Eglises d'Asie – Chine
CONFRONTATION ET MANQUE DE DIALOGUE SONT LA CAUSE DES NOUVELLES TENSIONS ENTRE LA CHINE ET LE VATICAN
Publié le 18/03/2010
Il est bien difficile de suivre le carrousel des relations sino-vaticanes. Pendant les semaines de février-mars 2006, les médias nous ont donné des nouvelles riches d’espérance. Aujourd’hui, les deux parties sont de nouveau en conflit ouvert parce que deux jeunes évêques ont été ordonnés sans être nommés par le Saint Père : l’un, le 30 avril, à Kunming (province du Yunnan, sud de la Chine), l’autre, le 3 mai, dans l’Anhui. Le Vatican a réagi le 5 mai par une déclaration qui montrait une certaine compréhension pour les deux évêques nouvellement ordonnés, les deux consécrateurs principaux et les quelque dix autres consécrateurs, parce qu’ils avaient subi de fortes pressions de la part des autorités civiles. Mais le Saint-Siège faisait aussi allusion au canon 1382 du droit canonique, selon lequel tous ces évêques seraient automatiquement excommuniés. Les juristes pour leur part affirment que l’excommunication serait encourue seulement si le pape la promulguait. J’étais à Pékin et, avec mes amis chinois, nous nous demandions l’extension des dommages que ce nouveau conflit peut causer à l’Eglise.
Notre première question est : qui a provoqué le conflit ? Les médias à Hongkong, à Taiwan et aux Etats-Unis ont vigoureusement attaqué l’Association patriotique des catholiques chinois (APCC), et particulièrement son vice-président Anthony Liu Bainian. A juste titre ! Mais il nous semble évident à tous qu’Anthony Liu et même l’ensemble de l’APCC n’ont pas l’envergure pour provoquer à eux seuls un tel conflit en Chine. Des autorités supérieures se trouvent derrière ceci. Ces vingt dernières années, nous avons été témoins du fait qu’aussitôt que les autorités civiles le demandaient, l’APCC critiquait violemment le Saint-Siège. En conséquence, l’APCC en subissait tout le blâme, tandis que les autorités politiques, qui avaient donné les directives et avaient tout inspiré, tenaient un langage lénifiant et bienveillant. C’est ce qui se passe aussi dans le cas de Kunming. La vraie question est : qu’est-ce qui a poussé les autorités chinoises à provoquer ce conflit ? Pourquoi compromettent-ils une fois de plus la normalisation des relations sino-vaticanes que la République populaire de Chine souhaite ardemment ? L’examen des événements récents peut apporter une réponse à cette question.
Une évolution positive était discrètement en cours depuis cinq années
Nombre d’évêques chinois avancés en âge sont morts ces dernières années. Il s’ensuit que 42 diocèses de l’Eglise de Chine n’ont pas d’évêque, ce qui pose des problèmes d’or-dre pastoral. Depuis plus de cinq ans, les autorités politi-ques chinoises ont toléré que les prêtres catholiques – le plus souvent aussi avec la participation de religieuses et de laïcs – élisent le nouveau candidat évêque et proposent son nom à Rome en vue de sa nomination par le pape. Il en a été ainsi au cours des cinq dernières années dans les diocèses de Xianxian et Jingxian (province du Hebei), de Nanning (Guangxi), de Bameng (Mongolie intérieure), de Xi’an (Shaanxi), Wanzhou (Sichuan), Shanghai, Suzhou et tout récemment, le 7 mai, à Shenyang (Liaoning). Dans tous ces diocèses, des évêques ont été ordonnés avec l’approbation à la fois de Rome et de la Chine. Le Saint-Siège se réjouissait de cette évolution positive. Même s’il y avait encore des plaintes à propos de trop nombreuses interférences du gouvernement, Rome sentait que les candidats pouvaient être approuvés. Une certaine ouverture et de la bonne volonté allaient apparemment en grandissant des deux côtés. Il est arrivé que les autorités politiques chinoises disent explicitement aux prêtres du lieu : “Nous savons que vous devez soumettre votre proposition à Rome. Faites votre job. Nous faisons le nôtre.”
En fait, il n’a jamais été admis officiellement ou publique-ment – pas même pour les ordinations à Shanghai ou à Xi’an – que la République populaire de Chine acceptait le principe de la nomination des évêques par le pape. Mais les autorités fermaient les yeux quand les noms des candidats évêques étaient envoyés à Rome pour approbation. Localement, la situation était variable et les autorités locales coopéraient plus ou moins à ce processus. Le 6 janvier 2004, à Jingxian (Hebei), les prêtres et les autorités locales ont discuté avec acharnement toute une nuit pour savoir si oui ou non le document de nomination par le pape serait lu publiquement pendant l’ordination de l’évêque. Ils se sont finalement mis d’accord sur la proclamation des nominations à la fois par le pape et par le gouvernement. L’essentiel est que, depuis plusieurs années, malgré quelques luttes, une discrète évolution dans le sens de l’amélioration était en cours à propos de ce point crucial pour l’Eglise catholique de Chine : la nomination des évêques par le pape. Pourquoi les ordinations prévues à Kunming et dans l’Anhui, censées se dérouler paisiblement, ont-elles soudain une fois de plus tourné en conflit ?
