Eglises d'Asie

LA NORMALISATION DE JURE ET DE FACTO : L’ETAT DES RELATIONS ENTRE LA CHINE ET LE VATICAN

Publié le 18/03/2010




Les relations entre la Chine et le Vatican, ou bien plutôt les négociations entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine, se sont ranimées ces derniers mois, notamment après la maladie et la mort du pape Jean-Paul II et après l’élection de Benoît XVI, chose que le président Bush a rapidement évoquée, lors de sa visite en Chine, en novembre 2005 (1).

Première partie

Nous sommes habitués à considérer la question des relations sino-vaticanes sous son aspect purement formel, c’est-à-dire en la rattachant aux problèmes diplomatiques, mais la question mérite d’être plutôt considérée à travers sa dimension politique, compte tenu de la nature spécifique des partenaires, et avant tout du Saint-Siège (voir sur ce point le détail du discours tenu à Taiwan par le cardinal Jean-Louis Tauran). Nous n’entendons pas parler de la reconnaissance des relations, mais de leur normalisation, car le Saint-Siège entretient déjà des relations diplomatiques avec la Chine, la nonciature apostolique en Chine se trouvant à Taipei (Taiwan), étant donné que l’internonce en poste en République populaire de Chine a été expulsé en 1951. Cette nonciature n’est pas dotée d’un nonce apostolique (traditionnellement archevêque), mais uniquement d’un prélat ayant le rang de chargé d’affaires, signe clair montrant bien qu’il s’agit d’une solution temporaire. Pour des raisons pratiques, le Saint-Siège a un bureau non officiel à Hongkong, où un autre représentant s’occupe des questions relatives à l’Eglise catholique en République populaire de Chine.

S’agissant des relations entre le Saint-Siège et la Chine, il apparaît nécessaire de faire la distinction entre : a.) les relations diplomatiques existant actuellement entre le Saint-Siège et le gouvernement de la République de Chine à Taipei (la République de Chine a un ambassadeur auprès du Saint-Siège, qui est, entre autres, le seul ambassadeur de la République de Chine en Europe) ; b.) les relations diplomatiques qui n’existent pas encore entre le Saint-Siège et le gouvernement de la République populaire de Chine à Pékin ; c.) les relations du Saint-Siège avec l’Eglise catholique de Taiwan et celle de la République populaire, et cela signifie tout particulièrement l’organisation hiérarchique catholique de ces pays.

La question de la normalisation est un problème complexe. Pour ordonner correctement les nombreuses initiatives qui ont eu lieu ces derniers temps et qui se poursuivent, je souhaiterais distinguer la normalisation de facto et la normalisation de jure. Le côté formel et diplomatique de la normalisation des relations entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine est une chose, une normalisation des relations du Saint-Siège avec l’Eglise catholique en République populaire de Chine en est une autre. Cela signifie que les trois aspects de la normalisation exposés ci-dessus, dépendent les uns des autres, si tant est que le troisième aspect (c) est indépendant des résultats qui seraient obtenus, ou qui se seraient développés, dans les domaines des deux autres aspects (a) et (b). Ce troisième aspect, qui est en quelque sorte une possible normalisation de facto, se trouve partiellement réalisé – encore qu’esquissé. Dans ce contexte, je maintiens que la “percée” si attendue depuis des années dans les relations entre le Saint-Siège et la Chine s’est déjà produite, notamment pendant la maladie et au moment de la mort de Jean-Paul II et de l’élection de Benoît XVI. Toutefois, les nombreux facteurs qui ont accompagné cette percée n’ont pas toujours été vus ni estimés à leur juste valeur.

La normalisation diplomatique (de jure) n’est apparemment pas encore atteinte, mais elle ne semble pas très éloignée. On parle par exemple des Jeux olympiques de 2008 (c’est ce que fait l’ambassadeur de Chine populaire en Italie, Dong Jinyi). La normalisation de facto, qui relève en fait de la diplomatie pour son instauration, connaît par contre plus de succès, même si elle est encore loin d’être complète. Ce que l’on peut dire, c’est qu’elle se trouve en constant devenir. Il y a des moments heureux, des “passages” qui permettent de parler d’une normalisation de facto. Ils accompagnent les efforts pour arriver à la normalisation diplomatique des relations aussi bien avec Pékin qu’avec Taipei (ces dernières devront encore être normalisées en cas de transfert de la nonciature à Pékin !). Ils doivent être mentionnés comme des preuves ponctuelles et ils sont tou-jours à mettre en perspective avec les situations antérieures. Ainsi, des choses qui, il y a encore quelques années, auraient été impensables sont désormais bien réelles : Les réactions chinoises à la maladie et à la mort de Jean-Paul II, ainsi qu’à l’élection du nouveau pape ont été déjà détaillées dans cette publication. Mais ce qu’il faut de nouveau souligner dans le contexte des relations entre la Chine et le Vatican, c’est le fait que la percée sur la normalisation de facto des relations entre l’Eglise catholique et la République populaire de Chine se produisit lors de ces évènements. En particulier, c’était la première fois dans l’histoire de la République populaire, que le gouvernement et l’Association patriotique s’adressaient directement au Saint-Siège pour transmettre au pape leurs voux de rétablissement, puis leurs condoléances et leurs voux de succès. Et l'”émergence d’une catholicité”, qui, dans la plupart des cas, a été admise par les autorités chinoises et a accompagné le deuil du pape Jean-Paul II en Chine, a été une réelle percée de la reconnaissance de l’Eglise catholique et de la papauté en tant que partie intégrante de la croyance catholique en Chine.

