Eglises d'Asie

QUI, DES AUTORITES CENTRALES OU LOCALES, EST RESPONSABLE DES VIOLATIONS DE LA LIBERTE RELIGIEUSE ?

Publié le 18/03/2010




Le rôle des autorités locales chinoises dans les violations de la liberté religieuse est souvent mis en avant. Le 2 août 2005, des policiers de la Sécurité publique de la province du Hubei entraient de force au domicile privé d’une confrérie de quarante et un pasteurs et membres d’une Eglise protestante, dont deux séminaristes américains. China Aid Association fit savoir que les deux Américains furent relâchés après sept heures d’interrogatoire et que, si les 41 Chinois furent détenus peu de temps, quelques-uns d’entre eux furent battus lors de leur détention.

Le 1er août, les autorités du Xinjiang arrêtaient un enseignant musulman ouïgour et trente-sept de ses élèves. Selon le Congrès mondial ouïgour, Aminan Momixi enseignait le Coran à des étudiants, âgés de 7 à 20 ans, à son domicile lorsque la police y pénétra de force. Les policiers ont accusé Momixi de « détention illégale de documents religieux et de données historiques subversives » et ils lui ont interdit tout recours à un avocat. Le 20 juillet, quelques semaines avant cet incident, le Uyghur Human Rights Project annonçait que la police détenait trois Ouïgours dans la province du Xinjiang pour être en possession du Mishkat-ul Misabih, un texte religieux retraçant la vie et l’ouvre du Prophète Mahomet.

Le 25 juillet, la Fondation du Cardinal Kung rapportait que la police dans la province du Fujian avait fait irruption au domicile du P. Lin Daixian, prêtre de l’Eglise catholique « clandestine », alors qu’il célébrait la messe. La police mit son appartement à sac et le prêtre fut placé en détention. Un séminariste et neuf paroissiens furent également arrêtés. Plusieurs reçurent des coups ou furent blessés durant ces violences avant d’être emmenés en prison.

En dehors du fait que ces incidents sont des atteintes à la liberté religieuse, leur point commun est la responsabilité directe des autorités locales. En fait, il est unanimement reconnu maintenant que des différences notables existent dans les atteintes à la liberté religieuse selon les régions. Bien que cette reconnaissance ne soit pas le résultat de rapports systématiques, elle repose généralement sur des comptes-rendus locaux.

Par exemple, dans les provinces du Henan et du Hebei – où les communautés chrétiennes non enregistrées, aussi bien catholiques que protestantes, prolifèrent -, des attaques incessantes des autorités locales contre les membres de ces communautés ont été rapportées. Il est également de notoriété publique que la municipalité de Shanghai a les règles les plus strictes en matière d’affaires religieuses et qu’en outre, elle est une des plus actives de toute la Chine dans l’application des directives du gouvernement en ce domaine. Ailleurs, dans le pays, les rapports au sujet d’une répression de la liberté religieuse ne sont pas aussi fréquents. Enfin, les modes de violation de la liberté religieuse diffèrent à l’intérieur même de provinces citées ci-dessus.

Il est pareillement bien connu que les autorités des provinces du Xinjiang et du Tibet ont adopté des mesures draconiennes contre les Ouïgours musulmans et les bouddhistes tibétains. Cette répression des Ouïgours et des Tibétains est parfaitement illustrée par le fait que ni les uns ni les autres n’ont eu à subir le même traitement de la part de l’Etat dans les autres régions de la Chine. Par exemple, les chercheurs et les experts ont remarqué que les musulmans Huis du Ningxia n’ont jamais connu, de la part des autorités locales, les mêmes restrictions que leurs coreligionnaires ouïgours du Xinjiang, quant à l’accès à l’enseignement religieux de leurs enfants et à la construction de bâtiments religieux.

On peut certainement avancer que la répression qui s’exerce contre ces minorités ethniques est directement dictée par le gouvernement central de Pékin. En effet, les différents règlements provinciaux relatifs aux affaires religieuses montrent une remarquable uniformité entre eux, et avec ceux qui ont été promulgués par le gouvernement central. En 2003, le journal Le droit et le gouvernement chinois a publié les règlements officiels concernant les affaires religieuses pour Pékin, Shanghai, les provinces du Guangdong, du Jiangsu et du Liaoning. Même si ces règlements diffèrent dans leurs détails et la longueur de leurs textes, leur contenu a exactement le même objectif.

