Eglises d'Asie

Le Saint-Siège a fortement réagi après l’ordination illégitime de deux évêques “officiels”

Publié le 18/03/2010




Le 4 mai dernier, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, Joaquin Navarro-Valls, a rendu publique une déclaration au ton très ferme pour exprimer “le profond déplaisir” du pape après les ordinations épiscopales de deux prêtres “officiels”, respectivement consacrés évêques de Kunming, dans la province du Yunnan, et de l’Anhui. Ces ordinations, qui ont eu lieu le 30 avril et le 3 mai (1), ont été accomplies “sans respecter les exigences de la communion avec le pape peut-on lire dans la déclaration, et c’est là “une grave blessure pour l’unité de l’Eglise pour laquelle, on le sait, sont prévues de sévères sanctions canoniques (cf. canon 1 382 du Code de Droit canonique)” (2).

Ce n’est pas la première fois que le Saint-Siège évoque publiquement la possibilité d’une sanction aussi grave que l’excommunication pour les prêtres “officiels” qui acceptent d’être ordonnés évêques sans l’accord du pape, et les évêques “officiels” qui acceptent de prendre part aux cérémonies d’ordination. En juin 2000, quelques mois après l’ordination illégitime de cinq évêques “officiels” à Pékin, le jour de l’Epiphanie, l’ordination d’un évêque, Mgr Matthieu Cao Xiangde, pour le diocèse de Hangzhou, dans la province du Zhejiang, avait amené Joaquin Navarro-Valls à évoquer de manière très claire la possibilité de sanctions canoniques “sévères à savoir l’excommunication latae sententiae, l’excommunication de fait pour un geste contraire à la communion ecclésiale (3).

Comme cela avait été le cas pour l’ordination de Hangzhou, le Saint-Siège s’est contenté de menaces de sanctions pour les deux ordinations de Kunming et de l’Anhui. La déclaration de ce 4 mai précise en effet que “les évêques et les prêtres ont été soumis – de la part d’organismes extérieurs à l’Eglise – à de fortes pressions et à des menaces, dans le but de les faire participer aux ordinations épiscopales”. Ces ordinations sont donc, aux yeux du pape, “illégitimes mais l’excommunication n’est pas prononcée contre les personnes concernées, étant donné qu’elles ont été amenées à prendre part à des actions “contraires à leur conscience”. Ceci constitue toutefois “une grave violation de la liberté religieuse” et motive le Saint-Siège à dénoncer publiquement ces ordinations.

Pour ce dernier, ces deux ordinations, pour préparées qu’elles aient été, constituent une surprise dans la mesure où “il pensait et espérait que de tels épisodes déplorables appartenaient désormais au passé”. La déclaration du 4 mai ne le mentionne pas, mais, depuis janvier 2005, quatre ordinations d’évêques “officiels” ont eu lieu à la satisfaction des deux parties, le Saint-Siège et Pékin : à Shanghai, Xi’an, Wanxian et Suzhou. Les candidats à l’épiscopat pour ces quatre sièges ont été désignés “démocratiquement ainsi que le souhaite Pékin, et, avant leur ordination, les prêtres en question ont demandé – et obtenu – du pape son assentiment à leur consécration en fidélité à la communion ecclésiale (4). Le 7 mai, une cinquième ordination épiscopale a eu lieu selon ce schéma : dans le diocèse de Shenyang (province du Liaoning), l’évêque “officiel” – et légitime -, Mgr Jin Peixian, a ordonné un évêque coadjuteur pour son diocèse. Le nouvel évêque, Mgr Paul Pei Junmin, âgé de 37 ans, a été ordonné avec l’aval du pape et l’assentiment des autorités chinoises (5).

Pour les observateurs, les ordinations de Kunming et de l’Anhui – auxquelles il faut ajouter l’installation, le 14 mai, de l’évêque “officiel” du Fujian, illégitime lui aussi (6) – peuvent donc être interprétées comme un geste politique des autorités chinoises s’inscrivant dans un contexte où il était clairement question, depuis quelques mois, de négociations entre le Vatican et la Chine quant à une normalisation de leurs relations. Au-delà de la question de la rupture des relations diplomatiques entre Taiwan et le Saint-Siège, la partie chinoise a souhaité affirmer sa volonté de maintenir les prérogatives qu’elle s’est arrogées quant à la nomination des évêques “officiels”. Pour le Vatican, cette façon de faire met “de nouveaux obstacles” aux négociations. Le Saint-Siège rappelle toutefois “sa disponibilité pour un dialogue honnête et constructif avec les autorités chinoises compétentes, de façon à trouver des solutions qui puissent satisfaire les exigences légitimes des deux parties”.

Trois jours après le communiqué de Navarro-Valls, le ministère chinois des Affaires étrangères, par la voix de son porte-parole, a indiqué que “le gouvernement chinois [regrettait] les critiques du Vatican sur cette affaire (des ordinations épiscopales de Kunming et de l’Anhui)”. Le porte-parole ajoutait qu’au sujet des relations sino-vaticanes, le gouvernement s’était fixé des principes “constants” et “clairs à savoir la rupture par le Vatican de ses soi-disant relations diplomatiques avec Taiwan et la non-ingérence dans les affaires intérieures chinoises sous prétexte de religion. Ceci étant dit, “le gouvernement chinois est toujours sincère et a fait des efforts constants pour améliorer ses relations avec le Vatican a encore ajouté le porte-parole.

Selon Kwun Ping-hung, qui, depuis Hongkong, suit de près la situation de l’Eglise en Chine, la série d’ordinations épiscopales qui vient d’avoir lieu, pour problématique qu’elle soit, ne doit pas cacher le fait qu’“engager des négociations est dans l’intérêt à long terme des deux parties”. L’an dernier, Pékin a fait preuve d’une certaine retenue, en s’abstenant de critiquer en termes durs la venue du président taiwanais aux funérailles du pape Jean-Paul II ou lorsque l’évêque de Hongkong est devenu cardinal. Toujours selon Kwun, les critiques de l’Eglise quant aux ordinations d’évêques illégitimes ont été formulées de manière à ne pas heurter Pékin. Cela laisse donc la porte ouverte à une reprise des négociations, mais ne peut cacher le fait que le problème central reste entier, à savoir que l’Eglise catholique, telle qu’elle existe dans son fonctionnement hiérarchique, ne peut se couler dans le cadre de la politique religieuse définie par le gouvernement chinois.