Dans le domaine de la normalisation de facto, il apparaît nécessaire d’aborder la nomination des évêques des dernières années, et plus particulièrement de cette année. Elle englobait, en effet, tout ce qui était annoncé publiquement – et ceci avec l’autorisation du Saint-Siège -et aussi celle de l’Etat chinois, c’est-à-dire que les évêques avaient été choisis selon les règles établies par l’Association patriotique et qu’ils étaient enregistrés selon les prescriptions en vigueur pour les religions. Même lorsqu’il n’existait pas d’accord entre le Saint-Siège et l’Etat chinois sur une nomination, donc pas de “nomination commune et que seule se rencontrait une compréhension unilatérale silencieuse, cette avancée ressemblait déjà à une normalisation. L’acceptation silencieuse d’une nomination papale par les autorités chinoises (y compris le Bureau des Affaires religieuses et l’Association patriotique) – qui a déjà eu lieu pour quelques cas – signifie aussi qu’on ne considère plus une nomination par Rome comme une “ingérence dans les affaires intérieures ce qui naturellement est une avancée favorable en vue d’une normalisation de jure à venir.

En lien avec la nomination des évêques, il se trouve parfois que les autorités chinoises s’expliquent sur la position de la République populaire de Chine vis-à-vis de la normalisation. Ainsi, Guo Wei, du Bureau des Affaires religieuses, a expliqué, à la suite de la nomination d’un évêque à Shanghai, que la Chine souhaitait la normalisation des relations, mais à la condition que le Vatican rompe ses relations avec Taiwan et reconnaisse la République populaire de Chine – le seul Etat légitime chinois -comme étant la Chine entière. De plus, le Vatican ne devait pas s’immiscer dans les “affaires intérieures Ce que devait signifier cette demande, compte tenu de l’acceptation tacite de la nomination des évêques, n’a pas été précisé. Sur ce, Guo Wei renonça à ses fonctions de vice-président de l’Association patriotique et fut remplacé par Liu Bainian, qui souhaitait continuer à choisir et à nommer les évêques “de la même façon” et selon les règles établies en Chine. Du côté de l’Association patriotique et de Liu, on se déclarait heureux que le Saint-Siège ait enfin accepté le choix et la nomination des évêques chinois.

Parallèlement, un autre geste est à analyser, qui peut de la même manière aider à la normalisation des relations, à savoir la reconnaissance et l’enregistrement par l’Etat d’au moins trois évêques de l’Eglise “clandestine”, qui peuvent ouvrer ouvertement, et ce, sans avoir à adhérer à l’Association patriotique, mais simplement en étant inscrits au Bureau des Affaires religieuses.

Il y a encore de nombreux autres signes qui montrent que la normalisation religieuse devient un fait acquis, comme par exemple :

– que la photo du pape, sa présence spirituelle ou d’autres documents religieux, ne soient plus absents de la vie de l’Eglise catholique de Chine ;

– que les instructions du pape soient suivies ouvertement et solennellement (avec des processions dans les rues) et que l’année eucharistique ait pu être instituée :

– qu’il apparaît évident que les prêtres, les séminaristes et les religieuses puissent se rendre à Rome en pèlerinage et que les jeunes catholiques chinois puissent participer aux Journées mondiales de la jeunesse ;

– que des évêques chinois officiels et non officiels aient été invités par le pape au Synode des évêques (voir ci dessous) et que, sur ces entrefaites, on parle “d’archevêques” chinois comme allant de soi (par exemple Li Duan, de Xi’an) ;

– que des évêques étrangers puissent rendre visite à l’Eglise de Chine, célébrer officiellement la sainte messe et être reçus comme des représentants officiels d’Etat, ainsi, cette année, les cardinaux Godfried Danneels de Bruxelles, Théodore E. McCarrick de Washington, et Roger M. Mahony de Los Angeles.

