EDA N° 427
Octobre 2005
Dossier
Document N° 8/2005
CHINE
LE PAPE JEAN-PAUL II ET LA CHINE
par le P. Gianni Criveller, PIME
[NDLR – Le P. Gianni Criveller est prêtre de l’Institut pontifical des Missions Etrangères (PIME), dont la maison-mère est à Milan, en Italie. Chercheur au Centre d’études du Saint-Esprit du diocèse de Hongkong, il enseigne également la théologie au grand séminaire de Hongkong, le Séminaire du Saint-Esprit. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages et d’articles relatifs au christianisme en Chine. La traduction est de la rédaction d’Asie.]
Lorsque nous nous rendons en Chine, les catholiques nous demandent des nouvelles du pape. Ils veulent que nous lui transmettions leur amour et leur attachement à sa personne et à son ministère. Nous les réconfortons en employant les paroles qu’il leur a dites lui même lorsqu’il saluait ses visiteurs chinois : « Je prie pour la Chine tous les jours » (1). En fait, le pape Jean-Paul II a fait de la Chine et de l’Eglise de Chine un des points focaux de son pontificat. « L’Eglise en Chine est la préoccupation principale et constante de mon pontificat » (2), écrivait-t-il dès 1982.
Karol Wojtyla a été élu pape en 1978, alors que Deng Xiaoping commençait son ascension vers le pouvoir et inaugurait une politique d’ouverture et de réformes. Le nouveau pape a donc suivi de très près ce qui se passait en Chine, croyant sincèrement qu’il parviendrait à instaurer une relative détente dans les relations très tendues qui existaient à l’époque.
1.) Jean-Paul II parle à la Chine
Durant les vingt-six ans et demi de son long pontificat, le pape s’est adressé au peuple chinois, à ses dirigeants, aux catholiques chinois et a fait référence à la Chine en général (y compris aux catholiques de Taiwan) au moins soixante fois. Ce chiffre comprend les trente discours officiels ayant trait à la présence chrétienne en République populaire de Chine et à son souhait de dialogue et de collaboration entre le Saint-Siège et Pékin. Compte tenu de l’abondance des écrits de Jean-Paul II, il est difficile de donner avec certitude le nombre exact des mentions faites de la Chine. En s’adressant à la Chine ou en s’y référant, le pape a évoqué à plusieurs reprises un certain nombre de sujets, dont je vais maintenant développer les grands traits.
A la grande nation chinoise
Une des expressions les plus significatives et les plus importantes que le pape ait employées pour parler de la Chine a fréquemment été « la grande nation chinoise Elle est apparue dès sa première allocution à la Chine durant la récitation hebdomadaire de l’Angélus, le dimanche 19 août 1979. Par la suite, le pape s’est exprimé ainsi :
Votre pays est effectivement très grand, non seulement par son étendue et sa population, mais surtout de par son histoire, la richesse de sa culture et les valeurs morales que son peuple a cultivées au cours des siècles (3).
Un bon catholique est aussi un bon Chinois
Une autre de ses fortes convictions, qui est revenue à chaque fois qu’il mentionnait la Chine est qu’il n’existe pas de différence entre « être authentiquement catholique et être authentiquement Chinois ». C’est le concept du « bon chrétien, bon citoyen développé pour la première fois en février 1981 :
Je suis persuadé que chaque catholique, à l’intérieur de vos frontières, s’emploiera pleinement à l’édification de la Chine, car un chrétien fidèle et véritable est aussi un citoyen fidèle et véritable (…). Un bon catholique chinois ouvre loyalement au progrès du pays, observe les obligations de piété filiale envers ses parents, sa famille et son pays. Fortifié par le message de l’Evangile, il cultivera, comme tout bon Chinois, les « cinq vertus essentielles » de charité, de justice, de tempérance, de prudence et de fidélité (…). Il n’y a donc pas d’opposition ni d’incompatibilité entre le fait d’être véritablement chrétien et authentiquement Chinois (4).
Et plus tard :
Les autorités civiles de la République populaire de Chine doivent se rassurer : un disciple du Christ peut vivre sous n’importe quel régime politique, pourvu que soient respectés son droit d’agir selon sa propre conscience et sa foi propre. Par conséquent, je renouvelle auprès des dirigeants du gouvernement, comme je l’ai si souvent dit à d’autres, qu’ils n’ont pas à craindre Dieu et son Eglise. La nation chinoise a un rôle important à jouer au sein de la communauté internationale. Les catholiques peuvent lui apporter une aide significative et ils sont prêts à le faire avec enthousiasme et détermination (5).
Et de nouveau en 1999 :
En tant que bons Chinois et authentiques chrétiens, vous aimez votre pays et vous aimez l’Eglise, qui est à la fois locale et universelle (6).
L’Evangile en Chine doit être inculturé
L’inculturation de l’Evangile est le défi permanent de l’Eglise et de ses missionnaires, parce qu’ils doivent trouver dans la culture et dans les traditions du peuple à évangéliser un point d’ancrage réellement valable pour la proclamation de la Bonne Nouvelle. A cet égard, le Saint Père a présenté Matteo Ricci comme un maître de l’inculturation et un missionnaire modèle :
Ce fut grâce au travail d’inculturation que le P. Matteo Ricci, aidé de ses collaborateurs chinois, a pu réaliser une tâche qui semblait impossible : trouver la terminologie chinoise adaptée à la théologie et à la liturgie catholiques, créant ainsi les conditions qui ont permis de faire connaître le Christ et de donner corps au message de son Evangile et de son Eglise dans le contexte de la culture chinoise (…). Il a réussi à établir un pont entre l’Eglise et la culture chinoise, un pont qui se révèle solide et sûr, malgré les incompréhensions et les difficultés du passé. Je suis convaincu que l’Eglise peut aller de l’avant sans crainte sur cette route, le regard tourné vers l’avenir (7).
En 2001, le pape a de nouveau prôné la méthode d’inculturation de Ricci en Chine :
La révélation chrétienne du mystère de Dieu n’a, en aucune façon, détruit mais bien plutôt accompli tout ce qu’il y avait de beau et de bien, de juste et de saint dans l’héritage de la tradition chinoise antique. Et exactement comme l’avaient fait les Pères de l’Eglise, des siècles auparavant, lors de la rencontre de l’Evangile de Jésus-Christ avec la culture gréco-romaine, le P. Ricci en a fait avec perspicacité la base de son patient et clairvoyant travail d’inculturation de la foi en Chine, dans la recherche constante d’une base de compréhension avec les intellectuels de ce grand pays (8).
L’Eglise cherche la liberté et non les privilèges
Le quatrième concept est que l’Eglise en Chine recherche la liberté. Elle ne cherche ni le pouvoir ni les privilèges.
L’Eglise n’a aucune visée politique ni économique. Elle n’a pas de mission mondiale. Elle désire être en Chine, comme dans tous les autres pays, le héraut du Royaume de Dieu. Elle ne souhaite aucun privilège, si ce n’est que ceux qui désirent suivre le Christ puissent exprimer leur foi librement et publiquement et vivre selon leur conscience (9).
2.) Jean-Paul II et l’Eglise de Chine
C’est l’amour des Chinois qui a amené le pape à prier pour la Chine tous les jours, mais cet amour est réciproque. Même le simple observateur, qui se rend auprès d’une communauté catholique en Chine, est frappé par l’amour profond que les évêques, les prêtres, les religieuses et les laïcs ont pour le Saint Père. Ils ont une profonde vénération pour lui et un amour immense et sincère. Le Saint Père a toujours été ému de ces marques d’affection :
Que de témoignages de foi, que de messages de fidélité j’ai reçu de communautés en Chine ! Les évêques, les prêtres, les religieux et les laïcs ont voulu réaffirmer leur inébranlable et entière communion avec Pierre et le reste de l’Eglise. Comme pasteur de l’Eglise universelle, mon cour s’en réjouit grandement (10).
