Eglises d'Asie

Province de la Frontière du Nord-Ouest : la minorité chrétienne s’inquiète du vote de la “Loi Hasba” qui ouvre la voie à la création d’une police religieuse inspirée des talibans

Publié le 18/03/2010




Le 19 novembre dernier, environ trois cents chrétiens, dont une quarantaine de pasteurs protestants issus de diverses dénominations, se sont réunis devant le Club de la presse à Peshawar, chef-lieu de la Province de la Frontière du Nord-Ouest (North West Frontier Province, NWFP), pour protester contre le vote par l’Assemblée provinciale d’une nouvelle version de la “Loi Hasba”. Selon l’organisation chrétienne de défense des droits de l’homme, The All Pakistan Minority Alliance (APMA), qui a organisé la manifestation, cette loi “signifie la ‘talibanisation’ de la NWFP et ouvre la voie à la création d’une ‘police de la pensée’, semblable à celle qui avait cours dans l’Afghanistan des talibans et dont les femmes et les minorités auront tout à craindre”.

La NWFP est dirigée depuis octobre 2002 par une coalition de partis musulmans fondamentalistes, la Muttahida Majilis-e-Amal Pakistan (MMA), et, dès 2003, un premier texte de loi avait été débattu. Puis, en juillet 2005, la MMA avait fait voter une loi appelée Hasba (‘responsabilité’), qui prévoyait notamment la création de médiateurs locaux appelés mohtasib. Ils devaient être chargés de faire respecter la charia en conseillant l’administration locale et les médias et en protégeant les valeurs islamiques (fermeture des magasins le vendredi, jour de la grande prière). Mais, le gouverneur de la province avait refusé de la signer, procédure préalable à son application, car, selon lui, elle permettait la création d’une force de police parallèle. Le mois suivant, la Cour suprême invalidait la loi.

Le 13 novembre dernier, la MMA a proposé au vote une nouvelle version de la Loi Hasba, qui prend en compte les recommandations de la Cour suprême. “La loi a été préparée en accord avec les dispositions de la Constitution et les directives de la Cour suprême a déclaré Malik Zafar Azam, ministre de la Justice de la NWFP. La loi établit deux organes distincts : un département dirigé par un religieux et une force de police dont la mission sera de faire appliquer les décisions du département. Les actions du département seront supervisées par un comité de six personnes : deux religieux, deux juristes et deux fonctionnaires. Leur rôle est d’aider le gouvernement à combattre la corruption, à éliminer le travail des enfants et à protéger les droits des femmes et des minorités religieuses. Le texte a été voté par soixante six députés de la MMA alors que trente membres de l’opposition se sont abstenus.

Officiellement, la loi vise à éradiquer les pratiques contraires à l’islam par la persuasion douce et la prédication. Néanmoins, les opposants à la MMA accusent le gouvernement de vouloir créer un département de la promotion de la vertu et de la répression du vice sur le modèle coercitif mis en ouvre par les talibans lorsqu’ils étaient au pouvoir en Afghanistan. “La dictature des religieux n’est pas acceptable a déclaré Begum Nighat Yasmin Aurakzaij, députée de l’opposition. “Cette loi va encourager la talibanisation de la province a estimé Mushtaq Ahmed Ghani, député de la Ligue musulmane pakistanaise Quaid-i-Azam (PML-Q), le parti présidentiel.

Selon l’édition du 14 novembre du Daily Times, un quotidien distribué à l’échelon national, la NWFP subit très directement les conséquences de la présence sur son sol d’une importante population afghane réfugiée. Un recensement de 2005 indiquait que 3,04 millions d’Afghans vivaient dans la province. Depuis, si 580 000 d’entre eux sont retournés dans leur pays, il reste encore une population de réfugiés estimée à 2,4 millions. Depuis son arrivée au pouvoir, la MMA a pris de nombreuses mesures allant dans le sens d’une islamisation de la société. La musique a été interdite dans les transports publics. Les docteurs n’ont pas le droit de soigner des patientes et les femmes n’ont pas droit de quitter leur foyer sans être accompagnée d’un homme de leur maisonnée. Regarder la télévision, écouter de la musique sont des actes désormais répréhensibles.

Selon la Commission des droits de l’homme du Pakistan, un organisme officiel et indépendant du pouvoir, bien que la loi en question ait été prise pour lutter contre toutes sortes de pratiques contraires à l’islam (le travail des enfants par exemple) et pour organiser la protection des lieux de culte et des activités des minorités religieuses, le texte n’a rien à voir avec l’islam en tant que tel. Asma Jehangir, présidente de la Commission, a mis en garde contre la création d’un tel système clérical de surveillance, qui, selon elle, ne fera que renforcer la base politique du MMA et lui sera utile dans l’hypothèse où l’alliance des partis islamistes perde un jour le pouvoir dans la province.

Pour Shahbaz Bhatti, président de l’APMA, la loi peut être utilisée pour contraindre les non-musulmans à adopter un mode de vie islamique. “La loi tourne autour de ce qu’il ne convient pas de faire et ce qu’il convient de faire au nom de la religion de la majorité a-t-il observé, ajoutant que le seul espoir des non-musulmans de la NWFP résidait désormais dans une éventuelle non-promulgation de la loi. En vertu de l’article 116 de la Constitution de 1973, la loi doit être promulguée par le gouverneur de la province, le général (en retraite) Ali Mohammad Jan Aurakzai. Ses prédécesseurs, Iftikhar Hussain Shah et Khalil-ur-Rahman, s’y étaient refusés.