Il y aurait encore beaucoup d’autres signes à ajouter, mais il apparaît déjà clairement que l’Etat chinois et le Saint-Siège ont, ces derniers temps, trouvé un comportement pratique, qui, pour chacun, semble acceptable. Que l’on se reporte à la situation qui existait il y a seulement dix ou vingt ans et l’on se rendra compte des progrès accomplis, on constatera une normalisation de facto.

Deuxième partie

Dans le courant de l’année 2005, il y a également eu différents signes montrant une sorte de relance du dialogue et de la volonté d’entreprendre une normalisation de jure.

Dès le début du pontificat de Benoît XVI, la curie romaine a reconnu la nouveauté de la situation de l’Eglise catholi-que en Chine, et a pris de bonnes dispositions. Le Vatican a envoyé un certain nombre de signes à la Chine, et il en est parvenu d’autres en provenance de la République popu-laire. On peut donc observer de nouveaux indices apparus ces derniers mois, autant d’éléments qui doivent être pris en compte dans la construction de la normalisation de jure.

a.) Du côté chinois, il y a eu de nombreuses déclarations sur les relations avec le Vatican, et en particulier de nombreuses redites des deux préalables connus, quoique avec certaines nuances. Le directeur délégué du Département des Affaires européennes au ministère chinois des Affaires étrangères, Liu Haixing, a emmené, en juillet 2005, une délégation à Rome ; il a expliqué, par exemple, que la Chine souhaitait “changer” ses relations vis-à-vis du Saint-Siège et attendait que le Vatican fasse preuve d’une attitude favorable. La visite avait en fait pour objet les relations avec l’Etat italien, mais la délégation visita aussi la chapelle Sixtine au Vatican. Ce fut une visite exceptionnelle, qui relève plus de la pure tradition des visites chinoises à Rome, mais représente aussi un pas dans la voie de la normalisation, une “diplomatie de l’amitié et de la visite de musées menée par l’archevêque Mgr Claudio Maria Celli, qui a toujours joué un rôle important dans ces affaires (voir ci-dessous). Dans le cadre de cette visite en Italie, des déclarations ont été faites concernant les relations entre la Chine et le Vatican. L’ambassadeur chinois en Italie, Dong Jinyi, s’est exprimé ainsi : le gouvernement central chinois “souhaite vivement” la normalisation des relations diplomatiques avec le Vatican, et il a renouvelé les deux préalables concernant Taiwan et la non-ingérence. Et Liu comme Dong ont loué les efforts réalisés en faveur de la normalisation par Jean-Paul II et Benoît XVI. “Nous espérons que sous ce pontificat de nouvelles propositions seront faites de nature à changer la situation actuelle.” On souhaite vouloir ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire. Ils confirment ainsi qu’à l’avenir, les autorités chinoises puissent entretenir des “contacts” avec le Saint-Siège, et qu’à travers ces contacts et que grâce aux efforts conjoints des deux parties, il sera possible d’avancer. La nature de ces contacts n’a pourtant pas été spécifiée. Dans les milieux autorisés du Vatican, on a fait savoir qu’il n’y avait pas de face à face et que la République populaire avait, jusque là, refusé des négociations directes.

b.) Du côté de l’Eglise, il y a eu des éléments, qui, sans doute, représentent une contribution à la normalisation des relations entre la Chine et le Vatican : les déclarations de Mgr Lajolo, après son voyage en Asie, le discours de Mgr Celli durant la remise du Prix Freinademetz, le Synode des évêques à Rome, les déclarations du cardinal Sodano et la visite du cardinal Tauran à Taiwan. Ces différents éléments ponctuels doivent être mis en perspective pour donner une image complète des relations entre la Chine et le Vatican.

2.1) Le ministre des Affaires étrangères du Vatican, Mgr Giovanni Lajolo, s’est exprimé avec beaucoup d’assurance, après son voyage en Asie sur les possibilités de normalisation des relations sino-vaticanes. Il n’y aurait pas, selon lui, de problèmes insurmontables, même si la prudence et une information complète des conditions sont nécessaires. La condition de base demeure la liberté religieuse. “Je suis persuadé qu’avec de la bonne volonté de part et d’autre, et un esprit de relations amicales… nous pourrions arriver à des résultats positifs.”

