Eglises d'Asie

LA MALAISIE EXPULSE SES IMMIGRES CLANDESTINS – Les tensions augmentent dans l’économie tandis que les travailleurs clandestins quittent le pays

Publié le 18/03/2010




Ces dix dernières années, la Malaisie, pays relativement prospère, a tout tenté pour tenir à distance les travailleurs immigrés clandestins : le gouvernement a fait construire un mur en béton dans la jungle sur une partie de la frontière entre la Malaisie et la Thaïlande ; il a lancé plusieurs opérations de police, dont celle qui est en cours et qui a été baptisée “Opération Nyah” – littéralement “dehors” ; depuis 2002, il a fait arrêter et expulser plus de 18 000 ressortissants étrangers qui séjournaient illégalement dans le pays. La dernière opération en date, qui a débuté en mars, semble plus radicale que les précédentes, puisqu’elle a abouti au départ d’un demi million d’étrangers, principalement des Indonésiens.

Cependant, la campagne en cours ayant aussi eu pour conséquence de tendre fortement les relations avec l’Indonésie et des employeurs malaisiens se plaignant désormais ouvertement du manque de main-d’ouvre, nombreux sont les Malaisiens qui se demandent si le remède n’est pas pire que le mal qu’il était censé guérir. Récemment, le gouvernement a déclaré qu’il allait diversifier le recrutement de la main-d’ouvre étrangère appelée à venir travailler en Malaisie, avec l’objectif affiché de ne pas affaire appel en priorité aux Indonésiens. Parmi les plans qu’il a annoncés figure le recrutement de 100 000 Pakistanais.

Mais ces plans ont provoqué l’inquiétude chez certains qui redoutent que les Pakistanais n’apportent avec eux une forme plus militante d’islam et ne parviennent pas à s’adapter aussi bien à la société malaisienne que les Indonésiens, dont la majorité est ethniquement et culturellement très proche des Malais, le groupe ethnique majoritaire en Malaisie.

Plus largement, expliquent les experts, le problème dans la région est la pérennité d’un système de “travailleurs invités” dans lequel les étrangers, en situation régulière ou non, sont tolérés à certains moments et expulsés à d’autres.

“A la fin, cela finit par créer un système très instable, où la main-d’ouvre va et vient, explique Vivian Wee, directrice associée du Centre de recherche sur l’Asie du Sud-Est de l’Université de la Ville de Hongkong. Vos affaires prospèrent ou périclitent chaque fois au rythme des politiques gouvernementales consistant à appeler ou au contraire à expulser les travailleurs étrangers. Cela affecte l’ensemble des prévisions économiques.” L’alternative est représentée par les politiques d’immigration de l’Australie, du Canada ou des Etats-Unis et, dans une moindre mesure, des pays européens, où il existe des systèmes de quotas pour réguler l’immigration.

Mais, en dépit des besoins à long terme évidents en main-d’ouvre dans de nombreux pays asiatiques, il y a très peu de débats sur les politiques d’immigration, principalement en raison des craintes que cela pourrait entraîner une révision des équilibres précaires qui existent entre les différentes communautés.

Dans le même temps, les spécialistes enregistrent de forts mouvements de migration au sein de la région. Vivian Wee estime que, durant ces dernières années, environ trois millions de Chinois ont migré en Birmanie ; l’activité économique à Singapour dans les secteurs du bâtiment et des services repose fortement sur les travailleurs étrangers ; à Hongkong, les femmes de ménage et les domestiques philippines sont omniprésentes ; et, en Thaïlande, ce sont les travailleurs birmans qui sont très présents. A la fin du mois de mars, pour répondre à une pénurie de main-d’ouvre prévue en 2007, le gouvernement japonais a annoncé qu’il allait augmenter le nombre de travailleurs étrangers, qualifiés et non qualifiés, autorisés à séjourner sur son territoire.

Le cas de la Malaisie est significatif car ce pays est l’un des plus gros importateurs de main-d’ouvre étrangère en Asie. Un quart de la force de travail – selon les estimations, de 2,5 à 3 millions de travailleurs pour une population active totale de 9 millions de personnes – est formé d’étrangers, estime P. Ramasamy, professeur de sciences politiques à l’Université nationale de Malaisie. La quasi-totalité de la Malaisie moderne a été bâtie par des travailleurs étrangers, y compris la capitale administrative de Putrajaya, où la première personne enterrée dans le cimetière a été un travailleur indonésien, mort d’un accident du travail.

Le projet du gouvernement de diluer la présence indonésienne en recrutant des travailleurs pakistanais a été critiqué dans la presse nationale. “Tandis que le Pakistan fait face chez lui à de graves problèmes de sécurité dus à la menace du terrorisme, il est légitime de s’inquiéter que des fauteurs de trouble ne viennent ici, se faisant passer pour des travailleurs a écrit V.K. Chin, éditorialiste au journal The Star.