Il a souhaité leur rappeler qu’il était conscient des souffrances qu’ils avaient endurées et qui sont la preuve de leur fidélité et de leur amour :
Nous savons parfaitement que nos frères et sours en Chine ont eu à affronter des épreuves difficiles et prolongées au long de ces trente dernières années. Durant ces lourdes souffrances, ils ont donné la preuve de leur fidélité au Christ et à son Eglise (…). Quelle consolation de recevoir des nouvelles de la constante et courageuse loyauté des catholiques en Chine envers la foi de leurs pères et leur attachement filial au Siège de Pierre (11).
Se rendre en Chine : un souhait qui n’a pas été exaucé
Jean-Paul II brûlait du désir de poser le pied sur la terre chinoise. Conscient des difficultés qu’un tel voyage représentait, Jean-Paul II mit tous ses espoirs pour le « grand peuple chinois » dans le cour de la prière de l’Eglise.
Chers frères et sours de Chine, nous sommes tous unis avec vous dans la pensée, l’affection et spécialement la prière. Par la prière de l’Eglise toute entière, vous – aussi loin que vous êtes – ne cesserez jamais de demeurer au plus profond du cour de notre grande famille catholique, dans laquelle le Christ est continuellement présent, comme il l’a promis. En son nom, je vous bénis de tout mon cour (12).
Afin de ne pas compromettre les chances déjà très minces d’être autorisé à se rendre en Chine, le pape s’est interdit d’aller à Taiwan ou à Hongkong (avant 1997). En 1999, après la rétrocession de Hongkong à la Chine, le souhait du pape de toucher le sol chinois, ne serait-ce qu’à Hongkong, fut rejeté par les autorités de Pékin.
Une seule Eglise catholique en Chine
Le pape et le Saint-Siège firent de l’unité de l’Eglise catholique en Chine leur priorité numéro un. Le Saint Père voulait voir les deux communautés de l’Eglise « officielle » et de l’Eglise « souterraine » travailler ensemble pour la réconciliation et l’unité. Il était conscient du fait que les communautés catholiques de l’Eglise officielle en Chine étaient sous la domination du régime communiste au travers de leurs organisations : le Département du Front uni du Travail, l’Administration d’Etat pour les Affaires religieuses et l’Association patriotique. L’évêque auxiliaire de Hongkong, Mgr John Tong, d’ordinaire toujours très prudent et sur la réserve, écrivit sans ménagement dans son message après la mort de Jean-Paul II :
En 1986, je me souviens très bien des mots inquiétants que vous avez adressés à notre groupe de prêtres, préoccupés du sort de l’Eglise en Chine. Vous nous avez simplement dit : « Ne vous faîtes aucune illusion sur le communisme ! » (13).
Le pape a reçu les témoignages des communautés souterraines, qui n’ont pas seulement souffert dans le passé, mais continuent aujourd’hui encore de souffrir pour leur refus de se plier à une politique religieuse injuste. L’enregistrement des lieux de culte, à laquelle se refuse l’Eglise souterraine, n’est pas une mesure administrative de protection et de réglementation des activités religieuses, mais bien plutôt un moyen de contrôle et de manipulation, une limitation inacceptable des droits de l’Eglise.
La résistance des communautés souterraines n’a pas été pas sans résultat positif. Elle a rendu le régime conscient, à contre cour, de son incapacité à résoudre le problème catholique : l’Eglise catholique ne deviendra jamais une Eglise indépendante (de l’Eglise universelle). L’Eglise souterraine a amené les membres des communautés officielles à voir la nécessité de rechercher l’approbation pontificale pour obtenir le respect des fidèles. Sans l’Eglise souterraine, la communion avec le pape et l’Eglise universelle ne serait pas un point aussi important dans le calendrier de l’Eglise catholique de Chine, ni une telle préoccupation pour les autorités. Le rôle-clé de l’Eglise souterraine doit être reconnu dans le fait d’avoir empêché les communautés officielles de céder à la pression du régime en prenant leurs distances avec le pape et l’Eglise universelle.
La communion des catholiques chinois avec le pape et l’Eglise universelle est une revendication religieuse légitime. Les catholiques chinois ne manquent pas de patriotisme, ils ne sont pas non plus des opposants politiques. Mais le gouvernement ne peut pas leur demander quelque chose qui va contre leur conscience.
3.) Les gestes de sympathie du pape envers la Chine
Dès le début même de son pontificat, le pape Jean-Paul II a fixé toute son attention sur l’Eglise de Chine et a fait part de toute « sa sollicitude » pour elle, en prenant un certain nombre d’initiatives importantes.
Le cardinal Ignatius Gong (Kung) (1979 et 1991)
En 1979, le pape Jean-Paul II a créé un cardinal in pectore, l’évêque de Shanghai, Mgr Ignatius Gong Pinmei, qui était en prison en Chine, condamné à perpétuité. Mgr Gong (Kung) a passé trente ans isolé en prison, après son arrestation le 8 septembre 1955. Plus de deux cents prêtres et dirigeants religieux de Shanghai ont été arrêtés avec lui.
Mgr Gong n’a été libéré qu’en 1985 pour être mis en résidence surveillée. Après deux années et demi de ce nouveau régime de privation de liberté, il fut autorisé à partir aux Etats-Unis pour raisons de santé (1988). L’accusation de contre-révolutionnaire portée contre lui n’a jamais été levée. Le cardinal est resté aux Etats-Unis l’hôte de l’évêque de Bridgeport, dans le Connecticut, jusqu’à sa mort, le 12 mars 2000. Il avait 98 ans et était à ce moment-là le cardinal le plus âgé de l’Eglise.
C’est le 28 juin 1991 que le pape Jean-Paul II a finalement et ouvertement proclamé au monde que Mgr Gong avait été créé cardinal. La rencontre des deux hommes a été un moment d’intense émotion. Quand le pape Jean-Paul II a présenté la barrette cardinalice à Mgr Gong, alors âgé de 90 ans, celui-ci s’est levé de son fauteuil roulant et a monté les marches pour s’agenouiller aux pieds du Pontife. Visiblement ému, le Saint Père l’a relevé, lui a remis sa calotte de cardinal et s’est levé alors que le cardinal Gong retournait à son fauteuil roulant. Chose exceptionnelle, les 9 000 invités de la salle d’audience se sont levés et l’ont ovationné durant sept longues minutes.
Jean-Paul II a nommé deux autres cardinaux chinois : l’évêque de Hongkong, Mgr John Baptist Wu Cheng-chung, en 1988, et l’évêque de Kaohsiung (Taiwan), Mgr Paul Shan Kuo-hsi, SJ, en 1998.
L’archevêque Dominic Tang (1980,1981 et 1991)
En septembre 1980, Jean-Paul II a envoyé des voux particuliers à Mgr Dominic Tang Yiming, SJ, administrateur apostolique du diocèse de Canton, qui fut libéré après vingt-deux années de prison,
qui furent le prix à payer, selon sa propre expression, pour son obéissance au pape (14).
L’année suivante (1981), Mgr Tang se rendait à Rome, où il reçut le titre d’archevêque de Canton. Le pape entendait par là récompenser l’homme qui avait si longtemps souffert à cause de sa foi et aussi pour manifester l’attention particulière qu’il portait à l’Eglise de Chine et au peuple chinois. Toutefois, le gouvernement chinois a interprété ce geste comme un acte de défiance et a refusé à Mgr Tang l’autorisation de revenir à Canton, ajoutant la souffrance à la souffrance. Ensuite, le très aimé et respecté archevêque a vécu en exil à Hongkong et est mort à San Francisco, en 1996.
De plus, le pape a envoyé des messages aux évêques chinois suivants : Stanislas Lo Kuang, archevêque émérite de Taipei (22 avril 1984), de nouveau à Dominic Tang (14 mai 1991) et à Ignatius Gong (1er juillet 1991), au cardinal John Baptist Wu, de Hongkong, (24 juin 1997), à Domingos Lam Ka Tseung, évêque de Macao (3 décembre 1999).
Le pape Jean-Paul II écrit à tous les évêques du monde au sujet de la Chine (1982)
Seules quelques personnes se souviennent que, pour la solennité de l’Epiphanie 1982 (6 janvier), le pape a écrit une longue lettre passionnée à tous les évêques du monde, les invitant à prier pour l’Eglise en Chine. C’est dans cette lettre que le pape affirma que l’Eglise de Chine « était devenue la préoccupation aiguë et constante de (son) pontificat ».