Mgr Lajolo a souligné qu’il serait évident que le Saint-Siège reconnaîtrait de facto la République populaire comme un Etat souverain. Comment pourrait-on, comme l’a dit l’archevêque, ignorer la réalité d’1,3 milliards d’hommes, avec leur culture et leur influence dans le monde, comment pourrait-on parler de l’Asie sans la Chine ! La reconnaissance de la réalité d’un pays et de son gouvernement est autre chose que les relations diplomatiques formelles, a ajouté Mgr Lajolo, qui fut autrefois nonce apostolique en Allemagne et qui, en cette qualité, s’est beaucoup intéressé à la Chine.

En conclusion à cette déclaration, le Vatican a expliqué, le 23 juin 2005, qu’il existait certaines conditions préalables minimales, comme la nomination des évêques, la liberté pour les catholiques chinois de pouvoir avoir des contacts et des entretiens directs avec le Saint-Siège, sans ingérence du gouvernement, c’est-à-dire sans contrôle.

Le quotidien semi officiel en langue anglaise Beijing Review (17 juillet 2005, p.48) a qualifié les déclarations de Mgr Lajolo “de signe le plus positif qui ait existé depuis les dix dernières années en ajoutant que la normalisation des relations n’était qu’une “question de temps L’auteur de l’article, Li Haibo, supposait aussi que les autorités de l’Eglise catholique aient, dans ce domaine, une idée, sinon un calendrier. Il se montrait toutefois critique quant aux moyens du dialogue et de la coopération qui pourraient être mis sur pied en toute confiance et qui, jusqu’à présent, étaient restés squelettiques. Dans l’optique de l’histoire des missions, il conseillait donc à l’Eglise d’entreprendre des essais de rapprochement vers la Chine, qui soient plus culturels et plus pragmatiques, comme Matteo Ricci (1552-1610) ou John Adam Schall von Bell (1592-1666) et qui se sont montrés plus productifs que toute autre chose. “Le Vatican devrait comprendre le genre de rôle qu’il doit et peut jouer en ce domaine avant de faire le prochain pas.”

2.2) Un élément important sur la route qui mène à la normalisation des relations entre le Saint-Siège et Pékin a été, sans aucun doute, les déclarations – très analysées – de Mgr Claudio Celli, lors de la remise du Prix Freinademetz à Rome, le 20 septembre 2005.

Mgr Celli, qui a été directeur du Bureau chinois au Vatican, faisait le constat de la préparation du Saint-Siège “dès ce soir à mener un dialogue constructif avec nos partenaires chinois pour arriver à une normalisation des relations En tout état de cause, l’assurance qu’il donnait sur la disponibilité et l’ouverture du dialogue était importante, d’autant plus qu’il devait être mené pour le bien de l’Eglise et non pas pour l’établissement purement formel (en fait de jure) de relations diplomatiques.

2.3) Dans le passé, le Synode des évêques a joué un rôle important, en tant qu’instrument de la politique sino vaticane. Il faut se souvenir du synode asiatique de 1998, lorsque Jean-Paul II a invité les évêques Matthias Duan Yinming et Joseph Xu Zhixuan, de Wanxian (Sichuan), et des discussions qui s’étaient alors engagées, sur les possibilités de relations entre la République populaire et le Vatican.

En septembre 2005, le pape Benoît XVI a invité quatre évêques chinois à participer au Synode des évêques sur l’Eucharistie, et il les a invités à prendre part à la 11e Assemblée générale ordinaire des évêques à Rome. Il s’agissait des évêques “officiels” : Li Du’an, de Xi’an ; Aloysius Jin Luxian, de Shanghai ; Lucas Li Jingfeng, de Fengxiang ; et un évêque de l’Eglise “clandestine”, Mgr Joseph Wei Jingyi, de Qiqihar. C’était un choix hautement significatif, qui donnait, en même temps, une idée de la direction d’une normalisation effective formelle des relations sino vaticanes (de plus, ces invitations étaient la confirmation la plus officielle que le Saint-Siège puisse donner de la reconnaissance par le pape de Mgr Jin Luxian !).

La réaction chinoise à ces invitations montre que ce choix a été bien compris dans l’Eglise de Chine et dans les milieux gouvernementaux ; toutefois, sa rapidité a entraîné certaines incompréhensions parmi les autorités et également dans l’Eglise. De façon surprenante, une différence apparaît dans le comportement des autorités et dans celui des milieux “officiels” de l’Eglise catholique, qui, encore une fois, ne restera pas sans signification dans les relations sino vaticanes. L’évêque de Hongkong, Mgr Joseph Zen Ze-kiun, avait sans doute raison en disant, peu après que les invitations eussent été connues, que le Saint-Siège était trop optimiste et qu’il s’agissait de la répétition de la faute commise en 1998. Il aurait dû être possible, pensait-il, de discuter de la question des invitations plus tôt et par les moyens adéquats. Cela aurait permis d’utiliser des moyens bilatéraux pour d’autres genres de communication. Le diocèse de Hongkong, qui n’était pas impliqué dans cette affaire, aurait alors pu jouer un rôle important. “Le Saint-Siège pourrait nous consulter à l’avenir, et nous pourrions alors l’aider a-t-il déclaré.

