Eglises d'Asie

L’OCUMENISME ET SES LIMITES

Publié le 18/03/2010




Une présentation récente, imprimée à Shanghai, sur Les Eglises protestantes en Chine, commence ainsi : “Le christianisme arriva pour la première fois en Chine en l’an 635, avec l’Eglise nestorienne, mais survécut peu de temps. Au cours du XIXe siècle, le christianisme est de nouveau entré en Chine en provenance de l’Occident, mais, malheureusement, il était en partie lié au colonialisme.”

Pour se détacher de la vieille image de “religion étrangère”, les chrétiens protestants de Chine ont créé, en 1950, le Mouvement patriotique des trois autonomies (TSPM) et ont également constitué le Comité national de ce même mouvement.

On note une équivoque évidente dans l’usage des termes : tandis que, d’un côté, on souligne la spécificité des Eglises protestantes, appelées Jidoujiao (religion du Christ), de l’autre, les catholiques sont désignés comme Tianzhujiao (religion du Seigneur du Ciel) – une manière de monopoliser le terme “christianisme”, en excluant pratiquement les catholiques de l’histoire du christianisme de ce pays. Ainsi, le Brief Account of Christianity in China rappelle l’entreprise des moines venus de l’Assyrie sous la dynastie Tang, mais ne fait aucune allusion à l’ouvre des franciscains arrivés en Chine aux XIIe-XIVe siècles sous la dynastie mongole des Yuans, ni au travail accompli par Matteo Ricci et les missionnaires jésuites (puis franciscains et dominicains), à la fin de la dynastie Ming et sous la dynastie Qing. Cette présentation ne s’éloigne pas de la ligne habituelle de la propagande officielle, comme en témoigne le Livre blanc du gouvernement chinois sur la liberté religieuse (octobre 1997).

La brochure mentionnée continue ainsi : “Guidées par les principes de la triple autonomie, les Eglises chrétiennes sont entrées dans une période “post-dénominationelle”, dans laquelle les dénominations institutionnelles protestantes n’existent plus. En 1958, on a commencé à pratiquer le culte de façon unitaire : les chrétiens, qui viennent de traditions de foi et de pratiques religieuses différentes, honorent Dieu ensemble, dans un esprit de respect réciproque.”

Et, après une allusion à la Révolution culturelle, le texte ajoute : “En 1980, fut établi le Conseil chrétien de Chine (CCC) et, depuis lors, les organismes ecclésiaux nationaux sont le TSPM et le CCC, qui se complètent pour former ensemble le corps du Christ.”

On souligne ensuite les résultats obtenus dans les domaines suivants : “Reconstruction de la pensée théologique, travail pastoral dans les églises, formation théologique, formation du personnel, publications, travail social et relations internationales.”

De toute évidence, il s’agit ici de la partie du mouvement protestant qui se reconnaît pleinement dans les structures officielles imposées sur les Eglises depuis les années 1950, et dont le gouvernement se sert dans les rapports internationaux afin de promouvoir une image positive de sa politique religieuse. La première illustration de cette tendance fut la rencontre organisée à Montréal, en 1981, à laquelle prirent également part divers représentants de l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC). Cette rencontre s’intitulait : “Un nouveau départ”. La reconnaissance par l’Etat de ces deux organismes officiels leur a permis de développer de nombreux contacts et projets de collaboration avec les Eglises et des associations missionnaires protestantes du monde.

Des voix courageuses se sont pourtant élevées, en dehors de la structure ainsi homologuée, comme celle d’un ancien pasteur membre d’un des plus importants séminaires chinois, qui, il y a quelques années, a dénoncé, dans un sermon public, la persécution des décennies passées et la position actuelle du Mouvement des trois autonomies. “Si, dans le passé, c’était seulement l’instrument consentant par lequel les maoïstes pouvaient infiltrer et détruire l’Eglise, aujourd’hui, il trompe beaucoup de visiteurs étrangers, en se présentant comme l’acteur principal de la renaissance du christianisme en Chine, alors qu’en réalité, la communauté chrétienne n’a pu survivre qu’en disparaissant de la vie publique et en vivant dans la clandestinité.”