L’amour du Christ m’incite à ouvrir mon cour pour partager avec vous, chers frères dans l’épiscopat, mon profond souci pour l’Eglise en Chine (…). Cette lettre a ses sources dans les invocations que j’adresse continuellement à Dieu Tout Puissant pour cette partie aimée de son peuple et elle a pour but d’appeler à la prière, à travers vous, les catholiques du monde entier (…). Dans les profondes souffrances qu’ils endurent, ils (les catholiques chinois) ont donné la preuve de leur fidélité au Christ et à son Eglise ; ce témoignage d’un tel courage peut être comparé à celui des premiers siècles de l’Eglise (15).
Le pape fit mention de cette prière universelle pour la Chine en d’autres occasions en 1982 (deux fois le 21 mars, puis le 13 septembre et le 6 novembre).
Matteo Ricci : un missionnaire hors du commun et un grand savant (1982, 1988 et 2001)
Cette même année 1982, le pape a envoyé deux messages importants pour commémorer le 400e anniversaire de l’arrivée du jésuite Matteo Ricci en Chine (1582) : « Un missionnaire hors du commun et un grand savant » (16).
Un véritable humaniste doté d’une culture philosophique, théologique et artistique et en même temps possédant une somme considérable de connaissances mathématiques, astronomiques, géographiques, ainsi que des applications techniques parmi les plus avancées de son temps, le P. Ricci a réussi à assimiler, grâce à une persévérance faite d’humilité et de respect, la culture chinoise classique dans de si vastes proportions qu’il apparaît comme un véritable « pont » entre les civilisations européenne et chinoise (17).
Par conséquent, le P. Ricci constitue l’héritage commun de l’Eglise et de la Chine et peut considéré comme un point de référence solide et symbolique pour un dialogue constructif orienté vers l’avenir (18).
En 1988, le pape a envoyé un message en faisant référence à Matteo Ricci au Symposium sur l’Evangélisation, qui s’est tenu à Taipei en février de cette année. Jean-Paul II a de nouveau mentionné Matteo Ricci en 2001 (voir ci-dessous).
Une lettre à Deng Xiaoping (1983)
Le 16 novembre 1983, le pape Jean-Paul II a écrit personnellement une lettre à Deng Xiaoping qui est malheureusement restée sans réponse. Comme il s’agissait d’une lettre personnelle, elle n’a jamais été publiée et peu de personnes en ont eu connaissance. Une brève allusion en fut faite dans le récent ouvrage du cardinal Roger Etchegaray, Vers les chrétiens en Chine (19). Elle fut néanmoins mentionnée plus longuement dans la biographie de Jean-Paul II qu’a écrite George Weigel, Jean-Paul II, témoin de l’espérance. La lettre fut écrite en anglais, sur son papier à lettres personnel, et elle traduit sous de nombreuses formes le respect du pape pour la culture chinoise et son histoire très ancienne. Voici un extrait de cette lettre qui exprime le souhait renouvelé d’un dialogue :
Mon opinion est que la poursuite du bien commun de l’humanité encourage quelque chose qui est également l’objet d’un de mes plus vifs désirs : un contact direct entre le Saint-Siège et les dirigeants du peuple chinois (…). J’y suis également amené par la profonde responsabilité qui est attachée à mon ministère religieux en tant que pasteur universel des catholiques du monde entier et qui m’inspire une sollicitude toute particulière envers les catholiques qui sont en Chine. Des hommes et des femmes éparpillés dans tout le pays, qui ont une loyauté profonde et un amour pour leur pays… et qui, en même temps, se sentent unis avec le pape et avec les communautés catholiques de tous les autres pays. C’est un lien, qui, dans la foi catholique, est essentiel et qui, d’un autre côté, ne peut pas nuire à l’idéal et à l’unité concrète de leur propre pays, ni être un obstacle à l’indépendance et à la souveraineté de celui-ci (…). [Taiwan] est incontestablement un problème ancien et compliqué, dans lequel le Saint-Siège s’est retrouvé impliqué par une série d’événements qui n’ont pas toujours dépendu de sa volonté. Néanmoins, je suis persuadé qu’un examen concret de cette question permettra de trouver une solution positive (20).
Le 700e anniversaire de l’arrivée à Pékin de Jean de Montcorvin (1994)
Le septième centenaire de l’arrivée du franciscain Jean de Montcorvin, premier évêque de Pékin, fut commémoré par un Symposium international réuni à l’Université de Fu Jen (Taipei) en septembre 1994. Dans son message, Jean-Paul II revint aux thèmes qui lui étaient chers : son désir de se rendre en Chine pour y embrasser la grande famille chinoise, y compris Taiwan ; son admiration et sa louange pour les souffrances endurées par les catholiques chinois du fait de leur loyauté au pape ; la communion avec le pape comme élément essentiel de la vie des catholiques ; et
il ne peut y avoir d’opposition ou d’incompatibilité entre le fait d’être en même temps un catholique véritable et un authentique Chinois (21).
Aux catholiques chinois : un appel à l’unité lancé depuis Manille (1995)
Durant les Journées mondiales de la jeunesse de Manille, du 10 au 15 janvier 1995, une délégation officielle de catholiques vint de Chine et certains de leurs prêtres concélébrèrent avec le pape une messe historique devant cinq millions de personnes le 15 janvier. La concélébration par des prêtres de l’Eglise officielle souleva une agitation intense dans les médias et dans le clergé. Les prêtres chinois ont-ils bien concélébré la messe avec le pape ? Leur a-t-on demandé de faire profession de foi avant la messe ? Et si oui, devant qui et quand fut-elle faite ?
J’étais présent ce 15 janvier, en compagnie de ces prêtres. Il y avait bien plus d’un millier de prêtres et d’évêques à cette messe. Les prêtres chinois se sont simplement joints à eux, sans drame ni profession de foi. Il se produisit quand même un drame au cours de cette messe, ce fut lorsque les représentants des nombreuses délégations des pays du monde entier défilèrent sur la plateforme avec leurs drapeaux, y compris celui de la République de Chine à Taiwan. Les responsables politiques de la délégation de la Chine populaire forcèrent leurs catholiques à quitter immédiatement les lieux. Seuls quelques-uns désobéirent et restèrent en arrière jusqu’à la fin de la célébration. Ce fut un moment pénible et bouleversant : la politique mesquine prévalait sur un événement historique.
A cette occasion, le 14 janvier, le pape lança du fond du cour un nouvel appel à l’unité, unité entre eux et unité de tous avec le successeur de Saint Pierre et l’Eglise universelle :
L’unité jaillit de la conversion du cour et de l’acceptation sincère des principes immuables posés par le Christ pour son Eglise. Particulièrement important parmi ces principes est celui de la communion affective de toutes les parties de l’Eglise avec son fondateur visible : Pierre, le roc. Par conséquent, un catholique qui souhaite le rester et être reconnu comme tel ne peut pas rejeter le principe de la communion avec le Successeur de Pierre (22).
Plus tard dans la même année (juin 1995), le Saint Père rencontra, pendant une visite en Belgique, un certain nombre de prêtres et de séminaristes chinois de l’Eglise officielle qui étudiaient à l’université de Liège. Les prêtres chinois concélébrèrent à cette occasion une messe avec le pape.
Le 70e anniversaire de l’ordination des premiers évêques chinois (1996)
Le 3 décembre 1996, le pape Jean-Paul II s’adressa une fois de plus aux catholiques chinois dans un message long et compréhensif. L’occasion était le soixante-dixième anniversaire de la consécration du premier groupe d’évêques chinois par le pape Pie XI (1926), ainsi que le cinquantième anniversaire de l’érection de la hiérarchie ecclésiastique en Chine par le pape Pie XII (1946). Jean-Paul II y abordait les thèmes de la nécessité pour les catholiques de rester en communion avec le pape, le besoin d’une formation complète des prêtres et des religieux et l’importance d’une proclamation courageuse de la foi catholique dans l’amour. Jean-Paul II appelait aussi les autorités civiles à ne pas avoir peur de l’Eglise catholique (23).
