Eglises d'Asie

HONGKONG : Mgr JOSEPH ZEN ZE-KIUN FAIT LE POINT SUR LES RELATIONS ENTRE LA CHINE ET LE VATICAN APRES LA MORT DE JEAN-PAUL II

Publié le 18/03/2010




Tous les catholiques chinois qui ont eu la chance de rencontrer Jean-Paul II, de baiser son anneau pontifical ou de parler avec lui le confirmeront : il nous a toujours assuré de sa prière quotidienne pour la Chine. Mgr John Tong (évêque auxiliaire du diocèse de Hongkong) et moi avons été reçu par Sa Sainteté peu après avoir été ordonnés évêques, le Saint Père ne cessait de dire et de redire, un peu comme un enfant adressant une supplique à sa mère : « Je veux aller en Chine. Je veux aller en Chine ! » En faisant mémoire du Saint Père, je crois pouvoir dire que son principal regret doit être de n’avoir jamais eu la chance de visiter la Chine, ou même Hongkong. C’était là un rêve qu’il caressait depuis longtemps et qui était très profondément ancré en lui.

Récemment, lors d’une conférence de presse, j’ai expliqué en détail comment Anson Chan, alors à la tête de l’administration de Hongkong, avait fait tout son possible pour obtenir l’autorisation pour que le pape puisse se rendre à Hongkong à l’occasion de la conclusion du Synode des évêques pour l’Asie. La réponse de Pékin avait été qu’étant donné l’absence de relations diplomatiques entre le Vatican et la Chine, une telle visite du pape était inappropriée.

Lorsque l’on m’a demandé si, Jean-Paul II étant désormais parti et un nouveau pape allant être prochainement élu, les conditions se prêtaient à l’établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Pékin, ma réponse a été qu’« objectivement il n’y avait pas à l’heure actuelle d’éléments nouveaux. La position du Vatican de travailler à l’établissement rapide de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Pékin est clairement affirmée et ne se trouvera pas modifiée par le fait que la personne du pape change. Malheureusement, il semble que l’intérêt manifesté ces dernières années par les autorités de Pékin soit limité.

Le désir de dialogue, qui pourrait aboutir à l’établissement de relations diplomatiques, est si fort qu’il a mené le secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Angelo Sodano, a faire la déclaration suivante le 11 février 1999 : « Notre nonciature à Taipei est la nonciature auprès de la Chine et, si Pékin le souhaite, nous pouvons la déménager à Pékin. Je ne dis pas demain, mais même ce soir. »

Une telle déclaration était une offense à la sensibilité du peuple taiwanais, comme j’ai pensé devoir le souligner publiquement à l’époque. Elle peut aussi avoir été mal comprise à Pékin, les responsables chinois en déduisant que le Vatican était prêt à une reddition sans conditions. En réalité, ce que cette déclaration a provoqué, c’est une très forte attente. Cependant, comprenant que le Vatican n’était pas prêt à se rendre, l’impasse a perduré.

Durant l’agonie du Saint Père et ensuite après sa mort, des messages cordiaux sont venus de Pékin, ce qui a provoqué un regain d’optimisme à propos de la reprise de relations diplomatiques entre la Chine et le Vatican. En même temps que des souhaits de bon rétablissement puis de condoléances, les deux conditions d’un éventuel rapprochement ont été répétées : premièrement, rompre les liens avec Taiwan et, deuxièmement, arrêter de s’ingérer dans les affaires chinoises, même dans le domaine religieux. Avant la reprise de tout dialogue ou l’établissement d’un éventuel consensus, nous ne pouvions pas attendre d’un porte-parole chinois qu’il dise autre chose. Mais les gens doivent savoir que le problème n’est pas lié à Taiwan, il est celui de l’ingérence.

Rompre les liens avec Taiwan peut se révéler une entreprise problématique, car, dans l’histoire, jamais le Saint-Siège n’a pris l’initiative de rompre les relations diplomatiques avec aucun Etat de par le monde. On doit se souvenir que ce sont les autorités à Pékin qui ont expulsé le nonce de Chine à une époque où Taiwan était reconnu aux Nations Unies comme le représentant légitime du gouvernement chinois. Quoi qu’il en soit, la déclaration du cardinal Sodano a clairement indiqué que le Saint-Siège est prêt à faire ce pas. C’est là une information publique et je suis très étonné que les médias l’aient traitée comme si j’avais révélé un secret.

