Eglises d'Asie

Exilé en Inde, persona non grata en Chine, le dalaï lama demeure bien présent au Tibet

Publié le 18/03/2010




Dans le Tibet administré par la Chine, le dalaï lama, leader spirituel des Tibétains en exil depuis la fin des années 1950, est un paria, mais il reste, en réalité, omniprésent. Les officiels rencontrés lors d’un voyage de presse organisé par le gouvernement – la seule occasion pour les journalistes étrangers basés en Chine de se rendre sur le « Toit du monde » (1) – n’ont pas de mots assez durs pour le prix Nobel de la paix 1989, qui a fui en 1959 et fêté ses 71 ans le 6 juillet dernier.

Champa Phuntsok, le président de la Région autonome du Tibet et le plus haut responsable politique d’ethnie tibétaine, a ainsi conseillé aux correspondants étrangers de se souvenir des propos de Rupert Murdoch, le magnat des médias, qui l’avait qualifié d’« homme politique vêtu du costume bouddhiste, portant des chaussures italiennes et faisant de l’activisme dans différents pays 

Dans ce pays où la religion est omniprésente, depuis les stûpas, ou chortens, le long des routes, aux pèlerins effectuant à pied ou à plat ventre des milliers de kilomètres pour se rendre dans les lieux sacrés de Lhassa, les photos du dalaï lama sont officiellement interdites. Au temple du Jokhang, l’un des principaux lieux sacrés du bouddhisme tibétain, un petit autel consacré au dalaï lama reste fermé. Au Potala, l’ancien palais d’hiver du dalaï lama, tous ses prédécesseurs sont là, sauf lui. « Ses images ne sont pas autorisées au Potala indique Qiangba Gesang, directeur du département administratif.

Pourtant, dans les faits, le dalaï lama est bien présent. A la sortie du Potala, un vieil homme, à la peau cuivrée, s’adresse au journaliste étranger, lui lançant quelques mots en chinois. « Le dalaï lama n’est pas là dit-il en désignant le palais superbe, construit sur les flancs d’une colline et dominant Lhassa du haut de ses 3 700 mètres d’altitude. « Il est parti, j’aime le dalaï lama ajoute-t-il, le regard malicieux, avant de disparaître dans les fumées et les bruits du marché. Un moine de 36 ans, rencontré à Lhassa alors qu’il collecte des fonds pour son monastère situé dans l’intérieur de la région, explique que la majorité des Tibétains continue de révérer leur leader spirituel. « Chez eux, beaucoup de gens ont l’image du dalaï lama, 95% des Tibétains le respectent explique-t-il.

Même chez les plus jeunes, le leader spirituel est un objet de dévotion. Dans une boîte de nuit de la ville, où jeunes tibétains et chinois se mélangent, dans les coulisses, un danseur, à la poitrine nue entre deux prestations, arbore, au bout d’un collier, une petite image d’un dalaï lama souriant. « Quand je porte des habits, personne ne peut le voir sourit-il, avant de mettre les deux mains sur sa tête en signe de respect.

Mais, pour l’heure, les négociations entre le leader spirituel et Pékin sont dans l’impasse. Malgré les déclarations apaisantes de celui qui vit dans le nord de l’Inde, à Dharamsala, où siègent également le gouvernement et le Parlement tibétains en exil, les autorités chinoises dénoncent son double langage. « Jusqu’à présent on a seulement vu des changements de tactiques de la part du dalaï lama, alors que son but est d’aboutir en cachette à l’indépendance affirme Champa Phuntsok.

Pour Laurence J. Brahm, un ancien avocat d’affaires américain présent en Chine depuis longtemps, bouddhiste et engagé dans des projets de développement durable au Tibet, Pékin pourrait cependant faire un geste avant les Jeux olympiques de 2008. Et autoriser une « visite symbolique » du dalaï lama non pas au Tibet, mais dans un autre lieu du bouddhisme tibétain, dans une autre région chinoise. « J’y crois assez dit-il, persuadé que le Tibet pourra représenter un « centre de spiritualité non seulement pour le géant asiatique après des années de matérialisme, mais aussi pour le monde. « La question est : est-ce que le Tibet changera la Chine ? lance-t-il.