhistes du JHU, “l’identité bouddhiste” du Sri Lanka est menacée par les actions de chrétiens “fondamentalistes” qui cherchent à convertir des bouddhistes au christianisme. Fin 2003 et début 2004, une vingtaine d’églises catholiques et de temples protestants ont été victimes d’attaques, attribuées à des extrémistes bouddhistes (2). Face à cette agitation, les responsables des Eglises chrétiennes ont souligné, à de nombreuses reprises (3), le danger de voir ce projet de loi utilisé contre les chrétiens, dans un pays où les dix-neuf millions d’habitants sont bouddhistes à 69 %, hindous à 15 %, musulmans à 8 % et chrétiens à un petit peu moins de 8 %. Sur 1,5 million de chrétiens, les catholiques sont au nombre de 1,3 million.

Pour Mgr Fernando, s’opposer à un texte “inapplicable, injuste et immoral » signifie défendre les droits fondamentaux de tous les Sri Lankais, pas seulement des chrétiens sri-lankais. Le P. Edward Karunanayake, organisateur de la manifestation du 7 mai, a expliqué à la foule que la loi, si votée en l’état, obligera les individus qui se convertissent à une religion à rapporter ce changement aux autorités dans un délai précis. Les conversions obtenues “par des moyens frauduleux” seront passibles de cinq années d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 roupies (1 200 euros). “On peut se poser la question, a poursuivi le prêtre. Peut-on convertir quelqu’un par la force ? Pour nous, chrétiens, la conversion est un don de la foi. Elle n’existe que si nous sommes libres.”

Des responsables protestants se sont adressés à la foule pour dire leur ferme opposition au projet de loi. Mgr Kumar Illangasasinghe, évêque anglican de Kurunegala, a rappelé la contribution des minorités religieuses au développement du pays. Les bouddhistes devraient comprendre cela, a-t-il ajouté, car les chrétiens craignent que leurs ouvres caritatives ou éducatives soient attaquées devant la justice comme autant de manouvres visant à convertir des non-chrétiens à la religion chrétienne. Selon certains témoignages, avant même le vote éventuel de cette loi, dans différents diocèses du pays, les gens ne sont pas autorisés à construire des églises.

Selon M.W. Gawri, membre de l’Eglise des Assemblées de Dieu, la polémique autour du projet de loi tient au fait que des bouddhistes croient que les chrétiens offrent des bénéfices financiers et matériels aux bouddhistes pauvres, dans le but de les amener à se convertir. “Pour autant que les chrétiens sont concernés, a-t-il commenté, si quiconque nous interdit de proclamer Jésus, notre réponse sera : ‘Nous sommes pour Jésus’ ajoutant que le martyre faisait partie intégrante de la vie du chrétien.

Pour D.R.M. Freely, président d’une organisation de jeunesse, le projet de loi ne sera sans doute pas voté si la communauté internationale se mobilise. Il a ajouté que cette affaire montrait “que l’Eglise au Sri Lanka a encore du chemin à parcourir pour gagner la confiance et le respect de la communauté religieuse majoritaire et pour devenir véritablement une Eglise du Sri Lanka”.