Eglises d'Asie

NOUVEAUX CARDINAUX : Mgr ZEN ZE-KIUN ETAIT LE SEUL CHOIX POSSIBLE

Publié le 18/03/2010




Peu avant midi, le 24 mars, l’Eglise catholique comptera un cardinal chinois de plus, le sixième de l’histoire, une fois que le pape Benoît XVI aura solennellement placé la “barrette”, la coiffe rouge de cardinal, sur la tête de Mgr Joseph Zen Ze-kiun, évêque de Hongkong.

C’est le 18 février 1946 que le pape Pie XII a créé le premier cardinal chinois. Il s’agissait de Thomas Tien Keng-hsin (1890-1967), membre de la Société du Verbe divin, nommé archevêque de Pékin moins de deux ans plus tard. Avec ce “grand consistoire” d’il y a soixante ans, Pie XII révolutionnait le collège des cardinaux. Il l’internationalisait en créant des cardinaux dans des pays où il n’y en avait jamais eu – et la Chine était du nombre. Le 28 avril 1969, le pape Paul VI créait le second cardinal chinois de l’histoire, en la personne de Paul Yu Pin (1901-1978), à l’époque archevêque de Nankin en exil. Le cardinal Yu est mort à Rome dix jours après le décès de Paul VI, et un mois avant celui de Jean-Paul Ier.

Durant ses vingt-six années de règne, Jean-Paul II a conféré la dignité de cardinal à trois évêques chinois. Lors de son premier consistoire, le 30 juin 1979, il annonçait qu’il avait créé un cardinal “in pectore”. Il fallut attendre le 29 mai 1991 pour que le pape lève le secret sur le cardinal créé par lui douze années auparavant : il s’agissait d’Ignace Kung Pin-mei (1901-2000), évêque de Shanghai. Emprisonné et placé en isolement durant trois décennies (1955-1985) pour sa foi, le cardinal Kung avait souffert et le pape polonais lui vouait une profonde admiration. Il tenait à le distinguer en plaçant sur sa tête la barrette, lors d’une cérémonie organisée au Vatican, le 28 juin 1991.

Avant cette date, Jean-Paul II avait conféré, le 28 juin 1988, la dignité de cardinal à John-Baptist Wu Cheng-chung (1925-2002), évêque de Hongkong. A la mort de ce dernier, le 23 septembre 2002, son évêque coadjuteur, Mgr Joseph Zen, devint le neuvième évêque de Hongkong. Le 18 janvier 1998 enfin, Jean-Paul II créait le cinquième cardinal chinois de l’histoire, en accordant la barrette à Paul Shan Kuo-hsi, évêque de Kaohsiung, à Taiwan. Agé de 82 ans, le cardinal jésuite a pris sa retraite du diocèse de Kaohsiung, le 5 janvier dernier.

Selon différentes sources, notamment vaticanes, lorsque Benoît XVI a envisagé de convoquer son premier consistoire, il était déterminé à créer un cardinal chinois, de façon à honorer le peuple chinois, et plus particulièrement l’Eglise catholique en Chine continentale ainsi que tous les catholiques chinois. Selon une source vaticane, le pape voulait également être certain qu’un cardinal chinois, en âgé d’être électeur, puisse participer au conclave qui sera amené à élire son successeur. Aucun électeur chinois ne siégeait au sein du conclave qui l’a élu pape. Le cardinal Shan avait déjà dépassé les 80 ans. En comparaison, les Eglises du Japon et d’Inde comptaient chacune deux électeurs.

Toujours selon des sources vaticanes, Benoît XVI, qui aura 79 ans le 16 avril prochain, avait trois options possibles : nommer un cardinal de Chine continentale, donner la barrette à un évêque taïwanais ou choisir l’évêque de Hongkong. Le pape était bien conscient du fait que, s’il créait un ou plusieurs cardinaux du continent pour ce consistoire de mars 2006, Pékin considérerait très certainement son geste comme une ingérence dans les affaires intérieures de la Chine. Tout aussi certainement, Pékin verrait là un obstacle au développement de relations harmonieuses entre le Saint-Siège et la Chine. Le pape, ainsi que ses plus proches conseillers, soucieux de développer de bonnes relations avec Pékin, souhaitaient éviter un tel malentendu.

De plus, il était impossible pour Benoît XVI de consulter le gouvernement chinois à propos de la nomination des cardinaux, et cela pour au moins deux raisons. Premièrement, choisir un cardinal en âge d’être électeur est un sujet fort délicat pour un souverain pontife dans la mesure où cela touche à la nomination de ceux qui seront amenés à voter au conclave pour choisir son successeur, et il faut se rappeler que chacun d’entre eux peut être appelé à devenir pape. Deuxièmement, le Saint-Siège n’a pas pour usage de consulter les gouvernements au sujet de la nomination des cardinaux. Ce siècle passé, aucun pape n’a jamais consulté ou négocié avec un gouvernement lorsqu’il s’est agi de choisir de nouveaux cardinaux. Tous ont nommé les cardinaux dans une totale indépendance des puissances temporelles, et Benoît XVI est fermement convaincu que c’est la bonne manière de faire.