Les raisons du Saint-Siège qui ont présidé à la prise d’une telle décision ont été acceptées par les évêques à Taiwan, même si cela a été fait à contrecour. Le Saint-Siège se trouve face à un dilemme : soit conserver le statu quo actuel et les fidèles sur le continent sont abandonnés à leur sort ; soit essayer de les aider à parvenir à un degré de pratique religieuse normal et cela passe par un accord avec le gouvernement de Pékin. Même au sein du gouvernement taiwanais, il y a des personnes qui comprennent le Saint-Siège, et le Saint-Siège a confiance dans le fait, que quelle que soit la direction dans laquelle la situation évolue, l’Eglise à Taiwan continuera à jouir de la liberté de religion.

Lorsque nous, les trois vicaires généraux du diocèse de Hongkong, avons rendu une visite officielle au Front Uni, branche du Parti communiste, à Pékin, en 1997, celui qui était alors le vice-directeur du Front a évoqué la première condition. Mais, dès que j’ai dit que ce point ne posait pas de difficulté, il a immédiatement orienté la conversation sur la seconde condition. Bien entendu, si Pékin demande que le Saint-Siège rompe ses relations avec Taiwan avant même que les négociations soient engagées, en d’autres termes, avant même que les autorités chinoises donnent une quelconque assurance d’une possible normalisation de la situation religieuse, cela serait injuste.

Dire que la nomination des évêques par le pape constitue une « ingérence dans les affaires intérieures de la Chine » relève incontestablement d’une incompréhension. La nomination des évêques est le devoir pastoral du Saint Père. Par nature, c’est une question purement religieuse. Toutes les grandes nations acceptent cela. Personne ne considère cela comme un coin enfoncé dans la dignité ou la souveraineté nationales. Je voudrais demander si les sociétés multinationales accepteraient que les dirigeants de leur branche installée en Chine soient nommés par le gouvernement chinois ? Certains gouvernements, qui, par le passé, ont voulu avoir un mot à dire sur la nomination des évêques, ont aujourd’hui renoncé en toute confiance à un tel privilège. Cependant, je comprends que, dans les faits, avant qu’une confiance mutuelle pleine et entière puisse se construire, le Saint-Siège puisse accepter une certaine participation du gouvernement de Pékin. Et, étant donné que Pékin sait cela, cela ne devrait pas poser de problème. La question n’est pas insoluble. Il y a une manière vietnamienne de faire ces choses-là comme il existe une manière cubaine, et, certainement, une manière de procéder peut être mise au point et acceptée par les parties en présence.

Le 3 avril au soir, le vice-président de l’Association patriotique des catholiques chinois, Liu Bainian, a déclaré quelque chose à la télévision avec laquelle je suis en profond désaccord. Il a dit que, de façon évidente, Mgr Zen ignorait la façon dont la partie chinoise travaillait à l’établissement de relations entre le Vatican et la Chine. J’aurais vraiment aimé avoir eu la possibilité d’établir avec Liu [Bainian] les faits tels qu’ils sont. Il a ajouté que Mgr Zen ferait mieux de persuader les forces conservatrices au Vatican de ne pas créer d’obstacles aux négociations. Est-ce que Liu [Bainian] ignore vraiment à ce point la situation qui est celle du Vatican ? Parler de forces conservatrices dans ce contexte équivaut à vivre à une époque depuis longtemps révolue. Plus sérieusement, insinuer que Jean-Paul II était sous l’influence de forces conservatrices, ou était lui-même devenu un conservateur, constituerait une grave injustice et serait manquer de respect au grand et sage dirigeant de l’Eglise qu’a été Jean-Paul II.

J’ai bien peur que ce soit les soi-disant fidèles de l’Association patriotique, tels que Liu [Bainian], qui sont en réalité les forces conservatrices qui, à ce jour, ont échoué à aider le gouvernement central à comprendre la nature pastorale du ministère pontifical. Pour des raisons évidentes, si une normalisation réelle de la situation religieuse se mettait en place, ces personnes, et Liu [Bainian] en particulier, ne seraient plus en mesure de passer par-dessus la tête des évêques et de garder entre leurs mains le contrôle de l’Eglise.

Liu [Bainian] et moi-même, ne sommes plus tout jeunes et il n’est pas très éloigné le jour où nous aurons à rendre compte de notre vie devant Dieu. Faisons en sorte de laisser de côté tout intérêt à courte vue et de faire quelque chose de vraiment bénéfique pour l’Eglise et pour notre pays.