Jean-Paul II invite deux évêques chinois au Synode des évêques pour l’Asie à Rome (1998)
En avril 1998, le pape invita deux évêques chinois à assister au Synode spécial pour l’Asie qui se tenait à Rome. Il s’agissait de Mgr Matthias Duan Yinming (il est mort en janvier 2001, à l’âge de 92 ans), évêque du diocèse de Wanxian (Sichuan), et de son coadjuteur, Mgr Joseph Wu Zhixun. A cette occasion le pape s’expliqua ainsi :
Nous pensons en ce moment aux catholiques de la Chine et à leurs pasteurs. Pour que ces évêques puissent être représentés au Synode, en dehors des évêques qui ouvrent à Hongkong, j’ai invité deux évêques chinois. J’espère qu’ils pourront venir nous rejoindre rapidement pour nous faire un compte-rendu de la vie de leurs communautés chrétiennes (24).
De façon très prévisible, le gouvernement chinois refusa de laisser ces deux évêques assister au Synode. « La nomination par le Vatican de ces deux personnes comme membres du Synode est unilatérale et arbitraire déclara Zhu Bangzao, porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Les catholiques chinois furent les seuls de la communauté catholique asiatique à ne pas être représentés à cet important synode.
Au risque d’être puni en continuant de garder des relations avec un pays étranger, Mgr Duan envoya un fax au Synode dans lequel il faisait part de sa déception mais aussi de sa foi profonde : « Je suis malheureusement incapable de prendre part au Synode pour des raisons politiques, mon cour est si lourd de chagrin que je n’en ai pas dormi pendant deux nuits » (25). Deux fauteuils vides furent les témoins silencieux de cette absence pendant le mois entier que durèrent les assemblées du Synode. Le 14 mai 1998, s’adressant à l’assemblée des évêques, le pape eut ces mots :
A vous, frères et sours de l’Eglise catholique de Chine, je souhaite exprimer mon affection et vous dire combien je suis peiné de ce que l’évêque de Wanxian et son coadjuteur n’aient pu venir à Rome prendre part personnellement au Synode. Les paroles de Mgr Matthias Duan Yinming pour exprimer son attachement au successeur de Pierre et sa communion avec l’Eglise universelle ont touché nos cours. Les Pères synodaux de tous les pays de l’Asie ont toujours pensé que leurs frères chinois étaient présents parmi eux en esprit (26).
Lors de sa dernière interview avec l’agence Fides en 1998, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’élection du pape, Mgr Duan Yinming déclara :
Je prie pour le pape tous les jours, pour sa mission et sa santé, et je demande à l’Esprit Saint de soutenir son dévouement à l’humanité. Je souhaite lui exprimer ma profonde loyauté. De la part des catholiques chinois, je voudrais lui exprimer leur profond amour et la prière qu’ils font tous les jours pour lui. Ils se joignent tous à moi dans ce message de félicitations. Nous, les catholiques de Chine, attendons dans la fidélité et la prière sa visite en Chine. J’espère profondément qu’il pourra venir un jour (27).
Le Jubilé de l’an 2000 : un message à l’Eglise catholique en Chine (1999)
Dans son message aux catholiques chinois à l’occasion du Jubilé de l’an 2000, Jean-Paul II aborda le problème de la division au sein de l’Eglise :
Souvenez-vous que, dans la tradition biblique, ce moment a toujours nécessité le pardon réciproque (…). Mon ardent désir est que vous répondiez en vous-mêmes à la sollicitation de l’Esprit-Saint et que vous vous pardonniez les uns aux autres, en vous acceptant et en brisant les obstacles pour surmonter toute raison possible de division.
Le pape a également rassuré les catholiques chinois, en leur affirmant que, même s’ils ne pouvaient se rendre à Rome durant le Jubilé, ils pourraient, compte tenu de ces circonstances particulières, obtenir les grâces spéciales attachées au Jubilé, simplement en confessant leur foi au Christ.
Le pape souligna que Jésus-Christ, le Sauveur du monde, était né en Asie, au carrefour des grands échanges culturels entre l’Orient et l’Occident, au point même où se rencontrent l’Asie, l’Europe et l’Afrique.
Rappelant la première mission en Chine au VIIe siècle, il déclara :
L’Evangile de Jésus fut annoncé à vos ancêtres à une époque où l’Europe et le reste du monde ne l’avaient pas encore entendu (28).
Des relations diplomatiques ? (1999)
En mars 1999, Jiang Zemin se rendit en visite en Italie. Les médias italiens et ceux du monde entier ne purent s’empêcher de remarquer que, contrairement aux autres dirigeants qui venaient à Rome, le dirigeant chinois ne rendit pas visite au pape. Le Saint-Siège chercha discrètement à entrer en contact avec la délégation chinoise et demanda au Premier ministre italien, l’ex-communiste Massimo D’Alema, de transmettre un message du pape au dirigeant chinois. La délégation chinoise évita tout contact avec le Saint-Siège et réitéra les deux conditions préalables habituelles : rompre avec Taiwan et ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures de la Chine. Mais le Premier ministre D’Alema sembla avoir persuadé Jiang Zemin de faire quelque chose. Après cette visite et pendant quelques mois, Pékin parut intéressé par un dialogue au sujet d’éventuelles relations diplomatiques. En fait, il y eut pendant ce temps des rumeurs persistantes selon lesquelles l’établissement de relations diplomatiques était imminent.
Mais le 17 août 1999, le document secret N° 26 « Concernant la consolidation du travail de l’Eglise catholique dans de nouvelles circonstances » révéla que les autorités chinoises ne voyaient l’établissement de relations diplomatiques que comme une occasion d’éliminer l’Eglise catholique souterraine. Ils considéraient les relations diplomatiques comme un moyen d’étendre le contrôle du gouvernement sur les communautés officielles et sur la nomination des évêques. Ce document appelait à :
un renforcement des organisations patriotiques catholiques ; (…) une éducation ferme et une conversion des forces catholiques souterraines ; (…) un recours aux méthodes fortes pour préserver la stabilité sociale ; (…) un renforcement du leadership du Parti et du gouvernement sur le travail de l’Eglise catholique (29).
Les communautés catholiques officielles furent soumises à une série de contrôles, appliqués différemment dans le temps et l’espace ; des lois et des réglementations furent mises en place pour la supervision des activités, des couvents, des séminaires, des évêques et des prêtres. Pendant cette période, les évêques et les prêtres de l’Eglise souterraine furent arrêtés, des églises furent détruites et les enfants de chrétiens souterrains furent interdits d’école et d’université. Le sommet de cette nouvelle vague d’autoritarisme anti-catholique fut atteint le 6 janvier 2000 quand cinq évêques furent illégalement consacrés à Pékin, dans un simulacre de cérémonie à caractère politique (voir ci-dessous).
Le pape est interdit de visite à Hongkong (juillet 1999)
Dans l’intervalle, au cours de ce même été 1999, la Chine infligea au pape un affront en rejetant sa plus sérieuse tentative de mettre le pied sur le sol chinois. Après le Synode des évêques pour l’Asie (Rome, printemps 1998), le Saint-Siège explora les possibilités d’un voyage du pape à Hongkong pour y donner l’Exhortation apostolique post-synodale aux peuples d’Asie. Il était évident que le pape souhaitait une fois de plus montrer sa préoccupation majeure et son affection pour la Chine. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois condamna l’idée de ce voyage le 4 juillet 1999. On dit que les numéros deux et trois du gouvernement de Hongkong, Anson Chan et Donald Tsang, catholiques tous les deux, auraient parlé en faveur de cette visite. Mais le chef de l’exécutif de Hongkong, Tung Chee-hwa, n’essaya ni de passer outre la détermination chinoise, ni d’appliquer à cette question le principe « un pays, deux systèmes
L’Epiphanie 2000
Comme il a été évoqué ci-dessus, le 6 janvier 2000, cinq évêques furent consacrés illégalement dans la cathédrale de Pékin (Nantang). Cent-vingt séminaristes du séminaire national refusèrent courageusement d’assister à cette cérémonie illégale orchestrée par l’Etat. Ils furent par la suite sévèrement réprimandés et subirent des sessions d’éducation politique pour cet acte de désobéissance. Les leaders des prêtres et des séminaristes dissidents, y compris un professeur, furent expulsés du séminaire et chassés de Pékin.