Les structures “officielles” de l’Eglise en République populaire exprimèrent leurs regrets pour l’invitation des quatre évêques. Une telle façon de procéder n’était pas une marque de respect à l’égard des cinq millions (sic) de catholiques chinois. Elle était en outre la négation du pouvoir de choix des structures “officielles”, c’est-à-dire de l’Association patriotique et du Conseil des évêques. Dans son intention, elle demeurait toutefois une reconnaissance de l’Eglise catholique de Chine et un grand geste en direction de la normalisation des relations ; toutefois, convaincue qu’il n’y avait qu’une Chine, l’Association patriotique était opposée à toute action, qui pourrait donner l’impression “qu’il y avait deux Chine” ou plutôt “une Chine et Taiwan De surcroît, quelques-uns des évêques invités étaient âgés et ne pouvaient participer physiquement au Synode. Enfin, le Bureau des Affaires religieuses et l’Association patriotique ne voulaient pas admettre l’existence de Joseph Wei Jingyi comme prêtre, ni comme évêque de Qiqihar. Cet évêque n’est pas connu de l’Association patriotique, affirmait Liu Bainian. Les organes “officiels” tenaient à ce que les invitations passent par la voie diplomatique, donc à travers le gouvernement chinois et par leur intermédiaire. Le Vatican est cependant resté ferme sur sa position quant à cette invitation. La conséquence en a été que les évêques n’ont pas pu prendre part au Synode. “Nous le regrettons et ne pouvons le comprendre… Nous espérons que le Saint-Siège, s’il souhaite véritablement améliorer les relations sino- vaticanes, agisse correctement et ne mette pas de nouveaux obstacles.” Telle fut l’explication officielle de l’Association patriotique qui fut rendue publique à la première page du China Daily, le 12 septembre 2005. En revanche, le directeur du Bureau national pour les Affaires religieuses, Ye Xiaowen, a qualifié cette désignation des évêques de geste amical du Vatican. L’invitation au Synode de l’évêque de Taiwan ne semblait pas poser un gros problème à Ye Xiaowen, qui souligna néanmoins que la Chine s’opposait à la politique de “deux Chine” ou “une Chine et un Taiwan.”

On sait que le gouvernement chinois avait été informé de l’invitation faite à ces quatre évêques, mais que l’Association patriotique ne l’avait pas été. C’était de nouveau un signe évident : le Saint-Siège mènerait à l’avenir ses discussions et ses négociations sur la normalisation des relations directement avec le gouvernement chinois et certainement avec les représentants de l’Eglise (aussi bien officielle que souterraine, comme l’avait montré les nominations pour le Synode), mais pas avec les représentants de l’Association patriotique. Il devait être devenu clair pour l’Association patriotique qu’elle ne serait pas le correspondant ni du gouvernement chinois, ni du Saint-Siège dans les discussions sino-vaticanes. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle Liu Bainian avait au dernier moment changé d’avis. Il expliquera plus tard qu’il était en effet satisfait de la désignation et de l’invitation des évêques chinois à Rome, et qu’elles traduisaient l’attention du pape pour la Chine et sa volonté de normaliser les relations.

Le pape Benoît XVI envoya “ses voux fraternels aux évêques de l’Eglise de Chine” lors de la messe qui clôtura le Synode, au nom à la fois du Synode et de l’Eglise catholique. L’absence de représentants chinois a été douloureusement ressentie – selon les paroles du pape. En même temps, le pape assurait les évêques, les prêtres et les croyants de Chine de son union dans la prière avec eux.

L’avant-dernier jour du Synode, une lettre en latin aux quatre évêques chinois a été rendue publique, dans laquelle les pères synodaux déploraient l’absence des représentants chinois. L’Eglise de Chine y était assurée de leur union dans la prière, en même temps qu’il lui était souhaité un développement harmonieux et une liaison solide avec l’Eglise universelle.

Durant le Synode, une lettre en latin de Mgr Lucas Li a été lue, dans laquelle il saluait les participants et exprimait l’espoir d’une normalisation rapide des relations entre le Saint-Siège et Pékin. Il a été dit que le pape Benoît XVI allait répondre personnellement à Mgr Li.

