Eglises d'Asie – Pakistan
La course à pied mixte, réunissant hommes et femmes, devient un lieu symbolique de la lutte pour les libertés et contre l’influence des islamistes sur la société
Publié le 18/03/2010
Si cette course du 21 mai s’est déroulée sans accroc, ce n’est pas le cas de précédentes manifestations similaires. Le 14 mai, le JAC avait organisé un mini marathon à Lahore et, cette fois-ci, ce fut la police qui dispersa avec rudesse les coureurs, jetant à terre des femmes et arrachant leurs vêtements. Une quarantaine de personnes furent retenues durant trois heures. La police a justifié son action, en arguant du fait que la course du 14 mai n’avait pas été autorisée par les services de la ville. Du côté du JAC, il a été mis en avant le fait que cette course du 14 mai avait été organisée pour protester contre les échauffourées qui avaient émaillé une autre course, menée en avril à Gujranwala, localité située à 70 km. au nord de Lahore. Là, des islamistes s’en étaient pris aux coureurs, en dépit du fait que la course avait été dûment autorisée par les autorités locales. Après les échauffourées de Gujranwala, les autorités avaient décidé d’interdire aux femmes de participer à de telles courses et deux mini marathons mixtes, prévus à Multan et à Sargodha, durent être annulés.
Après le succès de la course du 21 mai de Lahore, différentes personnalités des milieux militant pour la défense des droits de l’homme ont dit leur satisfaction. Asma Jehangir, présidente de la Commission pour les droits de l’homme du Pakistan, une organisation indépendante, a déclaré que le succès de la course mixte représentait « un succès pour tous les Pakistanais » car cette course symbolisait la présence des femmes dans la société. « C’est aussi le signe que le peuple pakistanais ne veut pas de retour en arrière, mais souhaite continuer à être éclairé a-t-elle déclaré. Asma Jehangir, qui a vu ses vêtements arrachés par la police lors de la course du 14 mai, est actuellement un des rapporteurs spéciaux de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme.
Lors de la course du 21 mai, les slogans avaient une double tonalité. D’une part, les coureurs disaient leur refus du « mollahisme c’est-à-dire du contrôle de la société par les mollahs, ainsi que celui du « fondamentalisme prônant une lecture restrictive du Coran et des enseignements de l’islam. D’autre part, des slogans étaient dirigés contre le gouvernement militaire du général Pervez Musharraf et appelaient à la restauration de la démocratie. Dans un pays où le Muttahida Majilis-e-Amal (MMA), coalition de six partis islamistes, contrôle le gouvernement de la Province de la frontière du nord-ouest, participe à celui de la province du Baloutchistan (1) et fait partie de l’opposition parlementaire, les questions relatives à l’emprise des islamistes sur la société et celles relatives aux équilibres de la vie politique sont étroitement liées. Toutefois, dans une nation à 95 % musulmane, les voix les plus bruyantes s’élevant contre le fondamentalisme islamique viennent des milieux musulmans. Ainsi, parmi les femmes qui ont pris part à la course à pied du 21 mai, on pouvait remarquer la présence d’un certain nombre de femmes voilées. Les minorités religieuses sont naturellement opposées aux pressions exercées par les islamistes sur la société, mais des initiatives telles que celles du 21 mai indiquent qu’elles ne sont pas les seules à défendre un modèle de société différent de celui proposé par le MMA.
La course du 21 mai s’est ainsi déroulée dans un contexte tendu et politisé. Tendu car, pour éviter que des violences éclatent, l’itinéraire de la course a été changé au dernier moment. Politisé car, outre la présence des milieux des défenseurs des droits de l’homme et de représentants des minorités religieuses – dont de nombreux catholiques -, on pouvait remarquer celle de membres du Pakistan People’s Party, la formation politique de l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto, du Labour Party ou encore du National Awami Party.
Les formations islamistes, telles le Shabab-e-Mili, le Jamaat-e-Islami ou le Ahle Hadith, ont bien tenté de s’opposer à l’organisation de la course, en vain. Cependant, selon Salman Butt, député du MMA à l’Assemblée nationale, le seul fait que l’itinéraire de la course ait dû être modifié indique que les revendications portées par la JAC ne sont pas « populaires ».