Les ordinations de masse reçurent une attention particulière – les autorités et la police prirent les choses au sérieux et les organisations patriotiques donnèrent des interviews à la télévision. Pendant les vingt-cinq dernières années, les ordinations relevaient des affaires de l’Eglise. Des milliers de gens du peuple de Dieu y participaient dans la joie. Mais cette cérémonie d’ordination fut une cérémonie froide, montée par l’Etat, à laquelle seuls quelques fidèles prirent part. En fait, c’était plus les cadres du Parti qui y étaient présents, « protégés » par de nombreux policiers.
Dans les quinze dernières années, l’évêque choisi était autorisé, après ou même avant son ordination, à solliciter discrètement l’approbation papale. Mais, lors de l’Epiphanie 2000, on était dans la confrontation pure et simple, le mépris total des espoirs légitimes de l’Eglise, de ses règles et de sa théologie. Les candidats furent amenés hâtivement et trompeusement à Pékin, où ils furent soumis à une invraisemblable pression pour accepter leur ordination contre leur gré. On a su que les autorités avaient conçu un plan grandiose : une cérémonie où douze candidats devaient être consacrés évêques. Mais sept s’y refusèrent catégoriquement ou se cachèrent pendant un temps. Pour ne pas être à Pékin, un évêque entra fort à propos à l’hôpital, et un autre disparut pour quelques jours. Il fut par la suite sévèrement réprimandé.
La cérémonie de Pékin s’avéra être une extraordinaire manifestation contre le pape et contre l’Eglise, où rien ne fut religieux et où tout était politique : voilà qui était de mauvais augure pour le nouveau millénaire. Ce fut, à mon avis, l’ouvre de cadres de niveau intermédiaire pour saboter la timide tentative de normalisation initiée par Jiang Zemin.
La canonisation de 120 martyrs de l’Eglise en Chine (1er octobre 2000)
Le 1er octobre 2000, le pape canonisa 120 bienheureux martyrs de l’Eglise en Chine (87 Chinois et 33 missionnaires étrangers). Le gouvernement chinois suffoqua d’indignation. Les martyrs chinois furent qualifiés d’anti-patriotes et de victimes de la propagande étrangère. Les missionnaires furent décrits comme étant des impérialistes et trois d’entre eux comme des criminels. Toutefois, les catholiques chinois des communautés officielle et souterraine avaient depuis longtemps voulu ces canonisations et ils les avaient célébrés clandestinement de toutes les façons possibles. Pour briser cette unité retrouvée de l’Eglise, Pékin accusa le Saint-Siège d’avoir choisi la date du 1er octobre pour défier la Chine, puisque ce jour était jour de fête nationale en République populaire de Chine.
Durant cette crise, le pape Jean-Paul II écrivit de nouveau au leader de la Chine. Une lettre personnelle au président Jiang Zemin – restée sans réponse – lui expliquait que la canonisation des 120 martyrs de Chine s’était faite avec l’intention d’honorer le peuple chinois. La canonisation d’octobre 2000 amena les relations entre le pape et le gouvernement chinois à leur plus bas niveau. Pourtant, avec ces canonisations, le pape ne prononçait pas un jugement historique ou politique sur des situations historiques complexes ; mais l’Eglise voulait simplement se souvenir de la sainteté de ces martyrs, et
« reconnaître que ces saints sont un exemple de courage et de cohérence pour chacun de nous et sont tout à l’honneur du noble peuple chinois » (30).
Ces 120 martyrs avaient été béatifiés à sept époques distinctes : cinq en 1893 par le pape Léon XIII ; treize en 1900 par le pape Léon XIII ; quatorze en 1909 par le pape Pie X ; vingt-neuf en 1946 par le pape Pie XII ; un en 1951 par le pape Pie XII, cinquante-six en 1955 par le pape Pie XII et deux en 1983 par le pape Jean-Paul II. L’Eglise, comme à son habitude, mena une enquête longue et détaillée de la vie de chacun d’eux ; cela fut fait en sept étapes, s’étirant sur une période de 120 ans. La majorité des martyrs avaient été béatifiés avant la proclamation de la République populaire, en 1949. Et, jamais au cours de ces sept célébrations, les autorités chinoises ne firent d’observations.
Ces martyrs canonisés le 1er octobre étaient pour la plupart des Chinois et, pour beaucoup, de simples fidèles, des femmes, des adolescents et aussi des enfants. Ils furent pris dans un contexte où des intérêts contradictoires leur ôtaient tout droit d’être des chrétiens. Ils furent des victimes. Ils furent tués simplement parce qu’ils refusèrent d’abandonner leur foi. Adhérer à une religion universelle ne peut être assimilé à un crime. Il est toutefois regrettable que la coïncidence fortuite de la date de la canonisation avec celle de l’anniversaire de la proclamation de la République populaire de Chine ait été interprétée dans un sens politique. Les autorités chinoises y virent un geste de provocation. Mais le défi supposé n’existait pas, pas plus que d’hypothétiques concessions. Dans le calendrier officiel du Jubilé de l’an 2000, publié dès le 28 mai 1998, la date du 1er octobre était déjà indiquée comme étant réservée pour les canonisations. Les candidats n’étaient pas encore choisis, mais il s’avéra que ce serait les martyrs chinois, la sour canossienne africaine Joséphine Bakhita et les deux fondatrices de congrégations religieuses féminines, Mère Katherine Drexel, de Philadelphie, aux Etats-Unis, et Mère Maria Josefa Sancho de Guerra, une Basque.
Laissez-moi ajouter quelques points d’évidence : si le 1er octobre n’était pas tombé un dimanche cette année-là, la date aurait été différente. De plus, ce dimanche était le jour le plus proche de la fête liturgique des bienheureux martyrs chinois, le 28 septembre. Enfin, c’était le premier jour du mois missionnaire, le mois d’octobre, et bien sûr le jour de la fête de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, la très aimée jeune contemplative et patronne des missions. Pourquoi ne pas prendre cette date comme une coïncidence heureuse, une occasion particulière de réjouissance et de fierté pour l’Eglise universelle, comme pour toute la Chine. C’est dans cet esprit que le pape Jean-Paul II canonisa les 120 martyrs de Chine.
Pour faire un peu d’histoire, je voudrais souligner que, depuis les années 1800, l’Eglise a tenté de se défaire du joug asphyxiant de la « protection » des puissances européennes. C’est une longue histoire regorgeant de difficultés. En 1860, le pape Pie IX, qui s’opposait activement aux plans hégémoniques des puissances occidentales, écrivit à l’empereur de Chine pour établir des relations directes et effectives avec lui, dans le but d’assurer la « protection » des chrétiens de Chine. Le pape Léon XIII fit de même. En 1885, il écrivit à Guangzu, empereur de Chine, et envoya Francesco Guilianelli porter cette lettre à Pékin, demandant humblement d’établir des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Pékin. Ce plan fut bloqué par un veto de la France (1886). Plus tard, le pape Benoît XV la renouvela, mais il fut de nouveau empêché par le veto de la France. En 1922, le pape Pie XI a enfin pu envoyer un délégué apostolique en Chine, Celso Constantini, qui rejeta la protection des puissances occidentales et alla établir sa résidence loin de leurs ambassades.
Demander le pardon des fautes passées (24 octobre 2001)
Le pape Jean-Paul II fit du fond du cour sa dernière ouverture à la Chine à l’occasion du quatre centième anniversaire de l’arrivée à Pékin de Matteo Ricci (24 octobre 2001). Le message du pape au peuple chinois est un document extraordinaire, dans lequel le Saint Père fait montre – une fois de plus – de son affection pour le peuple chinois, et de son admiration pour sa longue histoire, sa grande civilisation et la richesse de son art et de sa culture.