Encore aujourd’hui, les communautés clandestines protestantes et catholiques sont constamment dans le collimateur des forces de la Sécurité publique : arrestations de pasteurs et de fidèles, démolitions de lieux de culte non autorisés, apparaissent régulièrement à la rubrique des faits divers.

Un des personnages les plus significatifs (et aussi les plus controversés) de la version officielle du protestantisme chinois est Mgr Ding Guangxun, évêque anglican, aujourd’hui nonagénaire, plus connu à l’étranger sous le nom de K.H. Ting. Il a été formé et ordonné dans l’Eglise anglicane, et avait étudié en Occident avant la “libération”.

Mgr Ting a été, pendant plusieurs années, un des vice-présidents de l’Assemblée politique consultative du peuple à Pékin. Politique raffiné et leader charismatique, il a réussi à réorganiser le grand séminaire protestant de Nankin (Nanjing), en le reliant avec les activités de l’université locale. Je garde un souvenir positif de différentes rencontres avec lui, en particulier lors de l’échange constructif avec Mgr Alberto Ablondi, évêque émérite de Livourne et président de l’Union biblique catholique, que j’eus l’occasion d’accompagner lors d’une visite à sa résidence de Nankin. Plusieurs protestants en Chine l’ont jugé trop autoritaire et trop lié au gouvernement. Mais, en janvier 2005, dans un discours sur le lancement des travaux pour un nouveau campus du séminaire théologique unitaire de Nankin, le vieux K.H. Ting a surpris tout le monde, en abordant la délicate question de la traditionnelle interprétation léniniste de la religion comme “opium du peuple”. Il s’agit, a noté Ting, d’une interprétation à laquelle le Parti communiste chinois ne se réfère plus explicitement depuis des années. Mais, selon l’évêque, il faut l’approfondir car il s’agit d’une conception qui ne correspond plus à la réalité des faits mais qui continue, toutefois, à avoir des conséquences sur la politique religieuse actuelle du gouvernement.

Parmi les échanges majeurs avec l’étranger, il existe la Fondation Amitié (Amity Foundation) constituée il y a vingt-cinq ans avec l’aide d’amis appartenant essentiellement au monde anglo-saxon. Aujourd’hui, cette association est également engagée dans des projets de développement social. Dès les premières années, la Fondation Amitié obtint l’autorisation du gouvernement chinois et les fonds étrangers nécessaires pour l’établissement, à Nankin, de presses très bien outillées qui ont déjà imprimé 36 millions d’exemplaires de la Bible en différentes versions (vendues également à l’étranger) et 300 000 volumes de toutes sortes de livres de dévotion et de formation.

Depuis quelques années, le CCC est également représenté au Conseil ocuménique des Eglises (CEC), à Genève. Brief Account of Christianity in China rappelle que, de 2002 à 2004, le Département des relations avec l’étranger du CCC/TSPM a reçu quatre-vingt-dix délégations de chrétiens de divers pays du monde, et a envoyé à l’étranger quarante-deux groupes pour visiter des Eglises sours.

Cependant, le gouvernement maintient un contrôle strict sur ce type d’activités, comme cela est clairement apparu à l’occasion de la 50e Conférence ocuménique européenne pour la Chine, qui s’est tenue à Rome en septembre 2005. La conférence, qui a eu lieu à l’abbaye bénédictine de Saint Anselme, avait pour thème : “Diversité dans l’unité”. Le programme, mis sur pied par le groupe animateur européen, après d’amples consultations avec les parties chinoises, prévoyait même la présence de représentants officiels de la Chine, catholiques et protestants. Mais au dernier moment, leur participation a été annulée par les autorités chinoises.