La Chine et le Saint-Siège n’entretiennent pas de relations diplomatiques, pas plus d’ailleurs qu’ils n’ont de relations formelles. Les autorités chinoises ont expulsé le nonce et rompu les relations diplomatiques avec le Saint-Siège en 1951. Il y a bien eu des communications entre les deux côtés et le Saint-Siège attend avec impatience de pouvoir nouer de nouveaux liens avec Pékin, mais les autorités chinoises n’ont pas encore décidé d’ouvrir des négociations directes, en vue d’établir des relations officielles avec Rome.

Sachant cela, Benoît XVI a considéré que Pékin n’aurait certainement pas compris une décision de sa part consistant à nommer un cardinal du continent sans avoir, au préalable, pris la peine de consulter le gouvernement chinois. De plus, lors du synode d’octobre 2005, Pékin avait refusé de laisser sortir de Chine les quatre évêques chinois invités par le pape. De ce fait, pour les responsables du Vatican, il était quasi certain qu’au cas où le pape créerait un cardinal sur le continent, des tensions se feraient à nouveau sentir entre la Chine et le Saint-Siège, et les autorités chinoises auraient sûrement créer des difficultés considérables à cet éventuel cardinal chinois du continent. Il aurait été probable que la personnalité choisie fût empêchée de partir pour Rome afin de recevoir la barrette, et, plus tard, qu’elle ne pût se rendre au Vatican pour des rencontres, voire pour un futur conclave.

Par conséquent, le pape et ses conseillers, désireux de parvenir à un accord sur la question des relations diplomatiques, ou du moins de développer des relations amicales avec Pékin et d’éviter toute nouvelle friction, ont conclu qu’il n’était pas indiqué – pour l’heure – de nommer un cardinal du continent.

De la même façon, le choix d’un cardinal de Taiwan était exclu. L’île a un cardinal en la personne de Paul Shan, et, même s’il est à la retraite, Pékin aurait considéré que la nomination d’un second cardinal pour Taiwan constituait une provocation et pouvait être interprétée comme un acte non amical, étant donné l’état présent des relations sino-vaticanes. La décision du pape de ne pas nommer un second cardinal pour Taiwan peut être vue comme un signe concret de sa bonne volonté à l’égard de la Chine.

Ce n’est donc pas une surprise si Benoît XVI a conclu que la meilleure option était de nommer l’évêque de Hongkong, âgé de 74 ans. Il considère que Mgr Zen fait un candidat de valeur et il connaît son histoire et son parcours – de sa naissance à Shanghai le 13 janvier 1932, à ses études à Hongkong puis en Italie, en passant par son rôle au sein de l’ordre des salésiens, et l’enseignement de la philosophie et de la théologie à Hongkong ainsi que sur le continent chinois. Ancien professeur lui-même, le pape apprécie que Joseph Zen ait été le premier théologien du diocèse de Hongkong à être autorisé par Pékin à enseigner dans les séminaires “officiels” du continent six mois par an, de 1989 à 1996, date de sa nomination par Jean-Paul II comme évêque coadjuteur de Hongkong.

Benoît XVI sait aussi que l’évêque de Hongkong est apprécié et reconnu comme étant un homme bon et sage, un évêque dévoué et intelligent, ouvert et attentif aux problèmes pastoraux de son diocèse. Il est au courant du courage pastoral manifesté par celui qui est à la tête du plus grand diocèse chinois du monde, avec plus de 240 000 fidèles. Lors du Synode sur l’Eucharistie, en octobre dernier, le pape l’a écouté attentivement et il a apprécié son intervention sur la situation actuelle de l’Eglise catholique en Chine. Il l’a ensuite nommé membre du conseil post-synodal, ce qui implique pour Mgr Zen un certain nombre de voyages à Rome au cours des années à venir. Cette nomination a d’ailleurs immédiatement déclenché des supputations selon lesquelles la barrette allait rapidement suivre. La confirmation est arrivée le 22 février dernier, lorsque le pape a annoncé qu’il ferait, lors du consistoire du 24 mars, un cardinal de l’évêque de Hongkong. Le Saint-Siège, en un geste de courtoisie, avait apparemment informé les autorités chinoises quelques jours auparavant.

La transcription en caractères romains du nom de l’évêque de Hongkong est rendue avec un Z, conformément au dialecte en usage à Shanghai, et non avec un Ch comme dans Chan ou Chen. Mgr Zen se retrouve ainsi tout en bas de la liste alphabétique des nouveaux cardinaux. Son nom a toutefois fait la Une d’un certain nombre de médias internationaux, signe, selon les journalistes, que le nouveau cardinal est appelé à jouer un rôle grandissant quant à l’avenir des relations sino-vaticanes.