Eglises d'Asie

L’APRES-TSUNAMI : LA RECONSTRUCTION A BESOIN DES TOURISTES

Publié le 18/03/2010




Les vagues du 26 décembre ont laissé leur empreinte sur les rivages de six provinces du sud pour quelque temps encore. Le bilan officiel, qui fait état de 5 395 personnes décédées (dont 2 245 étrangers), pourrait être deux fois supérieur selon des sources sur place. Plus de deux mille corps restent à identifier, ce qui devrait prendre encore plusieurs mois, voire des années selon les experts. Dans cette tragédie, dix mille foyers ont été affectés, des milliers de personnes déplacées, et plusieurs dizaines de milliers d’emplois ont été perdus et bien d’autres encore sont menacés. A cela s’ajoute le traumatisme psychologique auquel les pertes économiques n’arrangent rien. Cependant, six mois après la catastrophe, la reconstruction semble aller bon train, même s’il reste encore des mois, voire des années de travail. Les progrès sont inégaux selon les endroits, fonction du degré de dévastation mais aussi de la capacité – ou de la volonté – des autorités à venir en aide aux sinistrés. Les plages de Phuket ont été rapidement restaurées tandis que Khao Lak et Koh Phi Phi se relèvent peu à peu grâce aux nombreux volontaires. Quoi qu’il en soit, dans un contexte de tourisme en crise, le seul soutien de la société civile et de l’ONU ne suffira pas à sauver de nombreuses entreprises de la faillite.

Tourisme en berne

Au plan national, l’impact du tsunami sur le tourisme a été minime. Un rapport de la Banque Centrale révélait au mois de mai que malgré une baisse du nombre d’arrivées de 7,2 % par rapport à l’an dernier, la croissance restait solide. En revanche, dans les régions touchées, la situation est criti-que. Après avoir chuté de plus de 90 % en janvier en pleine haute saison, la fréquentation moyenne sur Krabi, Phuket et Phang Nga a péniblement approché les 45 % au mois de mars, qui marque la fin du pic. Et sur avril et mai, le taux d’occupation oscillait entre 20 et 30 %. Habitants touchés ou pas, maisons, commerces et hôtels reconstruits ou non, la lenteur de la reprise consume les énergies et les ressources. Un communiqué du Bureau International du Travail annonçait, en avril, que près de 120 000 personnes dans le secteur touristique avaient perdu leur emploi – 180 000 selon le TAT – et près d’un demi million d’emplois seraient en danger. Tous les acteurs touristiques de la région ressentent peu ou prou l’effet tsunami et, au-delà, ce sont les économies locales dans leur ensemble qui sont concernées. Optimistes dans les premiers temps, les professionnels espèrent aujourd’hui un regain favorable en fin d’année. Mais ils craignent que le retour à la normale ne soit plus long.

Entre visions de terreur et superstitions

Le marché asiatique a été le plus ébranlé, avec des touristes Chinois en proie à de fortes superstitions. “De nombreuses cérémonies ont été organisées, mais il faudra faire davantage pour les voir revenir explique John Kolbowski, directeur du département de veille stratégique de PATA (Pacific Asia Travel Association). “Les gens ont besoin de sentir que l’endroit est sécurisé. Cela signifie notamment un dispositif d’alerte et de prévention efficace et fiable, ce qui n’est encore pas tout à fait le cas, des bâtiments sûrs et du personnel hôtelier rôdé aux procédures d’urgence, capable de réagir en cas de crise. Pour cela, nous travaillons avec les autorités et le Bureau International du Travail sur des formations de personnel. Mais quoi qu’il en soit, la tendance négative du marché asiatique devrait perdurer quelque temps encore, d’autant que la situation dans l’extrême Sud n’arrange rien, fermant le trafic via la Malaisie. Le marché européen pourrait donc s’avérer plus porteur dans un avenir proche.”

Les Occidentaux semblent en effet revenir doucement. Les Européens du Nord par exemple sont sensibilisés au fait que venir tout simplement est une façon de soutenir les régions touchées. Mais le tourisme familial, lui, reste figé. “Ce tourisme-là s’accommode difficilement de l’idée que des vies ont été emportées sur ces plages commente John Kolbowski. Et Vincent Tabuteau, directeur -West Siam/Asia Voyages, d’ajouter : “Les gens sont encore sous le choc des images, ils ont une perception souvent faussée de la réalité. Parmi les innombrables reportages passés en boucle au moment du tsunami, des sujets sur Phuket ont été illustrés avec des images de Banda Aceh ou Batticaloa, où le degré de dévastation a été sans commune mesure. Certains voient Phuket ou Krabi comme des zones totalement désolées. La presse fait certes son travail de mise à plat, mais le problème est que cela passe en cinquième page quand la couverture de la catastrophe a fait la Une pendant des semaines.” C’est pourquoi les tours opérateurs comme Asia Voyages et les membres de PATA concentrent leurs efforts sur la communication depuis le début. Ils apportent à leurs clients les éléments d’information leur permettant d’avoir une perception plus fine de la réalité dans la région.