La lettre de Mgr Li a dû être remise, traduite en chinois, aux autorités à Pékin par le canal du Bureau pour les Affaires religieuses de la province de Shaanxi. Les mesures restrictives demeurent et Liu Bainian a expliqué à l’Association patriotique qu’il était “normal” qu’un évêque écrive au pape. Voici un exemple de normalisation de facto. Autrefois, une lettre de ce genre aurait été interprétée comme un “contact avec une puissance étrangère” et aurait certainement entraîné bien d’autres conséquences.

2.4) Depuis 1999, les déclarations annuelles répétées du cardinal Angelo Sodano sur les relations sino vaticanes entraînaient souvent des espoirs non fondés, mais elles n’en demeuraient pas moins un sérieux baromètre politique. C’est également cette année là, le 25 octobre, que le cardinal secrétaire d’Etat a redit, lors d’une conférence de presse à l’Université grégorienne, que des contacts existaient avec Pékin et qu’on était prêt “dès ce soir” à “transférer” à Pékin “la nonciature d’origine” (qui s’appelle toujours “la nonciature en Chine en supposant que le gouvernement de la République populaire de Chine garantisse la liberté religieuse. La liberté religieuse était le vrai problème de la normalisation et non pas la question de Taiwan, a-t-il souligné. Dans le même temps, il demandait à la Chine de traiter le Vatican comme n’importe quel autre pays et de ne pas lui imposer de conditions avant de conduire les pourparlers. Pékin n’avait encore jamais demandé à un pays de rompre avec Taiwan comme préalable à des négociations visant à l’établissement de relations – ainsi citait-il les Etats-Unis, la Corée du Sud et l’Afrique du Sud. De plus, le Vatican n’avait encore jamais rompu unilatéralement des relations avec un pays. Indépendamment des circonstances présentes, le cardinal Sodano ajoutait qu’on arriverait bien à mettre en place différentes sortes de passerelles.

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Kong Quan, réagit aux déclarations du cardinal Sodano, le 27 octobre, et renouvela les deux préalables bien connus, ainsi que le commentaire, non moins connu, que la Chine attendait des “faits” et non des “paroles”. En Chine, la liberté religieuse existe déjà, comme on peut s’en rendre compte à la lecture de la Constitution, ajouta-t-il, et de plus en plus de gens se tournent vers les religions, qui disposent de plus en plus de lieux de culte.

Dans ce genre d’échanges “ping-pong”, une telle déclaration montre au moins que la mise en place de la normalisation se fait. Il y a même des “paroles” qui, sans être prononcées, ont encore plus de sens. Ces paroles ont créé une certaine incertitude à Taiwan, le partenaire diplomatique actuel du Saint-Siège.

2.5) La prétendue question de Taiwan (cf. plus haut a.)) semble aujourd’hui avoir dans les relations sino-vaticanes une importance secondaire, mais en arrière plan, elle joue encore un certain rôle sur le plan politique et religieux. Le Saint-Siège a plusieurs fois expliqué, par différents moyens, qu’il était prêt à transférer immédiatement la représentation du Vatican à Pékin, et l’Eglise de Taiwan a renchéri à plusieurs reprises qu’elle était prête à accepter la décision du pape.

Même si les milieux catholiques à Taiwan ne se font pas de grands soucis sur l’avenir des relations entre le Saint-Siège et l’Eglise de Taiwan, et même si le Saint-Siège explique que Taiwan ne sera pas abandonné après un changement de ce genre, la sphère politique observe ces développements avec appréhension, car les Taiwanais ne veulent pas perdre leur unique partenaire politique en Europe, le Saint-Siège et le Vatican. C’est en ce sens que s’exprimait le ministère des Affaires étrangères de Taiwan le 9 novembre, en s’inquiétant de la nouvelle (parue dans The Times de Londres) selon laquelle, après les déclarations rédigées par le cardinal Sodano, un déménagement à Pékin serait probable dans les dix-huit mois. Wang Yuyuan, directeur des Affaires européennes au ministère des Affaires étrangères à Taipei, assurait toutefois les parlementaires taiwanais de ce que les relations avec le Vatican étaient présentement stables et que ce dernier s’était engagé à informer immédiatement le gouvernement de Taiwan de tout mouvement ou de tout changement.