Le pape décrit la vie de Matteo Ricci en Chine avec une remarquable précision et déclare explicitement qu’il souhaiterait suivre la voie de ce dernier. Le premier livre écrit par Matteo Ricci s’intitule de façon fort à propos De l’Amitié. L’amitié était en effet le style et la manière de Ricci. L’Eglise, affirme le pape, ne cherche pas de privilèges de la part de la Chine, elle vient en ami, demandant le respect mutuel, la liberté et la compréhension.
La grande majorité des milliers de missionnaires qui vinrent après Matteo Ricci étaient des hommes et des femmes généreux, dont certains ont été jusqu’à payer de leur vie leur engagement pour le bien du peuple chinois. Ils ont fidèlement prêché l’Evangile et rendu des services remarquables dans le domaine social, scientifique et culturel. Malheureusement, certains n’ont pas suivi l’exemple de Ricci. Ils se sont fourvoyés dans des luttes intestines, ils se sont fait des ennemis et se sont montrés méprisants pour la culture et le peuple chinois en s’estimant supérieurs. Quelques-uns ont servi des intérêts politiques étrangers. Les papes successifs, et particulièrement Benoît XV, ont sévèrement réprimandé ces missionnaires qui servaient des intérêts nationaux plutôt que ceux de l’Eglise.
Le contexte social, politique et religieux était extrêmement complexe, et les missionnaires n’étaient, après tout, que des hommes de leur temps. Des gens de bonne foi ont pu faire ces choses qu’aujourd’hui nous considérerions mauvaises. Il faut donc les juger avec objectivité, refuser autant que possible de se laisser aller à des anachronismes, et écrire l’histoire sans préjugés idéologiques en vue de leur intenter un procès d’intention. Ces erreurs ne peuvent en aucun cas, néanmoins, justifier la persécution ou l’oppression des chrétiens chinois par le régime communiste.
Les puissances occidentales ont été responsables du tragique phénomène de l’impérialisme et de ses conséquences désastreuses dont l’Eglise a été la victime. Les documents d’archives montrent que les missionnaires, dans leur ensemble, n’étaient pas animés par des sentiments nationalistes ou impérialistes, mais bien par des sentiments religieux.
Malgré tout, Jean-Paul II a exprimé ses regrets pour les fautes passées, demandant seulement de pouvoir :
travailler en commun pour le bien du peuple chinois et pour la paix du monde (…). L’Histoire nous rappelle, cependant, ce fait regrettable que l’ouvre de membres de l’Eglise en Chine n’a pas toujours été sans erreur, conséquence amère de leurs limites et des limites de leurs actes… Je ressens une grande tristesse devant ces erreurs passées et je regrette que, pour beaucoup de gens, ces manques aient pu donner l’impression d’un manque de respect et d’estime pour le peuple chinois de la part de l’Eglise catholique, leur laissant croire que l’Eglise agissait de façon hostile envers la Chine. De tout ceci, je demande, de la part des chrétiens, le pardon et la compréhension de ceux qui ont pu en souffrir de quelque façon que ce soit (31).
Les autorités chinoises ne répondirent pas et restèrent froides et indifférentes : aucun progrès n’a été fait dans le rapprochement entre l’Eglise et la Chine. Mais les regrets exprimés par Jean-Paul II et le fait qu’il ait demandé pardon restent un geste extraordinaire de générosité et d’affection, un pas vers une collaboration et une amitié futures.
4.) Les relations Chine – Saint-Siège
Les autorités chinoises n’ont jamais répondu aux nombreux appels du pape à ouvrir un dialogue réel sur toutes les questions pendantes. Les mêmes deux préalables étaient inévitablement et mécaniquement répétés. Ils sont bien connus : le Vatican devait rompre ses relations avec Taiwan et le Saint-Siège ne doit pas s’immiscer dans les affaires intérieures de la Chine, même dans le domaine religieux. Ces deux préalables ne sont qu’un écran de fumée, un alibi pour masquer le refus de la Chine d’ouvrir une discussion avec le Saint-Siège.
Le premier préalable : les relations avec Taiwan
La question de Taiwan n’est pas le vrai problème et les autorités chinoises le savent bien. Le Saint-Siège n’a jamais décidé de quitter la Chine après l’avènement du communisme ; ce sont les représentants du Saint-Siège qui en ont été expulsés en 1951. Depuis 1971, la présence diplomatique du Saint-Siège à Taipei a été réduite au strict minimum (un simple chargé d’affaires). Ce fut le choix prophétique de Paul VI, précisément pour favoriser un dialogue avec Pékin.
Les autorités chinoises compétentes ont été informées depuis des années qu’avec un accord acceptable, le Saint-Siège était prêt à apporter une solution satisfaisante au problème de Taiwan. La lettre du pape à Deng Xiaoping en 1983 renouvelait cette offre. En février 1999, le cardinal Angelo Sodano, Secrétaire d’Etat, annonça que le Vatican était disposé à transférer sur le champ la nonciature apostolique de Taiwan en Chine, si Pékin en était d’accord.
Permettez-moi de rappeler que la reconnaissance de la République de Chine à Taiwan n’a jamais été une pierre d’achoppement de la diplomatie chinoise. Les dirigeants chinois, Mao Zedong et Zhou En lai (Chou En Lai), ont chaudement reçu Richard Nixon en 1972, à une époque où les Etats-Unis entretenaient de pleines relations diplomatiques avec Taiwan, sans parler de leur coopération ni de leur assistance militaire. De la même façon et plus récemment, la Chine a accepté que la Corée du Sud (1992) et l’Afrique du Sud (1998) transfèrent leur représentation diplomatique de Taipei à Pékin, après la conclusion d’intenses négociations et non avant, comme un préalable.
Demander la rupture des relations diplomatiques en préalable est une exigence injustifiée de la part de Pékin et, en fait, constitue une maladresse diplomatique. Les autorités chinoises devraient se rendre compte, à l’exemple du reste du monde, que le Saint-Siège est une entité particulière, dotée d’une autorité morale, et non un Etat comme les autres. L’activité diplomatique du Saint-Siège ne vise qu’à la paix et à la mission pastorale de l’Eglise. La mission pastorale de l’Eglise passe avant ses succès diplomatiques. La mission du pape est une mission religieuse. C’est pourquoi l’Eglise ne peut pas accepter les préalables diplomatiques imposés par Pékin. Pour l’Eglise, la diplomatie est simplement un instrument pour promouvoir ses droits légitimes et sa liberté. Quand le gouvernement chinois sera prêt à reconnaître à l’Eglise ces droits si longuement attendus, le conflit diplomatique cessera d’elle-même.
Le deuxième préalable : la non-ingérence dans les affaires intérieures de la Chine
Le deuxième préalable, la non-ingérence dans les affaires intérieures de la Chine, doit être rapproché de la question de la nomination des évêques et de la possibilité pour les évêques chinois de communiquer normalement avec Rome, y compris la possibilité de se rendre auprès du pape pour les traditionnelles visites ad limina, comme le font tous les autres évêques du reste du monde. Pour les catholiques, les relations avec le pape sont une affaire de conscience et n’ont rien à voir avec une quelconque ingérence étrangère. L’unité avec le pape symbolise l’unité avec l’Eglise universelle, un élément essentiel de la doctrine catholique.
L’Eglise jouit de ce droit partout ailleurs dans le monde, sauf en Chine. Cent soixante-douze pays dans le monde, y compris des pays très jaloux de leur dignité et de leur souveraineté, comme le Vietnam communiste et Cuba, admettent que le droit de choisir et de nommer des évêques revient au Saint-Siège. Après tout, les évêques sont des personnalités religieuses et non des personnalités politiques.