Par exemple, pour ces cinq entités (les deux municipalités de Pékin et Shanghai et les trois provinces citées ci-dessus), les règlements comprennent tous des clauses concernant les institutions religieuses, le personnel religieux, les sites et les activités religieuses, les biens religieux et les relations avec les institutions religieuses étrangères. Ces clauses correspondent exactement à celles qui sont inclues dans la loi de 2004 sur les Affaires religieuses, promulguée par le gouvernement central. Dans l’une ou l’autre province, quelques règles font plus spécifiquement référence aux publications religieuses ou aux institutions éducatives religieuses, mais les idées directrices de ces règles spécifiques se retrouvent dans tous les règlements. Par ailleurs, tous ces règlements prévoient des amendes pour le non-respect des règles prévues dans les règlements avec une fourchette allant de 50 à 50 000 yuans (5 à 5 000 euros) suivant la nature de la règle non respectée.

Tous ces règlements font spécifiquement référence à des demandes impératives stipulées dans les lois et les directives sur les Affaires religieuses du gouvernement central. Par exemple, l’article 6 du règlement national sur les Affaires religieuses de 2004 stipule implicitement que les organisations religieuses sont des entités sociales et doivent être en conséquence enregistrées selon les prescriptions des « Règlements sur la direction et l’enregistrement des entités Sociales » (Shehui Tuanti Dengji Guanli Tiaoli). De la même façon, tous les règlements s’appliquant au niveau de la province, qui viennent d’être citées, comportent l’obligation légale pour les organisations religieuses de s’inscrire comme organisations sociales auprès d’une agence gouvernementale, après avoir obtenu l’accord de l’agence des Affaires religieuses habilitée.

Dans ce cas précis, la similitude des clauses légales des différents règlements des provinces s’entend même quant au vocabulaire employé. L’article 6 des règlements s’appliquant aux Affaires religieuses de la municipalité de Pékin stipule que « les entités religieuses, après l’accord du département des Affaires religieuses de la ville et des districts, doivent s’inscrire elles-mêmes au registre concerné des entités sociales De la même manière, les règlements édictés par la province du Guangdong stipulent : « Après accord du département des Affaires religieuses du gouvernement populaire au niveau ou au-dessus du niveau du district, l’entité religieuse doit s’inscrire au registre des entités sociales du gouvernement. »

Malgré l’uniformité du contenu des règlements s’appliquant aux affaires religieuses au niveau de la province, et malgré leur similitude avec celles du gouvernement central, il est important de ne pas sous-estimer l’étendue – considérable – des pouvoirs qui ont été conférés aux autorités des provinces et des entités administratives inférieures à la province dans l’application des directives légales. Par exemple, l’article 5 des règlements nationaux s’appliquant aux affaires religieuses prévoit que la responsabilité de l’administration et de la direction des organisations religieuses relève des autorités locales au niveau comté (xian). En fait, ce n’est que dans quelques rares cas seulement – comme la création d’institutions éducatives religieuses, la construction d’infrastructures religieuses de taille importante et la nomination des évêques catholiques -, qu’il est nécessaire de rendre compte des décisions locales au gouvernement central, voire d’obtenir l’accord de ce gouvernement central.

Ainsi que le montrent clairement les règlements s’appliquant aux affaires religieuses de la province du Jiangsu – qui ont été édictées par le Congrès de la province de février 2002 -, les autorités locales ont la responsabilité directe de la gestion des affaires religieuses. L’article 6 de ces règlements stipule : « Les bureaux des Affaires religieuses du gouvernement local de tout niveau supérieur à celui du comté sont responsables des affaires religieuses dans leur propre circonscription administrative. Tous les autres départements concernés devront s’attacher à collaborer de manière à mener de manière efficace la direction des affaires religieuses. » Cette clause est aussi présente dans les règlements s’appliquant aux affaires religieuses de la province du Liaoning, qui ont été ratifiés en 1998.

Les autorités provinciales ont une grande latitude dans la mise en place des règlements s’appliquant aux affaires et à la politique religieuses. On trouve une confirmation de cela dans les stipulations que contiennent les règlements de ces cinq provinces et municipalités, qui précisent qu’ils ont été formulés, en plus des dispositions prévues par la Constitution chinoise, les lois et règlements existants, de façon à être en conformité avec « la situation présente » à laquelle les autorités provinciales ont à faire face.