2.6) Un point important dans l’état des relations entre la Chine et le Vatican a été la visite à Taiwan du cardinal Jean-Louis Tauran à la fin du mois de novembre et qui a produit une certaine indécision. Le cardinal Tauran fut reçu par le président Chen Shuibian et le ministre des Affaires étrangères. Il reçut l’ordre du Mérite taiwanais et le doctorat honoris causa de l’Université Providence (Taizhong). Le cardinal rendit visite aux autorités taiwanaises responsables des relations avec la Chine continentale (Mainland Affairs Council, MAC) et s’entretint avec son directeur, Joseph Wu Zhaoxie. Dans la conversation, on souligna l’importance des relations amicales entre la République populaire de Chine et Taiwan, sur quoi Wu demanda plus de compréhension de la part du Saint-Siège, du fait que la République populaire de Chine isolait politiquement et diplomatiquement Taiwan, tout en braquant davantage de missiles sur son territoire.

Avant cette visite importante, Il y avait déjà eu dès des spéculations sur une possible et proche “rupture” des relations avec Taiwan. Même si, au Vatican, toutes ces spéculations étaient démenties, cette visite fut particulièrement significative du point de vue des relations sino vaticanes, de Taiwan et de la Chine continentale, avant tout du fait de l’exposé que fit le cardinal Tauran, le 22 novembre 2005, à l’Institut Jean-Paul II de la Paix de l’Université catholique Furen de Taipei. Cet exposé, en présence de nombreux représentants de l’Eglise et du monde politique, s’intitulait : “Le Saint-Siège est-il une puissance politique ?”

Ce thème significatif, représentait probablement une certaine tentative d’explication des efforts du Saint-Siège en vue de la normalisation des relations avec la République populaire. Le cardinal Tauran, désormais responsable des archives et de la bibliothèque du Vatican, ancien “ministre des Affaires étrangères” du Vatican, n’excluait pas non plus de possibles relations diplomatiques entre le Saint-Siège et Pékin, si la Chine voulait bien garantir davantage de liberté religieuse. Cependant, le Saint-Siège n’abandonnerait certainement pas Taiwan. On trouverait des moyens pour sauvegarder les relations avec Taiwan – telles étaient les réponses données pendant l’exposé. Du reste, le Saint-Siège n’avait encore jamais rompu de lui-même les relations avec un pays. Le discours et les déclarations du cardinal étaient suffisamment clairs, et quelques commentateurs présumèrent que la visite du cardinal constituait les derniers préparatifs de la normalisation des relations avec Pékin.

Il semble que le cardinal Tauran ait abordé tous les thèmes importants qui jouent ou joueront un rôle dans les pourparlers avec la République populaire, à commencer par la conception du Saint-Siège en Chine souvent assimilé à l’Etat du Vatican – qui est assujetti au droit international. Le Saint-Siège souhaite être compris comme “autorité morale” et non comme une autorité politique. Pour la République populaire, l’accent mis sur les objectifs non politiques du travail du Saint-Siège est parfaitement accepté, notamment en ce qui concerne les objectifs religieux et éthiques, de même que leurs fondements : la personne humaine avec ses valeurs et ses droits inaliénables, la paix et la justice ainsi que le respect du droit international.

Ces déclarations s’adressaient aussi bien à Taiwan pour la préparation d’un éventuel déménagement de la nonciature à Pékin, qu’à la République populaire pour la préparation d’une possible normalisation des relations. “Le cardinal Tauran apporte un message du Saint-Siège” titrait le China Post de Taiwan, le 23 novembre 2005.

2.7) La poignée de main entre la Chine et le Vatican n’a pas attendu longtemps, “pas longtemps du tout” selon l’archevêque de Xi’an, Mgr Li Du’an, dans un entretien accordé au journal Il Sole – 24 Ore de Milan, le 13 novembre 2005. Mgr Li, qui faisait partie des évêques invités au Synode, constate qu’il est courant à Rome de considérer qu’il n’y a qu’une Eglise catholique en Chine. Les catholiques de l’Eglise “clandestine” ne sont pas persécutés ; on peut, en effet, faire beaucoup de choses en Chine, à condition que cela n’aille pas à l’encontre des lois chinoises. De la même façon, en Italie, on ne supporterait pas une organisation qui ignorerait la souveraineté de l’Etat et ne se comporterait pas selon les lois en vigueur, a ajouté Mgr Li. Sur les efforts diplomatiques entrepris, Mgr Li s’est exprimé pour dire qu’ils étaient très positifs et que le travail par les voies diplomatiques se déroulait, à son avis, de manière intensive. De plus, la prétendue question de Taiwan devrait être rapidement résolue.

Le président de la Conférence régionale des évêques de Taiwan, le cardinal Paul Shan, s’est également exprimé de façon positive sur les efforts faits jusqu’à présent, à propos de la normalisation des relations entre le Saint-Siège et Pékin. Des progrès ont été faits et quelques solutions pratiques ont été trouvées, notamment en ce qui concerne le choix des évêques. Le fait que les évêques soient reconnus des deux côtés est en effet la marque de certaines mesures de confiance qui ont pu être mises en place entre les deux parties. Il est cependant certain que le rétablissement des relations diplomatiques dépend de beaucoup d’autres facteurs et conditions.