L’opposition de la Chine à Jean-Paul II
Les dirigeants chinois ne sont encore ni intéressés, ni désireux d’un rapprochement avec le Saint-Siège ; leurs priorités sont autres. Beaucoup de cadres chinois ne connaissent pas vraiment, ni ne comprennent ou n’aiment l’Eglise catholique. Ils préfèrent la tenir à distance. De plus, tout accord significatif avec le Saint-Siège imposerait un changement de mentalité et un changement dans l’administration des affaires religieuses. Il pourrait conduire à une suppression ou à une réduction radicale des structures de contrôle (comme l’Association patriotique et le Bureau des Affaires religieuses) et à un changement concernant les cadres moyens responsables de la politique religieuse du Parti et de l’Etat.
L’arsenal des moyens idéologiques, administratifs et répressifs mis en place au long des années de campagnes politiques anti-religieuses existe toujours : l’idéologie du parti unique, l’abus de pouvoir, la corruption, la torture, la détention illégale et les camps de travail. Le recours à ces moyens extrêmes n’est plus aussi répandu que par le passé, mais il existe toujours. Environ vingt-cinq prêtres et évêques de l’Eglise souterraine sont toujours détenus ou ont disparu, et beaucoup plus sont empêchés d’exercer leur ministère.
Quand le Parti communiste chinois s’est montré incapable de construire une idéologie pour conforter le peuple chinois, l’hostilité de la Chine à l’égard du pape Jean-Paul II a été camouflée par le fait qu’elle lui attribuait la responsabilité de la chute du communisme en Europe. Mais il aurait dû être évident que la situation de la Pologne catholique ayant un pape polonais ne pouvait être comparée avec la situation de la Chine, où les catholiques représentent moins d’un pour cent de la population. De plus, le pape n’était pas simplement anti-communiste, il était contre toute forme de totalitarisme, politique, idéologique ou économique. Dans sa jeunesse, il eut beaucoup à souffrir du nazisme. Il n’a pas ménagé ses critiques à l’administration américaine pour les deux guerres menées par les Etats-Unis en Irak. Dans tous les cas, le pape se montra très aimable envers des dirigeants communistes comme le ministre des Affaires étrangères Andrei Gromyko (1979), le général polonais Wojciech Jaruzelski (1987), le président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev (1989) et le Cubain Fidel Castro (1998).
Après la mort du pape Jean-Paul II
La République populaire de Chine, seule parmi toutes les nations du monde, n’a envoyé aucun représentant aux funérailles du pape Jean-Paul II. Et les paroles de condoléance prononcées par Liu Jinchao, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, trahissaient peu de peine, suivies qu’elles étaient par la répétition, semblable à ce qui avait été dit et répété au cours de ces vingt dernières années, des deux inévitables préalables (4 avril 2005).
Le même porte-parole attribuait, la veille des funérailles du pape, l’absence d’un représentant de la Chine à la présence place Saint-Pierre du président de Taiwan, Chen Shuibian. Quelle piètre excuse pour justifier, au dernier moment, que la Chine n’enverrait personne aux funérailles ! Si la Chine, oubliant le problème de Taiwan, avait envoyé une délégation de l’ambassade chinoise auprès de l’Italie, le monde entier aurait applaudi et le Saint-Siège aurait aussitôt manifesté sa satisfaction. C’eut été, de la part de la Chine, un geste noble dans des circonstances exceptionnelles qui ne se renouvelleraient pas. Le 8 avril, le monde entier avait mis de côté ses différences politiques et religieuses pour converger la Place Saint Pierre. La Chine manqua cette occasion.
Je crois que la diplomatie et les relations diplomatiques peuvent être utiles, mais elles ne sont pas indispensables à la mission de l’Eglise, qui est essentiellement religieuse et spirituelle. L’Eglise de Chine, comme bien d’autres Eglises dans le monde à différentes époques, a survécu à l’absence de relations diplomatiques, et je ne vois pas pourquoi aujourd’hui elle devrait en avoir à tout prix. Il n’y aura pas d’avancée majeure sur ce terrain tant que le pouvoir politique et le pays lui-même n’auront pas changé. Je vois d’autres priorités pour l’Eglise de Chine. Nous devons aider les évêques, les prêtres, les religieuses, les séminaristes et les fidèles pastoralement et spirituellement pendant cette période délicate où la direction de l’Eglise en Chine est en train de passer à une nouvelle génération, plus jeune. Et par-dessus tout, nous devons aider l’Eglise de Chine à affronter les défis insidieux que lui posent la modernisation et la sécularisation, qui risquent également d’ébranler sérieusement l’ensemble des citoyens chinois.
Notes
(1)On retrouve aussi la même expression dans le message de Jean-Paul II aux catholiques chinois prononcé à Manille le 14 janvier 1995. Voir L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 18 janvier 1995
(2)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 1er février 1982
(3)L’Osservatore Romano, 25 février 1981
(4)L’Osservatore Romano, 25 février 1981
(5)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 11 décembre 1996
(6)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 15 décembre 1999
(7)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 22 novembre 1982
(8)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 31 octobre 2001
(9)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 11 décembre 1996
(10)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 18 janvier 1995
(11)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 1er février 1982
(12)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 29 mars 1982
(13)Sunday Examiner, 3 avril 2005, p. 3
(14)L’Osservatore Romano, 11 septembre 1980
(15)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 1er février 1982
(16)L’Osservatore Romano, 22 novembre 1982
(17)International Fides Service, 6 novembre 1982
(18)L’Osservatore Romano, 22 novembre 1982
(19)Roger Etchegaray, Vers les chrétiens en Chine, vus par une grenouille du fond d’un puits, Cerf, Paris, 2004, p. 72 (Verso i Cristiani in Cina. Visti da una rana dal fondo di pozzo, Mondadori, Milan 2005, p. 70)
(20)George Weigel, Witness to Hope : The Biography of Pope John Paul II, Cliff Street Books, HarperCollins Books, New York 2001, p. 596
(21)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 5 octobre 1994
(22)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 18 janvier 1995
(23)Voir citation ci-dessus, dans le paragraphe intitulé « Un bon catholique est aussi un bon Chinois
(24)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 22 avril 1998
(25)Fides, 8 mai 1998
(26)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 20 mai 1998
(27)Fides, 16 octobre 1998
(28)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 15 décembre 1999
(29)Pour de grands extraits du document voir Tripod, N° 116, 2000, pp. 33-40
(30)Tripod, N° 119, 2000, p. 6
(31)L’Osservatore Romano, édition anglaise hebdomadaire, 31 octobre 2001
(EDA, Tripod, octobre 2005)
Dossiers et documents N° 8/2005
EDA N° 427
Octobre 2005
Dossier
Document N° 8/2005
CHINE
CHRONOLOGIE DU VOYAGE SPIRITUEL
DE JEAN-PAUL II VERS LA CHINE
par Anthony Lam Sui-ki
[NDLR – Anthony Lam Sui-ki est le rédacteur en chef de l’édition chinoise de Tripod. Chercheur, il exerce des responsabilités au sein du Centre d’études du Saint-Esprit de Hongkong. Il suit les affaires liées à l’Eglise catholique en Chine de longue date. Son article a été traduit du chinois par Purple Kwong. La traduction française est de la rédaction d’Asie.]
Sa Sainteté le pape Jean-Paul II est mort le 2 avril 2005. Il est parti auprès de son Père céleste. Durant les vingt-six années de son pontificat, la Chine a toujours été présente à son esprit. Il a regretté de ne pas avoir pu se rendre en Chine, mais son cour a toujours été avec l’Eglise de Chine. Cet article rend compte du voyage spirituel du pape Jean-Paul II en Chine.
Karol Wojtyla, futur Jean-Paul II, est né le 18 mai 1920 à Wadowice, près de Cracovie, en Pologne. Il était le second enfant de la famille. Son père, lieutenant dans l’armée polonaise à la retraite, et sa mère, originaire de Lituanie, étaient tous deux de fervents catholiques. Sa mère mourut en 1929. Les nazis envahirent la Pologne en 1939 et Karol rejoignit la résistance anti-nazie.
En 1942, Karol avait pris la décision de devenir prêtre. En dépit de l’occupation nazie, il entreprit des études dans un séminaire clandestin. Le 1er novembre 1946, Karol fut ordonné prêtre à Cracovie. Il se rendit alors à Rome pour poursuivre ses études à l’Université Angelicum et retourna en Pologne en 1948 avec un doctorat de théologie, dont le sujet de thèse était la foi dans les ouvres de Saint Jean de la Croix.
