Eglises d'Asie

Quatre mois après l’incident de Sangla Hill, le chrétien au centre de l’affaire, accusé d’avoir profané un exemplaire du Coran, a été innocenté mais doit rester caché

Publié le 18/03/2010




Tandis que des manifestations continuaient d’agiter les grandes villes du pays, à la suite de la publication des caricatures de Mahomet en Europe et de la visite du président américain George W. Bush à Islamabad, le calme est revenu à Sangla Hill, cette localité du Pendjab où une foule de musulmans en colère a incendié trois lieux de culte chrétiens et divers biens appartenant à des chrétiens, le 12 novembre 2005 (1). Le chrétien qui est au cour de l’affaire, Yousaf Masih (2), a été innocenté par la justice et remis en liberté (3). Depuis, il doit toutefois rester caché, de peur des représailles que pourraient exercer contre lui des extrémistes refusant le verdict du tribunal. A des journalistes de l’agence Ucanews qui l’ont récemment rencontré, il a raconté ce qui lui est arrivé ces derniers mois (4).

Yousaf, âgé de 46 ans, a vu ses ennuis commencer le 11 novembre dernier, lorsqu’il a gagné aux cartes une somme d’argent à un de ses amis, un musulman du nom de Kalu Sunyara. Très peu de temps après, la rumeur courut qu’il avait brûlé des pages d’un exemplaire du Coran, une offense passible de la prison à vie selon les lois anti-blasphème en vigueur au Pakistan. Le lendemain, une foule, estimée à près de 3 000 personnes, des musulmans, avait investi le village de Sangla Hill, provoquant la destruction par incendie de trois églises, l’une catholique et les deux autres presbytériennes ; d’autres biens d’Eglises furent également détruits ainsi que des propriétés de chrétiens du village.

A cette date, Yousaf ayant pris la fuite, la police avait arrêté deux de ses frères et leur avait fait subir des mauvais traitements au poste. L’épouse et les enfants de Yousaf n’eurent d’autre choix que de fuir et trouvèrent refuge dans la grande cité méridionale de Karachi. Ce 12 novembre, les émeutiers ont mis le feu à sa maison, réduisant en cendres la dot que la famille avait patiemment réunie pour le mariage de la fille de Yousaf, à l’époque prévu pour être célébré peu après Noël 2005. “Il y avait deux jeux d’ustensiles, des habits, un tapis et une couverture raconte Yousaf, en précisant qu’il n’a pas revu ses proches depuis l’incident.

Finalement arrêté par la police, Yousaf témoigne du fait que, sans cette arrestation, il ne serait sans doute aujourd’hui pas en vie, lynché par des musulmans extrémistes. Il précise toutefois que les vingt premiers jours de sa détention ont été très pénibles. Les policiers chargés de l’interroger “m’avaient attaché les mains avec une corde et suspendu au plafond à l’aide de cette corde explique-t-il, en montrant un os saillant sous la peau de sa main gauche. A trois reprises, son dos a été fouetté à l’aide d’un “chi-tar une longue pièce de cuir taillée en forme de semelle. Tandis que les policiers le battaient, il lui était sans cesse demandé d’avouer si un prêtre ou un membre de l’assemblée législative de la province l’avait incité à brûler le Coran.

Dans la cellule, les autres détenus, eux aussi emprisonnés au titre des lois anti-blasphème, se montraient hostiles à son égard et l’ont tabassé. Plus tard, les conditions de détention se sont améliorées, mais la nourriture était des plus basiques, rapporte encore Yousaf.

A l’extérieur, Irfan Barkat, le conseil juridique de la Commission ‘Justice et paix’ de la Conférence des évêques catholiques, s’employait à démontrer que l’accusation de blasphème ne tenait pas debout. Le 5 janvier, ses efforts aboutirent et les deux communautés, chrétienne et musulmane, de Sangla Hill signèrent un accord de paix, s’accordant sur le fait que les poursuites judiciaires devaient être abandonnées. La teneur de l’accord parvint jusqu’à la prison et, l’innocence de Yousaf commençant à être reconnue, ses co-détenus ont changé d’attitude à son égard, l’appelant désormais “baba terme affectueux donné aux hommes plus âgés. “Nous avons lié amitié et échangions des cigarettes de cellule à cellule à l’aide de cordelettes fabriquées à partir de fils tirés de nos matelas raconte-t-il, ajoutant que lui et ses co-détenus s’étaient même cotisés pour se payer une aide qui leur apportait de la nourriture et faisait le ménage de leurs cellules.

Devant les tribunaux, le 12 février dernier, celui qui avait déposé une plainte contre lui a déclaré n’avoir jamais vu Yousaf brûler les pages d’un Coran et, six jours plus tard, le Tribunal anti-terroriste a prononcé la remise en liberté – sous caution – de Yousaf. Le 23 février, ce même tribunal l’acquittait et Yousaf était désormais totalement libre. Trois jours plus tôt, les juges avaient remis en liberté – sous caution – 65 des 85 musulmans arrêtés pour la destruction des trois lieux de culte chrétiens.

Aujourd’hui, Yousaf témoigne du fait que ces événements ont “renforcé [sa] foi en Jésus”. Il tient à remercier tous ceux qui l’ont aidé et soutenu, notamment l’archevêque de Lahore, Mgr Lawrence Saldanha, et Irfan Barkat, “qui est venu régulièrement me rendre visite, m’apportant des cigarettes”. Mais il continue à se cacher, camouflant son visage derrière un châle gris. “Je sais que je ne peux pas retourner à une vie normale dit-il, précisant que ses co-détenus musulmans lui ont, eux aussi, conseillé de ne pas revenir à Sangla Hill. “Tout ce que je souhaite, c’est trouver un lieu où je puisse vivre, gagner mon pain et vivre en paix avec mes enfants conclut-il, cachant ses jambes qui portent encore les cicatrices des mauvais traitements endurés et camouflant son inquiétude de l’avenir.

Selon la Commission épiscopale ‘Justice et paix’, 110 plaintes pour blasphème ont été enregistrées par la justice en 2005. Sur ce nombre, 66 mettaient en cause des musulmans, 28 des ahmadiyas (5), six des chrétiens et quatre des hindous ; pour les six dernières, la religion du ou des accusés est inconnue.