Parmi les sujets débattus à la conférence de Rome, l’un des plus fréquemment abordés était celui du sens que revêt, chez les chrétiens de Chine, la notion de “diversité”, la possibilité réelle de dialogue ocuménique ou de dialogue avec les autres religions. De divers côtés, on a souligné l’impossibilité d’un vrai dialogue constructif dans un contexte social qui ne permet pas une pleine liberté d’ex-pression. “C’est comme la liberté de rapports que peuvent entretenir des oiseaux en cage”, a commenté une personne.

J’ai également eu écho du difficile équilibre qui caractérise les structures officielles du protestantisme chinois lors de mon voyage en Chine en octobre dernier, en échangeant avec un professeur d’une des plus grandes universités où il existe, depuis plusieurs années, un centre de recherches sur les religions et sur le christianisme. Il fit allusion à une polémique au sujet d’un livre publié récemment par le professeur Zhao Dun-hua, de l’Université de Pékin. Dans cet ouvrage, on exaltait, entre autres, le travail théologique accompli dans les années 1920-1930 par un pasteur appelé Wu Lei Chuan. Accusé par le TSPM d’avoir exalté un homme qui s’était toujours déclaré contre le communisme, le professeur Zhao fut suspendu. Il fit appel auprès du Front uni, structure du Parti communisme chinois qui supervise la politique religieuse officielle, et, après examen de son cas, le Front uni donna raison au professeur Zhao, contre les trop zélés membres du Mouvement des trois autonomies.

Il est probable que les communautés clandestines, les Eglises domestiques, constituent la majorité des protestants en Chine. Toutefois, la méfiance à l’égard des chiffres et des prévisions triomphalistes proposés par certains groupes d’origine évangélique est largement répandue, groupes qui trouvent d’ailleurs un appui enthousiaste auprès des cercles conservateurs américains (1).

Néammoins, les structures officielles du CCC/TSPM, tout comme les nombreuses et entreprenantes communautés qui refusent de se faire enregistrer auprès d’elles et sont donc considérées comme “clandestines”, ne se reconnaissent pas dans ces mouvements qui constituent l’extrême périphérie de cette galaxie de groupes incontrôlés. Ceux-ci, bien que se disant chrétiens, n’ont souvent plus rien de chrétien, tant au niveau doctrinal que méthodologique. Les forces de police ont pris quelques-uns de ces groupes pour cible, comme la Foudre de l’Orient, en les déclarant “cultes pervers”, et en les poursuivant durement, selon la loi approuvée contre le Falungong.

Le professeur (non chrétien) cité ci-dessus raconte que, dans la région de Wenzhou (province de Zhejiang), les communautés protestantes locales ont annoncé une augmentation fulgurante des conversions. Mais, selon une enquête récente, il résulterait que 30 à 40 % de ceux qui se disent chrétiens ne sont pas baptisés et que beaucoup ne savent même pas ce qu’est le baptême. Commentant la chose, un ami catholique (toujours en Chine) observait justement que beaucoup de ceux qui embrassent la foi chrétienne n’ont pas fait un choix spécifique pour devenir protestant : leur disponibilité rencontre cette forme d’église, alors qu’en réalité, ils veulent seulement suivre Jésus. La même personne ajoutait qu’elle est convaincue que ces communautés constituent une ressource précieuse pour l’unique Eglise, qui fait partie des plans de la Providence et pour laquelle Jésus a prié (2).

(1)Voir à ce sujet l’analyse de cette tendance faite par le P. Gianni Criveller (Mondo e Missione, juin-juillet 2005, pp. 73-75)

(2)Selon Brief Account of Christianity in China, données officielles des protestants, il y aurait 16 millions de fidèles, 55 000 églises et lieux de rencontre, 2 700 pasteurs et auxiliaires, 57 000 personnes engagées dans la pastorale et 18 séminaires ou écoles bibliques.