En mars 2006, le pape Benoît XVI a nommé cardinal l’évêque de Hongkong. L’ensemble de la communauté catholique chinoise – à Hongkong et à Taiwan mais aussi en République populaire – a accueilli cette nomination avec joie. Mais les autorités chinoises ont été heurtées parce que Mgr Zen a la réputation d’être un critique sans concession des communistes. Ceux qui espéraient que sa nomination au cardinalat aurait incité Mgr Zen à adopter un ton plus modéré se sont trompés. Presque tous les jours, les médias ont publié les franches et acerbes remarques du nouveau cardinal sur ce qu’il conseillerait au pape de décider à propos de la Chine. Le sommet a été atteint dans un conflit ouvert et acéré, largement diffusé, entre le cardinal et Anthony Liu, de l’APCC. Les autorités chinoises ont gardé le silence, mais tout le monde devinait que leur réponse viendrait bientôt. Et il en fut ainsi.
Pendant ce temps, les évêques en Chine s’inquiétaient du fait que les noms de plusieurs de leurs candidats-évêques avaient été envoyés à Rome et attendaient l’approbation de leur nomination par le pape. Il y avait parmi eux le P. Ma Yinglin (Kunming) et le P. Liu Xinhong (Anhui). On savait qu’ils avaient tous deux été élus comme candidats avec une large majorité et que les résultats avaient été envoyés à Rome depuis des mois. On dit que plusieurs autres évêques et prêtres avaient envoyé à Rome leurs recommandations favorables aux candidats. Mais il fallut plus de temps que prévu pour que la réponse positive tant attendue arrive de Rome. A cause de cela, les autorités ont été obligées de repousser l’ordination qui avait été programmée pour le mois de février. Ce qu’ils firent. Mais, en mars, après que Mgr Zen soit devenu cardinal, la rumeur circulait déjà que les autorités chinoises locales et nationales allaient refuser de différer l’ordination une fois de plus. De nouvelles dates ont été fixées pour les deux ordinations, le 30 avril pour Kunming et le 3 mai pour Anhui. Cette fois, disait-on, les autorités iraient de l’avant pour les ordinations, avec ou sans l’accord du Saint-Siège. Rome était au courant de cela mais espérait que cela ne se produirait pas.
L’humiliation à Kunming
Les autorités chinoises ont commencé à exercer des pressions sur des évêques pour qu’ils président et d’autres pour qu’ils concélèbrent les ordinations. Au moins un évêque a refusé de participer à l’ordination tant qu’il n’y avait pas de nomination par le pape. D’autres se sont entendu dire que la demande d’ordination des deux jeunes évêques avait été depuis longtemps envoyée à Rome pour approbation par le pape et que celui-ci “avait tacitement approuvé l’ordination”. Ceci n’était évidemment pas exact, mais c’est cela qu’un des évêques a affirmé la veille du jour de l’ordination à Kunming. Ce même jour, des évêques et des prêtres chinois qui étaient déjà arrivés à Kunming ont reçu des emails et des appels par téléphone mobile de Hongkong et d’ailleurs les informant que le pape avait explicitement demandé de repousser à nouveau l’ordination et que si celle-ci avait lieu, des sanctions sévères seraient appliquées. On espérait qu’ils refuseraient de participer. Après ces communications de dernière minute, certains se demandaient s’il y aurait même un seul évêque qui apparaîtrait pour procéder à l’ordination.
Mais, à la surprise et à la grande déception de beaucoup, y compris Rome, l’ordination à Kunming se déroula comme programmé. Et pour comble, l’évêque consécrateur principal était précisément le vieil évêque malade de 88 ans, Dong Guangqing (Wuhan), qui, déjà en 1958, avait été le premier à être ordonné illicitement évêque et excommunié. En 1984, il avait finalement été reconnu par le pape et il est depuis lors hautement apprécié à Rome. Neuf autres évêques ont concélébré avec lui ignorant les sévères avertissements de Rome. Le jeune évêque Fang Jianping, auxiliaire de Tangshan, était parmi eux. Il était l’un des cinq évêques ordonnés le jour de l’Epiphanie 2000 sans l’assentiment de Rome. Plus tard, il a demandé sa légitimation et il l’a obtenue. A Kunming, il a répété la même erreur. Les commentaires venant des officiels chinois ainsi qu’aux journaux télévisés du jour avaient un ton sarcastique. Ils disaient : “L’évêque Ma a été ordonné évêque de Kunming. Le pape ne l’avait pas encore nommé, mais nous espérons qu’il le fera bientôt. Il nous faut des évêques pour notre travail d’évangélisation et nous sommes convaincus que Rome n’en disconviendra pas. Par ailleurs, la Chine souhaite améliorer ses relations avec le Vatican.” Cela revenait à dire : “Peu importe que le pape fasse ou non la nomination. La Chine a déjà ordonné Mgr Ma et nous souhaitons aussi être bons amis avec le Saint-Siège.” On pourrait difficilement être plus sarcastique. Jamais le Saint-Siège n’a été à ce point humilié. La République populaire de Chine a répondu à Rome, en disant : “Nous vous montrerons qui est le patron ici. Peu importe comment, ce que nous voulons, c’est une Eglise catholique chinoise indépendante.” Trois jours après, le 3 mai, le P. Liu Xinhong était ordonné évêque pour l’Anhui. Sa nomination par le pape n’était pas non plus encore arrivée. La confrontation entre Pékin et le Vatican était complète. Situé au milieu de tout ceci à Pékin, je me demandais : est-ce vraiment cela que nous voulons ? Est-ce que cette confrontation servira la cause de la Chine ? Et la cause de l’Eglise de Chine ?
