Eglises d'Asie

Province de la frontière du nord-ouest : des organisations de défense des droits de l’homme demandent que justice soit rendue après le lynchage d’un musulman converti au christianisme

Publié le 18/03/2010




Le 18 mai dernier, à Peshawar, chef-lieu de la Province de la frontière du nord-ouest, le Joint Action Committee (JAC), coalition d’organisations de défense des droits de l’homme, a tenu une conférence de presse pour demander que justice soit rendue après le lynchage et la mort, le 19 avril 2005, d’Ashiq Nabi, un musulman converti au christianisme. Les militants des droits de l’homme ont rendu public un rapport qui, selon eux, établit que la responsabilité de la mort d’Ashiq Nabi incombe à la police – qui, par son inaction, n’a pas empêché le meurtre – et à un responsable religieux local, le Maulana Mukhtar Zaman, auteur de la fatwa (décret religieux) appelant à tuer celui qui avait été accusé d’insulter le Coran.

L’affaire remonte au mois d’avril dernier et s’est déroulée à Spin Khak, près du village de Pabbi, dans le district de Nowshera. Selon Waseem Muntazir, du Centre d’aide juridique, structure spécialisée dans l’aide légale aux personnes accusées au titre de la loi anti-blasphème, Ashiq Nabi s’était converti au christianisme. “Le 18 avril, à propos d’une banale question domestique, il a eu une dispute avec sa femme, une querelle conjugale sans plus de gravité que cela. Mais, lorsqu’elle a apporté le Coran pour lui demander de jurer sur [le livre saint de l’islamil a refusé et, pour la première fois, il a révélé à son épouse que, parce qu’il était devenu chrétien, il ne pouvait jurer sur le Coran. Entendant cela, sa femme s’est mise à hurler et l’a accusé d’avoir insulté le Coran rapporte Waseem Muntazir.

Selon le rapport du JAC, les événements se sont ensuite enchaînés de la façon suivante : une plainte pour blasphème a été déposée par trois personnes auprès du bureau local de la police, quant bien même seule l’épouse d’Ashiq Nabi avait été témoin du refus de son mari de jurer sur le Coran. La plainte a été enregistrée au titre de l’article 295-B du Code pénal pakistanais, qui punit de la prison à vie la profanation du Coran. A peu près au même moment, le Maulana Mukhtar Zaman a promulgué une fatwa, déclarant qu’Ashiq Nabi était un infidèle et qu’il devait être condamné à mort. Des policiers se seraient alors mis en route pour retrouver Ashiq Nabi et lui signifier son interpellation, mais, avant qu’ils ne parviennent à lui mettre la main dessus, une foule d’environ quatre cents personnes l’avait retrouvé. Selon les médias locaux, Ashiq Nabi aurait plaidé pour avoir la vie sauve. Cherchant à s’échapper, il a trouvé refuge dans un arbre. Un coup de feu a été tiré et Ashiq Nabi s’est effondré, mort. Peu après, la famille d’Ashiq Nabi a refusé d’accepter la dépouille mortelle, au motif que c’était celle d’un infidèle. La police a alors remis le corps au conseil municipal de Pabbi qui a fait procéder à l’inhumation sans plus de cérémonie.

Selon des témoins oculaires, cités par l’agence Ucanews (1), la foule qui a pourchassé Ashiq Nabi était composée principalement de membres du Muttahida Majilis-e-Amal (MMA), la coalition de six partis islamistes qui est au pouvoir dans la province, où les chrétiens sont une toute petite minorité, estimée à 0,5 % de la population. Pour Chuadhary Parvaiz Aslam, avocat catholique de Lahore et président de l’Association des avocats chrétiens du Pakistan, “le gouvernement de la province garde le silence sur cette affaire. Celle-ci représente pourtant une menace directe sur les chrétiens. Si des musulmans peuvent tuer un musulman (même converti) sur la seule base d’accusations mensongères, alors pourquoi ne pas s’en prendre à un chrétien ?” (2)

Selon Waseem Muntazir, certains musulmans ont bien reconnu ensuite qu’ils avaient mal agi en pourchassant Ashiq Nabi. Pour se racheter, ils ont organisé une collecte au profit de ses quatre enfants, désormais orphelins de père, mais personne n’assume la responsabilité du coup de feu, souligne-t-il, ajoutant que ni la police ni le mollah qui a émis la fatwa ne feront l’objet de sanctions voire même d’une simple enquête.

Selon un rapport de la Commission ‘Justice et paix’ de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, publié à l’occasion du septième anniversaire de la mort de Mgr John Joseph, le 6 mai 1998, 647 personnes ont été accusées et mises en prison depuis 1988 sur la base de la loi anti-blasphème (3). Dans un pays où les chrétiens représentent 2,5 % de la population, les chrétiens emprisonnés sous l’accusation de blasphème sont actuellement au nombre de 80, soit 13 % du nombre des accusés. Le rapport de la Commission indique par ailleurs que les musulmans représentent 50 % des accusés, les ahmadis 37 % et les hindous 1 %. A côté des mises en détention dans un cadre légal, un certain nombre d’affaires de blasphème ou supposées telles sont résolues de manière violente et extrajudiciaire. La Commission dénombre ainsi que, sur une vingtaine de personnes tuées, quatorze sont des musulmans, six sont des chrétiens. Parmi eux figure un avocat, ancien juge à la Cour suprême, qui avait choisi de défendre les personnes accusées de blasphème (4).