Le 28 septembre 1958, le jeune prêtre Karol Wojtyla fut ordonné évêque auxiliaire du diocèse de Cracovie et élevé au rang d’archevêque de Cracovie le 13 janvier 1964. Trois ans plus tard, le 26 juin 1967, l’archevêque Karol Wojtyla était créé cardinal par le pape Paul VI.
Le 16 octobre 1978, Karol Wojtyla devint le 264e pape de l’histoire et choisit de s’appeler Jean-Paul II. Il était le premier pape non italien depuis 455 ans.
Durant les vingt-six années de son pontificat, le pape Jean-Paul II a constamment cherché le moyen d’unir l’Eglise de Chine à l’Eglise universelle. Bien que jusqu’à la fin de sa vie, son souhait de se rendre en Chine n’ait pas été exaucé, sa préoccupation pour la Chine a été présente tout au long de son ministère. Voici les moments forts de son « voyage en Chine » durant son pontificat.
En 1979, l’année suivant son élection, Jean-Paul II créa plus de vingt cardinaux, dont un in pectore. C’est seulement en 1991 qu’il annonça qu’il s’agissait d’Ignatius Kung Pinmei, évêque du diocèse de Shanghai.
Le 18 février 1981, à Manille, durant sa visite pastorale en Asie, le pape Jean-Paul II s’adressa à l’Eglise catholique de Chine et exprima son souhait d’ouvrir un dialogue avec la Chine. Le même jour, il béatifia un catholique sino-philippin, Lorenzo Ruiz, dont le père était chinois et la mère philippine. Lorenzo Ruiz avait été martyrisé au Japon.
Le 13 mai 1981, un Turc tira sur le pape Jean-Paul II, place Saint-Pierre, manquant de le tuer. Le pape se remit de l’opération chirurgicale consécutive à l’attentat, après une longue convalescence. Le 6 juin 1981, durant cette période de repos forcé, il nomma Mgr Dominic Tang Yiming archevêque de Canton. Le 6 janvier 1982, le pape écrivit à tous les évêques du monde pour leur demander de prier pour l’Eglise en Chine.
Le nouveau code de Droit Canon fut promulgué en 1983 et sa version chinoise fut comme un véritable trésor en Chine continentale. Tous les prêtres et tous les évêques voulaient leur propre exemplaire et des copies en furent imprimées en Chine populaire. Le 15 mai de cette même année, le pape Jean-Paul II annonça la béatification de deux martyrs salésiens en Chine, Mgr Luigi Versiglia, SDB, et le P. Callisto Caravario, SDB.
En 1983, le pape écrivit une lettre restée secrète à Deng Xiaoping, en signe d’amitié, mais n’obtint pas de réponse. Le 28 février 1984, lorsqu’une délégation d’évêques de Taiwan se rendit auprès du pape pour une visite ad limina, le Saint Père demanda que les Eglises de Taiwan et les communautés catholiques de la diaspora servent de « pont » pour leurs compatriotes de Chine.
Le 4 juin 1984, le pape accepta la démission de vingt-neuf évêques étrangers de leur ancien siège épiscopal en Chine. En juin 1985, les médias européens révélèrent que le Vatican avait l’intention de faire don du télescope astronomique de Castel Candolfo, à l’Université Hefei, dans la province de l’Anhui. Mais, pour diverses raisons, le transfert ne se fit pas. Le 19 octobre 1987, le pape canonisa le catholique sino-philippin Lorenzo Ruiz. Le 29 mai 1988, le pape annonça l’élévation au rang de cardinal de vingt-cinq évêques, dont Jean-Baptiste Wu, du diocèse de Hongkong. Mgr Wu devint ainsi le troisième cardinal chinois publiquement connu à l’époque.
Le 5 octobre 1989, le pape se rendit en Corée du Sud pour présider le Congrès eucharistique. Il avait demandé à la Chine si son avion pouvait survoler le territoire chinois, mais sa demande fut rejetée. Le 29 juin 1991, le pape reçut le cardinal Ignatius Kung Pinmei au Vatican et lui remit ses insignes cardinalices. Le 16 mai 1993, le pape béatifia le P. Maurice Tornay, Chanoine du Grand Saint Bernard, martyrisé au Tibet.
Le 25 septembre 1994, lors de la commémoration du septième centenaire de l’arrivée en Chine de Jean de Montcorvin, OFM, le pape Jean-Paul II déclara : « Je souhaite vous rencontrer rapidement témoignant ainsi de son amour et de son attention pour les catholiques de Chine et de Taiwan.
En 1995, lorsque le pape se rendit en Belgique, après avoir présidé une messe, il reçut trois prêtres chinois qui avaient concélébré avec lui. Le 2 juin 1996, le pape canonisa le missionnaire français Jean Gabriel Perboyre, lazariste, envoyé en Chine au XIXe siècle. Le 18 janvier 1998, le pape annonça l’élévation au rang de cardinal de vingt-deux évêques. Parmi eux figurait le cardinal Paul Shan, jésuite, du diocèse de Kaohsiung, à Taiwan. Il était le cinquième cardinal chinois.
Le 19 avril 1998, au Vatican, le pape Jean-Paul II annonça qu’il avait invité Mgr Duan Yinmin, du diocèse de Wanxian (province du Sichuan), et son coadjuteur, Mgr Xu Zhixuan, au Synode des évêques pour l’Asie. Malheureusement, ils ne purent se rendre à Rome, faute d’obtenir un passeport des autorités chinoises.
Le 10 novembre 1998, le pape Jean-Paul II nomma Mgr Thomas Yeh Sheng-nan nonce apostolique au Sri Lanka. Originaire par sa famille du district de Changhua, à Taiwan, il devenait ainsi le premier évêque chinois nommé par le Vatican à la fonction de nonce apostolique.
En 1999, le Saint Père avait été prévu, dès le début, que la cérémonie de clôture du Synode des évêques pour l’Asie se tiendrait à Hongkong. Toutefois, comme le gouvernement de la Région administrative spéciale (RAS) de Hongkong refusa au pape de se rendre à Hongkong, elle se tint à New Delhi, en Inde.
En décembre 1999, le pape écrivit une lettre à l’Eglise en Chine intitulée « Et le Verbe s’est fait chair où il renouvelait son affection à la Chine. Le 6 janvier 2000, l’Association patriotique des catholiques chinoise consacra elle-même cinq évêques. Le Saint Père fut très affecté par cette nouvelle. Le 1er octobre 2000, lors de la solennité de Sainte Thérèse de Lisieux, le pape canonisa 120 martyrs de l’Eglise en Chine. Pékin en fut fort irrité et des articles inondèrent la presse, mettant en question l’intégrité personnelle des personnes canonisées. Une fois de plus, le pape prit la défense des martyrs canonisés, tout en s’excusant d’avoir choisi une date qui correspondait également à la fête nationale de la Chine populaire.
Le 24 octobre 2001, lors du Symposium qui se tenait à l’Université grégorienne à Rome pour la commémoration du quatrième centenaire de l’arrivée à Pékin du P. Matteo Ricci, le pape Jean-Paul II fit un discours sur le sens et les limites du travail des missionnaires en Chine. Il demanda pardon au peuple chinois pour les erreurs que commirent certains missionnaires en prêchant l’Evangile en Chine. Le 29 janvier 2002, le pape reçut une délégation d’évêques de Taiwan pour leur visite ad limina. Ce fut la dernière fois de sa vie qu’il rencontra un aussi grand nombre d’évêques chinois pour une telle visite.
Le 28 septembre 2003, le Saint Père annonça la nomination de trente et un nouveaux cardinaux, dont un in pectore. Une grande partie de la presse internationale a alors spéculé qu’il s’agissait d’un évêque chinois. Le 5 octobre 2003, le pape Jean-Paul II canonisa le P. Joseph Freinademetz, SVD (1852-1908). Quatorze jours plus tard, le 19 octobre, il béatif