Des comptes-rendus locaux laissent à penser que des atteintes à la liberté religieuse ont été perpétrées pour servir les intérêts financiers et politiques des officiels du lieu, désireux de promouvoir le développement économique local à un moment où celui-ci était la priorité nationale activement poursuivie par le gouvernement central. Telle est une des conséquences de la politique de décentralisation de la période post maoïste, caractérisée par un train de réformes économiques. Cette politique encourage les autorités locales à prendre toutes les initiatives possibles pour développer économiquement leur région et réduire du même coup leur dépendance vis-à-vis du gouvernement central, par ailleurs assez pauvre en ressources pour les diriger. En même temps, la carrière des officiels locaux est liée aux réussites qu’ils obtiennent en matière de développement économique.

Le fait de donner souvent comme seul critère de jugement politique la performance des autorités locales dans le développement économique de leur région a d’importantes répercussions. En effet, la politique de réforme économique incite indirectement ces autorités à faire tout ce qu’elles jugent utile pour promouvoir le développement économique, y compris l’atteinte aux droits déjà limités des citoyens chinois.

L’accent politique mis sur le développement économique et ses répercussions sur la liberté religieuse en Chine sont parfaitement illustrés par la rhétorique gouvernementale affirmant que la stabilité sociale est un préalable à tout progrès économique. Ainsi se trouvent encouragés les responsables des provinces et des échelons administratifs inférieurs à la province dans leurs actions contre les communautés religieuses au nom du maintien de la stabilité sociale qu’ils estiment nécessaire pour le développement économique. Cette logique implique, en partie, que le développement économique l’emporte sur la protection des libertés individuelles.

Cette façon de voir les choses ressort clairement du discours de Ye Xiaowen, chef de l’Administration d’Etat des Affaires religieuses (connu précédemment sous le nom de Bureau des Affaires religieuses) : « Pour un pays en voie de développement, la priorité numéro un est le droit à la subsistance et au développement, écrivait-il dans une adresse pour la commémoration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Sinon, il n’est pas possible de parler des autres droits, y compris le droit à la liberté de croyance religieuse. Nous pensons réellement que ces droits ne peuvent aucunement exister en dehors de la structure économique d’une société, ou du développement culturel de cette société, qui est lui-même fonction de sa structure économique. Le dicton chinois selon lequel ‘le peuple ne connaît l’honneur et la honte que lorsque les greniers sont pleins et qu’il ne peut être poli que s’il a suffisamment de nourriture et de vêtement’ est une autre façon de dire la même chose. Et ceci est spécialement vrai de la Chine qui a enduré l’invasion de l’impérialisme et l’oppression de la féodalité et des bureaucrates capitalistes. »

Ces points constituent le problème fondamental de l’analyse des relations entre le gouvernement central et les autorités locales dans la mise en place de la politique et des réglementations administratives s’appliquant aux affaires religieuses. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si les atteintes à la liberté religieuse viennent des directives du gouvernement central, ou si elles sont la conséquence des initiatives des responsables des provinces, des districts et autres comtés.

Ainsi, un étranger très au fait de la situation en Chine a cité à Forum 18 le cas récent d’un policier qui aurait été si touché de la conduite d’un groupe de détenus chrétiens qu’il aurait payé à la prison les droits que lui devaient les prisonniers. (En Chine, les détenus doivent payer les « services » qui leur sont rendus par les autorités de la prison durant leur détention ou leur emprisonnement). Après leur libération, ce fonctionnaire aurait assuré les chrétiens qu’il ferait en sorte qu’ils ne soient pas arrêtés une nouvelle fois dans sa zone de juridiction. Cet exemple nous rappelle que la logique du développement économique a aussi été à l’origine de la défense que des responsables locaux ont pu assurer à des groupes religieux pour leur contribution à l’économie locale.

Ainsi donc, si des responsables locaux ont commis des violations de la liberté religieuse dans un contexte généralement anti-religieux, d’autres ont manifesté de la sympathie et ont porté secours à des communautés religieuses. En fait, dans de nombreux cas, des affaires dirigées et possédées par des croyants ont été protégées par des responsables locaux pour leur contribution à la société et à l’économie locales. Pour dire les choses plus simplement, les responsables locaux sont souvent pris dans le dilemme de deux injonctions contradictoires du gouvernement – la promotion du développement économique et le contrôle des activités et des communautés religieuses.

Trois exemples – des évènements à Wenzhou, d’autres au Yunnan et la répression du mouvement du Falungong – éclairent la difficulté de distinguer entre les responsabilités du gouvernement central et celles des autorités locales.

En novembre et en décembre 2000, les responsables de la municipalité de Wenzhou, dans la province du Zhejiang (qui est connue depuis toujours comme étant une province très ouverte sur l’étranger et très commerçante), ont détruit, fermé ou confisqué plus de 3 000 églises chrétiennes, temples bouddhiques et sanctuaires taoïstes, une action que beaucoup ont jugé comme la plus destructrice dans la lutte contre les lieux de culte non déclarés depuis les années 1970.

