Telles sont les premières phrases du célèbre ouvrage de Charles Dickens, A Tale of Two Cities, et elles décrivent sans doute ce qu’étaient Paris et Londres en 1775, mais elles ne peuvent certainement pas être appliquées à la situation de Pékin ou de Hongkong durant cette année 2006. Personne en Chine ne souhaiterait pour rien au monde revenir aux années de cauchemar de la Révolution culturelle (1966-1976), mais la pollution de l’air et les angoisses en matière de sécurité alimentaire ont empiré à Hongkong.
L’an dernier, les médias chinois étaient emplis de sujets sur « une société harmonieuse l’accent étant mis sur l’amélioration de la vie de la majorité rurale de la population. La corruption est demeurée un problème majeur, mais un nombre croissant d’officiels ont été arrêtés. La lutte des classes a été envoyée aux oubliettes de l’histoire et le gouvernement a reconnu que la religion peut jouer un rôle positif dans le développement de l’harmonie sociale.
En avril, un Forum bouddhiste mondial a eu lieu en Chine sur le thème : « Un monde plus harmonieux commence dans les esprits ». Même si elles sont soigneusement contrôlées, des ONG de plus en plus nombreuses apparaissent et agissent pour combler les lacunes du système de protection sociale. C’est ainsi que le Centre catholique de service social à Shijiazhuang, dans le Hebei, est devenu la première ONG catholique à être enregistrée par les services gouvernementaux.
Dix évêques ont rejoint le Père qui est aux cieux
Dix évêques sont décédés durant cette année 2006. La Chine compte plus de 350 millions de fumeurs, aux deux tiers masculins. Ainsi, nous pouvons écrire sans trop de risque de nous tromper que plusieurs de ces évêques étaient des fumeurs. Et pourtant, l’âge moyen de leur décès est de 84 ans, avec une fourchette allant de 78 à 94 ans. Quel est le secret de leur longévité ? Ils ont dû être solides pour survivre des années, parfois des décennies, dans les camps de travail. A leur libération, ils n’avaient que la peau sur les os et ne recevaient pour toute nourriture que de maigres légumes. On peut dire que c’est là la manière dure de maintenir à un niveau bas son taux de cholestérol.
Ils ont survécu parce qu’ils n’ont pas abandonné la prière. Les prisonniers qui angoissaient développaient des ulcères et ceux qui réagissaient par la colère avaient une pression artérielle trop forte et des problèmes cardiaques, mais ces dix évêques ont gardé la foi et, pour certains d’entre eux, un sens de l’humour qui ne leur a jamais fait défaut, même aux pires moments.
Quelques visites dans les églises et les maisons religieuses du continent suffisent à un observateur étranger pour réaliser combien la vie n’était pas facile dans ce pays et, par contraste, combien il est facile d’être catholique ailleurs, hors de Chine. Après une époque qui a été la pire des époques, l’Eglise de Chine est revenue du monde des morts. Et c’est pourquoi, dans d’autres pays où les Eglises locales ont traversé scandales, infamies, crises des vocations et chute de la pratique dominicale, des personnes ont bon espoir que des jours meilleurs se profilent à l’horizon.
Cinq jeunes nouveaux évêques
Cinq nouveaux et jeunes évêques ont été ordonnés en 2006. Ils ont 40 ans en moyenne. Ils sont dans la force de l’âge et, souvent, ils sont assez jeunes pour être en âge d’être les petits-fils des évêques qui ont été rappelés auprès du Père. Les séminaires et les couvents ont été fermés durant une génération. Quelques vétérans demeurent, mais, à la fin 2006, pour l’essentiel, les prêtres et les religieuses ont accompli la transition vers une Eglise plus jeune et portent à ceux qui les ont précédés une vénération semblable à celle de parents pour leurs grands-parents.
Le manque de vocations dans les années entre ces deux générations représente un handicap. La société au sens large a changé si rapidement qu’est apparu un vaste fossé entre ceux qui ont dans la quarantaine aujourd’hui et les adolescents. La plupart des vocations viennent de milieux ruraux et les millions de paysans qui sont partis comme migrants vers les villes ont été confrontés de plein fouet à la modernité. Cela a été un choc culturel et cela ne constitue pas les conditions les plus propices pour transmettre les valeurs culturelles fondamentales de respect pour les anciens. Si le renouveau du confucianisme encouragé par les autorités ne peut pas contribuer à réduire le fossé entre les générations et combler le vide moral, alors il se peut qu’il y ait une place pour l’Esprit Saint.