Ramener la confiance

Du côté du gouvernement, la stratégie a semble-t-il porté sur la sécurité, comme l’explique Vincent Tabuteau. “Le gouvernement a estimé qu’il était vain de se battre contre le poids des images. Il a donc privilégié la mise en place du dispositif de prévention avec surveillance humaine des côtes, système d’alerte et premiers secours.” Un système provisoire d’alerte est en effet déjà en place à Phuket. Il a été inauguré puis testé fin avril avec plan d’évacuation grandeur nature. Il avait toutefois déjà fonctionné le 28 mars quand un séisme de magnitude supérieure à 8 avait secoué Sumatra. Le centre d’alerte de Phuket est le premier d’une série que le gouvernement prévoit de mettre en place dans le courant de l’année dans les cinq autres provinces touchées par le tsunami. Le dispositif comprend notamment un système capable de diffuser l’alerte sur les téléphones mobiles et les stations TV et radio, ainsi que des tours de guet équipées de sirènes. Un autre plus sophistiqué est prévu fin 2006. Thaksin Shinawatra est donc bien résolu à ramener la confiance dans les esprits. Le Premier ministre a d’ailleurs expressément demandé à l’office du tourisme (TAT) d’orienter désormais sa communication dans cette perspective, au lieu de vanter la beauté naturelle de la côte. Il faut avouer que la promotion de la région a été quelque peu maladroite ces derniers temps. Entre des spots publicitaires se concluant par une déferlante et des informations grotesques du type “aucune réplique n’a eu lieu depuis le 26 décembre un changement de communication s’imposait en effet, car nier la réalité contre toute évidence incite évidemment peu à la confiance. Pour 2007, PATA prévoit une forte croissance de la fréquentation touristique en Thaïlande. Il faut espérer que la côte d’Andaman aura d’ici là totalement retrouvé sa clientèle. Depuis la catastrophe du 26 décembre, Hua Hin et Koh Samui connaissent un véritable boom, et quand on sait que les provinces de Krabi, Phang Nga et Phuket représentaient à elles seules le quart des revenus touristiques de la Thaïlande, on peut imaginer combien les équilibres pourraient être bouleversés si le retour à la normale dans ces provinces devait tarder.

Phuket au ralenti

A Phuket, les plages ont été réhabilitées dès le mois de janvier. Aujourd’hui, les traces du raz de marée ont quasiment disparu, certains messages publicitaires lancent même que Phuket est “mieux que jamais Il est vrai que les choses ont quelque peu changé. Les vendeurs à la sauvette sont par exemple moins nombreux – est-ce un bien ? – les prix sont revus à la baisse et le client fait parfois l’objet d’une attention inhabituelle. “Les tuk-tuk et les tailleurs sont plus envahissants, voire agressifs envers les touristes, mais l’on sent globalement moins d’arrogance qu’auparavant confie Peter Cullip, un touriste australien. Phuket a été relativement peu touchée par rapport aux provinces voisines, et la réhabilitation de ses plages a bénéficié d’une attention particulière de la part des instances de l’Etat. Malgré tout, le fort ralentissement économique fait des dégâts, d’autant que le soutien annoncé du gouvernement via les fonds d’aides et les banques semble oublier une partie des sinistrés. L’île compte quelque 40 000 lits et n’a généré sur les trois premiers mois de l’année que 10 % du revenu touristique rapporté l’an dernier à la même période. Et les prévisions pour les prochains mois ne sont pas des plus optimistes. Les affaires les plus solides peuvent encore tenir quelque temps, mais selon un rapport du Bureau International du Travail, si la tendance tarde à s’améliorer, c’est l’emploi de tous qui est menacé.

Phang Nga toujours meurtrie

A Phang Nga, la situation est plus critique encore. La province a subi à elle seule plus de 70 % des dommages causés par les vagues géantes et la zone de Khao Lak a été aux trois quarts dévastée. Sur la soixantaine d’hôtels et resorts situés dans le secteur, environ cinquante ont été détruits ou fortement endommagés. Une quinzaine seulement sont aujourd’hui ouverts et d’autres se préparent pour novembre. Mais beaucoup de propriétaires ne peuvent engager les travaux. Certains ont disparu, d’autres n’étaient pas assurés ou avaient ouvert trop récemment et se retrouvent submergés de dettes, avec des ruines pour seul outil de travail. A l’envie de reconstruire s’oppose aussi souvent la crainte que les commerces soient récupérés par des entrepreneurs peu scrupuleux ou des mafieux intéressés par les plus beaux coins. Et ici plus qu’à Phuket, le soutien promis par le gouvernement et les banques aux petites et moyennes entreprises est un mirage. La plupart des demandeurs se voient refuser les fameux prêts pour cause de faible potentiel économique sur la région. Et les autorités n’offrant pas de solutions, certains ne rouvriront jamais. Il est difficile de croire que le tourisme dans cette région pourrait retrouver un rythme convenable à court ou moyen terme. “Il faudrait changer le nom de l’endroit, entend-on la plupart du temps, Khao Lak est dans les esprits à la Thaïlande ce que Banda Aceh est à l’Indonésie.”