Les avis des commentateurs bien informés divergent sur les raisons de ces destructions, fermetures et autres confiscations. Certains pensent que les destructions ont été opérées sur ordre du président d’alors, Jiang Zemin, après un voyage dans la région. D’autres avancent que ces destructions ont été le résultat des tensions croissantes entre les responsables locaux et les communautés religieuses par suite de la volonté du gouvernement local d’ouvrir plus d’espace aux zones commerciales. Autrement dit, pour les responsables locaux, les bâtiments et les propriétés religieuses étaient un obstacle à la construction de locaux commerciaux, beaucoup plus profitable pour eux sur les plans économique et politique. Si telle est effectivement la raison de ces destructions – ce qui est tout à fait envisageable -, nous avons bien une illustration du lien entre la politique de développement économique voulue par le gouvernement et la répression religieuse.

Quelques années après les évènements de Wenzhou, un incident beaucoup moins connu s’est produit dans la province du Yunnan, où une congrégation non déclarée a tenté de se faire enregistrer auprès du gouvernement local. Sa demande fut rejetée et les responsables de la congrégation furent arrêtés pour s’être livrés à des activités liées à une « secte ». Ceux qui rapportèrent cet incident indiquèrent que les officiels locaux ne trouvaient aucun intérêt à donner un statut légal à une congrégation non déclarée, parce qu’ils n’auraient plus été à même d’extorquer de l’argent de cette congrégation.

La complexité des circuits de prise de décision entre le gouvernement central et les autorités locales est apparue clairement au plus fort de la campagne de répression du mouvement Falungong, menée par le gouvernement central. Selon les adhérents du Falungong, le gouvernement central donna des directives aux autorités des provinces et au-dessous, les rendant personnellement responsables des manifestations publiques que les adhérents du Falungong originaires de province pourraient faire à Pékin. Le cas du Falungong inciterait à penser que le gouvernement central est à l’origine des violations de la liberté religieuse en Chine. Toutefois, ce cas s’est compliqué par le fait que le conflit entre l’Etat et le Falungong ait été considéré comme un problème de sécurité de niveau « national Aucune autre communauté religieuse ou spirituelle n’avait jusqu’alors posé un tel défi au gouvernement central chinois, en montant des manifestations répétées au centre même de la capitale.

Il est difficile au gouvernement central d’éviter toute responsabilité patente dans les atteintes à la liberté religieuse. En dépit des énormes pouvoirs et des larges responsabilités données aux officiels des provinces et des instances administratives inférieures à la province, dans l’application de la politique religieuse et de sa réglementation, il n’y a pas encore de cas connu où le gouvernement central exercerait une répression légale contre des fonctionnaires qui auraient violé la liberté religieuse. Cela signifie que le gouvernement central reste responsable de la volonté qu’il témoigne, à tout le moins, de ne pas mettre un terme aux atteintes à la liberté religieuse.

Les relations, déroutantes, existant entre le gouvernement central et les autorités locales ne sont pas simplement un sujet d’analyse intéressant. Elles ont aussi des conséquences importantes pour tous ceux qui cherchent à améliorer les conditions d’exercice de la liberté religieuse en Chine. Bien qu’il soit évident que des changements sont à apporter aux niveaux central et local du gouvernement pour améliorer l’exercice de cette liberté, le gouvernement central porte la responsabilité principale de ce qui se produit au niveau local ou au niveau national. Par conséquent, c’est à son niveau que les changements de comportement sont cruciaux. Toutefois, il ne faut pas oublier que l’emprise du gouvernement sur les provinces est sujet à caution, compte tenu de l’immensité de la Chine et de son régionalisme historique. De plus, la grande diversité des régions à l’intérieur de la Chine est un défi permanent pour ceux qui veulent apporter des réformes de l’intérieur ou de l’extérieur.

Les institutions, plus particulièrement les lois et les réglementations, sont telles que la situation de la liberté religieuse aurait déjà dû s’améliorer en Chine – mais la réalité quotidienne que connaissent les croyants dans toute la Chine indique que cette amélioration est tout sauf réelle. Il ne semble pas qu’il y ait de solution évidente au problème de l’influence des relations entre le gouvernement central et les autorités locales sur question de la liberté religieuse. Mais il est essentiel, si la liberté religieuse en Chine doit s’améliorer, que des mesures pratiques soient prises pour remédier à cette situation.