Les problèmes autour de certaines ordinations
Seulement deux des cinq évêques ordonnés avaient reçu l’accord du Saint-Siège pour accéder à l’épiscopat. Deux ordinations illégitimes à deux semaines d’intervalle ont créé de fortes frictions entre la Chine et le Vatican. Des rumeurs ont alors circulé au sujet d’une dizaine ou plus d’ordinations supplémentaires à venir, mais finalement il y a eu une accalmie de plus de six mois. Ensuite, sans que l’information n’ait filtré longtemps à l’avance et au milieu de rumeurs faisant état de fortes pressions exercées sur les évêques consécrateurs, l’Eglise « officielle » a procédé à une nouvelle ordination. Le cardinal Zen Ze-kiun a immédiatement qualifié cet acte d’attaque contre l’harmonie prévalant dans la société chinoise et, quelques jours plus tard, le 3 décembre 2006, le Vatican a déploré à la fois la tactique musclée de la Chine et la violation du droit canon. Les autorités religieuses chinoises ont répondu qu’elles ne comprenaient pas ces prises de position et l’impasse est totale. Toute velléité du Vatican de protester contre les ingérences dans les affaires internes de l’Eglise est dénoncée par Pékin comme une interférence dans les affaires internes de la Chine. Les historiens auront à l’esprit la querelle des investitures, controverse entre l’Eglise et l’Etat aux XIe et XIIe siècles, au sujet du rôle des princes laïques dans la nomination des évêques. Ceux pour qui l’histoire de l’Europe au Moyen Age est lointaine comprendront l’analogie suivante : une multinationale implante une filiale en Chine ; après un temps, un Chinois né dans le pays est prêt à prendre la responsabilité d’une branche provinciale, voire même de toute la filiale ; c’est alors que le gouvernement intervient et dit : « Etant donné que nous sommes en Chine, c’est nous, et non le siège social de la multinationale situé à l’étranger, qui choisissons le Chinois à placer à la tête de la filiale. » Les dirigeants de la multinationale ne trouveraient pas cela très drôle. Le Vatican, pour sa part, n’apprécie pas.
Considérant l’année 2007, on peut écrire, sans grand risque de se tromper, que huit, neuf ou dix évêques âgés quitteront ce monde. Le nombre des sièges épiscopaux vacants va continuer de croître, tout comme les raisons (ou les excuses) pour nommer de nouveaux évêques et remplir ainsi les vides, que ce soit avec ou sans l’accord du Vatican. Il semble bien que de nouveaux incidents et de fortes tempêtes se profilent à l’horizon. Personne ne peut prédire qu’une issue sera rapidement trouvée qui permettra de sortir de l’impasse.
Un cardinal pour Hongkong et la Chine
A Hongkong, la grande nouvelle en 2006 pour les catholiques a été l’élévation au cardinalat, en mois de mars, de Mgr Joseph Zen Ze-kiun. Il est ainsi devenu le cinquième cardinal chinois de l’histoire. Les quinze nouveaux cardinaux ont reçu leurs insignes cardinalices des mains du pape Benoît XVI le 24 mars. Plusieurs centaines de catholiques de Hongkong firent le déplacement jusqu’à Rome pour ce consistoire. Les catholiques sur le continent ont considéré cette promotion avec satisfaction, y voyant un honneur pour les Chinois où qu’ils soient, mais il ne leur a pas été possible de célébrer l’événement avec trop d’ostentation, de peur d’être soupçonnés de ne pas être de bons patriotes. En dépit de ce que le pape Jean-Paul II a dit à plusieurs reprises, il y existe encore des personnes au sein de la direction chinoise qui voient une contradiction dans le fait d’être « vraiment catholique et authentiquement chinois ».
Les échanges critiques, voire acerbes, entre différents responsables chinois et le nouveau cardinal ont continué durant l’année 2006. Mais, en comparaison de ce que la Chine nouvelle, celle d’après 1949, destinait aux papes, aux cardinaux et à l’ensemble des croyants, cela est peu de chose ; le ton a changé. L’Eglise catholique, vouée aux anathèmes il y a quelques décennies, est devenue une instance avec qui il est possible de dialoguer.