Suivons le pape Jean-Paul II sur le chemin du dialogue
Une fois de plus, nous nous retrouvons à la case départ. Ni la Chine ni Rome n’atteindront leur but par un affrontement mutuel. Au moins cela devrait apparaître clairement après les ordinations de l’Epiphanie en 2000, après la canonisation des martyrs de l’Eglise de Chine et après cet événement de Kunming. La Chine ne peut pas continuer de prétendre que la liberté de religion existe et en même temps dénier à l’Eglise catholique le droit d’avoir des relations normales avec le pape et avec l’Eglise universelle. Les catholiques chinois n’accepteront jamais une Eglise indépendante de Rome. Les catholiques chinois ne donnent pas seulement aux autres Chinois l’exemple de leur amour pour leur patrie, mais ils sont aussi des modèles de fidélité au pape. Mais, d’autre part, nous nous rappelons aussi clairement l’exemple du pape Jean-Paul II qui, quoi qu’il arrive, demeurait fidèle à son attitude de dialogue avec la Chine. En dépit de toutes les déceptions qu’il a rencontrées, il choisissait la voie du dialogue plutôt que celle de la confrontation. N’a-t-il pas appelé les Eglises de Taiwan et de Hongkong à être des Eglises-ponts ? N’est-ce pas le moment de se souvenir de ces paroles du pape plutôt que de s’engager dans la confrontation et le conflit ? Des catholiques chinois aux Etats-Unis ont répandu l’opinion que dialoguer, c’est faire preuve de faiblesse. Le pape Jean-Paul II a montré que le contraire est vrai et que le dialogue est la voie que nous devons suivre. Ce n’est pas en poussant à la confrontation que l’on peut construire des ponts et résoudre des problèmes. L’incident de Kunming invite à la fois la République populaire et l’Eglise catholique universelle à marcher de nouveau dans la voie du dialogue.
La leçon de Kunming
Les pionniers qui nous précèdent sur la voie du dialogue sont les évêques “clandestins” Zhao Zhendong (Xuanhua) et Jia Zhiguo (Zhengding). Il y a longtemps, ils étaient dans une attitude de confrontation avec le gouvernement, mais ils sont passés de la confrontation au dialogue. Ils ont exprimé leur désir de devenir “officiels” et ont décidé d’accepter quelques prêtres “officiels” dans leur diocèse. Mais ils sont maintenant sévèrement critiqués pour cela par certains de leurs propres prêtres, parce que, dans l’esprit du pape Jean-Paul II, ils sont prêts à dialoguer avec les communistes pour trouver une solution pour leur Eglise. Peu semble réaliser que, par ce dialogue, ils mettent les communistes au défi de prouver qu’ils ne sont plus les communistes des années 1950. Ces deux évêques sont prêts à coopérer avec le gouvernement communiste chinois, mais ils refusent d’établir une Eglise chinoise indépendante. A cause de cela, les autorités chinoises les ont mis aux arrêts à domicile pendant des mois. Ils sont maintenus en résidence surveillée. Par leur attitude, ils ont montré qu’ils sont eux-mêmes ouverts au dialogue et à la coopération, mais les communistes ont manqué de prouver qu’ils étaient prêts aujourd’hui à donner à l’Eglise catholique une vraie liberté de religion. L’attitude de ces deux évêques concernant le dialogue est une invitation à réfléchir adressée aux communistes. Telle est la force du dialogue proposé par ces deux évêques. Tout comme le pape Jean-Paul II, ces pionniers du dialogue parlent un langage fort. Le dialogue donne plus de fruits que la confrontation. Mais la confrontation peut provoquer plus de destruction en un seul jour que le dialogue ne peut construire en beaucoup d’années. Telle est la leçon que nous pouvons apprendre de ce qui s’est passé à Kunming.