Eglises d'Asie

CIRCONSPECTS, DES PAKISTANAIS S’INTERROGENT SUR LES MOTIVATIONS DE L’AIDE HUMANITAIRE AMERICAINE

Publié le 18/03/2010




A l’Hôpital chrétien de Sahiwal, au Pendjab pakistanais, l’appareil de radiologie dernier cri porte un autocollant bien visible : U.S. Agency for International Development et nul ne peut ainsi ignorer d’où viennent les financements qui ont permis d’acquérir cet équipement médical. Les réfrigérateurs qui servent à entreposer les réserves de sang ainsi que la salle de conférence qui accueille les médecins en formation et les ordinateurs pour lire les résultats des radios – toutes ces installations neuves au service de la population pakistanaise portent la marque du pays qui les a financées, les Etats-Unis pour qui le Pakistan est un allié stratégique dans sa lutte contre le terrorisme.

La propreté et l’ordre qui règnent à l’Hôpital chrétien contrastent avec la foule et les conditions sanitaires plus que douteuses qui sont celles de l’hôpital municipal. L’Hôpital chrétien, géré par l’ONG chrétienne World Witness et financé par la coopération gouvernementale américaine, pourrait donc être un lieu vers lequel la communauté locale, musulmane dans sa quasi-totalité, se tourne lorsqu’elle a besoin de soins médicaux. L’hôpital public est en sous-effectif ; il est sous-équipé et les patients s’agglutinent dans des couloirs sales, emplis des cris des enfants et des bébés que les parents amènent pour consultation.

Mais, à l’image de beaucoup des équipements chrétiens installés dans ce pays musulman, l’Hôpital chrétien est un monde à part. Il accueille de 14 000 à 15 000 patients chaque année, comparé au million de malades qui fréquentent l’hôpital municipal. Les patients les plus démunis – et ils sont nombreux – disent qu’ils ne peuvent se permettre de débourser les quelques dollars facturés pour l’admission et les tests sanguins demandés à l’Hôpital chrétien.

Lors d’une récente visite, il n’y avait qu’une dizaine de patients à attendre leur tour dans la salle de consultation. Leurs vêtements – les habits que tous les Pendjabis musulmans portent – contrastaient étrangement avec les croix en carreaux inscrites sur les murs et la chapelle visible dans la cour. Armes automatiques en bandoulière, les gardes qui patrouillent devant la porte d’entrée de l’hôpital sont un rappel des menaces qui pèsent sur les groupes chrétiens présents dans ce pays où certains pensent que la religion musulmane est la cible des attaques d’un Occident assimilé aux chrétiens.

Au Pakistan comme dans un certain nombre d’autres nations musulmanes, des ONG chrétiennes sont présentes dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’aide d’urgence et .S. Agency for International Development, plus connue sous le nom d’USAID, a débloqué un total de 53 millions de dollars, pour les années 2001 à 2005, afin de financer des projets gérés par des chrétiens au Pakistan, en Indonésie et en Afghanistan. Tant les organisations caritatives non gouvernementales que le gouvernement américain espèrent que les projets ainsi financés et animés seront comme autant de graines plantées en terre, signes de bonne volonté, dans des contrées où les habitants sont de plus en plus circonspects face à l’Occident.

Mais la guerre en Irak et la détention de musulmans à Guantanamo ont attisé la colère de bon nombre des habitants de ces pays et ils estiment qu’il est difficile de faire la distinction entre des politiques qu’ils réprouvent profondément et les activités des ONG chrétiennes. C’est en tout cas ce qu’affirment les dirigeants islamiques locaux. « Les gens haïssent l’Amérique comme un tout. En général, les gens pensent que l’Occident, et plus particulièrement Bush, tiennent un double langage à l’endroit des musulmans. Ils tuent des musulmans, déclare ainsi Ameer-ul Azim, secrétaire du Jama’at-e-Islami, un parti politique de Lahore. Ce à quoi tout cela peut aboutir, c’est à ce que les relations qu’entretiennent les communautés musulmane et chrétienne ici soient affectées. »

Pour leur part, les responsables de l’Hôpital chrétien insistent pour dire qu’ils sont là pour soigner et pas pour se livrer à des actions de prosélytisme. Pourtant, dans les brochures produites par World Witness, on lit que répandre le christianisme fait partie de la mission de l’ONG. Dans un dépliant sur l’hôpital, on peut lire que « le Film Jésus » est projeté à tous les patients ; on apprend aussi que « l’équipe de l’hôpital estime que, par le Christ, le terrorisme peut être éliminé de cette région du monde ». Cette dernière phrase a d’ailleurs été perçue comme une offense par des responsables musulmans qui disent que l’islam est pour la paix et n’a rien à voir avec la violence.