Volontaires à la rescousse

Autour des villages, en revanche, la vie reprend ses droits. Les communautés touchées sont à pied d’oeuvre, elles se reconstruisent au rythme du travail de centaines de volontaires qui ont remplacé les touristes – leur simple présence contribue en effet pour l’heure à la plus grande part des maigres revenus touristiques. Des dizaines d’associations et de fondations sont sur les lieux depuis les premiers jours et travaillent aux côtés des agences de l’ONU et du gouvernement. Bateaux de pêche, maisons, commerces, écoles ont été réhabilités et l’effort se poursuit. “Nous estimons qu’il faudra deux à cinq ans pour tout retrouver en termes économiques, même si certains endroits sont déjà rétablis estime Peter Mawditt, coordinateur général de la coalition d’églises chrétiennes “We Love Thailand “De nombreuses maisons ont déjà été construites et nous espérons que celles qui sont en projet seront terminées avant la fin de l’année. Les principaux besoins aujourd’hui concernent le soutien psychologique des gens qui ont perdu des proches, et la réhabilitation des moyens de subsistance, notamment autour de l’industrie du tourisme.” Le plus souvent, les volontaires sont des étudiants qui restent une à trois semaines et sont remplacés par d’autres. “Heureusement qu’ils sont là, car on ne peut pas compter sur le gouvernement s’indigne Noï, une habitante de Bang Sak.

Gouvernement critiqué

La confiance envers le gouvernement dans ces régions est en effet quelque peu écornée. Un peu partout, on se plaint de l’inertie du système ou de malversations. L’aide financière se fait attendre et ce sont souvent les fondations et associations sur place qui comblent le vide. Certains invoquent la défaillance administrative comme Ef, un jeune mécanicien du chantier naval de Bang Nam Khem. “Les formalités sont longues et compliquées, il faut tout justifier alors que les documents ont été emportés par les vagues.” Pour Raï, employée au Khao Lak Seafood, c’est une question de corruption. “Des groupes de gens parviennent plus facilement que d’autres à obtenir des enveloppes. Et les fonctionnaires traitent les plus malheureux avec mépris, les enregistrant parfois comme ayant reçu de l’argent alors qu’ils n’en ont jamais vu la couleur. C’est malheureux que notre avenir repose sur les volontaires.” Et pourtant, six semaines après la catastrophe, le ministère du Travail annonçait que tout volontaire étranger, rémunéré ou non, devait être titulaire du permis de travail pour continuer son activité, sans quoi il encourait une peine de prison de trois mois ou 800 dollars d’amende – il a finalement revu sa copie devant le tollé qui a suivi. Ce genre de dérapage révèle les limites de l’Etat à faire face à l’après-urgence, comme nous l’explique un professionnel du développement basé en Thaïlande. “Fidèle à l’esprit militaire dominant, l’appareil d’Etat a été efficace dans la phase d’urgence. Mais il semble plus maladroit à gérer la reconstruction. Ce n’est pas dans ses cordes, il n’en a pas l’expérience.” Le grand numéro de Thaksin Shinawatra déclinant royalement l’offre internationale d’aide financière a sans doute fait vibrer le fort sentiment nationaliste thaïlandais sur le moment. Ajouté aux promesses d’aides, cela a aussi certainement pesé sur les élections de février dernier. Mais aujourd’hui, dans les provinces du sud, l’omniprésence de l’assistance étrangère, en contraste avec l’inertie des autorités, a de quoi égratigner l’orgueil national. Et plus grave est le temps perdu, fatal aux plus démunis. Pendant que les uns perdent au fil des jours le peu qui leur reste faute de ressources financières, d’autres se préparent à faire de bonnes affaires. On est bien loin du temps de l’émouvant deuil collectif et du resserrement communautaire face à l’adversité. Malgré tout, les Thaïlandais ont la peau dure et le sourire coriace, même s’il sert parfois à dissimuler l’angoisse. Et comme dit Mia, Irlandaise mariée à un Thaïlandais depuis trente ans, “ils ont traversé la crise de 1997, le SRAS et la grippe aviaire, ils pourront surmonter le tsunami.” En revanche, bien que les maisons se reconstruisent, les économies locales souffrent toujours. Car le grand absent de cette reconstruction est le client. Et pour beaucoup, aidés ou non par le gouvernement, l’avenir se joue dans une course contre le temps. Le temps de voir enfin le retour des touristes.