Au début de ce mois, le gouvernement a annoncé que les premiers travailleurs pakistanais arriveraient fin avril ou début mai 2005. Il a déclaré qu’il examinait leurs dossiers afin de détecter d’éventuels liens avec les terroristes. Selon P. Ramasamy, les plans visant à faire appel à une main-d’ouvre pakistanaise sont appelés à échouer car les Pakistanais ne s’intégreront pas aussi facilement que les Indonésiens à la société malaisienne. “Vous aviez peu de problèmes sociaux avec les Indonésiens, déclare P. Ramasamy. Ils sont venus et ils ont amené leurs familles.” Environ 14 000 enfants de travailleurs clandestins, pour la plupart des Indonésiens, ont été recensés en Malaisie entre 2001 et août 2004, indiquent les chiffres du gouvernement.

Plus fondamentalement, on peut se poser la question de sa-voir si un gouvernement est en mesure de rompre avec des formes ancestrales d’immigration. Cela fait des siècles que des Indonésiens circulent dans la péninsule malaise. De tels mouvements migratoires ont existé bien avant que les Etats actuels de l’Indonésie et de la Malaisie existent. “Ils viendront de toutes façons, estime P. Ramasamy, en parlant des Indonésiens. Ils ne passeront pas par les canaux légaux.”

Joseph Chinyong Liow, chercheur malaisien à l’Institut d’études stratégiques et de défense de Singapour, rappelle que les écrits malais les plus anciens mentionnent des mouvements de population entre la péninsule malaise et l’Indonésie actuelles. “Les migrations de l’archipel indonésien vers la péninsule malaise sont depuis longtemps une des caractéristiques des interactions et des échanges qui définissent l’identité du monde malayo-indonésien écrit-il dans une récente étude sur le sujet.

Aujourd’hui, les Indonésiens ont une réputation mitigée en Malaisie. Les gestionnaires des plantations d’hévéa et d’huile de palme disent d’eux qu’ils sont de gros travailleurs, capables de supporter des conditions de travail pénibles. D’autres accusent les Indonésiens d’être responsables de la hausse de la criminalité – bien que les chiffres officiels ne confirment en rien cela. L’an passé le ministère de l’Intérieur a annoncé que les immigrés clandestins étaient responsables de 6,9 % des délits, un pourcentage relativement faible. Avant l’opération Nyah, des estimations faisaient état de 1,2 million d’immigrés clandestins sur une population totale de 25 millions de personnes.

L’opération Nyah en Malaisie a été précédée par une amnistie et sa mise en ouvre a été repoussée à plusieurs reprises, en partie à cause du tsunami qui a frappé le 26 décembre 2004 Sumatra, d’où venaient une grande partie des Indonésiens présents illégalement en Malaisie. Mais, après que les forces armées malaisiennes ont inauguré ce qu’elles ont baptisé “Opération Tegas” (‘fermeté’), raflant des dizaines de milliers de travailleurs clandestins, les Indonésiens ont réagi avec colère.

S’ajoutant à une querelle sur des droits liés à l’exploitation d’un champ de pétrole situé au large de la côte est de Bornéo, l’opération a déclenché des manifestations à Djakarta où le drapeau malaisien a été brûlé. En Indonésie, les élites ont vivement ressenti le traitement sévère, notamment les châtiments corporels, infligé aux immigrés clandestins arrêtés par la police. “L’emprisonnement et les coups de bâton sont très barbares a renchéri Anwar Ibrahim, ex-Premier ministre de la Malaisie.

Les coups de trique (caning), une pratique qui remonte à la période de la colonisation britannique, consistent en l’utilisation d’un bâton en rotin humide pour frapper le prisonnier sur son postérieur. Souvent, les chairs éclatent et les coups laissent de profondes cicatrices. “C’est ce qui provoque la colère en Indonésie, a déclaré Anwar Ibrahim. L’irritation des Indonésiens ne tient pas au fait des expulsions, mais au traitement réservé aux clandestins.”

Parmi les 18 607 immigrés clandestins qui ont subi le châtiment de la trique au cours de ces trois dernières années, 11 473 étaient Indonésiens ; 2 786, Birmans ; 1 956, Philippins, et 708, Bangladais, selon les chiffres publiés en décembre par le ministère malaisien de l’Intérieur. Le ministre indonésien de l’Emploi, Fahmi Idris, a accusé le gouvernement malaisien le mois dernier d’être injuste dans le cadre de cette opération. Il a demandé pourquoi les immigrés étaient fouettés et pas les Malaisiens qui les avaient embauchés. Quatre jours plus tard, The New Straits Times, l’influent quotidien en langue anglaise de Kuala Lumpur, s’est fait l’écho d’une annonce officielle, selon laquelle vingt-quatre employeurs avaient été inculpés pour avoir embauché des immigrés clandestins et subiraient la trique s’ils étaient reconnus coupables.