La Chine prétend à un grand rôle dans le monde et, selon le cardinal Shan, il ne pourrait être qu’à son avantage, qu’elle noue des relations diplomatiques avec le Vatican, face aux 174 Etats du monde. La normalisation des relations apporterait certainement à la République populaire un surcroît de stature internationale. Cette opinion semble également prévaloir à Pékin, comme l’assure un chercheur de l’Académie chinoise des sciences sociales. Le gouvernement de Pékin comprend bien la signification internationale du Saint-Siège et du Vatican dans le monde, mais le problème réside dans le fait que le Parti communiste chinois ne veut pas permettre que l’Etat soit lié à la religion, en l’occurrence par l’Eglise. C’est en Chine un problème sérieux, car le gouvernement redoute qu’en cas de crise, les catholiques obéissent plus volontiers au pape qu’au gouvernement, et en l’occurrence au Parti.

La dernière action en date du Saint-Siège au sujet de la Chine concerne l’attaque en force du couvent des sours de Xi’an et l’emprisonnement des prêtres. Le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro-Valls, a condamné ces faits le 30 novembre 2005. Et, même si le Saint-Siège ne pouvait connaître les détails, il les condamna en tant qu’un acte de violence.

Les commentateurs ont remarqué que le Saint-Siège était soucieux et avait suivi ces évènements avec attention. Même si l’on voulait normaliser les relations diplomatiques avec la République populaire, de tels faits ne pouvaient être ignorés et le Saint-Siège ne pouvait rester silencieux. Ces déclarations du Vatican, au milieu des efforts pour la normalisation des relations, démontraient que le Saint-Siège s’en tiendrait à l’exigence d’un minimum de garanties pour le respect des droits de l’homme et de la liberté religieuse.

Troisième partie

Un observateur du Vatican très au fait des problèmes, disait avec juste raison, que la question de la normalisation des relations sino-vaticanes n’était pas d’ordre diplomatique, mais religieuse. La question en effet de savoir si le gouvernement chinois est capable de changer sa manière de traiter avec la religion, de se conduire avec elle de manière ouverte et honnête – ce qui n’est pas le cas actuellement. De plus, il reste à attendre le moment où la discussion de type “ping-pong” qui est d’usage, sera remplacée par des moyens pratiques – comme dans le cas de la nomination des évêques – pour donner des réponses aux problèmes en suspens, y compris au sujet de la question taiwanaise. Selon les propos du cardinal Tauran, il se peut arriver que la normalisation de jure arrive “non pas demain mais ce soir même 

Il est néanmoins certain que l’Eglise en Chine est parvenue à une conscience d’elle même, qui, aussi bien dans son comportement vis-à-vis des autorités que vis-à-vis des deux groupes qui la composent, représente une base capitale pour la normalisation. Il existe un nouveau sens de la catholicité : il y a dans la République populaire une Eglise catholique, qui est jugée comme telle du point de vue international. Cela représente évidemment pour le gouvernement chinois un défi en ce qui concerne la normalisation des relations, alors que la normalisation de facto, même si elle n’est pas parfaite, existe dans beaucoup de domaines.

La normalisation de jure suivra probablement – comme on l’a dit – de manière qui pourrait être surprenante. Les problèmes de l’Eglise de Chine subsisteront et n’en seront que plus visibles. Le manque de préparation de l’Eglise catholique pour une collaboration et un dialogue avec la Chine deviendra alors évident. Il faut dès à présent faire tout ce qui est possible, comme le disait Li Haibo pour utiliser les possibilités qui se présentent et ainsi mieux se préparer. Ce qu’a cité Li Haibo de Matteo Ricci doit également servir de guide dans le domaine de la normalisation, ainsi que le pape Jean-Paul II l’a lui même formulé lors du jubilé Ricci en 1982. Cette année, à l’Université grégorienne, un Centre Matteo Ricci a été ouvert par le cardinal Sodano, et les déclarations qui ont été citées montrent clairement, comme l’a assuré Jean-Paul II, que de sa tombe à Pékin le père Ricci appelle au dialogue et la collaboration : “Nous devons nous souvenir qu’au sein de la terre, les graines de blé cachées apporteront une riche moisson. C’est le véritable appel adressé à Rome et à Pékin pour reprendre ce dialogue qui a été tenu il y a quatre cents ans avec autant d’amour que de succès.”

(1)Voir EDA 430