« Si je reçois un pareil message, je m’interroge : ‘Pourquoi répandez-vous la haine entre les êtres humains ? Quel est l’objectif poursuivi ?’ affirme Abdul Rauf Farooqi, membre du bureau du Conseil national des écoles religieuses, basé à Lahore. Les ONG chrétiennes répondent qu’il y a erreur quant à la manière dont elles sont perçues. Selon le pasteur Frank van Dalen, directeur exécutif de World Witness, « le Film Jésus » n’a été projeté que dans la salle d’attente de l’hôpital – et encore, de manière intermittente. Mis en présence de la brochure à propos de l’élimination du terrorisme par le Christ, il manifeste sa gêne. « C’est une idiotie que de dire cela. Cela ne marche pas de cette façon réagit-il.

Pourtant, selon certains, les tentatives de l’administration Bush pour aider les ONG dont le travail est fondé sur des convictions religieuses – la plus grande part d’entre elles étant chrétiennes – ne manquent pas de susciter des suspicions dans les pays musulmans. Pour leur part, les avocats de ces groupes chrétiens demandent à ce que les actions menées soient jugées sur le terrain et affirment que ces groupes ne doivent pas être soupçonnés du seul fait de leur motivation et appartenance religieuses.

Il n’en reste pas moins qu’USAID est devenu une source de plus en plus importante de fonds pour les groupes chrétiens actifs dans le monde musulman. USAID a ainsi distribué 57 millions de dollars de 2001 à 2005 (sur un total de 390 millions alloués aux ONG) pour financer un peu plus d’une dizaine de projets gérés par des organisations confessionnelles au Pakistan, en Indonésie et en Afghanistan. Des chiffres obtenus en vertu de la loi sur la liberté d’information. Seulement 5 % de cette somme sont allés à un groupe musulman, la Fondation de l’Aga Khan, qui a reçu environ 3,5 millions de dollars pour des projets au Pakistan et en Afghanistan. Mais, même cette dernière somme est bien en-deça de celle reçue sous l’administration Clinton : pour la seule année fiscale 2000, la Fondation de l’Aga Khan avait reçu 4,9 millions de dollars.

Après le tsunami de décembre 2004, aucune organisation musulmane n’a reçu de subventions importantes de la part d’USAID pour le travail de réhabilitation en Indonésie. Sur un total de près de 160 ONG confessionnelles à avoir reçu une aide de premier plan de la part de l’agence gouvernementale américaine au cours de ces cinq dernières années, deux seulement sont musulmanes.

Mark Ward, un des responsables de l’USAID pour l’Asie et le Proche-Orient, avance que les groupes musulmans se trouvent désavantagés car ils n’ont pas su, contrairement à des organisations plus importantes et établies de plus longue date, maîtriser les procédures administratives de de-mandes de subventions. « Nous apprécions la diversité que témoigne, dans un programme, la présence d’un groupe lié à l’islam explique-t-il, en ajoutant que les groupes islamiques sont encouragés à présenter des demandes.

Les initiatives fondées sur la religion de l’administration Bush sont faites pour aider les groupes confessionnels à s’y retrouver au sein des procédures administratives de deman-des de subventions. Mais cela a principalement bénéficié aux groupes chrétiens, dont la part dans les financements débloqués par l’agence USAID, ont pratiquement doublé sous la présidence Bush et représente 98,3 % du total des fonds alloués aux groupes confessionnels.

Le gouvernement pakistanais affirme qu’il n’a pas de problème avec les ONG chrétiennes aussi longtemps qu’elles ne violent pas la législation relative au blasphème. Mais les signes d’une certaine tension sont évidents. « Je n’ai jamais rencontré de difficultés avec aucune organisation chrétienne. L’action caritative ne connaît pas de religion, explique Tasmin Aslam, une femme, porte-parole du ministère pakistanais des Affaires étrangères. Et c’est bien différent des organisations musulmanes en Occident, qui constatent que, systématiquement, dès lors qu’elles collectent de l’argent, elles sont soupçonnées de financer des activités terroristes. »