En Chine même, l’année 2006 a vu apparaître des évaluations plus positives quant au rôle de la religion dans la promotion de l’harmonie et la gestation de citoyens respectueux des lois. Ces évaluations ont même été plus positives que jamais. Et pourtant, tandis que le mois de décembre finissait, neuf prêtres « clandestins » ont été arrêtés dans le Hebei (1). Sommes-nous à la meilleure des époques ou à la pire des époques ? Il est sans doute préférable de penser que nous sommes quelque part entre les deux – ce qui est de peu de réconfort pour ceux qui continuent de risquer amendes et emprisonnement pour les activités religieuses qu’ils mènent.
Il est trop tôt pour se prononcer
Dans les années 1960, quelqu’un demandait au Premier ministre Zhou Enlai : « Que pensez-vous de la Révolution française ? » Présumant un piège politique derrière une question d’apparence historique, Zhou Enlai répondit sagement : « Il est trop tôt pour se prononcer. » En paraphrasant Zhou Enlai, nous dirons que, pour nous, il est trop tôt pour prononcer une évaluation de l’année 2006. Dans le flot des nouvelles nous venant de l’Eglise de Chine, il est aisé de trouver des raisons d’espérer et tout aussi aisé de trouver des raisons de désespérer. Dégager une vision d’ensemble n’est pas chose facile et nous ne lisons pas dans une boule de cristal. Mais si quelque chose est clair comme de l’eau de roche, c’est bien que les choses ne sont pas fixées pour toujours. Les migrations vers les grandes villes, la croissance économique, le vieillissement de la population, un certain vide spirituel, la société de consommation et les changements climatiques à venir, tous ces éléments vont continuer à avoir un impact toujours plus grand, pas seulement en Chine mais sur la planète entière. Dieu connait l’avenir. Pour les athées, c’est là une pensée effrayante. Le gouvernement chinois produit de nouveaux règlements et continue de parler de « renforcer le contrôle » sur les divers aspects de la société et de l’économie du pays.
En 1789, rares, en France, étaient ceux qui avaient vu venir la révolution. Pour sûr, personne ne soupçonnait qu’elle serait aussi sanglante qu’elle l’a été. Mais, c’était tenu pour un fait acquis, tout le monde était certain que la rivalité entre le France et l’Angleterre se poursuivrait jusqu’à la fin des temps. Ces deux puissances s’étaient fait la guerre tant de fois depuis le XIVe siècle et entretenaient l’une envers l’autre une mémoire conflictuelle vieille de 450 ans ! Cependant, après 1815, il n’y a pas eu un coup de feu entre les deux pays. La rivalité s’est maintenue sur les terrains de football et dans les affaires, mais la France et l’Angleterre sont devenues amies et alliées. La paix est possible sur cette terre et bénis soient ceux qui font la paix.
Continuez à prier !
En ce début d’année 2007, personne ne voit de solution à l’impasse dans laquelle se trouvent les relations entre le Saint-Siège et la Chine. En juillet, l’Association patriotique des catholiques chinois fêtera son cinquantième anniversaire et, en avril 2008, cela fera cinquante ans que le premier évêque chinois aura été consacré sans l’accord du pape. Pour ceux qui estiment que la fin du monde est proche, il ne serait pas sage de travailler à sortir de cette impasse. Le temps nous est compté. Toutefois, pour un marxiste, la race humaine est encore dans l’enfance ; nous avons des millions d’années devant nous. Le pape Paul VI disait : « La paix sera le mot final de l’histoire. » Cette nouvelle année verra des échanges de messages entre Rome et Pékin. Priez pour que la paix et la stabilité habitent ces deux cités ! Priez aussi pour que l’harmonie règne à Hongkong et à Jérusalem !
(1)NdT : le 27 décembre 2006, neuf prêtres « clandestins » du diocèse de Baoding, dans la province du Hebei, ont été arrêtés. Il s’agit des PP. Wen Daoxiu, Li Shujun, Li Yongshun, Wang Quanjun, Wang Qiongwei, Pang Yongxing, Pang Haixing, Dong Guoyin et Liu Honggeng. Ils auraient été arrêtés dans le cadre des pressions exercées par les autorités pour contraindre le clergé « clandestin » à s’enregistrer auprès des structures « officielles ». Selon l’agence AsiaNews, dans une dépêche datée du 13 janvier, deux d’entre eux ont été relâchés pour raison de santé : les PP. Wen Daoxiu et Li Yongshun. Le plus âgé du groupe, le P. Wen Daoxiu, 50 ans, souffrirait de problèmes cardiaques.