Eglises d'Asie

Dans le Sud thaïlandais, le climat de violence pèse sur le fonctionnement des écoles, y compris les quelques écoles catholiques présentes dans cette région majoritairement musulmane

Publié le 18/03/2010




Dans les trois provinces méridionales de Yala, Narathiwat et Pattani, les violences, quasi quotidiennes, entre insurgés séparatistes musulmans et forces gouvernementales rendent la vie quotidienne de plus en plus difficile (1). Si les catholiques sont une toute petite minorité dans cette région, les rares prêtres et les religieuses qui dirigent les écoles catholiques témoignent du fait qu’ils ne sont pas directement pris pour cibles, mais qu’ils doivent, comme tous les autres habitants de ces trois provinces, prendre de multiples précautions pour continuer à mener leur apostolat. Si la vie des paroisses n’a pas été trop perturbée à ce jour, les écoles catholiques rencontrent, elles, des difficultés croissantes.

“Les violences n’ont pas dissuadé les catholiques d’aller à la messe, dans la mesure où ils essaient de conserver un mode de vie normal raconte le P. Gustav Roosens. Missionnaire salésien âgé de 79 ans, le prêtre est curé des paroisses Saint-André, dans la ville de Yala, et Saint-Gabriel, dans la ville de Pattani. Il dessert aussi plusieurs chapelles, disséminées dans la région. Il ajoute toutefois que les gens ont peur. “Les journaux rapportent chaque jour une actualité faite de violences et moi aussi j’ai peur témoigne-t-il, lui dont le nom est inscrit comme cible potentielle, a-t-il été rapporté, sur le site Internet d’un groupe séparatiste. Depuis que les violences ont éclaté en janvier 2004, près de 900 personnes ont été tuées dans ces trois provinces à majorité malaise du Sud thaïlandais. Une majorité de ces victimes sont mortes du fait d’actions montées par les séparatistes, ethniquement malais et de religion musulmane ; pour la plupart, elles étaient de religion bouddhiste, la religion de la très grande majorité des habitants du pays, tandis que la répression gouvernementale, brutale, a, elle aussi, provoqué de nombreux morts, des jeunes musulmans le plus souvent.

Pour les trois provinces en question, on compte seulement deux prêtres, le P. Roosens et un autre salésien, le P. Peter Daniele. Ils ont la responsabilité de trois paroisses et d’environ cinq cents fidèles. Placés sous la juridiction du diocèse de Surat Thani, ils aident également les religieuses catholiques qui animent trois écoles, un centre de soins pour enfants et une unité de gériatrie. “Mon devoir étant d’assurer mon ministère pastoral, explique le P. Roosens, je continue à voyager à travers les trois provinces pour dire la messe dans six lieux de culte différents tous les dimanches.” Les violences de ces derniers mois ont cependant changé son mode de vie. Désormais, ni lui ni ses paroissiens ne voyagent plus seuls ; quel que soit le lieu où le prêtre se rende, il veille à être revenu chez lui avant la tombée de la nuit. “Nous ne devons pas nous montrer téméraires, car la violence peut surgir à tout instant raconte-t-il, précisant que plus que jamais, il prêche à ses paroissiens la confiance en Dieu.

Pour les religieuses, la situation de violence qui prévaut a des répercussions très nettes. Sour Nara Niyomthai, responsable de l’école Charoensri Suksa, à Pattani, explique que le nombre de ses élèves va en diminuant. D’un millier avant les violences, ils ne sont plus que huit cents – cinquante catholiques et soixante-dix musulmans, le reste étant de religion bouddhique. Du fait des violences et des menaces, de nombreux parents ont déménagé leur progéniture plus au nord, précise la religieuse, membre de la congrégation des Servantes du Cour Immaculé de Marie. “Les parents me demandent pourquoi ils devraient rester dans une situation où ils risquent leur vie. Pour la plupart, ils tiennent de petits commerces et ils doivent désormais fermer leurs échoppes avant la tombée de la nuit. Comment voulez-vous qu’ils s’en sortent ainsi ? interroge-t-elle, ajoutant que les familles sont traumatisées. L’an dernier, dans la famille d’un élève de l’école, un homme armé a surgi au moment du dîner et a abattu le père, devant ses enfants et sa femme, raconte-t-elle encore.

Sour Sudaphorn Suanchit, directrice de l’école Thanomsri Suksa, à Betong, localité de la province de Yala, cherche à recruter trois enseignants pour l’établissement qu’elle dirige. Elle déplore de ne trouver aucun candidat, mis à part des candidats locaux (2). Pour faire face à l’hémorragie d’enseignants – sur 10 000 professeurs présents dans la région, plus du tiers a demandé à être muté ailleurs, plus au nord -, le gouvernement verse désormais “une prime de risque” de 2 500 bahts (45 euros), mais cette prime n’est versée qu’aux enseignants du secteur public. Sour Sudaphorn a demandé que les enseignants des écoles catholiques, qui font face aux mêmes conditions de vie, puissent eux aussi bénéficier de la prime, en vain.

Pour ne pas perturber le fonctionnement de son établissement, Sour Nara a, dans un premier temps, refusé que des forces de sécurité y soient stationnées, mais, dans un deuxième temps et afin de rassurer les parents, elle a accepté et, désormais, policiers ou militaires, fortement armés, patrouillent les lieux. De nombreuses écoles dans le voisinage ont été vandalisées ou attaquées et des “rumeurs persistantes rapporte la religieuse, mettent l’école catholique sur la liste des cibles prochaines. “Comme dans le cas du P. Roosens, nous ne savons pas si la menace sensée peser sur notre école est réelle ou non, mais, quelles que soient les personnes qui sont derrière, l’objectif semble être de nous faire peur afin que nous fermions l’école et que les gens qui ne sont pas musulmans quittent la région explique Sour Nara.

En réponse aux violences, Bangkok a à la fois placé une partie des provinces de Yala, Pattani et Narathiwat sous un régime juridique d’exception et promis une aide économique massive de 800 millions d’euros. Selon Sour Nara, si un conseil devait être donné aux autorités, cela serait de traiter tous les habitants du Sud thaïlandais sur un pied d’égalité, quelle que soit leur appartenance religieuse. “Avec un budget de développement orienté massivement sur les musulmans de la région, la plupart des bouddhistes et des chrétiens vont se retrouver laissés-pour-compte explique-t-elle.